Alors que la série fête les 25 ans de la diffusion de son épisode pilote, en ce 10 septembre 2018, nous vous proposons de (re)découvrir les origines de The X-Files.

Par Pierre-Eric Salard



Série culte des années '90, The X-Files – Aux Frontières du réel a engendré un phénomène jusqu’alors inédit dans l'industrie télévisuelle : elle mêle différents genres – science-fiction, fantastique, thriller, et enquêtes policières - et réussit à créer une véritable connivence avec son public pendant neuf saisons. Elle reste une série marquante, dont on retrouve encore aujourd’hui l’écho dans de nombreuses productions télévisées, de 24 Heures Chrono à Lost, en passant par Heroes. Et pourtant, ses débuts furent bien laborieux ! X-Files démarra dans l'anonymat le plus complet, sans promotion publicitaire, pour s’imposer peu à peu comme une oeuvre phare du petit écran fantastique. Aux origines de la série, il y a bien sûr un créateur imaginatif et tenace : le producteur Chris Carter. A l'instar d'un George Lucas, il a imposé son concept, imaginé l'intrigue, écrit et réalisé certains des meilleurs épisodes, apposant sa marque sur l'ensemble de la série...

Balade en Californie

Chris Carter voit le jour le 13 octobre 1956 à Bellflower, petite ville située dans la banlieue de Los Angeles, en Californie. Passionné de football américain et de surf, il s'intéresse également à l'écriture et rêve de devenir écrivain. En 1979, il quitte l'université avec un diplôme de journalisme en poche. Il obtient alors un poste de rédacteur au sein de Surfing Magazine, ce qui lui permet d'assouvir sa passion pour ce sport. En 1985, il part à la conquête d'Hollywood. Les studios Disney l'engagent pour écrire trois téléfilms pour enfants, dont Rags of Richie. « Quand on arrive à Hollywood, on prend ce qu'on vous propose », confie Chris Carter. « Pendant cette période, je ne crois pas avoir écrit quoi que ce soit à partir d’une idée venue de moi. Je développais les idées des autres, mais c'était une bonne école ». Deux ans plus tard, il épouse la scénariste Dori Pierson et devient producteur exécutif de la série Brand New Life. Il se lie d'amitié avec Peter Roth, qu'il suit lorsque ce dernier rejoint les studios 20th Century Fox. Jusque là, il avait rencontré un succès limité à travers les comédies qu'il a écrit pour Disney. Mais les dirigeants de la Fox lui offrent la possibilité de développer sa propre série. Il va saisir sa chance...

Premières inspirations

Enfant de la télévision, Chris Carter est un inconditionnel des séries Alfred Hitchcock présente et la Quatrième dimension. Il est particulièrement marqué par la diffusion de Kolchack: The Night Stalker (Les Dossiers brûlants), une courte série qui suivait les enquêtes de Kolchak, journaliste spécialisé dans les enquêtes sur les faits mystérieux et les sujets paranormaux. Carter imagine un concept qui mêlerait l'ambiance de Kolchak avec le thème des conspirations, sujet récurrent aux Etats-Unis, où le scandale du Watergate est encore dans toutes les mémoires. « Je me suis dit que le thriller politique était devenu un genre passé de mode, qui n’intéressait plus le grand public. », explique Carter. « J'ai donc eu envie de le réinventer ». S'inspirant également d'un rapport qui recense « 3,7 millions d'américains qui déclarent avoir été enlevés par des extraterrestres », Carter écrit les premiers jets du pilote de sa série. Il emprunte des éléments à diverses séries : l'amour platonique – mais non exempt de tensions sexuelles - entre les deux personnages principaux (John Steed et Emma Peel dans Chapeau Melon et bottes de cuir) ; l'ambiance sombre et décalée de Twin Peaks (la série de David Lynch dans laquelle David Duchovny, futur interprète de Mulder, incarne Dennis/Denise Bryson, un agent du FBI travesti) ; ou encore le complot des extraterrestres dans Les Envahisseurs. Chris Carter n'a jamais caché ses influences cinématographiques. Parmi ses inspirations, il cite volontiers les Hommes du Président, JFK et les Trois Jours du Condor pour la thèse du complot ; Rencontres du Troisième Type, Les aventuriers de l'Arche Perdue et The Thing pour l'aspect paranormal ; Le Silence des Agneaux pour l'ambiance oppressante ; et la trilogie du Parrain pour la création du Syndicat de l'ombre. Une scène de l'épisode "La voie de la vérité" rend d'ailleurs directement hommage à celle du baptême du Parrain. Carter a brillamment réussi à se réapproprier ces concepts, et à créer une oeuvre unique, sans jamais céder à la facilité de la copie. Il n'oubliera jamais de rendre hommage à ses sources d’inspiration au cours des neuf saisons, en multipliant les références visuelles...

Feu vert

C’est en 1992 que Carter présente aux dirigeants de la Fox son concept de série mettant en scène deux agents du FBI enquêtant sur des phénomènes paranormaux. « J'avais d’abord et avant tout envie de faire peur aux gens ! Ce qui n'est pas montré à l'écran, mais simplement suggéré, est toujours beaucoup plus effrayant. » Ce concept, qui fait de l'incertitude la base fondamentale des récits, ne suscite que le scepticisme des responsables de la Fox. Carter doit redoubler d’efforts pour les persuader. « Je voulais faire une série angoissante. Cela n'intéressait personne. Nous avons proposé X-Files à deux reprises. Ils ont acheté le concept la seconde fois, mais ils ne savaient pas quoi en faire... Me remémorant la série Kolchack: The Night Stalker, que j'avais adorée, j'ai dit aux cadres de la Fox : Il n'existe rien d'aussi effrayant à la télévision de nos jours. Faisons une série effrayante ! » A l'automne 1992, Chris Carter obtient donc enfin le feu vert tant attendu. La production d'un épisode pilote est lancée, et il en supervise tous les aspects. Pendant ce temps, les dirigeants de la Fox misent sur Brisco County, une série mêlent western et science-fiction. Créée par Carlton Cuse (Lost), elle raconte les aventures d'un chasseur de prime campé par Bruce Campbell (Ash dans Evil Dead). La Fox est particulièrement attentionnée envers l’équipe de Brisco County, car elle croit tenir le fer de lance de la prochaine rentrée télévisuelle. Chris Carter a donc le champ libre pour produire sa série à laquelle personne ne croyait vraiment…et qui deviendra la vraie locomotive de la chaîne. De son côté, Brisco County capota au bout d'une unique saison ! Être visionnaire ne s'improvise pas !



Casting musclé

Les relations entre les deux personnages principaux de X-Files deviennent rapidement une source de conflit entre Carter et la Fox. « Les dirigeants de la chaîne voulaient que Mulder et Scully entament une relation romantique. J'ai imposé qu’ils restent amis. Ils ne devaient pas sortir ensemble, car une partie du concept reposait sur l'alchimie particulière qui existe entre les deux agents. » La Fox demande alors à ce que Scully ait un petit ami, Ethan. Carter est obligé de céder, mais toutes ces scènes sont coupées au montage car elles ralentissent le rythme du pilote (elles sont disponibles dans le coffret DVD de la saison 1). « L'idée qui permet à la relation de Mulder et Scully de fonctionner, c’est que nous inversons les clichés », explique Chris Carter. « Pour une fois, l'homme n'est pas le sceptique du duo ! La série ne se contente pas de suivre les enquêtes paranormales d'agents du FBI ; je voulais aussi jouer sur les croyances des personnages. Je suis un athée qui espère vivre une expérience religieuse un jour. En quelque sorte, c'est ce que les personnages cherchent aussi ». Dana Scully, en plus d'être la « scientifique sceptique », a été élevée dans la foi catholique. Alors qu'il est un « profiler » renommé, Fox Mulder croit en la présence des extraterrestres. « Le point de vue de Scully est celui de la série. Celle-ci doit donc être construite sur une base scientifique solide. Mulder doit alors convaincre Scully qu'elle doit rejeter ses idées rationnelles et accepter l'inacceptable. Cette situation est une source de conflit… et le socle narratif de la série ! » La chasse aux interprètes peut débuter. « David Duchovny a été choisi très tôt. Il collait bien au personnage : il avait un jeu d’acteur très subtil et ne manquait pas de magnétisme, ni de sex-appeal ». Étonné par la qualité du scénario, l'acteur signe rapidement pour le rôle. Si le créateur de la série ne rencontre aucune difficulté pour engager Duchovny, il lutte longuement contre les cadres de la Fox pour imposer Gillian Anderson dans le rôle de Dana Scully. « Pour Gilliam, ce fut plus compliqué. Elle ne plaisait pas au studio. Mais elle était intense, peu glamour, et projetait l’image de sérieux nécessaire pour incarner Scully ». Les dirigeants souhaitent une actrice plus connue, plus « grande, blonde et plantureuse » que Gillian Anderson. La comédienne, qui a alors 24 ans, a surtout joué au théâtre et n’a que peu d’expérience au cinéma. Chris Carter impose finalement son choix et le duo est formé. Et ce que les deux interprètes pensaient être un petit engagement temporaire leur apportera une célébrité inespérée.



En pilotage automatique

Pour des raisons budgétaires, le pilote est tourné au début de l'année 1993 à Vancouver (Canada). Les paysages de la Colombie Britannique sont assez diversifiés pour satisfaire à toutes les nécessités du scénario (un atout géographique dont se serviront plus tard les séries Stargate et Battlestar Galactica). Sur les plateaux, le superviseur des effets spéciaux Mat Beck entame sa longue collaboration avec l'univers des X-Files. Le premier défi concerne un saignement de nez abondant : il est impossible de faire exploser une cartouche de faux sang dans le nez de l'actrice, au risque de provoquer quelques dommages collatéraux ! L'astuce est simple ; un tuyaux descend des cheveux jusqu'à l'aile gauche du nez. En filmant le profil droit, l'effet est parfaitement réussi ! L'incident n'étant jamais exclu, la première prise surprit l'ensemble de l'équipe lorsqu'une vague de sang déferla des cheveux... Plus tard, le moment de bravoure du pilote montre l'enlèvement d'adolescents dans une forêt, alors qu'un halo lumineux descend du ciel et fait tournoyer les feuilles mortes. « On m'a appelé pour me dire : « il nous faut des feuilles qui tourbillonnent dans un vortex », se souvient Mat Beck. « Elles ont été générées numériquement à la palette graphique et mélangées en post-production à de véritables feuilles qui tourbillonnaient sur le plateau ». Une fois le tournage terminé, Chris Carter engage le compositeur Mark Snow, et lui confie les musiques du générique et des épisodes. « Chris m'a envoyé des tonnes de CD. Il me disait : 'j'aime la batterie dans ce morceau, le son de la voix dans celui-là, le riff de la guitare dans ce CD...' Un jour, sans faire exprès, j'ai mis mon coude sur le clavier et une chambre d'écho a envoyé un son qui se répétait : c'est devenu le célèbre accompagnement du thème de la série ! » Enfin, l'équipe s'attelle à la création du fameux générique qui accompagnera la série pendant le reste de la décennie. « Sa création a été complexe», rapporte Paul Rabwin, co-producteur. « Chris était très minutieux et très précis dans ses choix. Par exemple, il demandait à l'opérateur vidéo : 'peut-on étirer ce visage ?'. Et c'est devenu la célèbre image du générique ».



Les bases d’un prodigieux succès

Une fois achevé, le pilote est d'une redoutable efficacité. Lorsqu'il est projeté devant les employés de la Fox, il est abondamment applaudi – y compris par Rupert Murdoch, propriétaire du studio et de la chaîne ! Une première saison est aussitôt commandée. Chris Carter a finalement gagné son pari, non sans effort. « il m’a fallu investir un an de travail pour lancer, écrire, vendre et produire ce pilote », explique-t-il. L'auteur en profite pour fonder sa propre société de production, Ten Thirteen Productions (nommée d'après sa date de naissance, le 13 octobre). Le premier épisode est diffusé sur la Fox le 10 septembre 1993, dans l'horaire difficile du vendredi soir. Il faudra attendre le 12 juin 1994 pour que la série débute confidentiellement sa diffusion en France. La légende ne fait que commencer...

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