Retour sur la création d'A Star Wars Story : Rogue One – Le vol des plans de l’Etoile noire
Article Cinéma du Dimanche 11 Decembre 2016

Lucasfilm n’a guère attendu le mirifique succès du Réveil de la Force pour développer les opus suivants de la saga Star Wars. Alors que le grand public attend de pied ferme le huitième épisode et la suite des aventures de Rey, Finn et Poe Dameron, la société de production créée (et vendue en 2012) par George Lucas nous invitera bientôt à retourner dans le passé de cet univers pour répondre à une simple question : comment la Princesse Leia s’est-elle procuré les plans de l’Étoile noire dans l’Épisode IV ? Quatre décennies plus tard, le MacGuffin – le prétexte au développement de l’histoire – du film fondateur obtient un recyclage en bonne et due forme, puisque Rogue One s’éloigne des mystères de la Force et des aventures de la lignée Skywalker pour mieux nous convier à un véritable film de guerre… des étoiles ! La boucle est bouclée.

Par Pierre-Eric Salard



Le temps des défis

Le pari entamé par Disney en octobre 2012, lors du rachat de Lucasfilm, s’est avéré gagnant. Lors de son exploitation en salle, Le Réveil de la Force a récolté plus de 2 milliards de dollars à travers le monde (dont 936 millions en Amérique du Nord, un record). Ce film est ainsi devenu le troisième plus gros succès de l’histoire du cinéma, derrière Avatar et Titanic. Même si l’on prend en compte l’inflation, l’Épisode VII obtient une stupéfiante onzième place (juste après Blanche-Neige et les sept nains, mais loin derrière Autant en emporte le vent et Star Wars : Un Nouvel espoir). En France, plus de dix millions de billets ont trouvé preneurs ! Si le pari est réussi, un second s’annonce : proposer aux spectateurs un long-métrage par an, en développant des films dérivés en alternance avec les traditionnels épisodes numérotés. Il existe enfin un troisième défi informel, qui tient davantage au cœur des fans qu’aux portefeuilles des actionnaires de Disney : l’émancipation de la saga. Car chacun aura remarqué – ou regretté – que Le Réveil de la Force reprend, par sécurité, la structure ou des scènes de la trilogie originale. Cette astuce se nomme l’intertextualité, soit le fait de remémorer des images ou scènes emblématiques de la saga pour susciter l’émotion ou la nostalgie des fans. Il est raisonnable de pardonner cette ficelle narrative aux scénaristes du Réveil de la Force, Lawrence Kasdan, J.J. Abrams et Michael Arndt, du fait du rôle de «transition» de cet épisode au sein de la renaissance de Star Wars sur le grand écran. Le blanc-seing ne sera toutefois pas accordé une seconde fois ; l’Episode VIII ne pourra pas se contenter d’être une simple relecture de l’Empire contre-attaque, ou un « quasi-remake » — comme l’ont souligné les détracteurs de l’Episode VII. Rian Johnson, scénariste et réalisateur du huitième épisode, porte ainsi une lourde responsabilité quant à l’avenir cinématographique de la saga. La plus célèbre franchise de science-fiction n’engendrera-t-elle désormais qu’une suite de blockbusters comme les autres ? Nous obtiendrons une première réponse en décembre 2017, lors de la sortie de cet Épisode VIII. Mais Lucasfilm s’apprête déjà, avec Rogue One, à jongler entre la sécurité, issue de la nostalgie, et une relative prise de risque. D’un côté, ce premier « spin-off » joue en terrain conquis : proximité chronologique avec l’épisode originelle, recyclage d’éléments visuels et thématiques emblématiques (véhicules, vaisseaux, personnages…) et enjeux connus par tous. De l’autre, Rogue One délaisse plusieurs figures traditionnelles de la saga : absence de héros Jedi ; aucun fil rouge autour de la famille Skywalker ; récit initiatique (plus ou moins) délaissé. Car ce long-métrage a été présenté, dès le départ, comme un film de guerre – dans l’esprit de La Chute du faucon noir – avec les nuances d’une histoire de braquage. Puisque nous retrouverons au cœur de l’intrigue le fameux MacGuffin : le vol des plans de l’Étoile noire. Un hold-up interstellaire qui puise son origine dans le premier paragraphe du fameux générique de l’Épisode IV, tel que l’ont découvert les spectateurs de 1977…

Une histoire presque indépendante

Rappelons que ce texte – l’introduction à l’univers Star Wars pour toute une génération de spectateurs – mentionnait la «première victoire» des Rebelles «sur l’abominable Empire galactique», et qu’au cours de la bataille, «les Rebelles ont réussi à dérober les plans secrets de l’arme absolue de l’Empire : l’ÉTOILE NOIRE». Voici donc, 39 ans en avance, le synopsis de Rogue One. Une histoire dont nous connaissons déjà l’épilogue. Ce concept de film dérivé pourrait être considéré comme une hérésie vis-à-vis du format traditionnel de la saga. Pourtant, au milieu des années 1970, alors qu’il mettait au point le scénario de ce qui deviendra l’Épisode IV, George Lucas envisageait déjà d’hypothétiques films dérivés – notamment consacrés aux droides, aux wookies ou aux Jedi. Par la suite, il produira dans les années 1980 deux téléfilms Ewoks destinés aux enfants puis, en 2008, le long-métrage d’animation The Clone Wars (en réalité, un remontage des quatre premiers épisodes de la série éponyme). Ces projets furent certes moins ambitieux que ce que prévoient les dirigeants de Lucasfilm et Disney pour les prochaines années. Dès février 2013, Bob Iger, le PDG de The Walt Disney Company, annonce que les scénaristes Lawrence Kasdan (L’Empire contre-attaque, Les aventuriers de l’Arche perdue) et Simon Kinberg (X-Men : First Class) œuvrent sur de mystérieux films dérivés (tout en faisant office de consultants sur la nouvelle trilogie). Les rumeurs évoquent rapidement des longs-métrages autonomes consacrés aux origines de Han Solo et du chasseur de primes Boba Fett. Et pour cause : l’un de ces deux films aurait pu sortir cette année, et non Rogue One ! Mais des aléas de production ont contraint Lucasfilm à revoir son calendrier. À la fin de l’année 2013, alors que le tournage du Réveil de la Force est programmé pour le printemps 2014, il faut se rendre à l’évidence : le scénariste oscarisé Michael Arndt n’aura pas le temps de livrer son script dans les délais impartis. J.J. Abrams fait alors appel à Lawrence Kasdan pour coécrire le scénario définitif. De novembre 2013 à avril 2014, les deux hommes vont mener une véritable course contre la montre. Ce qui retarde le projet de long-métrage consacré à la jeunesse de Han Solo, dont le script devait être écrit par Lawrence Kasdan. Simon Kinberg, lui, a vraisemblablement travaillé sur le scénario du film Boba Fett. Alors qu’il avait signé son contrat un an auparavant, le départ du réalisateur Josh Trank (Chronicle, Fantastic Four), au printemps 2015, a provoqué le report de cette production. Quoique, à l’heure actuelle, toutes les informations concernant le film Boba Fett restent officieuses. Bon gré mal gré, l’implication de Lawrence Kasdan dans l’écriture du script du Réveil de la Force a contraint les cadres de Lucasfilm à donner rapidement le feu vert au troisième projet de film dérivé. Dès le mois de mai 2014, alors que le tournage du Réveil de la Force débute dans les déserts d’Abu Dhabi, Lucasfilm annonce que Gareth Edwards (Monsters, Godzilla) réalisera le tout premier « spin-off » de Star Wars, prévu pour Noel 2016, d’après un scénario de Gary Whitta (Le Livre d’Eli). Et d’après une idée proposée à Kathleen Kennedy, à l’automne 2012, par John Knoll (Willow, Avatar), l’un des principaux responsables du studio d’effets visuels Industrial Light & Magic. L’objectif est de proposer un film de guerre qui s’éloigne des canons manichéens de la saga. Début 2015, Chris Weitz (A la croisée des mondes : La boussole d’or) est chargé d’écrire une seconde version du script. Au printemps, le titre et le synopsis du film sont successivement dévoilés. D’autres scénaristes émérites apporteront ultérieurement quelques retouches, dont Christopher McQuarrie (The Usual Suspects, Mission : Impossible 5) et Scott Z. Burns (La Vengeance dans la peau, Contagion, Deep Water). Tony Gilroy (L’Associé du diable, La Vengeance dans la peau) est également consulté. Au cours de la préproduction, Gareth Edwards a la possibilité d’explorer les décors de son futur film… avant même qu’ils ne soient construits ! En effet, l’une des expérimentations d’ILMxLAB, une division de Lucasfilm dédiée aux nouvelles technologies, consiste à enfiler un casque de réalité virtuelle ou augmentée pour découvrir et visiter en temps réel des paysages numériques. Ainsi est-il possible de faire de modifier des éléments du décor, à la volée… Comme nous l’avions abordé dans un précédent numéro, les prises de vues de Rogue One sont entamées en août 2015, au sein des studios Elstree, en Angleterre. L’équipe de production se rendra notamment à Londres (une scène est filmée dans la station de métro Canary Wharf), aux Maldives (d’où proviennent les rares photos volées du tournage) et en Islande (et plus exactement à Hjörleifshöfði et Hafursey). Début 2016, alors que Rian Johnson s’apprête à initier le tournage principal de l’Épisode VIII, Gareth Edwards conclut celui de Rogue One. Ainsi débute un premier semestre 2016 consacré à la postproduction du film, à la création des effets visuels au sein d’ILM et à une première ébauche de montage. Récemment oscarisé pour The Grand Budapest Hotel, le compositeur français Alexandre Desplat (Harry Potter et les Reliques de la mort, Argo), qui a autrefois collaboré avec Gareth Edwards sur Godzilla, est un temps annoncé pour écrire la bande originale du film. Des délais de production viendront cependant contrecarrer ces plans ; le planning du compositeur ne correspondra plus à celui de Rogue One. En septembre 2016, il est remplacé par Michael Giacchino (Star Trek into Darkness, Super 8, Lost), Oscarisé pour Là-haut. Il devient ainsi le premier musicien à prendre le relais de John Williams – qui, désormais âgé de 84 ans, devrait revenir pour l’Épisode VIII.

Star Wars Rebels : Des liens avec Rogue One ?

Alors que sa troisième saison sera entamée dans les prochains mois (sur Disney XD puis France 4), la série d’animation «Rebels» pourrait bientôt créer des ponts avec Rogue One. «Rebels» se déroule effectivement durant les années précédant l’Episode IV ; cette série partage ainsi un thème – les premiers temps de l’Alliance Rebelle – et l’époque du premier long-métrage dérivé de la saga. Quoique les évènements de «Rebels» se déroulent, à l’heure actuelle, encore une à deux années avant la destruction de l’Étoile noire. «Durant la prochaine saison, nous allons reconnaître de plus en plus d’éléments connus», précise Pablo Hidalgo, l’un des responsables du département Story Group de Lucasfilm (qui veille à la cohérence de l’univers Star Wars depuis 2013). «La rébellion, telle qu’est présentée dans l’Épisode IV et Rogue One, prend forme dans Rebels». Notons que Gary Whitta, auteur du premier script de Rogue One, a œuvré sur deux épisodes des deuxième et troisième saisons de «Rebels». Il est donc probable que le passé de certains personnages introduits dans Rogue One soit développé à la télévision. Une hypothèse qui a peut-être été étayée par Dave Filoni, le créateur de la série. «Quelque chose d’énorme va se produire dans Rebels. Quelque chose que les fans attendent de pied ferme. Je veux que les magnifiques surprises que réserve Gareth Edwards, dans Rogue One, ne soient pas éventées avant la sortie du film», tempère Dave Filoni. «Nous faisons donc très attention. Je ne souhaite pas que notre série prenne de l’avance. Alors que les évènements de Rebels nous rapprochent de plus en plus de l’époque de Rogue One, nous voulons être sûrs que nous mettons en place des choses qui font sens». Avant ou après la sortie de Rogue One, les fans peuvent donc s’attendre à découvrir de plus en plus de références au film dans «Rebels».

La suite de ce dossier paraitra prochainement sur ESI.

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