Entretien exclusif avec Rob Letterman, réalisateur de CHAIR DE POULE - 2ème partie
Article Cinéma du Mercredi 09 Mars 2016

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quelles sont les premières images qui vous sont venues en tête quand vous avez commencé à concevoir le film ? Quel style visuel avez-vous décidé d’utiliser ?

J’ai grandi en découvrant au cinéma les films produits dans les années 80. Il y aurait de nombreuses réponses à votre question, mais pour aller à l’essentiel, disons que je tenais par dessus tout à ce que l’action du film soit fermement ancrée dans la réalité, et que les personnages principaux soient traités de manière naturelle et sincère. Parallèlement à cela, j’ai mené une enquête pour arriver à trouver des objectifs de caméra panavision anamorphiques datant des années 60 parce que je savais qu’ils allaient donner un aspect chaleureux et très caractéristiques aux images. J’ai fait en sorte d’utiliser le plus souvent possible de vrais paysages et décors extérieurs pour éviter les artifices typiques des films « à effets spéciaux » tournés en studio. Et dans presque tous les cas, je me suis débrouillé pour que les trucages numériques soient greffés sur des prises de vues réelles. J’ajoute que nous avons créé les monstres avec des effets spéciaux de maquillage à chaque fois que c’était possible. Et quand cela ne l’était pas, nous partions d’un élément physiquement présent sur le plateau et nous l’augmentions numériquement. C’était ma manière de rendre hommage non seulement aux productions Amblin, mais aussi à de nombreux grands films des années 60 et 70 dont le traitement de l’image et le style visuel étaient naturalistes. Quand nous avons cherché le directeur de la photographie capable de renouer avec ce style, il était évident que Javier Aguirresarobe serait le bon choix. J’avais déjà vu son travail au cinéma, et nous avions aussi des amis communs par le biais desquels j’avais pu le rencontrer. Javier a un talent exceptionnel. Il a tourné récemment BLUE JASMINE avec Woody Allen, et dans le domaine du Fantastique, il avait travaillé notamment sur LES AUTRES d’Alejandro Amenabar. J’adore la touche très européenne qu’il donne a ses images et j’étais sûr qu’elle conviendrait parfaitement à ce film. Il a fallu palabrer longtemps avec le studio pour réussir à travailler avec lui, mais nous y sommes parvenus, et je suis enchanté du travail qu’il accompli.

Cela saute aux yeux dans plusieurs séquences, et tout particulièrement au cours de la première scène romantique entre Hannah et Zack, quand ils se rendent de nuit dans un petit parc d’attraction abandonné, en rallument les éclairages, puis escaladent la grande roue pour observer le paysage depuis la plus haute nacelle…Vous avez réussi à créer une belle atmosphère visuelle, emprunte de magie et d’émerveillement.

Merci beaucoup. Vous savez, le travail d’un réalisateur consiste aussi à savoir sélectionner les artistes les plus talentueux et dont la sensibilité correspond le mieux au projet qu’il prépare. Mes plus proches collaborateurs, dont Javier, ont déjà tourné plus de films que je n’en ferai jamais dans toute ma vie de réalisateur, et c’est une chance de pouvoir bénéficier de leur expérience et de leur créativité.

Qui a été le concepteur principal des monstres ?

Il s’agit de Carlos Huente, qui a travaillé pendant des années à ILM sur des films comme LA MOMIE, MEN IN BLACK 2, ou LA GUERRE DES MONDES , et que je connais de longue date. Plus récemment, il a collaboré avec Ridley Scott sur PROMETHEUS. Carlos m’a aidé à établir le design de l’Abominable Homme des Neiges, des extraterrestres, du Loup-Garou, et de Slappy.

Parlez-nous des trois jeunes acteurs principaux. Comment et pourquoi les avez-vous choisis ? Commençons par Dylan Minette, qui joue Zack…

J’avais remarqué Dylan dans PRISONNIERS , le thriller très sombre réalisé par Denis Villeneuve, mais on avait pu le voir auparavant dans la série LOST et dans LAISSE-MOI ENTRER, le remake américain de l’excellent film de vampire suédois Morse. Dylan a suivi une formation classique d’acteur, avec des cours de théâtre, avant d’entamer sa carrière très jeune à la télévision, où il est apparu dans de nombreuses séries. A propos du choix des jeunes acteurs, je voudrais préciser que quand on m’a confié la réalisation de CHAIR DE POULE, le scénario indiquait que les héros avaient une douzaine d’années. J’ai pensé que cela donnerait un ton beaucoup trop juvénile au film, et j’ai donc réorienté le casting en l’ouvrant à des comédiens plus âgés. J’avais envie de constituer un groupe d’adolescents attachants, intelligents et crédibles que l’on aurait envie de suivre tout au long de cette aventure. Mais je ne voulais surtout pas engager des acteurs de vingt ans ou plus et leur faire jouer des ados, car ce n’est jamais convaincant. Nous avons donc initié le processus du casting et quand j’ai rencontré Dylan, j’ai immédiatement su que c’était lui le choix idéal pour incarner Zack. En le voyant, on sentait en lui un garçon honnête, courageux, intelligent et qui a les pieds sur terre. Et je l’imaginais tout à fait gardant son calme même dans des situations délirantes , et réussir ainsi à combattre des menaces surnaturelles. Il lui a suffi de jouer des extraits de deux ou trois scènes pour me convaincre qu’il serait tout à fait crédible dans ce rôle. J’ai dit à la production que c’était lui que j’avais choisi, mais malheureusement, il n’était pas disponibles aux dates prévues pour le tournage. J’ai donc rencontré des centaines d’autres candidats pour choisir un autre Zack, mais en fin de compte l’autre film pour lequel il était engagé ne s’est pas fait et nous avons pu l’engager.

La mystérieuse Hannah, sa voisine, est interprétée par Odeya Rush…

Pendant que je cherchais le Zach idéal, je rencontrais aussi des jeunes comédiennes pour trouver celle qui pourrait incarner Hannah. Quand nous avons pu engager Zack, il a fallu s’assurer que l’actrice qui jouerait Hannah s’entendrait bien avec lui et que leur duo fonctionnerait à l’écran. Cela nous a poussé à tester différents tandems entre Dylan et plusieurs actrices dont Odeya, puis différents tandems entre Odeya et plusieurs acteurs, pour aboutir aux essais entre Dylan, Odeya et Jack Black, qui ont très bien fonctionné. Le processus de casting a été très long et parfois fastidieux, mais il était essentiel, car il fallait que tous les acteurs principaux s’accordent parfaitement dans leur énergie et leur sens du timing. Dans le cas contraire, le film n’aurait pas fonctionné.

Ryan Lee est impressionnant dans le rôle comique de « Champion » : son sens du rythme humoristique est impeccable, ce qui est rare pour un acteur aussi jeune…

Absolument ! Je peux d’ailleurs vous dire que j’ai cherché très longtemps un jeune comédien capable de tenir un tel rôle. J’ai parcouru les USA dans tous les sens et je ne trouvais personne qui puisse convenir. Deux semaines avant le début du tournage, alors que je parlais au téléphone avec deux scénaristes engagés pour ajouter du punch et des réparties comiques aux dialogues, je leur ai expliqué que je cherchais toujours un garçon pour incarner « Champ ». Comme ils travaillaient tous les deux sur la sitcom TROPHY WIFE, ils m’ont dit que le jeune Ryan Lee qui faisait partie de la distribution de la série serait parfait pour ce rôle-là. J’ai demandé aux responsables du casting de m’organiser un rendez-vous avec Ryan. J’ai pris l’avion pour Los Angeles afin de le rencontrer, et je lui ai fait lire quelques scènes. Il était effectivement parfait, je lui ai donné le rôle le jour-même, et je suis remonté dans l’avion pour revenir préparer le tournage en Géorgie ! (rires) Ryan n’avait que 17 ans à l’époque, et comme vous le souligniez, c’est très rare qu’un acteur aussi jeune maîtrise le rythme de la comédie à ce point, en restant sincère, et en ne tombant jamais dans la caricature.

C’est l’un des gros écueils de la comédie de situation : si les acteurs jouent de manière caricaturale en soulignant les effets comiques, les gags tombent à plat. En revanche, s’ils sont sincères et jouent la situation comme s’ils y croyaient complètement, là le contraste comique fonctionne parfaitement. Et Ryan Lee joue son personnage avec une sincérité hilarante…

C’est vrai. Et je dois préciser que ce talent est inné chez lui : je n’ai pas eu besoin de le guider ni de lui demander de modifier son jeu pour arriver à ce résultat. J’ai été ravi par sa maturité et son talent.

En tant que scénariste et réalisateur qui a débuté dans l’animation, comment avez-vous géré l’humour dans ce film ? Avez-vous ajouté beaucoup de gags visuels dans le script original ? Avez-vous laissé vos acteurs improviser des répliques comiques supplémentaires ?

Je vais répondre oui à ces deux questions. Quand j’ai repris le script pour l’ancrer dans des situations réalistes et des décors de la vie quotidienne, j’ai réécrit la plupart des scènes et des dialogues, puis j’ai fait venir des storyboardeurs avec lesquels j’avais travaillé chez Dreamworks pour établir la mise en scène des gags visuels et des séquences d’effets visuels avec les créatures. Pendant la phase du storyboard, j’ai découpé chaque scène en mini-séquences qui avaient chacune leur propre personnalité. Si je prends l’exemple de la scène ou l’abominable homme des neiges poursuit nos trois héros dans une patinoire, dans le script original, tout cela se déroulait dans des couloirs, et dans les placards des vestiaires où les personnages se cachaient. J’ai tout changé pour que le Yéti se retrouve plutôt au centre de la patinoire, sur la glace, et que la poursuite ait lieu là, et dans les passages protégés par des vitres en plexiglas qui se trouvent autour de la patinoire. J’ai ajouté aussi le gag avec le véhicule d’entretien de la glace dans lequel ils espèrent s’échapper, les différentes phases du combat avec le Yéti, jusqu’au moment où toute la continuité de la scène m’a semblé bonne, et où je l’ai réinjectée ainsi dans le script. Les interactions avec la Mante religieuse géante, le Loup-Garou et les autres monstres ont été conçues de la même manière, par écrit et grâce à des storyboards. Et concernant les scènes de dialogues des situations « normales », j’ai choisi des acteurs très doués pour les improvisations comiques, comme Amy Ryan, que j’avais vue dans la version américaine de THE OFFICE. Je l’ai littéralement suppliée de jouer le rôle de la mère de Zack ! Idem pour les comédiens qui incarnent les policiers. Je savais que je pourrais compter sur leur créativité pour ajouter des petites touches comiques très efficaces.

Comment avez-vous sélectionné les monstres principaux du film parmi tous ceux qui figurent dans les romans de CHAIR DE POULE ?

J’ai commencé par les créatures les plus marquantes, celles dont tous les lecteurs de la saga et les fans de la série télé se souvenaient : par exemple, il était évident que la marionnette de ventriloque Slappy devait jouer un rôle très important. En ce qui concerne les autres, nous nous sommes concertés avec les équipes des effets visuels et des effets spéciaux de maquillage pour choisir les monstres que nous pourrions réaliser avec des effets de grande qualité tout en restant dans le cadre de notre budget. Je tenais à ce qu’aucun d’entre eux ne soit représenté de manière approximative ou expéditive, même si l’on en voit beaucoup dans certaines scènes. Ma « hantise », si vous me pardonnez cette expression, était que l’on se retrouve avec certains monstres qui auraient l’allure de créatures de films de série B. C’est la raison pour laquelle nous avons aménagé une salle de « cellule de crise » dans les locaux du département de conception artistique, où nous avons affiché sur les murs des designs de chacune des créatures qui sont apparues dans les livres de CHAIR DE POULE. Elles ont toutes été réinterprétées et dessinées de différentes manières, et nous les avons examinées une par une avec les responsables des effets visuels, des maquillages spéciaux et avec les producteurs, afin de savoir ce que nous pouvions nous permettre de faire ou pas. Ce processus a été long mais efficace, et il nous a permis d’aboutir à ce que vous avez vu dans le film. J’avais envie de montrer des séquences spectaculaires, comme celle où la voiture des trois héros est poursuivie par une mante religieuse géante, et je l’ai traitée un peu comme la poursuite de la jeep par le T-Rex dans le premier JURASSIC PARK.

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI ! Bookmark and Share


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