Lon Chaney et LE FANTÔME DE L'OPÉRA
Article Cinéma du Mardi 16 Octobre 2018

Le film LE FANTÔME DE L'OPÉRA doit énormément à la présence de Lon Chaney. C'est réellement son travail de comédien qui donne au film tout son intérêt. ESI vous raconte aujourd'hui sa carrière de comédien, et le tournage du film afin de mieux comprendre ce chef-d'oeuvre du cinéma muet !

par Nicolas Jonquères

Les métamorphoses de Lon Chaney

Lon Chaney naquit en 1883. Élevé par des parents sourds-muets, il se met à parler assez tard, vers l'âge de 7 ans. A 19 ans, il commence à monter sur les planches, et s’investit dans plusieurs éléments de la mise en scène, à savoir les chorégraphies, et les costumes. C'est en 1912 qu'il intègre les Studios Universal pour des petits rôles. En 1917, il commence à obtenir des premiers rôles, mais, ne trouvant pas son salaire en adéquation avec l'importance des rôles qu'on lui donne, il rompt son contrat la même année.

C'est en 1919 qu'il tourne dans THE MIRACLE MAN pour les Studios Paramount. Ce sera l'un des premiers rôles qui le fait entamer une carrière d'acteur de premier plan, avec une particularité : en plus de ses qualités de comédiens et de mime, il possède également la faculté de métamorphoser son visage par le maquillage. Il incarnera tout au long de sa carrière des personnages à la fois grotesques, et souvent torturés. On le retrouve entre autres en gangster amputé des 2 jambes dans THE PENALTY (1920), en émigré chinois dans SHADOWS (1922), en Fagin dans OLIVER TWIST (1922), en vieux monsieur chinois (et son petit fils) dans MR WU (1927).

Il semble que durant toute sa carrière, Chaney n'ait jamais été avare de conseils envers les autres comédiens. Boris Karloff (1887-1969), qui jouera notamment la Créature de FRANKENSTEIN (1931) et LA MOMIE (1932) lui demande conseil et Chaney lui répond : « Fais en sorte de faire quelque chose que personne ne fait et fais-le mieux que les autres ! ». Joan Crawford (1904-1977), qui tourne avec lui dans THE UNKNOWN (1927) déclara « C'est [en voyant Chaney jouer] que je pris conscience pour la toute première fois de la différence entre se tenir debout une caméra et jouer un rôle. ». Malheureusement, la carrière de Lon Chaney s’arrête avant l’essor du cinéma parlant, car il décéde en 1930, d'un cancer de la gorge. Son dernier rôle est un remake d'un de ses films muets THE UNHOLY THREE (1925), en film sonore (1930).

Le tournage du FANTÔME DE L'OPÉRA

Le casting du FANTÔME était composé, entres autres, de Lon Chaney (Erik, le fantôme), Mary Philbin (Christine Daaé) et Norman Kerry (Raoul, comte de Chagny) et l'équipe technique de Rupert Julian (réalisateur) et Charles Van Enger (directeur photo). Pour l'occasion, un studio de tournage fut construit pour abriter le décor de la salle de l'opéra : le « soundstage 28 ».

Les relations humaines sont compliqués sur le tournage, Chaney et Julian se détestent. Norman Kerry n'a pas non-plus une bonne relation avec le réalisateur. Van Egger raconte : « Dans une scène qui ne figure pas dans la version finale, Kerry montait 1 grand cheval blanc. Julian lui dit quelque chose au mégaphone qu'il n’apprécia pas et Kerry lança son cheval sur la plate-forme où se tenaient les caméra ! Les caméras s'envolèrent et Julian également ! ». Norman Kerry n'est pas plus aimable, ni plus professionnel (il ne dit pas toujours les répliques prévues) avec le reste du casting. A tel point, qu'un jour Chaney lui demande : « Pourquoi, au nom du ciel, avez-vous décidé de jouer dans des films ? » Kerry lui répond : « C'était ça ou aller au boulot ! ». Mary Philbin a également une relation compliquée avec Kerry. « [Norman Kerry] était très méchant. (…) Mais c'était un homme et avec du charme, malgré ses mains baladeuses. »

Par contre, Mary Philbin apprécie beaucoup plus la relation de travail avec Lon Chaney, qui prend le temps de lui donner des indications sur son jeu d'actrice. Pendant la scène, où le Fantôme la conduit sur un cheval dans les dédales souterrains de l'opéra, Mary Philbin est terrorisée. Chaney, dissimulé par son masque lui parle tout le temps, pour la rassurer et la diriger. Comme sur le tournage du BOSSU DE NOTRE-DAME, Chaney dirige lui-même un grand nombre de scènes. Il a la confiance du studio, qu'a perdu Julian.

« J'ai compris que tout ce que j'avais à faire était de lui dire oui, et de faire les choses comme je le voulais moi, car il ne verrait pas la différence ! », dit Van Egger à propos de Julian. Pour la scène de la chute du lustre dans la salle, Julian veut filmer la scène dans le noir ! Van Egger, au contraire éclaire la scène avec tous les projecteurs disponibles ! A l'époque, pour vérifier l'aspect de l'éclairage avant la prise de vue, on se sert d'un morceau de verre circulaire teinté en bleu. Van Egger donne à Julian un jeton de poker opaque, et Julian s'exclame : « C'est exactement ce que je veux ! ». Van Egger peut donc tourner la scène en pleine lumière.

Des scènes sont également tournées en couleur, utilisant le procédé du Technicolor bi-chrome (environ 17 minutes). Le reste du film est tourné en noir et blanc, mais l'usage de teintes est prévu dès le script. Après développement, la pellicule est plongé dans un bain de colorant qui remplit les parties blanches de l'image suivant leur intensité chromatique. On sait également que fut utilisé un procédé primitif permettant d'avoir 2 couleurs en même temps sur l'image : le procédé Hanschliegel.

Le tournage achevé, une première version du film fut montée et projetée à un public test les 7 et 26 janvier 1925. Ce fut un échec, et le studio demanda à ce que des séquences furent retournés. La première version était la plus proche de l'histoire de Gaston Leroux. Une nouvelle version. Une deuxième version supervisée par Edward Sedgwick est présentée au public le 26 avril 1925. Nouvel échec ! Une troisième version est mise en chantier, la plupart des scènes tournées pour le second montage sont supprimées, à l'exception de la poursuite du Fantôme et de son plongeon dans la Seine, qui seront conservés ! Cette troisième version est présentée le 06 septembre à New-York et le 17 octobre à Hollywood. Cette fois-ci, le film est un succès, et Universal peut le distribuer dans tout le pays.

En 1939, souhaitant profiter du cinéma sonore qui commence à prendre son essor, Universal choisit de ressortir LE FANTÔME en film parlant. Norman Kerry et Mary Philbin seront rappelés pour enregistrer de nouvelles scènes ( nouvelles images et son), par contre Lon Chaney est sous contrat avec MGM, avec laquelle il travaille justement au remake sonore de THE UNHOLY THREE. Et son contrat interdit à Universal de faire doubler sa voix par un autre comédien ! Un subterfuge est donc trouvé : quand le Fantôme s'exprimera, il le fera par l'intermédiaire d'un nouveau personnage : son serviteur !

Le maquillage du Fantôme

Chaney avait expressément demandé à ce que son maquillage du Fantôme n'apparaisse sur aucun document publicitaire, afin de rendre la scène où Christine Daaé le démasque plus frappante pour les spectateurs ! Tout au long du film, Chaney utilise 12 maquillages différents, suivant le moment de l'intrigue et l'intensité de l'action. Il se serait inspiré d'une illustration du roman. Pour donner une apparence squelettique à son visage, il exagère les rides autour de sa bouche avec du noir. Il porte une calotte sur le haut du crâne avec de faux cheveux et remonte son nez avec une languette qu'il colle sur sa peau. L'éclairage est également important, car c'est l'éclairage qui peut révéler ses subterfuges ! Chaney se met également des fausses dents. Au fur et à mesure de l'intrigue, Chaney se rajoute des rides. Parfois il porte sa calotte avec un faux front, parfois c'est son réel front. Dans la scène de la poursuite finale, en extérieur et de nuit, le maquillage est réduit à sa plus simple expression : des ombres autour des yeux et de la bouche, mais n'en reste pas moins terrifiant!

Pour la scène où le Fantôme est démasqué, Chaney refusa la version Technicolor, car l'éclairage puissant nécessaire pour tourner en couleur fait apparaître la jonction entre sa vrai peau et le faux-crâne. Mary Philbin, qui le démasque nous raconte : « [Pour cette scène], je n'ai pas eu à jouer ! Ce que je veux dire, c'est que Mr Chaney ne m'a jamais préparé à voir son maquillage du Fantôme. (...)Je pouvais juste voir la couleur jaunâtre de sa peau dans sa nuque ! (…) Vous avez juste à regarder le film pour voir qu'elle fut ma réaction quand j'ai vu ce qu'il avait fait à son visage ! »

Sources : The Making of THE PHANTOM OF THE OPERA, par Philip J. Riley Magic Images Filmbooks (1999), Lon Chaney : A Thousand Faces par Kevin Brownlow Photoplay Bookmark and Share


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