Entretien exclusif avec Rob Letterman, réalisateur de CHAIR DE POULE - 1ère partie
Article Cinéma du Samedi 05 Mars 2016

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

C’est en tant qu’artiste des effets visuels chez Digital Domain que Rob Letterman a entamé sa carrière cinématographique en 1999. Il a travaillé ensuite pour les studios Dreamworks sur les scénarii de GANG DE REQUIN (2004), puis de MONSTRES CONTRE ALIENS (2009), qui lui a permis de passer pour la première fois à la réalisation, en tandem avec Conrad Vernon. En 2010, Letterman quitte l’animation pour passer à son premier long métrage en prises de vues réelles, LES VOYAGES DE GULLIVER, avec son complice Jack Black. Nous retrouvons l’acteur dans le CHAIR DE POULE réinventé par Letterman, dans le rôle de R.L. Stine, le créateur de la fameuse série de livres d’horreur plébiscitée par les jeunes fans de Fantastique.

CHAIR DE POULE étant à l’origine une collection de livres d’épouvante destinés aux lecteurs adolescents, tout comme la série télé qui en avait été tirée dans les années 90, on pouvait s’attendre à ce que ce film ait la même cible de spectateurs. Or, il s’avère être un divertissement très amusant conçu pour tous les publics. Vous avez même réussi à recréer l’ambiance et la magie des productions Amblin de Spielberg des années 80 : vos jeunes héros sont dynamiques, malins et plein de ressources, et ils sont confrontés à des situations où le mystère, l’action, l’humour, l’aventure, les émotions sont mêlés à des gags très efficaces.

Merci beaucoup. Vous savez, j’ai grandi en allant voir ces productions d’Amblin au cinéma, et je les adore. Cet hommage dont vous parlez est exactement l’approche que j’ai décrite aux dirigeants de Sony quand je leur ai présenté mon pitch pour le film. Je leur ai dit « Traitons CHAIR DE POULE comme une aventure fantastique produite par Amblin dans les années 80. » et comme cette idée leur a plu, ils m’ont confié la réalisation du projet. Je suis donc particulièrement heureux que vous vous en soyez rendu compte en le découvrant !

Comment avez-vous travaillé avec Scott Alexander, Larry Karaszewski et Darren Lemke sur le synopsis puis sur le scénario ? Qu’avez-vous changé ? Qu’avez-vous ajouté ?

En préambule, je dois rendre à César ce qui appartient à César : le projet CHAIR DE POULE était en développement depuis longtemps et beaucoup de gens ont contribué à la façonner avant que je n’arrive. (Tim Burton fut impliqué dans le projet à une époque, NDLR) Scott et Larry, par exemple, avaient déjà achevé leur travail sur l’histoire : R.L. Stine était déjà transformé en l’un des personnages de cette intrigue, et les monstres qu’il a créés se manifestaient déjà dans le monde réel en sortant des pages de ses manuscrits lorsqu’on les ouvrait. Ensuite Darren Lemke a retravaillé tout cela en s’attaquant au script et en intégrant un autre héros : le jeune garçon qui vient s’installer dans la maison voisine et qui doit s’intégrer dans le quartier et dans le lycée de cette petite ville. La première version du script dont j’ai hérité était celle de Darren Lemke. Et pour ne rien vous cacher, c’est assez difficile aujourd’hui d’auditionner pour un projet quand on travaille à Hollywood en tant que réalisateur. J’étais donc venu à ce rendez-vous avec des illustrations représentant ma manière de visualiser les scènes du film et avec des descriptions écrites et dialoguées de plusieurs séquences…

Les studios attendent-ils des réalisateurs auditionnés qu’ils postulent en présentant déjà des illustrations conceptuelles et des extraits de nouvelles scènes ? Cela représente un gros investissement de travail à faire gratuitement en amont, avant même de savoir si cela correspond aux goûts des dirigeants du studio…

C’est effectivement quelque chose que les réalisateurs de mon niveau – c’est à dire ceux qui ne sont pas très connus - sont obligés de faire, mais je pense que des gens comme J.J. Abrams s’en dispensent en raison de leur statut et de leur notoriété. Il y a beaucoup plus de réalisateurs qui cherchent du travail à Hollywood que de films qui s’y préparent. De ce fait la sélection est assez sévère. Et quand on postule pour un film qui va reposer sur de nombreux trucages, il est important de prouver aux dirigeants du studio que l’on a déjà des idées précises sur la conception visuelle et le style de ces séquences, ainsi que sur les techniques à utiliser. En revanche, si vous présentez votre candidature pour la réalisation d’un drame ou d’un film intimiste, on n’attendra pas de vous que vous arriviez avec un storyboard et des concepts visuels.

Avez-vous dessiné vous-même certains concepts de cette présentation au studio ou avez-vous fait appel à des artistes avec lesquels vous aviez collaboré sur les films d’animation de Dreamworks ?

Oui, j’ai développé tout cela avec des amis artistes avec lesquels j’ai travaillé il y a quelques années. Je ne dessine pas moi-même, mais je conçois les grandes lignes de l’illustration, je rassemble des images de référence, et je décris ce que je souhaite obtenir à l’artiste qui va m’aider à réaliser ce travail sur Photoshop. Dès le départ, j’ai décidé d’inverser les clichés. Par exemple, un des dessinateurs avait préparé un croquis du loup-garou errant dans une forêt à la pleine lune, et je lui ai dit que ce serait plus intéressant si nos héros se retrouvaient enfermés avec ce loup-garou dans un supermarché aux allées bien éclairées. Tout mon pitch oral et graphique était basé sur cette idée de situer le film dans un univers urbain tout à fait réaliste et même un peu banal, et d’y faire surgir ces monstres délirants. Idem pour la scène ou des extraterrestres entrent dans le commissariat de la ville et contrôlent les esprits des policiers. Heureusement cette approche a séduit les dirigeants du studio, ils m’ont confié ce job, puis j’ai passé énormément de temps à intégrer cette nouvelle vision du film au scénario.

Comme vous l’avez dit précédemment, vous mettez en scène une nouvelle mythologie autour de l’univers de CHAIR DE POULE, en intégrant son créateur R.L. Stine dans cette aventure dont il devient l’un des personnages principaux. Mais le vrai R.L. Stine a-t-il été heureux de devenir l’un des héros du film ?

En fin de compte oui, mais je dois dire qu’au début cette idée le déroutait un peu ! Il a fallu le convaincre et pour ce faire, Jack Black et moi avons pris l’avion pour aller le rencontrer à New York. C’était très important pour nous et pour les producteurs d’obtenir de sa part une validation sans faille du projet. Toute l’équipe voulait qu’il soit fier du film que nous allions tourner, et Jack souhaitait qu’il approuve la manière dont il envisageait de l’interpréter. Nous voulions aussi l’entendre nous expliquer pourquoi ses livres avaient rencontré un tel succès. Notre rendez-vous avait été fixé dans les bureaux de sa maison d’édition, Scholastic, qui se trouvent au centre de New York dans un gratte-ciel construit vers 1910. On nous a conduits tout au sommet de cet immeuble, où nous avons découvert un grenier à l’ancienne, avec un petit escalier de bois et des boiseries dignes d’un décor de Harry Potter ! Le petit escalier à spirale menait à une pièce, et en ouvrant la porte, nous nous sommes retrouvés face à R.L. Stine, assis sur une chaise, avec une marionnette de ventriloque ressemblant à son personnage de Slappy la poupée vivante, assis à côté de lui ! (rires) Et devant R.L. Stine, il y avait un bol de noix de cajou et de cacahuètes ! (rires)

Suggérez-vous que R.L. Stine est contrôlé par Slappy dans la réalité ?

Je n’en sais rien ! (rires) Mais apparemment, quelqu’un chez Scholastic avait pensé que ce serait une bonne idée de placer là l’une de ces marionnettes de ventriloque bon marché que l’on peut acheter dans n’importe quel magasin de jouets. Jack Black a sauté sur l’occasion, et après que nous ayons salué R.L. Stine, il est venu s’asseoir sur cette chaise et s’est emparé de la marionnette, qu’il a gardée sur ses genoux et animée pendant tout le rendez-vous ! C’était hilarant à voir ! (rires) R.L. Stine a été charmant avec nous. C’est un homme extrêmement gentil. Il l’est même tellement qu’à la fin du rendez-vous, Jack lui a dit « Vous êtes si sympathique et si gentil que je ne peux pas vous interpréter de cette manière dans le film. Il faut que je vous rende plus inquiétant et plus sombre ! Est-ce que vous voudriez bien m’y autoriser ? » R.L. Stine lui a donné son accord, et à partir de ce moment-là, il nous a totalement soutenu dans notre démarche d’adaptation de son œuvre. Il nous a même donné régulièrement des conseils.

Lesquels ?

Il nous a dit qu’il ne fallait surtout pas prendre le jeune public de haut, en l’infantilisant, car les enfants sont bien plus malins et perspicaces que les adultes ne le croient. Il nous a également dit que les scènes effrayantes ne posaient pas de problème tant qu’elles étaient directes et ne contenaient pas d’éléments malsains. Après le tournage, j’ai organisé une projection pour lui dès que j’ai disposé d’une première version montée du film. Il m’a envoyé juste après un email merveilleux pour me dire à quel point il avait aimé le film et en était fier. J’ai eu l’occasion de mieux faire sa connaissance pendant la campagne de promotion du film aux USA, quand nous avons traversé ensemble tout le pays, et c’est un compagnon de voyage délicieux.

Vous utilisez certaines des véritables caractéristiques de R.L. Stine dans l’aspect donné à Jack Black, notamment ses lunettes et sa manière de s’habiller toujours en noir…

Effectivement. Je ne l’ai jamais vu porter autre chose que des pullovers, des vestes et des pantalons noirs, ainsi que ses lunettes aux montures noires. Curieusement, si vous l’observez attentivement, il a une légère ressemblance avec Jack Black ! Bien sûr, quand nous avons imaginé la version fictionnelle de R.L. Stine tel qu’il apparaît dans le film, nous nous sommes amusés à chercher des idées insolites pour décrire ce qui pourrait être la vie d’un auteur de livres d’épouvante. Mais dans la vie réelle, R.L. Stine est juste un homme adorable, passionné par la comédie car c’est dans ce registre qu’il a débuté en tant qu’auteur. Sa vraie passion, c’est l’humour bien plus que l’horreur, et c’est la raison pour laquelle il avait tant de plaisir à travailler et à parler avec Jack Black. Donc la plupart des choses que nous lui faisons faire ou dire dans le film sont totalement inventées !

Le vrai R.L. Stine n’est donc absolument pas jaloux de Stephen King, comme vous le décrivez dans une scène amusante du film ?

Ah, ça je n’en suis pas si sûr ! (rires) Qui sait ? Je me souviens que le nom de King est venu dans la conversation au moment où il nous a raconté comment il avait procédé lorsque Scholastic lui avait confié la tâche d’imaginer une série de livres d’épouvante pour les jeunes lecteurs. A l’origine, son ambition était de devenir un auteur humoristique reconnu. N’étant pas fan d’horreur, il s’était rendu dans une librairie pour acheter plusieurs romans des maîtres du genre, dont Stephen King, afin de les lire et d’en assimiler les codes. Quand nous sommes sortis de ce rendez-vous, Jack Black m’a dit « Est-ce que je me trompe ou est-ce que tu as senti qu’il y avait peut-être chez R.L. Stine une envie de compétition avec Stephen King ? » Cela nous a amusé et nous avons décidé d’en faire un gag à répétition dans le film. Quand R.L. Stine a vu cette scène, il m’a dit « Je ne voudrais pas que Stephen King croie que je ne l’aime pas. » Nous l’avons rassuré en lui disant que nous étions certains que Stephen King comprendrait bien qu’il s’agissait juste d’un gag et d’une situation de pure fiction !

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI ! Bookmark and Share


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