Dans les coulisses de l'Édition Spéciale de L'Empire contre-attaque – 2ème partie
Article Cinéma du Vendredi 29 Decembre 2017

Par Pierre-Eric Salard

Le relooking d'un monstre

Quelques minutes après le début de L'Empire contre-attaque, Luke Skywalker se fait violemment attaquer par un wampa, une terrible créature des neiges. Le public devait alors s'inquiéter pour le jeune Jedi. Mais cette scène n'eut jamais le résultat escompté, et pour cause : dans sa version d'origine, on aperçoit très brièvement le monstre ! En 1979, l'équipe d'ILM n'avait pas réussie, à cause des fameuses contraintes techniques, à retranscrire la vision de George Lucas. A cause du budget, seule une tête de wampa, animée à la main, avait pu être fabriquée pour un gros plan extrêmement court. Et le costume de la créature n'était pas franchement réussi. « On ne se rendait pas vraiment compte du danger qu'encourait Luke », avoue le réalisateur. « Il n'y a avait pas de suspense. Nous avons donc décidé d'ajouter quatre nouvelles prises de vues permettant de comprendre la nature de la menace ». La tête originale du wampa servit de référence pour le design du nouveau monstre, créé par Howie Weed, concepteur graphique et superviseur des créatures chez ILM. Ce dernier s'inspira également des créatures de Ray Harryhausen. Un tout nouveau costume fut fabriqué, puis filmé au sein d'une reproduction du décor original. Le maque facial du wampa était en mousse d'uréthane (qui imite la texture de la peau). Des mécanismes contrôlés par câbles permirent de faire bouger certains éléments du visage, dont les sourcils. Le costume en lui-même possédait une doublure en spandex noir, ainsi que des renforts en mousse suggérant la musculature de la créature. Il était recouvert d'une fourrure traditionnelle en fibre acrylique. Enfin, de la gelée de methocèle (un additif alimentaires), mêlée à des colorants alimentaires, faisait office de bave imprégnant les poils du monstre. Le décor de la caverne fut rétréci afin de faire apparaître ce dernier plus imposant qu'il ne l'était réellement sur le plateau - une sensation renforcée par une utilisation astucieuse de l'éclairage et des focales. Afin de figurer les formations naturelles de la grotte, des rouleaux d'aluminum ont été plaqués sur l'infrastructure en bois de pin de ce décor, avant d'être recouverts de mousse d'uréthane. Le wampa fut interprété par Howie Weed. « Il m'a fallu porter cet incotfortable costume durant cinq heures, par une journée caniculaire », explique le superviseur des créatures d'ILM. « C'était éprouvant, mais je n'ai pas hésité une seule seconde avant de me porter volontaire (rires) ! » Grâce à ces quelques ajouts, la créature devient bien plus inquiétante qu'auparavant. « C'est sans doute l'ajout le plus marquant » affirme Tom Kennedy. « On le voit désormais beaucoup plus longtemps, et plus en détail ». Les spectateurs peuvent effectivement assister à son repas – il dévore le Taun-Taun de Luke Skywalker avec appétit -, puis admirer sa réaction lorsqu'un sabre-laser l'ampute d'un bras ! « La scène définit mieux le wampa », affirme Mark Siegel, qui a participé à la conception du costume. « Avec quelques plans supplémentaires, on comprend à quel point ce monstre des neiges peut être dangereux ».

Le meilleur des deux mondes

Une autre scène se déroulant sur la planète des glaces, Hoth, a bénéficié d'améliorations notables. Mais cette fois-ci, il ne s'agit pas de nouveaux plans ou d'images de synthèse, mais d'un véritable travail de fond. « La plupart des plans de la batailles entre les snowspeeders de l'Alliance rebelle et les quadripodes impériaux ont été recombinés numériquement », explique le producteur des effets visuels Tom Kennedy. « Les incrustations de l'époque n'étaient pas franchement réussies à cause du fond clair, qui ne pardonnait rien. On pouvait donc voir les lignes de cache, des lignes noires sur fond de neige, autour des vaisseaux. Or les logiciels de traitement d'image assurent de nos jours une superposition parfaite pour ce type de plans. Nous avons donc refait les incrustations et effacer les lignes de cache autour des véhicules, plan par plan, à l'aide d'un programme maison de compositing, intitulé Sabre, dérivé du logiciel de trucage Inferno ». Les ombres des snowspeeders ont été retravaillées sur ordinateur. Mais ce fut également l'occasion de réutiliser d'anciennes méthodes d'impression optique par photochimie ! « Nous sommes revenus aux éléments originaux de Lucasfilm et les avons recomposés à l'aide des technologies optiques des années 1990, comprenant de nouveaux objectifs et de nouvelles pellicules », explique Phillip Feiner de Pacific Title, chargé de refaire les effets optiques traditionnels. « Nous avons donc amélioré la résolution et la saturation des couleurs ». Plus tard dans le métrage, le Faucon Millenium échappe aux croiseurs impériaux en dérivant au milieu des ordures abandonnées par la flotte de Dark Vador. Un tout nouveau plan, intégralement réalisé en images de synthèse, a été intégré à l'Édition Spéciale du film à la dernière minute, en janvier 1997 ! Six jours avant l'expédition de la pellicule pour faire le tirages des copies, George Lucas indique au superviseur des effets visuels (et accessoirement co-créateur de la première version de Photoshop, ainsi qu'à l'origine de l'histoire de Rogue One) John Knoll qu'on ne comprend pas vraiment que le vaisseau de Boba Fett poursuit le Faucon Millenium au cours de cette cette scène. « Il faudrait ajouter un plan pour expliquer ce qu'il se passe », précise le réalisateur. Le soir-même, John Knoll s'inspire du livre L'Art de l' Empire contre-attaque pour créer une maquette informatique sommaire du vaisseau de Boba Fett, le Slave 1. Il bricole rapidement, en deux jours, une animatique d'un plan montrant ce vaisseau suivre discrètement le Faucon Millenium (un modèle numérique déjà existant). Après avoir obtenu le feu vert de George Lucas, John Knoll révise le plan, récupère une modélisation plus détaillée du Slave 1 auprès de Rod Woodall, éclaire les vaisseaux, termine le rendu puis fait le compositing des éléments . Une semaine après sa demande, George Lucas donne son accord définitif, et le plan rejoint le montage du film d'extrême justesse ! Il s'en est fallu de peu... Alors que le Faucon Millenium s'envole vers la Cité des Nuages de la planète Bespin, Yoda montre à Luke Skywalker que la taille n'a aucune importance en retirant son X-Wing, à l'aide de la Force, du marais dans lequel il s'était enlisé. Le matte painting original de ce plan de la planète Dagobah est retouché numériquement afin que le public puisse découvrir la partie supérieure du décor. Le jeune Jedi est lui-aussi prêt à rejoindre la Cité des Nuages...

Survol numérique

Mos Eisley, dans l'Édition Spéciale d'Un Nouvel Espoir, ne fut pas la seule cité ravalée par ordinateur ! Le plus gros du travail de cette réédition de L'empire contre-attaque s'est concentré sur la Cité des Nuages. « Cette ville volante imaginée par George Lucas ressemblait à une cité volante tirée de l'univers de Flash Gordon », explique Ralph McQuarrie, responsable des superbes matte paintings du film original, aux côtés d'Harrison Ellenshaw. Avant l'essor du numérique, cs peintures sur verre servaient à étendre les décors ou à établir tout un environnement en un unique plan. Pour les plans d'ensemble, la structure de la Cité des Nuages avait été peinte sur une plaque de verre, de de 1,80 mètres de large, distincte du fond nuageux, afin que les deux puissent être déplacées l'une par rapport à l'autre selon les besoins des plans. Cela permettait d'économiser du temps... Mais ces peintures bidimensionnelles n'offraient qu'une palette limitée de possibilités graphiques et narratives, limitant les mouvements de caméra ! « C'était l'effet le plus faible du film, car il ne reposait que sur des peintures sur verre », déclare Tom Kennedy. Richard Edlund, co-superviseur des effets visuels du film original, n'était d'ailleurs pas satisfait de cette illusion. « Nous n'avions ni le temps, ni le budget pour construire une maquette détaillée. Or l'ennui avec ce type de scène est que le public sait qu'une ville suspendue, ça n'existe pas ». Mais les technologies numériques ont reculé les limites des effets traditionnels ! Les artistes d'ILM ont ainsi ressorti les recherches artistiques dessinées par Joe Johnston et Ralph McQuarrie en 1979 afin de modéliser la cité, telle qu'elle avait été imaginée près de vingt ans plus tôt, à l'aide du logiciel Alias. La peinture digitale permet aux artistes de construire des squelettes d'objets tridimensionnels, au sein d'un espace virtuel, puis de les recouvrir de surfaces texturées. « Nos artistes ont peint leurs décors à plat, sur ordinateur, puis les ont projetés sur des architectures modélisées en volumes », explique Tom Kennedy. « La géométrie de ces deux éléments correspondant parfaitement, on obtenait des bâtiments en relief ! » Les artistes peuvent ainsi concevoir des environnements numériques, et même réaliser des mouvements à l'aide d'une caméra virtuelle. « Celle-ci pouvait évoluer de manière bien plus souple qu'avec une peinture à plat ». Rappelons qu'en 1997, ce processus n'en est encore qu'à ses débuts ! « Notre logiciel maison, Viewpaint, nous permettait de peindre des textures, traitées dans RenderMan, directement sur les bâtiments en 3D », ajoute Tom Kennedy. « On a pu ajouter sur les peintures originales divers bâtiments créés en images de synthèse. Ces éléments apportent une sensation de profondeur qui manquait à l'effet d'origine. En outre, nous obtenions un panorama semi-3D en un temps très inférieur à la création d'une véritable image de synthèse ! » L'animation des véhicules a été effectuée sous le logiciel SoftImage.

Ce dossier fut réalisé à l'aide d'ouvrages que nous ne cesseront de conseiller aux plus curieux : les Making of publiés en France par les éditions Akileos, Naissance d'une galaxie de Lorne Peterson (Akileos), les deux volumes de Star Wars Storyboards par Huginn & Muninn, Star Wars Chronicles, Le cinéma de George Lucas (La Martinière), Effets Spéciaux : 2 siècles d'histoires (Bragelonne), The Art of Empire Strikes Back, ainsi que les revues SFX, Cinefex, Star Wars Insider et Lucasfilm Magazine (auquel le rédacteur en chef vient de consacrer un livre : Les années Lucasfilm Magazine (Hors collection).

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