LE LIVRE DE LA JUNGLE : la vision du réalisateur – 4ème partie
Article Cinéma du Samedi 09 Juillet 2016

Nous émerveiller et nous faire redécouvrir un grand classique de la littérature en utilisant la technique d’AVATAR, tel est le pari réussi de Jon Favreau dans cette nouvelle version du LIVRE DE LA JUNGLE aux images particulièrement impressionnantes.



Entretien avec Jon Favreau, réalisateur

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Vous avez demandé à de grands comédiens de prêter leurs voix aux animaux animés en 3D : Ben Kinglsley joue Bagheera, Bill Murray Baloo, Idris Elba, Shere Khan, Christopher Walken le roi Louis, et Scarlett Johansson le serpent Kaa. Avez-vous pu vous inspirer de leurs langages corporels pendant qu’ils disaient leurs textes, et transférer certains de leurs gestes ou de leurs mimiques sur les animaux pendant leur animation ?

C’est très délicat à faire. Dans certains cas, comme pendant le tournage en Mocap avec Christopher Walken, qui était présent sur le plateau pour jouer le Roi Louie, nous avons enregistré les repères de capture de performance de sa tenue et nous les avons transférés dans l’animation du personnage…

Christopher Walken a-t-il fait de son propre chef le fameux geste de Marlon Brando dans APOCALYPSE NOW, qui consiste à se passer lentement la main sur le crâne, tête baissée ?

Non, cela, c’est un petit clin d’œil que j’ai ajouté plus tard, car j’ai pensé que ce mystérieux Orang Outang géant issu de la préhistoire, que l’on découvre assis dans la semi-obscurité d’un temple, faisait penser au moment où le fameux colonel Kurtz apparaît dans APOCALYPSE NOW, et que ce serait une allusion amusante pour les cinéphiles ! (rires) En revanche, la manière dont Christopher Walken tenait sa tête, et ses mouvements et expressions de bouche ont été assez fidèlement reproduites dans l’animation du Roi Louie. Cela étant dit, il m’est arrivé aussi de revêtir un costume de Mocap pour jouer à mon tour le Roi Louie, en faisant du playback sur les dialogues déjà enregistrés par Christopher Walken. La raison pour laquelle nous avons eu recours à la Mocap pour ce personnage tient au fait qu’il s’agit d’un singe. Sur un primate comme celui-là, on peut transférer assez facilement des expressions et des postures humaines. En revanche, si l’on tente de faire la même chose et de reporter les mimiques d’un acteur sur un serpent, un ours ou un loup, on obtient des résultats étranges et très artificiels. Ils sont tellement déconcertants que l’on ne peut pas s’en servir. Il vaut mieux observer les choix de jeu des acteurs, leurs postures de têtes, leurs regards et les mouvements de leurs sourcils et tenter de les évoquer dans l’animation des personnages. Il est possible de transposer un peu les mouvements humains des sourcils sur un chien ou un loup sans que cela ne paraisse trop anthropomorphique. Mais si vous tentez de le faire sur un félin comme une panthère ou un tigre, cela ne fonctionne absolument pas. Ce n’est pas un problème, car un félin a une telle richesse d’expressions et de postures corporelles que vous pouvez exprimer assez clairement ce qu’il ressent. Pour nous, le « truc » a consisté à interpoler le jeu de chaque acteur avec le comportement particulier de chaque animal. Pour prendre un exemple précis, la plupart des animaux ne sourient pas quand ils sont heureux. Un singe dont l’expression ressemble à un sourire a en réalité une signification totalement différente, qui peut être la peur. Idem pour un chien. Dans le cas des chats, leurs sourcils remontent quand ils sont agressifs. Heureusement, grâce aux séquences vidéo que l’on peut dénicher sur internet, nous avons trouvé de nombreuses références d’expressions ou de postures animales dans des extraits de documentaires. J’en ai visionné et sélection beaucoup en guise de références, et j’ai commencé à faire des choix de poses et de mimiques avant même que nous ne lancions le processus de l’animation des animaux.

Pourquoi avez-vous décidé de faire du Roi Louie un gigantopithèque au lieu d’un simple ouran-outang, comme dans le dessin animé de 1967 ?

Parce qu’il n’y a pas d’orang-outang en Inde, et que nous ne voulions pas faire d’exception dans notre traitement réaliste de la faune de ce pays. Mais nous ne pouvions pas non plus éliminer le Roi Louie du film pour cette raison, car il fait partie des personnages du film de 1967 dont tout le monde se souvient. En faisant des recherches sur les singes de l’Inde, nous avons découvert que des ossements de giganthopithèque y avaient été trouvés. Cet animal était presque une version géante de la représentation que nous nous faisons du Yéti ! Dès que nous avons appris cela, notre imagination s’est enflammée et nous avons cherché à en faire un personnage à la fois effrayant de par sa taille, et au comportement parfois bizarre et assez amusant à observer. C’est la raison pour laquelle nous avons pensé à engager Christopher Walken pour l’incarner. Weta Digital s’est chargé de la création de toute cette séquence avec les singes, le roi Louie et les ruines du temple géant. Je suis très content du résultat que nous avons obtenu. Comme beaucoup d’artistes qui travaillent chez Weta Digital et chez MPC sont passés par l’autre studio à un moment de leurs carrières, la collaboration entre les deux équipes s’est très bien passée et cette scène s’intègre très bien au reste du film.

Dans le roman original, certains passages sont très violents et très sombres. Comment avez-vous décidé de traiter ou pas ces parties du récit qui sont également très belles ?

Oui, certains moments du livre sont effectivement très intenses et très brutaux. Pour Walt Disney déjà, ce fut un défi que de trouver la bonne manière d’adapter cette histoire, afin de pouvoir la présenter aux jeunes spectateurs. Mais il bénéficiait du fait que les personnages de son film allaient être stylisés et dessinés de manière humoristique. En ce qui nous concerne, nous savions que nous ne pouvions pas nous permettre de transposer tels quels les passages les plus violents du livre, car notre traitement hyperréaliste des décors et des personnages aurait rendu ces scènes bien plus intenses à l’image que ce que l’on peut visualiser dans son esprit en lisant l’œuvre de Kipling. Il a fallu que nous soyons très prudents en choisissant ce que nous allions montrer, car en présentant aux spectateurs un tigre 3D aussi crédible que notre Shere Khan, nous savions déjà que nous allions susciter un certain effroi, car il est réellement très impressionnant, comme vous avez pu le constater. Lorsque l’on voit le film, on oublie qu’il s’agit d’un fauve virtuel : il a l’impact émotionnel d’un vrai prédateur, et quand on le voit rugir en gros plan, on a peur et on a les paumes des mains toutes moites ! (rires) La technique que nous avons employée pour faire ce film a donc joué un rôle très important dans la manière dont nous avons adapté les passages les plus intenses de l’histoire.

Quelle est la place que vous avez attribuée à la musique et surtout aux reprises des chansons très célèbres de la version de 1967 ?

Eh bien c’était un problème très épineux à résoudre, parce que si nous avions décidé de traiter le film comme une comédie musicale avec de nombreux numéros chantés, nous aurions signifié ainsi au public que nous nous trouvions dans cet univers-là et non plus dans une certaine réalité. Dans les comédies musicales, les gens ne sont jamais blessés, ni tués et ce qui est dramatique est stylisé pour offrir un spectacle plaisant. Cela me rappelle ce que disait Buster Keaton dans une interview qu’il avait donnée en 1960 au journaliste Dutch Turkell. Keaton, qui était employé comme gagman à ce moment de sa carrière, expliquait que bien souvent, certaines plaisanteries devaient être retirées des dialogues afin de ne pas nuire à la réalité des situations présentées au public. Avec l’utilisation des chansons, on se retrouve face au même problème, surtout lorsque l’on veut préserver la crédibilité émotionnelle de l’histoire que l’on raconte. C’est un exercice d’équilibriste très délicat. En tant que réalisateur je suis responsable du ton du film, et je dois donc trouver la manière de présenter aux spectateurs les chansons qu’ils attendent sans nuire à l’impact du traitement réaliste de cette aventure. Je crois que nous avons réussi à trouver un ton qui permet à la fois de croire à cette aventure, et de s’amuser en reconnaissant les clins d’oeil et les références chantées qui figurent dans le film. Vous pourrez constater qu’il n’y a pas autant de moments musicaux que dans l’original de 1967, mais je pense que vous retrouverez les passages-clés dont vous vous souvenez, et j’espère que vous apprécierez la manière dont nous leur avons rendu hommage.

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.