Entretien avec Daniel Craig, un grand acteur et un grand James Bond !
Article Cinéma du Vendredi 31 Octobre 2008

Par Pascal Pinteau

Né à Chester, Angleterre, Daniel Craig grandit à Liverpool, où il suit les cours du théâtre national de la jeunesse dès l’âge de 16 ans. Il poursuit ensuite ses études d’art dramatique à la Guildhall School of Music and Drama. C’est en 1996 qu’il connaît son premier succès public, en apparaissant dans le téléfilm de la BBC Our Friends in the North. Cette saga qui décrit un univers de corruption et de crimes reçoit un formidable accueil critique et publique. A la suite de ce succès, Daniel Craig reçoit des dizaines de propositions de rôles dans d’autres téléfilms, mais il préfère s’orienter vers le cinéma et choisir des rôles secondaires dans des petits films indépendants comme Hotel Splendide, The Trench et Obsession. Son pari fonctionne à merveille, puisque Sam Mendès le remarque et lui confie le rôle du fils psychotique et incontrôlable de Paul Newman dans l’excellent Les sentiers de la Perdition, puis celui du poète Ted Hughes dans Sylvia. Parmi les autres films dans lesquels il démontre sa capacité à composer des personnages radicalement différents, on peut citer The Mother et Enduring Love, tous deux réalisés par Roger Mitchell. Plus récemment, on a pu voir Daniel Craig dans le savoureux film de gangster anglais Layer Cake, dans l’impressionnant Munich de Steven Spielberg, et deux fois aux cotés de Nicole Kidman, dans le film de SF vite oublié Invasion et dans le charmant conte fantastique La Boussole d’or. Son interprétation d’une vedette déchue dans Flashbacks of a fool a été saluée par la critique, tout comme celle d’un certain agent 007 dans un Casino Royale d’autant plus attendu qu’il était conçu comme un nouveau départ de la saga. L’adhésion du public a été toute aussi spectaculaire puisque Casino Royale a rapporté près de 500 millions de dollars au boxoffice international.

Après un tel succès, Quantum of Solace était donc attendu lui aussi avec une vive impatience. Et une fois encore, ce Bond est une formidable réussite. L’aventure avance sur les chapeaux de roues – au sens propre comme au figuré - dès les premières secondes, et n’accuse aucun temps mort. Daniel Craig est toujours aussi charismatique, impressionnant et efficace, les scènes d’action sont époustouflantes, et on adore haïr le nouveau méchant incarné par Mathieu Amalric. L’acteur français campe un être amoral et cynique, capable de commettre les actes les plus horribles sans broncher. Il ne verse jamais dans la caricature ni dans les effets faciles, et s’impose comme l’un des méchants les plus crédibles de l’histoire de 007. Quantum of Solace possède donc bel et bien un permis de tuer…le boxoffice ! Esi est donc particulièrement heureux de vous proposer cet entretien avec Craig, Daniel Craig !



Quels souvenirs allez-vous garder du tournage de « Quantum of Solace » ?

De très bons souvenirs. L’atmosphère sur le tournage de Quantum of Solace était complètement différente de celle de Casino Royale, pour toutes sortes de raisons, principalement à cause de Marc. Le tournage a été plus dur physiquement, et nous sommes tous restés loin de nos foyers beaucoup plus longtemps cette fois-ci. Nous avons passé plus de trois des six mois de tournage à l’étranger, ce qui vous donne une autre perception des choses. Nous avons eu notre lot de mésaventures, et ce que nous devions filmer était difficile, et devait être imprimé sur la pellicule dans des délais relativement serrés. De ce fait, nous avons eu peu de jours de repos, et avons accumulé de la fatigue au fil des semaines. Mais quand on voit le résultat final, on se dit que ça en valait largement la peine.

Quelles ont été les différences principales, pour vous, entre le tournage de « Casino Royale » et celui de « Quantum of Solace » ?

Eh bien, en ce qui me concerne, une bonne partie du processus initial de Casino Royale a consisté d’abord à obtenir le rôle ! (rires) Quand ça a été fait, le film a commencé assez rapidement. Pour Quantum of Solace, tout a été différent, puisque j’ai été impliqué dans la préparation du film pratiquement dès le début, des mois avant que le tournage ne débute. On m’a donné le script à lire et à commenter, on m’a fait participer au casting, discuter avec Marc du tournage, etc. J’ai été impliqué très étroitement dans la préparation. Et cette fois-ci, je suis impliqué dans beaucoup plus de scènes d’action. La dernière fois, en me voyant agir, les producteurs se sont dit « Oh, il peut faire ça ? Parfait ! Cette fois-ci , demandons-lui en beaucoup plus ! » (rires), ce qui n’est pas forcément un avantage pour moi ! Mais au bout du compte, j’ai pris plaisir à tourner ces scènes, et je suis fier d’avoir pu accomplir tout ce qu’on me demandait de faire.

L’entraînement physique a-t’il duré plus longtemps ?

Oui, mais il était différent. Je devais m’entraîner pour d’autres raisons cette fois-ci, car il fallait que je sois en excellente forme physique. Bien que j’aie déjà développé ma musculature la dernière fois, je n’étais pas aussi bien préparé aux acrobaties et aux exercices physiques. Notamment au niveau de l’endurance cardiaque. Mais ce qui est décourageant, c’est que le bénéfice de cet entraînement très dur disparaît très vite si on ne continue pas à faire des exercices. Tel que vous me voyez, je suis en train de décliner physiquement à vitesse grand V ! (rires)

En quoi cet entraînement était-il différent ?

Il m’a fallu sauter et courir davantage. On se retrouve enfermé dans le gymnase jusqu’à temps que l’on ait une bonne coordination des gestes, que tous les muscles fonctionnent bien, et que l’on connaisse tous les moyens de se recevoir au sol ou de faire un exercice physique prolongé sans risquer d’accident. Je ne me suis pas blessé de la même manière cette fois-ci. La dernière fois, je m’étais froissé des muscles, mais là, j’ai trouvé de nouvelles manière de me faire mal. (rires)

Combien de temps avant le tournage votre entraînement a-t’il commencé ?

Le garçon avec lequel je m’entraîne est venu en Lituanie en octobre 2007, pendant que je tournais Defiance. Il est resté pendant deux semaines, et ensuite, quand je suis revenu en Angleterre, nous avons repris un rythme plus intensif de séances en novembre et décembre. Je commençais par faire du rameur, puis je soulevais des poids, et à la fin, je faisais une course d’une bonne dizaine de minutes.

Est-ce que c’est agréable de se sentir transformé comme cela ?

Oui, très, mais comme je vous le disais, c’est frustrant de voir que l’on perd ce bénéfice très rapidement. Mais ça fait partie du job, et ce n’est que cela pour moi. Avant, j’avais suivi un régime alimentaire, mais je ne l’ai pas fait pour ce film-ci. Je mange raisonnablement, c’est tout. Je ne voulais pas me dessécher et n’être qu’un bloc de muscles. Je voulais garder un poids normal, et rester en forme et en pleine santé.

Vous disiez tout à l’heure que vous vous étiez blessé pendant le tournage. Que s’est-il passé ?

Je me suis entaillé le bout d’un doigt assez profondément pour perdre toute sensibilité. J’en ai gardé une cicatrice de la taille d’un timbre poste, mais la guérison a été spectaculaire. Cela dit, c’était pendant une scène au cours de laquelle je claque une porte au visage de Mathieu Amalric, c’était donc probablement mérité ! (rires) J’ai aussi eu huit points de suture sur mon visage à la suite d’un coup de pied. Ce n’était pas bien grave , en fait. J’ai pu revenir sur le plateau immédiatement après. Mais quand ce genre d’incident se produit, ça finit toujours par se savoir et par être rapporté par un journal avide de ragots. Comparé aux autres accidents qui se sont produits, ce n’était rien.

Comment va le cascadeur qui avait été blessé assez sérieusement?

Heureusement, il va beaucoup mieux. Je dois avouer que c’est un immense soulagement pour toute l’équipe. Cet accident a été un choc pour nous tous, mais aussi un moyen de mettre les choses en perspectives. Même si nous travaillons en ayant toujours la sécurité en tête, et en limitant les risques au strict minimum, nous ne sommes pas à l’abri d’un coup de malchance. Et pourtant, la préparation de chaque scène d’action et de chaque cascade est faite avec un soin phénoménal. Chaque élément qui intervient dans la scène est vérifié, re-vérifié encore et encore. Hélas, quelque chose n’a pas marché au plus mauvais moment, et cet accident est arrivé. Ça ne servirait à rien d’accabler qui que ce soit. C’était juste un accident impossible à prévoir, et tout ce qui compte, c’est que le pilote soit en voie de guérison.

J’imagine que pendant le tournage d’un James Bond, un esprit d’équipe se crée…

Oui, et l’esprit de camaraderie qui nous unissait sur Quantum of Solace était assez extraordinaire. J’avoue même que quand on a annoncé que nous venions de tourner le dernier plan des prises de vues principales, j’ai eu la larme à l’œil ! Ce n’est pas très digne de Bond, mais que voulez-vous…(rires)



Dans une des séquences du film, Bond se retrouve coincé dans un bâtiment en feu. Comment cette scène a-t’elle été tournée ? Elle est extrêmement spectaculaire…

Oui, exceptionnelle ! Chris Corbould, notre superviseur des effets spéciaux, est un génie. Cette séquence se situe à la fin du film et montre la destruction de tout un immeuble, qui s’enflamme et explose peu à peu. Et je me suis vraiment retrouvé là, au cœur de ces évènements. Bien sûr, je suis doublé dans les moments les plus dangereux, mais il y avait quand même de grosses propulsions de gaz qui provoquaient l’apparition de boules de feu à moins de deux mètres de moi. Comme elles sont conçues et dirigées à la perfection, on ne risque rien, mais croyez-moi, je sentais quand même leur chaleur.

C’est la première fois qu’un James Bond est la suite directe du film précédent… Pourriez-vous nous parler de la manière dont se fait cet enchaînement dans « Quantum of Solace » ?

Très simplement. Nous commençons immédiatement après la fin de Casino Royale. Bond essaie de retrouver les gens qui ont tué Vesper, la femme qu’il aimait. Il découvre que Vesper l’avait trahi et dénoncé à ses ennemis. Il est donc déçu et fou de rage. On découvre peu à peu les différentes ramifications de cette organisation secrète, infiltrée dans de nombreuses entreprises à l’allure respectable, et qui est en fait une entité d’une taille colossale, capable d’influencer le sort du monde. Tout cela rejoint l’idée du fameux S.P.E.C.T.R.E., cette organisation mythique qui n’est peut-être pas si éloignée que cela quand on voit comment certains groupes planétaires achètent des activités très diverses pour accroître leur influence. Je pense que les évènements que nous montrons ne sont pas si éloignés qu’on pourrait le croire d’une certaine réalité…

Comment décririez-vous ce que Marc Forster a apporté au projet ?

Eh bien je crois qu’au début, tout le monde était un peu anxieux et se disait « C’est un garçon talentueux, mais qu’a-t’il réalisé avant dans le domaine de l’action ? ». Marc s’est impliqué à fond dans cet aspect du film. Il est incroyablement méticuleux, et tous les doutes que quiconque aurait pu avoir à son sujet se sont rapidement évaporés, tant il était évident qu’il s’était préparé à la perfection, et maîtrisait ce qu’il faisait dans les moindres détails. Il savait exactement ce qu’il faisait, a tout moment. Marc est d’abord et avant tout un conteur, comme on a pu le voir dans ses films Finding Neverland et Monster’s Ball. Il sait choisir de très bonnes histoires et tirer des performances exceptionnelles de ses acteurs. Quand on m’a parlé de lui pour la première fois, j’ai tout de suite dit « C’est une excellente idée ! » Je savais qu’il fallait que l’on tente quelque chose de différent, et que l’on essaie aussi d’aller dans des directions nouvelles.

Vous aviez donc les mêmes envies, Marc Forster et vous, la même vision du film ?

Oh oui. Marc et moi avons discuté de tout cela et l’une des choses à propos desquelles nous nous sommes rapidement mis d’accord, c’est qu’il fallait que les endroits montrés dans le film soient tous exceptionnels, parce que c’est une des caractéristiques d’un James Bond. Si vous allez voir un Bond et que vous n’avez pas l’occasion de découvrir des paysages que vous n’avez jamais vus, ou des aspects très différents de lieux connus, alors ce n’est pas un vrai James Bond ! L’autre chose capitale, c’est le style. Marc était d’accord avec moi sur le fait que quoi qu’il arrive à l’écran, il fallait que ce soit montré de la manière la plus belle et la plus stylisée qui soit. C’est important, parce que le public sait que les équipes d’un Bond savent faire de bonnes scènes d’action, mais qu’elles ajoutent toujours un petit « plus » d’humour noir et d’élégance qui leur est propre.

Aviez-vous certaines choses précises à l’esprit ?

Je dirais que les James Bond qui m’ont le plus influencés sont certainement ceux dans lesquels les situations dramatiques sont les plus fortes, comme Bons Baisers de Russie, et tous ces films des années 60 comme Dr No, Goldfinger et On ne vit que deux fois. Nous avons voulu nous en inspirer et nous assurer ainsi que nous n’allions pas nous contenter de prolonger l’intrigue de Casino Royale, ce qui aurait été une erreur. Il n’était pas question de se dire « Bon, on a déjà le mode d’emploi, il n’y a plus qu’a refaire pareil, mais en différent ! » (rires) Personne n’a considéré cette option, et c’est formidable de vouloir prendre à nouveau des risques après que le film précédent ait été aussi bien accueilli.

Avez-vous apprécié de voyager et de tourner dans tous ces endroits ?

Oui, c’était fantastique. C’est étonnant de ressentir l’état d’esprit propre à chaque lieu. Colon et Panama City sont des endroits étonnants, des lieux vraiment, vraiment bizarres, très éloignés de votre foyer et de votre environnement habituel. Mais les gens là-bas sont tellement sympathiques et amicaux. Ils sont toujours prêts à vous aider et ils sont aussi très fiers que nous venions tourner chez eux. Et se retrouver au Chili à 3500 mètres d’altitude, près d’un observatoire et sans personne à l’horizon était aussi une expérience étonnante. L’Italie est un pays fantastique. Il y a un plan qui montre la voiture que je conduis entrer dans la ville de Sienne en longeant un lac. Il est tellement parfait que l’on pourrait croire qu’il a été réalisé en animation 3D, tant les lieux sont superbes. Mais c’est juste la manière dont Marc a placé sa caméra et l’a fait bouger qui rend les choses si extraordinaires.

Camille, incarnée par Olga Kurylenko, a elle aussi des choses à régler…

Oui. Camille veut se venger, elle aussi. Et son histoire est liée à celle de Bond, que tout le monde croit désormais incontrôlable, à commencer par ses supérieurs directs. Il a la réputation de ne plus obéir aux ordres, parce qu’il essaie de découvrir ce qui s’est passé pour des raisons personnelles.



A présent que vous incarnez James Bond depuis plusieurs années, quels sont vos impression sur toute cette nouvelle partie de votre carrière ?

Je me suis vraiment lancé à corps perdu dans cette aventure. Je crois qu’en deux ans, personnellement, j’ai changé. Oui, j’ai vraiment changé… Je n’ai plus exactement la même façon de considérer ma vie et ma carrière, mais je crois que c’est justement une des raisons pour lesquelles j’ai accepté ce rôle, pour avoir un autre point de vue. Et de manière générale, les choses ont changé dans le bon sens.

C’est un parcours assez extraordinaire, pour dire une évidence !

Oui, et il faut le prendre avec du recul et de la dérision, et s’amuser à le faire pour que tout reste un plaisir, et se passe bien jusqu’au bout.

Dans cette aventure, on vous voit conduire des voitures et piloter un avion, les joujoux favoris de 007. Aimez-vous aussi cet aspect des James Bond ?

Oh oui, j’adore ça. Il y a une formidable poursuite en voiture au début du film…Ooups, j’aurais peut-être du éviter de vous le dire, zut ! (rires) Je conduis une Aston Martin DBS et la séquence est remplie d’images et de péripéties étonnantes. Il y a aussi une poursuite en avion dans un Dakota, que nous empruntons pour échapper à nos poursuivants. C’était étrange, parce qu’au départ, nous nous étions dits « Nous n’utiliserons par d’effets 3D » parce que Chris Corbould a conçu et construit un support mécanique pour un fuselage de Dakota, qui permettait de bouger l’avion dans tous les sens pour donner l’impression qu’il vole. Mais il y a quand même quelques plans en 3D, indétectables, je dois dire, dans cette scène, en plus de ceux qui ont été tournés avec de vrais avions en vol. Ils ont été crées pour des raisons de sécurité, pour ne pas demander des choses trop dangereuses aux pilotes.

Pilotez-vous dans la vraie vie ?

En théorie, oui. Mais en théorie, je peux tout faire ! (rires) J’ai pris quelques leçons, en effet, des leçons théoriques dans un avion, qui me permettent d’avoir à peu près l’air de savoir ce que je fais dans le film.

Aimez-vous les gadgets ?

Nous n’en avons pas autant que dans les Bond précédents. La manière dont le MI6 (NDLR : les services secrets britanniques) a été repensé pour cette nouvelle série est complètement nouvelle, mais nous avons quand même des éléments technologiques assez spectaculaires à montrer. Je crois que si nous utilisons des gadgets, il faut vraiment qu’ils soient présentés d’abord par Q. Mais cela veut dire qu’il faut que nous prenions le temps de présenter Q comme il le mérite. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, vous pouvoir voir des publicités pour des gadgets d’espionnage dans pratiquement n’importe quel magazine. Vous pouvez acheter des systèmes d’écoute sonore pour surveiller vos enfants à distance, des caméras miniatures, des mini-scanners portables, etc. Je n’ai pas l’impression que nous puissions utiliser quoi que ce soit de vraiment indispensable en ce moment. Cela viendra peut-être, mais pas pour l’instant.

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