ALICE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR : Entretien avec James Bobin, réalisateur - 2ème partie
Article Cinéma du Mercredi 10 Aout 2016

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment avez-vous abordé le thème des voyages temporels et de la modification des évènements du passé ?

Les histoires de voyage dans le temps sont très compliquées à raconter et à mettre en scène, car l’on est presque toujours confronté à des paradoxes et des contradictions. D’ailleurs, je m’attends à ce que certains spectateurs découvrent des erreurs dans notre récit et s’en plaignent ! Mais j’ai voulu utiliser une notion qui me semble importante, qui est que le passé est le passé et que quoi que l’on fasse, on ne peut pas le changer. Alice le découvre à ses dépens en utilisant la Chronosphère. C’est en cela que nous nous différentions de films de Science-Fiction comme la trilogie de RETOUR VERS LE FUTUR, ou le passé est malléable et peut être modifié. En fait, les évènements dont Alice va être témoin en voyageant dans le passé vont l’inciter à réfléchir et lui permettre de comprendre comment améliorer les choses dans le présent. Et ce message-là s’applique à la vie réelle.

Un blockbuster avec de nombreux effets visuels est comme un puzzle de dizaines de milliers de pièces. En raison de cela, est-il parfois difficile d’avoir toujours une bonne « vision d’ensemble » de ce qui est en cours de fabrication et de garder un contrôle absolu du résultat final du film ?

Il s’agit vraiment de l’un des aspects les plus difficiles de la réalisation d’un tel film ! Quoi qu’il arrive, vous ne pouvez avancer et prendre des décisions que sur une seule chose à la fois, et vous construisez le film petit bout par petit bout. Je crois que si l’on m’avait présenté d’un bloc toutes les décisions que j’aurais à prendre, je me serais évanoui de peur ! (rires) Je pense que pour garder une vue d’ensemble pendant que le film se fabrique, il faut s’accrocher aux choses que l’on aime dans la mise en scène et la direction des acteurs, et pousser tout ce qui semble fonctionner le mieux. En ce qui concerne les effets visuels, je me contente de donner mes indications artistiques, car je suis entouré par des experts qui ont une parfaite connaissance de ces technologies et qui sauront mieux que moi « traduire » mes propos en instructions techniques et communiquer cela aux différents studios avec lesquels nous travaillons. Cela me permet de me focaliser uniquement sur les idées, la narration et la mise en scène.

Comment avez-vous géré les moments pendant lesquels Sacha Baron Cohen et Johnny Depp se lançaient dans des improvisations ?

Je les connais très bien tous les deux. Ce sont des amis très chers, mais ils sont très bavards. (rires) Quand nous avons tourné la scène ou le Temps, que joue Sacha, vient interrompre la réception de thé du Chapelier Fou, ce décor extérieur était construit sur un des plateaux des studios anglais de Shepperton. Comme le temps est souvent tempéré et pluvieux en Angleterre, les plateaux ne sont pas équipés de système d’air conditionné comme à Hollywood. Or, ce jour-là, il faisait une chaleur épouvantable à l’extérieur, à laquelle venait s’ajouter celle dégagée par les centaines de projecteurs qui éclairaient les décors et les acteurs. Sacha et Johnny portaient tous les deux des costumes épais et de grands chapeaux alors que la température dépassait les 40 degrés. Mais ils s’amusaient beaucoup et ajoutaient tellement de choses aux dialogues que la prise a duré plus de huit minutes, et que cela a fait surchauffer la caméra, qui est tombée en panne ! (rires) Tout cela était très amusant à voir, et j’en ai utilisé quelques petits bouts, mais bien évidemment pas tout. Ensuite, je suis allé les voir pour leur demander de coller davantage au texte et de jouer la scène plus vite !

Pouvez-vous parler de la conception visuelle du territoire du temps, avec toutes ses parties en mouvement et ses composants mécaniques ? Quelles références visuelles avez-vous utilisées pour créer les différents endroits de ce monde ?

Le domaine du temps est conçu en grande partie autour du côté sombre du personnage, qui a parfois l’impression de diriger un néant infini. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu que son palais et les bâtiments qui l’entourent soient construits avec de l’obsidienne, une pierre noire à la surface lisse et réfléchissante. J’ai donné au palais l’allure d’une immense cathédrale en m’inspirant de cathédrales françaises du Moyen-Âge. Les décors intérieurs, eux, sont un mélange de style gothique et steampunk victorien, avec des mécanismes évidemment inspirés de ceux des horloges géantes. Le personnage du temps lui-même a des traits humains, mais est constitué aussi de mécanismes, comme on peut le voir en observant l’arrière de sa tête. Je pense que le style victorien est l’époque la plus lointaine dans laquelle nous pouvons nous projeter aisément, car nous y retrouvons la plupart des points de repères de notre vie moderne. Si l’on recule davantage dans le passé, cela devient nettement plus difficile.

Comment avez-vous collaboré avec Tim Burton pour créer une bonne continuité artistique entre ALICE AU PAYS DES MERVEILLES et ALICE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR ? Avez-vous échangé des idées sur certaines scènes ou sur des designs particuliers ? Si oui, quelles ont été ses suggestions ?

Ce projet m’a été proposé parce que je travaillais déjà avec Disney sur les films des Muppets, et que je connaissais bien les romans de Lewis Carroll. Quand j’ai accepté, le studio m’a suggéré de contacter Tim et de lui demander conseil sur la manière d’aborder le projet puisqu’il était déjà passé par là. Je suis allé le rencontrer à Vancouver où il tournait BIG EYES à ce moment-là, et il m’a reçu avec beaucoup de gentillesse et de disponibilité. Il était très enthousiaste à propos de cette suite, car il aimait les thèmes des conflits parentaux et des voyages dans le temps. Comme je vous le disais tout à l’heure, il m’a prévenu que ce serait une tâche difficile en raison des techniques à utiliser, et que je serai souvent stressé en gérant cela ! Mais je crois que quand on est réalisateur, on doit chercher des défis à relever au lieu de les éviter, parce que le obstacles rendent votre vie intéressante et font fonctionner votre cerveau. Nous sommes restés en contact après cette première rencontre. Tim est basé à Londres, et je fais régulièrement des allers-retours entre Los Angeles et l’Angleterre parce que toute ma famille y vit. J’ai utilisé plusieurs artistes conceptuels avec lesquels Tim avait travaillé auparavant pour assurer une continuité de style, et j’ai soumis certaines de mes idées à Tim pour qu’il me donne son avis. Heureusement, ses réactions étaient toujours constructives et encourageantes car il était content de voir que nous allions continuer à explorer le monde dont il avait créé les fondations. Tim m’a fait part de ses remarques pendant toutes les étapes de développement du film : les illustrations, le script, la prévisualisation des scènes, etc. Et quand le tournage a commencé à Shepperton, il est venu de Londres pour nous rendre visite et saluer les acteurs. Nous lui avons montré les décors que nous avions construits et il a été impressionné par leur rendu. Toutes les pièces de taille moyenne qui figurent dans le film sont des décors réels, et nous avons aussi construit en entier l’énorme décor du village de Wit’s End. Il occupait le plus grand des plateaux de Shepperton, le numéro 29, qui a une surface de 6000 mètres carrés. Bien sûr, ce décor était entouré de fonds bleus et d’un plafond bleu de manière à ce que l’on puisse y ajouter des extensions numériques avec d’autres maisons, les perspectives lointaines des rues, le ciel, etc. J’adore les décors et ce qu’il apportent aux acteurs et à la mise en scène d’une séquence. Et pour conclure sur l’implication de Tim, il nous a rendu visite aussi pendant le montage donc il nous a accompagnés régulièrement pendant la création du film.

La suite de notre dossier ALICE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR paraîtra bientôt sur ESI !

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