CASSE-NOISETTE ET LES QUATRE ROYAUMES - 3ème partie : suite de notre entretien exclusif avec le chef décorateur Guy Hendrix Dyas
Article Cinéma du Vendredi 21 Decembre 2018

Le travail de Cedric Gibbons et de Bill Horning sur les magnifiques décors du MAGICIEN D’OZ de 1939 a-t-il été une référence importante pour vous ?

Absolument ! Il est difficile d’échapper aux choses qui vous ont le plus marqué pendant votre enfance, et dans mon cas je me souviens encore comme si c’était hier de la première fois que j’ai vu LE MAGICIEN D’OZ quand j’étais petit, dans le Devon, sur la télévision couleur à l’écran en forme de bulle de mes parents ! Un tel chef d’œuvre laisse une forte empreinte dans votre esprit, et vous incite à récréer les sentiments qu’il vous a inspirés.

Même si l’on perçoit certains artifices des décors du MAGICIEN D’OZ - comme les immenses fonds peints des paysages lointains- leur stylisation rend les images du film encore plus fascinantes. Le spectateur sait qu’il est entraîné dans un tour de magie énorme et superbe...

Oui, on oublie et on pardonne les petits côtés artificiels que l’on perçoit dans ces environnements, parce qu’ils sont magnifiquement bien conçus. L’échelle des décors et les décisions de designs prises par ces artistes étaient géniales. D’ailleurs, nous avons utilisé un peu de ces méthodes « de la vieille école » dans CASSE-NOISETTE, simplement, parce que nous devions créer de vastes forêts dans des plateaux géants des studios Pinewood : des forêts enneigées, des forêts un peu sinistres avec des tapis de fleurs rouges. Et pour créer les perspectives lointaines de l’horizon, Lasse Halström, le directeur de la photographie Linus Sandgren et moi-même avons décidé d’un commun accord d’utiliser d’immenses cycloramas de paysages peints en trompe l’oeil. Mais pour y parvenir, il a d’abord fallu trouver des artisans des fonds peints, ce qui n’était pas évident car cette méthode traditionnelle est un peu tombée en désuétude au profit des fonds verts ou d’agrandissements photographiques géants imprimés sur toiles. Mais heureusement pour nous, il restait encore quelques peintres spécialistes des cycloramas en activité ! Et Ils ont effectué un travail splendide pour nous.

Pouvez-vous nous dire quelles ont été vos sources d’inspiration visuelle pour chacun des royaumes ? Commençons par le pays des flocons de neige...

Pour chacun des royaumes, mon processus a consisté à imaginer d’abord le fonctionnement de cette société afin de l’ancrer dans un certaine logique. J’ai réfléchi à ce que pourraient être les activités des gens, leurs professions, les domaines dans lesquels ils excellent, etc. Dans le cas du pays des flocons de neige, j’ai imaginé que la population était d’origine aristocratique, et dirigeait le gouvernement central des royaumes grâce à ses rapports privilégiés avec la cour du palais dont nous avons parlé précédemment. De par leurs traditions et leurs activités commerciales, ce sont des chasseurs, mais il existe aussi chez eux de nombreux sculpteurs sur glace, capables de créer des structures cristallines époustouflantes.

Il y a ensuite le pays des fleurs...

Mon premier réflexe a été de me référer à la Hollande, qui est le plus grand exportateur de fleurs au monde, et aux architectures d’Amsterdam. Leur société est imprégnée des traditions de l’horticulture, et on retrouve l’imagerie des immenses champs de tulipes et des moulins dans leur artisanat. En partant de cela, j’ai imaginé que la population du pays des fleurs serait essentiellement constituée d’agriculteurs, de fabricants de parfums, et d’apiculteurs / producteurs de miel. Cela m’a incité à m’inspirer de l’époque médiévale en France et en Angleterre pour dessiner des maisons aux toits de chaume, des petits cottages entourés d’une végétation foisonnante, et bien sûr, de champs de fleurs.

Passons au pays des bonbons...

La principale source d’inspiration a été l’Angleterre victorienne de 1879, et ce foisonnement d’inventions dont nous parlions tout à l’heure. Et cette inventivité s’est également appliquée à l’industrie de confiserie, avec de nouvelles présentations de produits à base de pâte d’amandes, de caramel et de chocolats aux différents arômes. On a inventé aussi beaucoup de recette de sucreries bouillies à cette époque. J’ai repris ces caractéristiques dans la conception du pays des bonbons, pour en faire une contrée fortement industrialisée. On y voit de nombreuses petites usines avec des chaudières, des récipients géants où les ingrédients des confiseries sont bouillis, des tapis roulants avec des alignements sans fin de caramels, etc. Pour l’architecture, je me suis inspiré de celle de petites villes d’Allemagne, car les formes de leurs maisons me donnaient l’impression qu’elle étaient fabriquées en pain d’épices, comme celles que l’on mange à Noël !

Avez-vous utilisé des gravures d’époque montrant des usines victoriennes pour recréer cette ambiance « steampunk » caractéristique de la fin du 19ème siècle ?

Non, mais c’est une excellente idée, et peut-être procéderons-nous ainsi si nous revisitons le pays des bonbons dans une suite. Dans ce film l’essentiel de l’intrigue tourne autour du mystérieux 4ème royaume, et nous ne passons donc que très peu de temps dans les autres royaumes. Je n’ai donc pas pu aller aussi loin dans les détails des fabriques de bonbons. Mais j’aime cette idée d’usine de confiserie steampunk ! Mais nous utilisons quand même l’esthétique industrielle victorienne parce que Clara, notre héroïne, est une jeune fille moderne, très créative et qui aime imaginer des machines, inventer des gadgets, et résoudre des problèmes. Au début de ma carrière, je m’occupais de design industriel et j’ai eu l’occasion de travailler sur ceux des modèles de Walkman de Sony, à la fin des années 90 ! J’ai toujours cet attrait pour les mécanismes, les machineries, et quand je me détends entre deux projets, je passe du temps à bricoler mes motos vintage dans mon garage. Je n’ai donc pas eu besoin de me référer à l’esthétique steampunk, mais je me suis laissé guider par mes propres connaissances en ingénierie et en machineries, tout en me référant aux moteurs à vapeur de l’époque, qui ont été le point de départ de cette incroyable révolution industrielle. Et je n’ai pas oublié que l’on utilisait encore l’éclairage au gaz un peu partout. Mais comme l’ampoule électrique allait bientôt arriver, j’en ai placée une au centre de la boutique du personnage de Drosselmeyer que joue Morgan Freeman. Et ce modèle d’ampoule correspond exactement aux tout premiers produits et commercialisés par Thomas Edison. Je voulais rappeler ainsi qu’une ampoule exposée ainsi était un objet sidérant, absolument extraordinaire pour le public.

J’ai beaucoup aimé la conception visuelle du quatrième royaume, avec ses aspects de fête foraine menaçante, de cirque des ténèbres, ainsi que les scènes avec l’armée de soldats de fer blanc et la Mère Gingembre mécanique géante qui cache un carrousel sous sa robe…

Oui, cela a d’ailleurs été l’un des éléments les plus problématiques que j’aie eu à construire pour ce film. Quand j’ai tenté de convaincre l’équipe que nous devrions fabriquer une vraie marionnette géante de la Mère Gingembre, une structure mécanique d’environ 12 mètres de haut, tout le monde a écarquillé les yeux et m’a regardé comme si j’étais devenu complètement fou ! Mais en fin de compte, c’est exactement ainsi que nous avons procédé. Nous avons fait appel à Chris Corbould, avec lequel j’avais déjà collaboré sur les décors d’INCEPTION qui étaient montés sur des structures animées, et il a construit cette énorme Mère Gingembre sur des rails. Comme Chris est également un as des effets spéciaux, nous avons travaillé en étroite collaboration afin d’obtenir un personnage animé très impressionnant, dont les yeux bougent, les paupières s’ouvrent et se ferment, ainsi que sa bouche. Nous nous sommes inspirés des têtes de poupées de ventriloques pour lui donner l’aspect d’une marionnette assez simpliste, mais agrandie à une échelle gigantesque.

Pouvez-vous nous parler du reste du développement des aspects inquiétants de ce quatrième royaume ?

Avec plaisir. Pendant mon enfance, j’ai été élevé un peu dans du coton, à l’abri des problèmes que doivent surmonter les petits citadins, parce que je vivais dans une toute petite ferme, dans un coin perdu du Devon, qui est une région du Sud de l’Angleterre. Je n’ai donc jamais eu l’occasion de découvrir là-bas des grandes fêtes foraines. Et je me souviens que ces ambiances de fêtes foraines me faisaient très peur. Quand j’avais six ou sept ans, toute notre famille a fait un voyage aux États-Unis, et mes parents nous ont emmenés à Disneyland, où nous sommes allés voir l’attraction des PIRATES DES CARAÏBES. Et la tête de squelette parlante qui s’adresse aux visiteurs m’a effrayé à un tel point que j’en ai fait des cauchemars pendant des années…

Vous faites référence au célèbre crâne de pirate animé accroché en haut de l’accès d’un tunnel, et qui dit « Dead men tell no tales » ?

Oui, c’est précisément ce crâne-là ! Bien sûr, depuis je suis retourné souvent à Disneyland avec mes enfants pour m’assurer qu’ils subissent exactement les mêmes traumatismes ! (rires) Ces expériences et ces peurs enfantines sont ce qui m’a guidé quand j’ai dessiné les croquis des environnements et des personnages inquiétants du quatrième royaume, comme les statues géantes de singes ou le portail d’entrée du royaume en forme d’arlequin. Tout cela est sorti de ma tête sans que j’aie besoin de chercher des références. J’ai voulu que tous les animaux représentés sur le carrousel aient un aspect démoniaque…À la place de jolis chevaux habituels, nous avons des dragons et des bêtes effrayantes. C’était un peu comme si toutes mes craintes enfantines s’étaient déversées sur le papier. J’espère que cela ne va pas dissuader Disney de faire à nouveau appel à mes services par la suite ! (rires)

Quelles sont les parties des décors qui ont été créées concrètement, et celles que vous avez représentées par le biais d’extensions numériques ou d’environnements réalisés entièrement en 3D ?

Les environnements réalisés essentiellement en 3D étaient les plans très larges du pays des bonbons, du pays des fleurs et du pays des flocons de neige. On les voit dans la séquence pendant laquelle Clara découvre ces trois royaumes, et ces panoramas ont été superbement réalisés par nos équipes des effets visuels, à partir d’illustrations que nous leur avons fournies. Et la raison pour laquelle nous avons procédé ainsi, c’est que nous ne pouvions pas nous permettre de fabriquer des décors gigantesque uniquement pour cette courte scène où l’on présente ces pays à Clara. En dehors de cela, nous avons construit pratiquement tout le reste : le palais, les forêts que l’on voit, beaucoup d’autres environnements. Et nous avons aussi transformé et augmenté beaucoup de décors réels, comme cette salle d’un bâtiment ancien dont j’ai réussi à persuader les propriétaires de nous laisser repeindre les murs en rouge brillant ! C’est ce qui figure la salle dans laquelle Drosselmeyer organise une grande fête au début du film. Naturellement, nous rendu l’endroit en parfait état, avec son aspect initial, à la fin du tournage de cette séquence. Lasse Halström puis Joe Johnston ont tenu tous les deux à tourner le plus possible dans des décors réels. L’équipe des effets visuels a augmenté magnifiquement certaines partie des décors que nous avons construits, comme dans cette scène où l’on voit des roues à aubes et des mécanismes de chaque côté du pont du palais. Mais dans quasiment tous les plans serrés ou moyens du film, ce que vous voyez, ce sont des décors réels.

Combien de décors avez-vous créés en tout pour ce film ?

Si je ne me trompe pas, nous en avons créé 112.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau. Bookmark and Share


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