THOR : RAGNARÖK : Entretien avec le réalisateur Taika Waititi
Article Cinéma du Samedi 28 Octobre 2017

Propos traduits par Pascal Odinson Pinteau

Où Thor en est-il émotionnellement lorsque cette nouvelle aventure commence ?

Au début du film, nous apprenons que Thor a beaucoup voyagé dans l’univers et exploré différents mondes pour trouver des réponses à certaines questions. Quand nous le retrouvons, il est emprisonné dans un univers de feu. Nous ne l’avons jamais dans un tel contexte jusqu’à présent. Il semble avoir joué de malchance dès le début de cette histoire, et le public comprendra ainsi que le reste de cette aventure ne ressemblera décidément en rien à ce que l’on a pu voir dans les deux volets précédents de la saga. Il s’agit de la première fois que nous avons développé le personnage bien au-delà de son image traditionnelle de dieu du tonnerre armé de son marteau enchanté.

Que pouvez-vous nous dire de l’état des relations dans la famille pour le moins dysfonctionnelle de Thor ? La dernière fois que nous avions vu Loki sévir, il avait pris la place d’Odin sur le trône d’Asgard en se faisant passer pour lui grâce à ses pouvoirs magiques…

La relation entre les deux frères est assez proche de celle que nous connaissons déjà : ils se disputent beaucoup, et pour de bonnes raisons, mais je crois que sous la surface des choses, il existe toujours beaucoup d’amour sincère entre eux. Si l’on pense aux conflits familiaux de la vraie vie, c’est comme cela que les choses se passent, avec cette dynamique contradictoire entre colère et attachement profond et indéfectible. Pour Thor, ses rapports avec Loki sont particulièrement compliqués à gérer, car il sait que son frère est tout à la fois son meilleur ami et son pire ennemi. Et cela n’a pas changé, car Loki est toujours aussi imprévisible : il ne peut pas s’empêcher de semer le chaos sur son chemin. Mais nous allons voir leur relation évoluer lorsqu’ils vont collaborer. Il y aura alors un peu plus de confiance qui se créera entre eux.

Les scènes qui se déroulent sur la planète Sakaar témoignent de votre passion sincère pour l’œuvre du dessinateur Jack Kirby, le co-créateur avec Stan Lee de bien des icônes de Marvel, dont Les 4 Fantastiques, Les X-Men, Hulk et Thor. Pouvez-vous nous décrire les différentes manières dont vous lui rendez hommage dans THOR : RAGNARÖK ?

Volontiers. Comme beaucoup de fans de comics, j’ai grandi en dévorant les comics de Marvel, et le graphisme extraordinairement dynamique et créatif de Jack Kirby m’a énormément marqué et fait rêver quand j’étais enfant.Ce n’est pas pour rien qu’on le surnomme « The King of Comics ». C’est un authentique génie, un créateur extraordinairement original dont le style et les inventions graphiques ont constitué une véritable révolution dans l’univers de la bande dessinée. Il avait une incroyable puissance évocative. Grâce à ses illustrations, j’avais l’impression de vivre ces aventures extraordinaires. J’ai des origines Maori, et je suis issu d’un milieu très modeste de Nouvelle-Zélande, mais quand j’étais petit, je rêvais quand même de devenir un dieu nordique, un viking de l’espace défenseur d’Asgard ! (rires) Il se trouve que nous avons pu proposer aux Studios Marvel de rendre l’hommage le plus direct possible à Jack Kirby, en reprenant son style pour concevoir le monde de la planète Sakaar. Le studio nous a donné son accord, et avec le chef décorateur Dan Hennah, qui a créé les environnements des trilogies du SEIGNEUR DES ANNEAUX et du HOBBIT, nous nous sommes plongés dans l’œuvre de Kirby pour décortiquer son langage graphique et le transposer en décors en trois dimensions, construits en studios, ou réalisés en images de synthèse pour les panoramas en plans larges de la capitale de Sakaar. Mais cela ne s’est pas arrêté là, puisque les costumes, les designs des vaisseaux spatiaux, le mobilier intérieur et même les papiers peints de certains murs de Sakaar sont directement inspirés des dessins de Kirby ! Rendre hommage à ce génie des comics a été une opportunité fantastique, une joie et un honneur. j’espère que les fans prendront autant de plaisir à voir son style transposé ainsi pour la première fois sur la grand écran que nous en avons eu à tourner dans ces environnements « kirbiens » ! A titre personnel, je dois dire que cela a été une sensation fantastique, qui m’a rappelé mes mes rêveries d’enfance.

Vous êtes connu pour faire régner une excellente ambiance sur vos tournages. Comment créez-vous cet esprit de camaraderie, tout en gérant les responsabilités écrasantes qui pèsent sur vos épaules ? Ce doit être stressant d’être le réalisateur d’un blockbuster des studios Marvel, et donc pas évident d’être constamment de bonne humeur…

Oui, mais il faut relativiser les choses, car nous avons quand même la chance de faire très sérieusement un métier fabuleux et souvent très amusant. On nous donne la possibilité de raconter des histoires par le biais du cinéma, en construisant des décors extraordinaires, en faisant fabriquer des costumes complètement dingues, et en tournant des scènes d’action et de comédie très divertissantes. Alors bien sûr c’est un travail très dur, qu’il a fallu préparer dans les moindres détails, et les journées sont longues. THOR : RAGNARÖK a été sans aucun doute le projet le plus difficile à réaliser de toute ma carrière. Mais j’en suis heureux, car je l’ai voulu ! J’avais envie d’apprendre de nouvelles choses en passant des petits films indépendants que j’ai réalisés jusqu’à présent à une grosse production comme celle-ci. Son ampleur n’a aucune commune mesure avec ce que j’ai fait jusqu’à présent, et je suis conscient d’avoir une chance extraordinaire de me retrouver derrière la caméra et de diriger des acteurs magnifiques qui jouent les personnages qui me fascinaient quand j’étais enfant ! Quand on se retrouve dans cette position, j’estime que l’on a pas le droit de venir travailler le matin en traînant les pieds et en disant « Oh, bon sang, dire qu’il faut que j’aille bosser.. ». J’étais toujours ravi de me réveiller pour venir sur le plateau de ce film. Et je me suis entouré de gens qui étaient tout aussi heureux et enthousiastes que moi. Chaque jour était une nouvelle opportunité d’accomplir des choses que nous n’avions jamais faites auparavant, de découvrir de nouvelles possibilités créatives. Je crois que c’est cet enthousiasme et cet esprit d’aventure qui crée l’ambiance positive que vous évoquez.

Vous êtes aussi auteur et vous avez écrit ou co-écrit plusieurs films. Vous n’êtes pas officiellement crédité en tant que co-scénariste de THOR : RAGNARÖK , mais avez-vous néanmoins participé à la réécriture du script au jour le jour pendant le tournage du film ?

Oui. Nous avons réécrit des dialogues et des parties de scènes quasiment tous les jours pendant le tournage. Je suis très attentif aux suggestions des acteurs, car comme Chris Hemsworth et Tom Hiddleston incarnent Thor et Loki depuis longtemps, ils connaissent très bien ces personnages. Chris nous a soumis d’excellentes idées. Il était très heureux de pouvoir développer et enrichir le personnage de Thor. Il s’est énormément investi dans ce processus. Nous avons aussi improvisé très souvent. Dans ces cas-là, je lance des répliques aux acteurs alors que je me trouve derrière la caméra, et cela génère des idées qui sont parfois plus intéressantes que ce qui avait été prévu initialement, non pas parce que le script n’est pas assez intéressant, mais tout simplement parce que la spontanéité de ce processus permet de faire des découvertes surprenantes, auxquelles on n’aurait pas pu songer avant de se trouver dans les décors, avec les acteurs en situation, portant leurs costumes et tenant leurs accessoires. Les acteurs vous apportent des idées vraiment étonnantes dans ces moments-là. C’est la raison pour laquelle j’aime qu’il règne une ambiance de liberté créative sur le plateau, afin que l’on puisse échanger des idées et rebondir sur celles des autres.

Est-ce que cela s’applique aussi à votre collaboration avec les équipes techniques ?

Oh absolument ! J’échange constamment des idées avec le chef opérateur, avec le chef décorateur, avec la créatrice des costumes, les accessoiristes, le superviseur des effets spéciaux, les maquilleurs, etc. Il faut que les acteurs du casting et les équipes techniques se sentent libres d’apporter le meilleur de leur créativité. Même si je dirige le projet et que j’en ai une vision bien précise en tête, cela constitue seulement un socle, une base de travail qui évite de se disperser. Mais je ne veux pas imposer des idées préconçues : je préfère expliquer ce que je souhaite, dans quelles directions je veux aller pour raconter cette histoire, puis je laisse mes équipes techniques et artistiques réfléchir à différentes options afin de leur permettre de me surprendre. Soyons clairs : c’est grâce à elles que tout est créé. Rien n’existerait dans ce film sans leur travail. S’il n’y avait pas ces équipes, tout ce qui resterait ce serait trois personnes assises dans une pièce en train de parler de leurs idées ! Chaque personne qui travaille sur un plateau joue un rôle vital à son échelle, et fait partie de la démarche commune, de notre groupe créatif. J’essaie donc d’instiller des rapports amicaux et un esprit de fierté du travail accompli afin de rendre tout ce processus agréable, et même le plus plaisant possible. Comme tout le monde, j’ai lu les récits de ces expériences de tournage épouvantables où tout le monde est stressé, et où il règne un silence si pesant que l’on pourrait entendre une épingle tomber par terre ! Qui aurait envie de vivre cela ? Je connais le bruit que fait une épingle en tombant, et il n’est guère intéressant. Pour ma part, je préfère entendre du bruit, et de la musique, et des gens qui se parlent et qui rient entre les prises. J’ai envie d’entendre la cacophonie d’un plateau où les gens vivent et sont occupés à faire leur travail au mieux.

Une autre partie de cet entretien est disponible en bonus sur la page d’ESI réservée aux lecteurs d’Effets Spéciaux 2 Siècles d’Histoires et accessible grâce au flashcode intégré au livre. Bookmark and Share


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