ALICE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR : Entretien avec James Bobin, réalisateur
Article Cinéma du Mercredi 27 Juillet 2016

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Les deux films avec les Muppets que vous avez réalisés ont-ils été une bonne préparation pour tourner ce film fantastique rempli d’effets visuels ? Non, pas du tout, car ils ont été tournés d’une manière radicalement différente ! (rires) C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai eu envie de les réaliser : quand vous tournez avec les Muppets, pratiquement tout se passe devant la caméra. Ce sont presque des films « anti-effets visuels » car ils ne reposent que sur des trucages réalisés en direct. Bien sûr, nous utilisons aussi des effets numériques pour effacer pendant la post-production les tiges de manipulation des marionnettes et les manipulateurs vêtus de tenues et de cagoules bleues, mais à la base, tout fonctionne à partir des performances des marionnettes et des acteurs. Dans ALICE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR, nous étions dans la situation inverse : des environnements majoritairement numériques, beaucoup de personnages animés en 3D, et des acteurs principaux dont je pouvais enfin filmer les jambes, ce qui était tout nouveau pour moi après avoir dirigé des dizaines de Muppets dans mes deux films précédents ! (rires) Après avoir passé tellement de temps à gérer ces deux tournages avec tous ces effets à filmer en direct, j’ai été ravi de me plonger dans le monde de la 2D et de la 3D pour explorer d’autres possibilités, et je suis très satisfait des résultats que nous avons obtenus.

Avez-vous ressenti l’ombre de Tim Burton planer sur ce projet, étant donné qu’il a créé l’aspect des personnages principaux et des décors du pays des Merveilles dans le premier opus ? J’espère que le film est un bon mélange du remarquable travail de conception visuelle accompli par Tim et de ma propre vision. Vous savez, pour un anglais comme moi, les aventures d’Alice sont un élément important de notre culture nationale. Presque tous les foyers anglais possèdent une copie de ce livre sous une forme ou une autre, et il est toujours transmis de génération en génération. J’ai donc eu envie de m’inspirer des célèbres illustrations du livre réalisées par John Tenniel en 1866, parce qu’elles ont marqué mon enfance et celle de mes compatriotes. Tenniel a un style caricatural très particulier, parce qu’il basé sur le réalisme anatomique des expressions des personnages. Cela vient du fait qu’il était un dessinateur satirique du fameux journal PUNCH, et qu’il avait l’habitude de croquer ainsi les hommes politiques de son époque.

Avez-vous rencontré Tim Burton avant de vous lancer dans la réalisation de ce film ? Oui, et d’ailleurs Tim a été très honnête en me parlant de son expérience du tournage sur fond vert et du travail de création des décors et des personnages 3D : il m’a dit que c’était un processus extrêmement long et un travail difficile à faire. Mais ce nouveau défi me passionnait en tant que réalisateur, et cela valait mieux car je savais qu’un film comme celui-là m’éloignerait de ma famille et de mes amis pendant au moins deux ans ! (rires) J’aimais beaucoup le livre ALICE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR, le film de Tim, les dessins de Tenniel, et j’avais aussi le sentiment d’avoir compris les mécanismes comiques de l’œuvre de Lewis Carroll, qui reposent à mon sens sur une satire surréaliste du monde réel. Depuis les poésies de non-sens d’Edward Lear au 19ème siècle et les sketches de comique absurde des séries THE GOON SHOW et MONTY PYTHON’S FLYING CIRCUS dans les années 50 et 70, les anglais ont toujours été influencés par la satire surréaliste. Je voulais m’assurer que nous pourrions traiter ainsi le nouveau personnage du temps, en faisant appel à Sacha Baron Cohen, qui est à la fois un ami et un virtuose de l’humour absurde et transgressif. Il fallait que l’on comprenne immédiatement que le temps est un personnage de comédie.

Quelle est la symbolique du jeu d’échecs dans l’histoire du film ? La stratégie d’une partie d’échecs fait partie du roman ALICE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR, tout comme l’univers des jeux de cartes inspirait ALICE AU PAYS DES MERVEILLES. Lewis Carroll a même écrit une histoire en huit actes en référence aux 8 manières de déplacer une pièce sur un échiquier. Si vous vous débrouillez bien pendant une partie, une pièce peut devenir une reine, et c’est ce qui arrive à Alice dans le huitième chapitre du livre. Dans le film, je voulais rendre hommage à cela, mais notre histoire s’articule surtout autour des thèmes de la famille, du temps et de la manière dont un événement en déclenche d’autres. Le sujet des conflits entre parents et enfants revient plusieurs fois aussi, car Alice représente une nouvelle génération de femmes. Elle vit à la même époque que Emmeline Pankhurst, qui fut la première suffragette, la première activiste se battant pour réclamer et obtenir le droit de vote pour toutes les femmes. Je suis persuadé que Lewis Carroll aurait bien vu Alice militer aux côtés des suffragettes ! C’est ce que nous exprimons dans le film en faisant dire à Alice qu’elle fera ce qu’elle a envie de faire et non pas ce que la société voudrait qu’elle fasse. En revanche, sa mère qui est d’une autre génération, est plus influençable, ce qui crée une situation conflictuelle entre elle et Alice.

Parlez-vous de l’équipe artistique que vous avez assemblée autour de vous pour ce film… Je voulais établir une continuité avec le premier volet en faisant appel aux artistes géniaux qui y avaient participé comme la chef costumière Colleen Atwood, et Danny Elfman, dont la bande originale contribue énormément à l’impact de la narration visuelle. Le thème qu’il a composé pour le premier volet est tellement plaisant que je me suis souvent surpris à le fredonner pendant le tournage ! (rires) Je crois que l’une des principales différences avec l’épisode précédent tient au fait que j’ai voulu que nous passions un peu moins de temps dans des environnements virtuels : nous avons donc construit beaucoup plus de décors, comme le village de Wit’s End que l’on voit à la fin du film. Quand j’ai vu les maisons et les ruelles de Laketown, la cité lacustre du HOBBIT, j’ai trouvé que ces designs étaient brillants, et je me suis dit « Ce serait formidable si Dan Hennah était disponible pour travailler avec nous » et je l’ai contacté. Et par bonheur, il a pu être notre chef décorateur. Mon directeur de la photo Stuart Dryburgh sait remarquablement bien éclairer les acteurs de manière à respecter les couleurs de leurs visages même lorsque l’on tourne sur un fond bleu, car dans ces cas-là, le danger est de retrouver des reflets de nuances bleues sur la carnation des comédiens.

La suite de notre dossier ALICE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR paraîtra bientôt sur ESI !

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