X-MEN 97 : Entretien avec Jake Castorena, Réalisateur principal – 2ème partie
Article Animation du Vendredi 03 Mai 2024

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quelle méthode avez-vous utilisée pour recréer l’ambiance particulière des séries animées des années 90 ?

Disons que je me suis organisé pour retourner jouer dans le « vieux bac à sable de mon enfance », si vous me permettez cette expression ! Ou pour utiliser une image culinaire, puisque vous êtes français, je me suis replongé dans tout ce qui nous a plu à l’époque, afin de recréer la recette et la sauce qui nous permettait de nous régaler à l’époque ! (rires) Toute l’équipe était partante pour procéder ainsi. La série X-MEN a été produite de 1996 à 1998. Les questions principales que je me suis posées ont été « Que faisait-on dans le cinéma à cette époque ? Que faisait-on dans l’animation américaine et dans les Anime japonais destinés à la télé ? Et comment filmait-on les séries en prises de vues réelles ? Quels genres d’objectifs les réalisateurs et les chefs opérateurs utilisaient-ils à l’époque ? Quelles focales faisaient partie de leur langage cinématographique ? » Après avoir fait des recherches approfondies et trouvé les réponses à ces interrogations, j’ai commencé à comprendre les paramètres techniques et artistiques sur lesquels reposaient l’aspect et l’ambiance typique des séries animées de cette époque. C’était très important, parce que nous ne pouvions pas nous contenter d’utiliser simplement un logiciel automatique comme ceux qui sont disponibles sur le web, et qui donnent un aspect ancien à de nouvelles images, ou qui ajoutent des défauts comparables à ceux des vieilles cassettes VHS, avec des parasites, des drops, etc. Imiter de tels défauts aurait été contre-productif. Il fallait reproduire ce qui marchait le mieux à l’époque, et profiter en plus de tout ce que nous avons appris et mis au point pendant les trente dernières années. Cela nous donnait déjà un énorme avantage, puisque les créateurs de X-MEN ne disposaient pas de ces technologies. La difficulté a consisté à utiliser judicieusement ces progrès techniques, en les masquant un peu, pour ne pas altérer la sensation de se retrouver dans l’ambiance des années 90.

Donc concrètement, en abordant la mise en scène et les mouvements de caméra de chaque plan, vous deviez d’abord vous demander « Auraient-ils été en mesure de faire cela en 1996 ? »

Exactement. Et bien souvent, la réponse était non, ce qui était assez frustrant ! Mais nous ne pouvions pas nous brider totalement non plus. Il fallait réfléchir et trouver le juste milieu, et c’était cela le plus difficile. Où fallait-il placer le curseur, entre l’option d’utiliser toutes les ressources d’aujourd’hui, ce qui aurait créé un rendu trop différent de celui de la série originale, et une copie trop proche, trop servile, qui aurait incité les fans à nous reprocher à juste titre « À quoi bon continuer la série si c’est pour ne rien lui apporter de nouveau, trente ans plus tard ? » Donc, oui, ça a été un défi artistique constant et une tâche complexe mais absolument passionnante. Chaque jour, je me réjouis que nos équipes et moi devions résoudre ces problèmes. C’est stimulant intellectuellement, et très enrichissant au niveau artistique !

Vous y êtes parvenus : le résultat est bluffant. Non seulement l’animation est superbe, mais encore une fois, les personnages sont toujours parfaitement dessinés, d’où mon impression erronée que vous les animiez d’abord en 3D puis qu’ils étaient transposés avec un aspect 2D.

Merci. Nous sommes très fiers de la qualité de l’animation. Bien sûr, la 3D s’imposait pour les véhicules et les vaisseaux spatiaux, car cela fait partie des paramètres que nous acceptons désormais quand nous visionnons une série animée. C’est logique d’utiliser cet outil dans ces cas-là. Nous avons eu recours à la 3D aussi pour les robots Sentinelles, pour les mettre en place dans l’image, mais ensuite, nous les avons rotoscopés en retraçant les lignes des modélisations 3D à la main, pour leur donner exactement le même aspect que tous les autres personnages.

Les scènes avec les robots Sentinelles sont très efficaces, notamment dans un épisode très important dont je ne dirai rien, où ils passent à l’attaque…

Je suis ravi que cela vous ait plu. Utiliser la 3D pour les Sentinelles nous a permis d’éviter un problème récurrent de la série originale : leur échelle était hélas totalement différente d’un épisode à l’autre, en raison des contraintes de temps, de budget et de techniques à cette époque. Je crois que d’un épisode à l’autre, personne ne songeait à vérifier si leur hauteur était la même. Dans une aventure, ils avaient la taille d’un arbre, dans une autre celle d’une maison puis on les voyait devenir gigantesques et dépasser la façade d’un centre commercial ou alors être à peine plus grands qu’une voiture. C’était complètement incohérent. Comme nous utilisons la 3D, les paramètres restent exactement les mêmes à chaque fois que les Sentinelles apparaissent dans X-MEN 97. Du coup leur aspect est plus réaliste, plus menaçant. Ils dominent la situation, et quand ils surgissent, on est obligé de lever la tête pour les regarder. Comme ils ont toujours la même échelle, cela nous aide aussi dans la mise en scène des combats avec les X-Men ou avec d’autres personnages. Je pense que c’est un bon exemple de la manière dont nous mêlons ces deux techniques. Mélanger la 3D et la 2D dessinée à la main n’est jamais un casse-tête pour nous, ni pour le studio Mir. Notre collaboration avec eux est vraiment fantastique. Nos deux équipes artistiques coopèrent parfaitement malgré les distances et le décalage horaire, et nous travaillons ensemble pour que la série fonctionne le mieux possible.

Pour en revenir à l’animation dessinée à la main, dans les années 90, les contraintes budgétaires et de délais de production d’une série animée forçaient les animateurs à utiliser des raccourcis, à simplifier les expressions et les attitudes corporelles des personnages pour illustrer leurs émotions. Tout était assez standardisé et répétitif dans les mimiques et les gestuelles. Dans X-MEN 97, on remarque avec plaisir que l’animation est souvent subtile dans les scènes d’émotion…

Vous savez Pascal, rien ne peut remplacer l’émotion que produit un personnage qui tourne lentement la tête, parce qu’il va se confier à une autre personne et lui révéler quelque chose d’important…Pour obtenir cela dans une série animée, il faut faire deux fois plus de dessins par seconde, et donc qu’un animateur talentueux consacre plus d’heures de travail à cette scène, ce qui nécessite un budget plus important. Je suis ravi que vous ayez remarqué ces subtilités, car dans un moment dramatique comme celui que je viens de décrire, si le mouvement avait été saccadé parce que simplifié, le jeu du personnage aurait été altéré, et les nuances d’émotions du script n’auraient pas pu être représentées correctement. Nos équipes d’animation internes et les animateurs du Studio Mir ont collaboré étroitement pour que toutes les intentions d’un script « franchissent la ligne d’arrivée » et ne se perdent pas en route. La qualité et la précision des nouveaux designs des personnages joue énormément aussi, et nous aide à exprimer ces subtilités. Si vous observez bien les personnages, leur graphisme est à la fois simplifié, et fidèle au style « grunge » des années 90, avec les formes caractéristiques de l’époque, notamment dans les coiffures, les vêtements et les accessoires. Chaque élément qui contribue à définir l’aspect d’un personnage a sa propre forme, son propre rôle à jouer, sa propre fonction narrative. Et c’est vrai que cela représente beaucoup de choses à maîtriser. Nous sommes très exigeants avec nos équipes, mais au bout du compte, cela se voit à l’image. Et c’est le résultat final qui compte.

En ce qui concerne les scripts, la série originale avait revisité beaucoup de récits classiques des comics de la saga X-Men. Avez-vous puisé également les histoires de X-MEN 97 parmi les comics qui n’avaient pas encore été transposés, ou avez-vous développé surtout de nouvelles idées ?

Oh, c’est une très bonne question ! Ce que je peux vous dire sans gâcher les surprises que nous réservons aux spectateurs, c’est que la vision initiale de notre chef scénariste Beau DeMayo, son approche du traitement narratif de X-MEN 97, est totalement imprégnée de l’ADN de la série originale. C’est pour cela que ce prolongement plait aux fans. Et plus précisément, ce que je veux dire en parlant de l’ADN de la série originale, c’est que si ses créateurs ont créé leurs propres histoires, elles étaient toujours inspirées des comics originaux. Les auteurs avaient notamment adapté une grande partie des histoires des X-Men imaginées par le scénariste anglais Chris Claremont, entre 1976 et 1991, comme vous le savez sans doute. Claremont a énormément contribué au succès des BD X-Men. Les scénaristes de la série originale sont restés fidèles aux récits de Claremont, et à l’esprit des personnages créés par Stan Lee et Jack Kirby au début de la saga, en 1963. Bien sûr, ils sont restés dans le cadre et les limites d’une série animée diffusée le samedi matin pour distraire les enfants, mais ils n’ont jamais rendu ces histoires puériles ni atténué leur véritable signification. Ils n’ont pas eu peur des thèmes que ces bandes dessinées et ces personnages ont représentés et traités. Tout cela est tellement ancré dans l’ADN de la série originale que nous devions suivre ces paramètres afin que X-MEN 97 soit un digne successeur de l’esprit de X-MEN, et non pas un reboot très différent…Comme vous le comprendrez, je ne peux pas être plus spécifique que cela, ni vous révéler les titres des comics et des histoires que nous avons adaptées. Et pourtant, j’aimerais bien vous le dire, car elles font partie de mes aventures préférées de la saga X-Men ! (rires) Au début, j’avais du mal à croire que j’allais avoir la chance de les transposer. Être payé pour faire cela, c’est vraiment cool. Bref, je ne peux pas en parler, mais regardez le reste de la série, et vous les découvrirez. Cela fait partie des plaisirs que X-MEN 97 procure aux fans de bandes dessinées. Cela dit, même si vous connaissez les grandes lignes de ces histoires et que vous les avez lues dans le passé, vous ne savez pas encore quels sont les éléments que nous allons traiter, ni comment nous allons les aborder. Et cela va nous permettre, je crois, de réserver de jolies surprises aux superfans qui connaissent ces récits par cœur. Bref, même si vous avez lu ces BD, vous ne pourrez pas forcément prévoir ce qui vous attendra dans ces épisodes ! (rires)

Oui, quand on lit les commentaires des fans sur le web, ils sont ravis de retrouver des péripéties familières des comics, mais avec des rebondissements inédits qui renouvellent l’intérêt de ces transpositions…Nous avons parlé des progrès techniques qui se voient dans les images des épisodes, mais il y a eu aussi énormément d’avancées dans le traitement de la préparation et de la fabrication de l’animation « en coulisses » depuis trente ans, grâce à la numérisation de tous les éléments, aux prévisualisations, etc. Pouvez-vous nous parler de ce que cela apporte à votre travail de réalisateur ?

Volontiers. Nous pouvons nous appuyer sur la technologie numérique de A à Z, du « pipeline » numérique de production à l’organisation des storyboards, en passant par la correction et la reconformation des storyboards, ce que notre équipe de production passe de longues heures à faire pour s’assurer que tout soit livré à temps, et que les animateurs du studio Mir puissent prendre le relais et les utiliser pour travailler. Nous avons besoin que ces limites de délais soient fixées, car si cela ne tenait qu’à nous, nous serions encore en train de travailler dessus aujourd’hui ! (rires) Le principal paradoxe de la manière dont nous utilisons ces nouvelles technologies numériques, c’est que nous nous en servons pour représenter l’ambiance du passé ! Je peux vous donner un exemple de cela en vous parlant du travail de Nasseer Pasha, un des animateurs de notre équipe interne, qui a développé ses propres effets pour y parvenir. Nas est un artiste incroyable qui développe aussi de nombreux projets personnels, dans sa propre bulle créative, avec son cercle d’amis, ce qui est génial. Il a créé et dessiné à la main un filtre qui fonctionne avec le logiciel Jitter, qui permet d’imiter le rendu d’une animation avec des celluloïds, comme à l’époque de X-MEN. C’est un effet très subtil qui fait que de temps en temps, il y a un tout petit décalage entre la position d’un personnage et celle du décor derrière lui, comme si ce celluloïd-là ne s’était pas aligné exactement comme le précédent...

Pardon de vous interrompre, mais je voudrais juste préciser ce qu’est un celluloïd, au cas où certains visiteurs d’ESI ne le sauraient pas. C’est la technique traditionnelle que l’on a utilisée pour faire du dessin animé de 1913 jusqu’au début des années 2000. Un « cellulo », c’est une feuille transparente d’acétate de cellulose sur le haut de laquelle il y a des perforations, pour qu’elle se cale toujours de la même manière sur une réglette. Pour préparer un cellulo, on transfère d’abord par photocopie le dessin que l’animateur a fait au crayon sur une feuille de papier. Une fois le tracé transféré sur la feuille transparente, on la retourne pour ajoute les couleurs avec de la peinture acrylique, en peignant de l’autre côté, afin que le tracé noir des contours soit toujours visible. Pour les longs métrages d’animation, on utilisait des grands cellulos, mais ceux des séries étaient plus petits, puisque la résolution des images de télé était limitée et le cadre au format 4/3…

Oui, c’est bien d’expliquer tout cela, en effet, car les générations actuelles connaissent surtout l’animation 2D réalisée avec des outils numériques. Bref, pour revenir à Nas, il a été assez aimable pour nous aider à affiner un filtre Jitter spécialement créé pour X-MEN 97. Nous avons donc pu utiliser notre propre filtre personnalisé, en travaillant en tandem avec notre équipe de compositing et tous nos autres collègues qui ont participé à cette production : les responsables du design, du réglage et de la finalisation technique de l’animation. Tout est méticuleusement fait à la main. Et nous visionnons le résultat image par image sur un écran géant, assis tous ensemble sur un grand canapé pendant de longues heures. A mes côtés, il y a Aisling Harbert-Phillips, la superviseuse du compositing, Anthony Wu le chef décorateur, Chris Graf, le superviseur des effets visuels, et Jeremy Polgar, le superviseur de l’animation. Nous prenons tous des notes, pour réévaluer entre nous nos opinions, indiquer à nos équipes ce qu’il faut corriger, ou demander des modifications. L’un de nous va dire « Il faudrait saturer davantage les couleurs de ce plan-là » ou « Cet effet de grain d’image 35mm que nous avons ajouté est trop appuyé, il faudra le diminuer lorsqu’on l’utilisera en finalisant les plans de tous les épisodes. » Voilà quelques-uns des avantages apportés par le numérique, sans oublier le montage virtuel, qui est extrêmement précieux. Dans les années 90, les cellulos étaient filmés avec une caméra banc-titre, sur pellicule 35mm. On manipulait donc physiquement des bouts de pellicule pour les assembler, ce qui était long et très fastidieux. Aujourd’hui, on peut créer et tester rapidement différents montages de la même scène pour la peaufiner, puisque tout est digital. Nous pouvons aussi ajouter facilement quelques images intermédiaires d’animation, ou en retirer pour affiner le rythme et la « respiration » d’une scène. Autrement dit quand l’animation d’un épisode complet nous est livrée, il reste encore un énorme travail à accomplir pour être sûr de bien raconter cette histoire. Même si toute l’animation a été créée, cela ne signifie pas forcément qu’elle est prête à être montrée ainsi au public. A ce stade, il nous arrive encore d’amplifier certains éléments du récit et de faire des petites modifications qui vont permettre à l’histoire de développer tout son potentiel. On ne peut pas toujours anticiper et rectifier ces problèmes en amont, au moment de la correction des storyboards : parfois c’est en découvrant l’animation des scènes qu’ils se révèlent. Voilà ce que je peux vous dire, Pascal. Je pourrais passer le reste de notre conversation à évoquer les différentes facettes de ces technologies numériques appliquées à l’animation, et aux spécificités de X-MEN 97, tellement c’est vaste ! Mais je pense que ces exemples peuvent déjà donner une assez bonne idée de la manière dont ces outils nous aident à créer l’ampleur visuelle de la série.

Notre dossier X-MEN 97 a le superpouvoir de continuer bientôt sur E.S.I. !

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