BIENVENUE A MARWEN à découvrir en Blu-ray : une belle célébration du pouvoir de l’imagination, inspirée d’une histoire vraie. Entretien exclusif avec Robert Zemeckis.
Article Cinéma du Samedi 04 Mai 2019

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Si elle est présentée sous la forme d’une fiction teintée de fantastique, l’histoire émouvante que nous raconte Robert Zemeckis dans BIENVENUE A MARWEN est pourtant basée sur des faits réels. Le 8 avril 2000, Mark Hogancamp, ex-marin de l’US Navy devenu alcoolique après son divorce, s’est fait violemment agresser par cinq hommes à la sortie d’un bar. Il avait commis l’erreur de confier à l’un d’entre eux qu’il collectionnait les chaussures de femmes, et aimait s’en servir chez lui…Laissé pour mort sur la chaussée, il a sombré dans le coma. L’ampleur de ses traumatismes crâniens a été telle que toute la mémoire de son passé a été effacée à jamais : ne restaient plus que ses souvenirs immédiats et la capacité de reconnaître encore ses amis et les membres de sa famille. Après deux années de rééducation intensive pour retrouver sa mobilité, Hogancamp restait encore profondément meurtri par son agression, et sombrait dans la dépression et de terribles crises d’angoisse. Amateur de modélisme, il a alors entrepris de transposer ce qu’il avait ressenti en récits photographiques réalisés avec des décors miniatures et des figurines articulées de 30cm de type G.I. Joe / Action Joe. Mais plutôt que de tenter de reproduire le monde réel, Hogancamp s’est représenté lui et ses proches sous la forme de soldats américains et d’habitants d’un petit village belge imaginaire, Marwencol , amalgame de son prénom Mark, et de ceux de Wendy et Coleen, deux jeunes femmes dont il était tombé amoureux. Dans ces aventures se déroulant pendant la 2ème guerre mondiale, son alter-ego miniature, le Capitaine Hogie, affrontait courageusement un cruel commando nazi, écho de la bande de brutes qui l’avait meurtri. Ses magnifiques clichés lui ont permis tout à la fois de se reconstruire mentalement, et de se révéler en tant qu’artiste de grand talent, lorsqu’un journaliste local a découvert par hasard son travail et l’a fait connaître à un magazine dédié à la photo. La parution de ses oeuvres leur ont valu ensuite d’être exposées dans une prestigieuse galerie d’art à New York, et un documentaire intitulé MARWENCOL lui a été consacré en 2010. Après avoir récolté de nombreuses récompenses dans le monde, MARWENCOL a été diffusé par la chaîne culturelle PBS aux USA. C’est à ce moment-là qu’un téléspectateur nommé Robert Zemeckis a eu envie de transposer en fiction l’incroyable histoire de la renaissance d’Hogancamp, à la fois dans le monde quotidien et dans l’univers imaginaire des aventures de ses figurines, en les animant en 3D. Le résultat final est magique et poignant, grâce à la mise en scène d’un Robert Zemeckis au sommet de son art.



Entretien avec Robert Zemeckis

Quand vous avez découvert la véritable histoire de Mark Hogancamp dans le documentaire MARWENCOL diffusé par la chaîne PBS, avez-vous immédiatement envisagé d’utiliser la capture de performance pour animer les figurines et faire avancer ainsi le récit d’une fiction basée sur la vie de Mark ?


Oui, presque tout de suite ! J’ai pensé que la capture de performance serait un excellent outil pour animer les histoires dans lesquelles interviennent les poupées.

Votre chef décorateur et votre superviseur des effets visuels sont-ils venus visiter la ville miniature originale de Marwencol construite par Mark afin de la recréer dans le film ?

Oui, mais à l’époque où nous en sommes arrivés au début de la production du film, Mark avait déjà démonté ce décor, afin de faire de la place pour ceux d’une nouvelle aventure photographique avec ses personnages. Il nous a demandé si nous souhaitions réutiliser certains de ses bâtiments originaux dont il avait conservé les morceaux, mais cela nous aurait contraint à les reproduire tous en trois exemplaires, en fonction des différentes manières de les filmer. En fin de compte, il a été plus simple de nous lancer dans la fabrication de notre propre ville.

Pourquoi aurait-il fallu en fabriquer trois exemplaires ?

Parce que nous aurions eu besoin d’un pour les vues extérieures du décor, d’un second pour les scènes tournées en intérieurs, sur un plateau - car dans le film, Mark a percé un trou dans un mur de son salon, pour avoir accès aussi de l’intérieur à la maquette du décor de bar - et d’un troisième à envoyer à l’équipe des effets visuels afin qu’il soit scanné en 3D et photographié en haute résolution, en vue de créer les décors virtuels pour les scènes avec les figurines animées. Mais nous utilisons quand même certaines des véritables photos de Mark dans le film.

Quand vous disiez que Mark concevait une nouvelle aventure, cela veut-il dire qu’il est en train de construire de nouveaux décors en ce moment ?

Oui, et je crois bien que cette nouvelle histoire se déroule à Washington, et qu’il est donc en train de créer un monde miniature complètement différent à présent.

Cela signifie que sa guérison se poursuit grâce à ces histoires et de nouvelles photographies…

Oh, non, Mark est guéri maintenant et se sent parfaitement bien. Vous savez, cette attaque s’est déroulée il y a presque 20 ans, et le documentaire qui lui a été consacré date de 2010. Il est en bonne forme physique et psychique à présent.

Votre film présente la véritable histoire de Mark avec beaucoup de dignité et de sensibilité. Mais comment avez-vous expliqué à Mark que votre film allait présenter une version fictionnelle de sa vie et de lui ? A-t-il été immédiatement d’accord ? Y compris à propos de la manière dont vous comptiez symboliser son amour sans retour pour sa voisine Coleen en créant le personnage de Nicol ?

Mark avait parfaitement compris que tout allait être transposé en fiction et quelque peu stylisé, et que le film ne serait pas une autre version documentaire des événements qu’il avait vécus. Il savait que certaines personnes réelles allaient être combinées pour ne former qu’un seul personnage, et que leurs noms allaient être changés. Pour lui, tout était clair et il n’y voyait aucun inconvénient. Il a totalement respecté la liberté de notre processus créatif et comprenait qu’elle était nécessaire pour que je puisse réaliser une fiction cinématographique à partir de son histoire.

Y avait-il toutefois des détails qui le tracassaient ?

Oui, mais pas à propos de points importants de notre adaptation, comme ceux que vous évoquiez. Il s’agissait seulement de petites choses, de détails précis. Par exemple, dans notre script, tout le monde appelait la figurine animée de son alter-ego « Captain Hogie ». Et Mark nous a dit « Non, non, non, dans mes histoires, mes personnages l’appellent toujours Hogie. » C’étaient uniquement des petites précisions de ce genre, mais très importantes à ses yeux. Et nous avons donc opéré ces changements dans le script.

Pouvez-vous nous raconter le processus que vous avez utilisé pour raconter à votre manière les histoires que Mark avait imaginées et mises en scène grâce à ses photos, comme le moment où toutes les filles de Marwen viennent sauver Hogie et tuer les nazis, ou les scènes avec la sorcière Deja Thoris et sa « machine à explorer le temps » ?

Ma manière d’aborder cela a consisté à partir des vraies photographies que Mark a réalisées et mises en scène pour raconter ses histoires, image après image. Chaque cliché fige un moment précis de la continuité de l’un de ces récits très élaborés. Je me suis donc servi de ces photos comme de jalons, comme d’un traitement visuel en différentes étapes, et à partir de là, j’ai inventé les portions de l’histoire qui se trouvaient entre les images de Mark, et les ai intégrées dans la fiction du script.

Ses photos sont donc presque devenues l’équivalent de vignettes de storyboards…

Exactement.

Ce processus créatif a dû être très amusant pour vous…

Oh oui, il a été très stimulant, et j’ai pris beaucoup de plaisir à imaginer ces mises en scènes en les situant dans le monde miniature de Mark. Ses photos sont magnifiques.

Lui avez-vous demandé des conseils à propos de ces segments basés sur ses récits photographiques ?

Seulement sur des petits points techniques concertant ses prises de vues, car je voulais recréer fidèlement leur aspect dans ces scènes réalisées pour l’essentiel en 3D. Mark m’a fait confiance pour leur scénarisation dans le film, et les péripéties que nous présentons correspondent bien à la continuité des aventures qu’il a imaginées.

Dans le film, vous mélangez des vrais décors, des vraies maquettes de Marwen, et des vraies figurines à des reconstitutions en 3D des maquettes et des personnages articulés. Comment avez-vous choisi ce qu’il fallait faire en 3D et ce qu’il fallait tourner directement devant la caméra, afin d’obtenir le résultat le plus convaincant et le plus beau ?

Eh bien à chaque fois qu’il y avait une figurine articulée animée dans une scène, il fallait qu’elle soit virtuelle. Il y a seulement trois moments dans le film pendant lesquels les poupées animées et le monde réel de Mark sont en interaction, comme la scène où Deja Thoris s’adresse au vrai Mark. Ensuite il y a celle où Hogie apparaît à Mark et où ils ont une conversation, et il y a finalement la séquence de la salle du tribunal où se déroule une fusillade imaginaire, et où l’on voit les poupées représentées à la taille d’êtres humains, dans cet environnement réel. C’est le seul moment du film où je les présente agrandies ainsi, et où il fallait les intégrer aux vrais décors, parmi les acteurs. Nous savions donc qu’il fallait filmer ces scènes de manière à pouvoir y placer les animations 3D des poupées plus tard. Pendant le reste du film, les figurines animées apparaissent dans des décors virtuels, que nous avons réalisés en scannant les maquettes de Marwen qui ont été fabriquées par notre équipe de décoration. Quand cela a été fait, nous avons retravaillé les scans 3D en les habillant avec les photos des textures des vraies maquettes, et nous avons modélisé ainsi l’ensemble du village miniature. A partir de là, les personnages 3D pouvaient évoluer dedans.

Et les figurines ont donc été animées grâce à la capture des performances de Steve Carell, de toutes les comédiennes qui jouent les héroïnes de Marwen, de Diane Krueger qui incarne Dejà Thoris, et des acteurs qui jouent les nazis…

Tout à fait. Mais il a fallu retravailler les mouvements réels des acteurs, car les articulations de figurines articulées de 30 centimètres ne sont pas aussi complexes que celles d’un véritable corps humain. Après avoir testé différentes approches, nous avons fini par supprimer certaines données d’enregistrements de mouvements secondaires subtils pour ne garder que les principaux, et cela nous a permis de simplifier la gestuelle des personnages 3D, qui a été encore un peu stylisée en post-production, par des animateurs.

Comment les « vraies » figurines que manipule Steve Carell ont-elles été fabriquées ? Leur ressemblance avec les visages de Steve et des actrices est vraiment très réussie, et pourtant, elles gardent l’aspect de figurines à l’échelle 1/6ème telles que l’on peut en acheter dans le commerce…

Voilà le processus que nous avons utilisé : nous avons commencé par engager tous nos comédiens, puis nous les avons scannés en 3D et photographiés. Chacune des actrices a pris à ce moment-là plusieurs « expressions de poupée » que nous avons scannées. Nous avons choisi ensuite la mimique qui correspondait le mieux à la personnalité de chacune des héroïnes de Marwen. Après cela, les têtes des poupées ont été sculptées pour ressembler aux visages des acteurs et des actrices, puis elles ont été peintes et dotées pour certaines de cheveux longs à la manière des figurines du commerce. L’étape suivante a consisté à créer les vêtements miniatures de ces poupées, et une fois qu’elles ont été fin prêtes, avec leur « maquillage », leurs cheveux et leurs tenues complètes, nous les avons scannées minutieusement à nouveau afin de créer les modélisations complètes des figurines. Ce sont ces personnages 3D que nous avons animés en utilisant les données de Mocap des comédiens.

Cette série d’étapes de fabrications réelles et virtuelles très subtiles a vraiment porté ses fruits : c’est étonnant de voir à quel point toutes les scènes avec les figurines et les maquettes de décors paraissent crédibles. Et vous utilisez aussi ce gag très amusant qui consiste à figer les personnages de nazis dès qu’ils sont « tués » et à les faire tomber dans la même posture, comme des jouets !

Oui ! (rires) Je suis content que vous ayez apprécié ce détail ! Bookmark and Share


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