Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

L’impact du dessin animé de 1967

Dès l’annonce de l’adaptation « live » du LIVRE DE LA JUNGLE, les spéculations sont allées bon train sur les similitudes qui pourraient exister avec le célèbre film d’animation Disney. Allait-on y trouver de nombreuses références directes ? Des répliques-cultes, voire même des chansons ? Jon Favreau, tout en ayant envie de faire plaisir aux fans par quelques clins d’oeil, ne semble pas être tombé dans le piège de la multiplication des hommages : « J’ai tenté d’intégrer dans la narration de ce film ce qui faisait la particularité des « Big five » c’est à dire des cinq premiers longs métrages animés produits par Walt Disney : BLANCHE-NEIGE ET LES 7 NAINS (1937), PINOCCHIO (1940), FANTASIA (1940), DUMBO (1941) et BAMBI (1942). Si vous réfléchissez au ton de ces films, il est évident qu’ils n’ont pas été conçus uniquement pour les jeunes enfants, mais pour tous les publics. Les enfants les adoraient, mais il y avait aussi des moments dramatiques très intenses, et des situations comiques qui amusaient aussi bien les petits que les grands. Nous nous sommes référés à cette tradition en concevant le projet, mais la toute première question que nous nous sommes posée était bien sûr « Pourquoi faire ce film ? » C’était un doute légitime car le dessin animé de 1967 est toujours très aimé, et d’autres versions en prises de vues réelles ont vu le jour avant et après lui. Alan Horn, qui dirige le studio, était convaincu que le moment était venu d’en faire une nouvelle transposition visuelle, car après AVATAR et L’ODYSSEE DE PI, on savait qu’il était possible de construire numériquement des univers entiers afin d’y entraîner les spectateurs. C’est ce qui m’a persuadé que le projet était légitime. La perspective de construire tout un monde m’a passionné, car étant un fan d’AVATAR, cela me donnait aussi l’occasion de présenter une expérience cinématographique en relief tout à fait captivante.



Réinventer la réalité

C’est visiblement avec gourmandise que Jon Favreau a saisi l’opportunité de créer des environnements à la fois crédibles et habilement stylisés pour s’affranchir de la reproduction de la réalité : «Travailler sur LE LIVRE DE LA JUNGLE allait me permettre de créer une expérience immersive exceptionnelle, et j’ai immédiatement songé au fait que quitte à créer tout un monde, nous pourrions en profiter aussi pour prendre certaines libertés artistiques subtiles avec l’échelle des décors, leur designs et leurs couleurs. Nous allions bien sûr tenir compte du fait que le récit se déroule en Inde pour représenter la faune et la flore qui se trouvent là, mais en y ajoutant toujours notre interprétation artistique pour exprimer les différentes atmosphères des scènes. Cela allait servir aussi de support aux performances des animaux, qui ont été animés en poses-clés pour la plupart d’entre eux. Nous ne voulions pas leur donner un côté trop humain dans leurs postures, leurs gestes ou leurs mimiques, car nous nous serions retrouvés alors dans la zone de la fameuse « uncanny valley » (littéralement « la vallée de l’étrangeté ») où l’on est gêné par le manque de naturel d’un personnage 3D qui se veut réaliste mais n’y parvient pas. D’emblée, notre objectif était d’étudier le vrai comportement et les attitudes naturelles des animaux, et de les utiliser sur nos animaux 3D pour leur faire jouer des émotions humaines correspondant aux circonstances de chaque scène. Mais pour parvenir à ce résultat, il fallait d’abord que je comprenne tout le processus de création de ces animations et de ces effets visuels. Depuis les débuts de ma carrière de réalisateur, j’ai toujours donné la priorité aux effets spéciaux réalisés directement devant la caméra, à chaque fois que c’était possible. J’ai acquis graduellement des connaissances dans différents domaines, comme l’animation image par image et l’animation 3D du traîneau du Père Noël utilisées dans ELFE. Ensuite, dans ZATHURA, j’ai employé des maquettes filmées en motion control, comme les effets des premiers STAR WARS, ainsi que des aliens et un robot animatroniques fabriqués par l’équipe de Stan Winston, et complétés par certaines parties 3D. J’ai poussé plus loin la même méthode sur le premier IRON MAN, en mêlant les plans où l’on utilisait l’armure réelle et des parties simulées en synthèse. Mais toutes ces expériences se faisaient pas à pas, très progressivement. Avant de m’engager à réaliser LE LIVRE DE LA JUNGLE, il fallait que je sois convaincu que nous parviendrions à créer des personnages d’animaux et des décors qui paraîtraient réels, et non pas des images dont on détecterait immédiatement l’origine numérique. Mon but a toujours été que les spectateurs oublient qu’ils regardent des images de synthèse. Notre premier « test de Turing »a consisté à demander à MPC de réaliser trois ou quatre plans d’animation pour voir ce qu’ils seraient capables de faire. Et voici ce que j’ai découvert en septembre 2014…(Nous voyons alors deux plans d’oiseaux plus vrais que nature se posant sur des branches, et un cycle de marche d’une tortue tout aussi convaincante.) En découvrant ce travail, j’ai reconnu que j’aurais été incapable de dire qu’il s’agissait d’animations 3D et non pas de vrais animaux si on ne me l’avait pas dit. Et même s’il restait de petites améliorations à apporter, ces premières images validaient la faisabilité de l’ensemble du projet. (…) L’autre élément important du film allait être notre capacité à intégrer parfaitement Neel Sethi, qui joue Mowgli, dans nos environnements virtuels. Après avoir vu GRAVITY, où l’on ne pouvait pas deviner où se trouvait la jonction entre les vrais acteurs et les éléments 3D, je savais que nous pourrions y parvenir, mais il restait encore à établir un processus pour nous assurer que les interactions entre Neel et les personnages 3D seraient totalement convaincantes. Heureusement, grâce au travail réalisé par notre superviseur des effets visuels Rob Legato, nous y sommes parvenus. Voici comment nous avons établi les bases de notre film. »

La suite de notre dossier consacré au LIVRE DE LA JUNGLE paraîtra bientôt sur ESI !

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