Effets spéciaux : Les 6 films qui ont révolutionné les techniques du cinéma
Article 100% SFX du Vendredi 10 Mai 2019

Sans les magiciens des trucages, beaucoup de scènes et de personnages inoubliables du cinéma n’existeraient pas. Retour sur six films dont les innovations ont fait date.

Par Pascal Pinteau

AVANT : LE MONDE PERDU (1925)

Dans cette première adaptation du roman d’Arthur Conan Doyle, le professeur Challenger et ses amis découvrent des dinosaures encore vivants sur un haut-plateau d’Amérique du Sud…Dans la réalité, les grands reptiles sont des petites marionnettes articulées de 20cm animées image par image par Willis O’Brien. Pour créer un plan où humains et dinos se rencontrent, O’Brien commence par masquer un petit coin de l’image avec un cache noir afin que la pellicule reste vierge à cet endroit-là, puis il anime ses marionnettes. Ensuite il rembobine la pellicule dans la caméra, place un grand cache noir pour protéger l’animation déjà tournée, retire le petit cache, et filme alors les acteurs qui font mine de s’ébahir en regardant les bêtes préhistoriques. Mais s’ils sont réunis sur l’image, les monstres et les humains sont isolés chacun de leur côté : aucune interaction n’est possible.

Le film qui a tout changé : KING KONG (1933)

King Kong est ivre de rage ! Après avoir jeté dans un précipice les marins venus secourir la jeune femme blonde qu’il a kidnappée, voilà qu’il veut estourbir le dernier survivant, Driscoll, blotti dans un renfoncement rocheux. Kong tente de le déloger en tâtonnant mais Driscoll lui pique les doigts avec son couteau, et le décourage de recommencer… Si KING KONG reste fascinant à regarder aujourd’hui encore, c’est parce que Willis O’Brien s’est surpassé en composant et en éclairant chaque image à la manière des gravures de Gustave Doré, et parce qu’il a rendu cette aventure palpitante en créant des interactions spectaculaires entre Kong et les vrais acteurs. Pour tourner cette scène, O’Brien a intégré un petit écran translucide au creux de la falaise, et pendant l’animation de la marionnette de Kong, il a projeté par l’arrière, image après image, les vues de l’acteur Bruce Cabot faisant semblant d’esquiver, puis de poignarder les gros didis du gorille. Pour les spectateurs de 1933, cette interaction directe entre l’acteur et King Kong était une scène à couper le souffle ! Mais ce n’est pas la seule innovation de KING KONG, premier film qui utilise la "Tireuse optique", machine composée d'un projecteur faisant face à une caméra contenant de la pellicule vierge. Grâce au projecteur, on recopie tour à tour plusieurs petits bouts d'images sur la pellicule vierge dans la caméra, pour créer une image dite « composite », comme la vue du groupe de marins observant un petit bout de précipice construit en studio, complétée par une peinture représentant tout le reste du précipice et le panorama complet de la jungle autour.

L’anecdote : au début du tournage, O' Bien avait disposé des petites plantes grasses dans les maquettes de jungle, puis avait animé des scènes image par image avec les dinos. Mais avec la chaleur des projecteurs, les plantes se trouvaient tellement bien qu'à la projection à 24 images par seconde (qui «condensait » une journée de tournage en quelques instants) O'Brien les a vu pousser en accéléré, ruinant ainsi ses prises ! Plus aucune plante vivante n'a été utilisée après.

Avant : LA CONQUETE DE L’ESPACE (1955)

A partir des années 50, les films de SF ont représenté l’apesanteur dans les scènes de voyages spatiaux, notamment dans les productions de George Pal, expert en animation et en trucages. Ici, dans La Conquête de l’Espace, les astronautes pourvus de bottes à semelles magnétiques, bien ancrés sur le sol métallique, rattrapent un de leurs collègues en chaussettes, parti à la dérive en haut de la cabine. Un trucage tout simple : sous sa tenue l’acteur porte un harnais très solide, sur lequel sont fixés des câbles d’acier très résistants, qui passent au travers de son costume. Dans les coulisses, les machinistes tirent sur des cordes reliées à un système de poulies et de contrepoids pour faire voler le comédien.

Le film qui a tout changé : 2001, L'ODYSSEE DE L'ESPACE (1968)

Avant ce film de Stanley Kubrick, on n'avait jamais réussi à représenter la vie à bord d’un vaisseau spatial de manière scientifiquement correcte. En voici l'une des scènes les plus frappantes : le jogging de l'astronaute courant sur les murs de ce module qui tourne lentement sur lui-même pour créer une gravité artificielle. En coulisses, Kubrick a fait construire un tambour de 12 mètres de diamètre capable de tourner sur lui-même à la vitesse de 5 km/heure. La caméra est fixée à l’intérieur. Elle tourne autour de l’axe tout en étant manoeuvrée pour suivre les évolutions de l’acteur qui fait son jogging en bas de la roue, au niveau du sol. À la projection du point de vue de la caméra (qui « voit » un décor fixe, puisqu’elle bouge en même temps que lui ) l’astronaute semble défier les lois de la pesanteur en courant à angle droit sur les parois du cylindre. Dans d’autres scènes, pour représenter les évolutions des vaisseaux dans l’espace, Kubrick a détourné les techniques des documentaires scientifiques qui utilisaient des caméras d’animation « Banc-titre » à l'objectif braqué vers le bas. En faisant bouger de gauche à droite le dessin découpé d'un vaisseau sur une plaque de verre, au-dessus d’une illustration fixe de Mars, on créait l’illusion de son passage devant la planète rouge. Kubrick a donc engagé des gens formés à ces techniques d'animation, mais plutôt que d'utiliser des dessins, il a fait fabriquer des maquettes de vaisseaux, les a fait photographier et ce sont souvent ces découpes fixées sur des plaques de verre que l'on voit traverser le ciel étoilé dans 2001. On peut les reconnaître car leurs perspectives ne changent pas lorsqu'elles se déplacent, comme ce serait le cas s'il s'agissait de maquettes.

L’anecdote : Quand on travaille dans un décor qui tourne et se retrouve à l’envers, gare aux outils oubliés dans les coins qui vous tombent sur la tête ! Après avoir reçu plusieurs tournevis et gros rouleaux de scotch sur le crâne, Kubrick et ses techniciens ont pris l’habitude de porter des casques de chantier avant d’entrer dans le grand anneau du décor !

Avant : LA GUERRE DES MONDES (1953)

Dans les premiers films de SF, on faisait bouger les fusées en les suspendant par des fils et en les déplaçant grâce à des machineries accrochées au plafond du studio. Ici, les techniciens s’affairent sur les soucoupes volantes de La Guerre des Mondes, dont les câbles de sustentation en cuivre alimentaient aussi en électricité tous les éclairages internes.

Le film qui a tout changé : STAR WARS EPISODE 4, UN NOUVEL ESPOIR (1977)

Si STAR WARS a été un tel choc visuel en 1977, c’est en partie grâce à ses batailles spatiales étourdissantes, pendant lesquelles les vaisseaux virevoltaient dans tous les sens en échangeant des tirs laser. Des scènes encore jamais vues filmées avec la Dykstraflex, caméra aux mouvements pilotés par ordinateur, surnommée ainsi en l’honneur du superviseur des effets visuels John Dykstra. La Dykstraflex est constitué d'une caméra et d'une grue montée sur les rails d'un travelling. Les roues et les articulations de la grue, ainsi que les mécanismes de la caméra (défilement de la pellicule, diaphragme, mise au point, zoom) sont reliés à des moteurs électriques pas à pas pouvant à la fois tourner en continu ou bouger d'un demi-millimètre. Grâce à l'ordinateur, on programme les mouvements du système pour filmer la maquette du vaisseau de Han Solo fixée sur un support bleu devant un fond bleu. Le support doté d’un moteur pivotant (également contrôlé par ordinateur) permet de faire bouger la maquette du Faucon Millenium sur un axe comme un poulet cuisant sur un tourne-broche. La maquette fixée par l’avant bouge un peu devant le fond bleu, tandis que la caméra s’éloigne d’elle en pivotant. Le résultat à l'image : une vue du Faucon Millenium fonçant au loin en faisant une vrille sur le fond bleu. Une fois ce mouvement enregistré, on pouvait le répéter à l'identique plusieurs fois, notamment en laissant l'obturateur de la caméra ouvert une ou deux secondes à chaque image , de telle manière que les petites ampoules placées dans un réacteur arrière du Faucon Millenium semblent dégager une lumière éblouissante ! C’est en utilisant la silhouette noire du vaisseau comme un cache en mouvement que l’on pouvait incruster ensuite le Faucon Millenium sur une autre image, comme celle du fameux champ d’astéroïde de l’épisode suivant, L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE (1980).

Anecdote: Pour construire sa caméra prototype John Dykstra engage des artisans hors de l'industrie du cinéma, tel ce hippie fabricant de sandales qui prépare les courroies d'entraînement des moteurs avec des lanières de cuir. Une fois la caméra prête à l’emploi, le petit groupe travaille pendant la journée dans un hangar loué pour servir de studio, où la température monte jusqu'à 50 degrés dans la journée, avec la chaleur des projecteurs et le soleil qui tape sur le toit en métal. L'équipe tourne donc la plupart des plans avec les maquettes pendant la nuit et tôt le matin pour éviter de suffoquer, et envoie ensuite les rushes au labo pour qu'ils soient développés. En attendant de visionner le résultat, ils font soit une petite sieste pour récupérer, soit trempette dans un petit bassin en bois fait maison. Malheureusement, c'est à ce moment-là que les responsables du Studio Fox débarquent pour voir comment le budget effets spéciaux de Star Wars est dépensé. En tombant sur cette bande de baba cools se relaxant dans leur piscine à 11h00 du matin, ils ont cru que leur argent partait en fumée…à tous les sens du terme !



Avant : DINOSAUR ! (Documentaire – 1985)

Grâce au MONDE PERDU et à KING KONG, l’animation image par image s’est imposée pour donner vie aux dinosaures de manière crédible. Dans les années 80, Phil Tippett perfectionne cette technique en utilisant des astuces, comme laisser l’obturateur ouvert et donner un petit coup de côté sur le décor où les pieds du dino sont vissés pour le faire osciller un peu, et créer ainsi un léger flou dans les déplacements latéraux. Cela diminue l’aspect stroboscopique (saccadé) des mouvements rapides, typique de l’animation image par image.

Le film qui a tout changé : JURASSIC PARK (1993)

Pendant la préparation du film, Spielberg comptait représenter les dinos de deux manières. Pour les gros plans des têtes et du haut des corps, il allait utiliser les robots grandeur nature fabriqués par Stan Winston et son équipe, dont le T-Rex et un tricératops malade. Les Raptors allaient être des marionnettes mécaniques animées par câbles, et dans certains plans, des costumes portés des acteurs aux jambes montées sur des échasses spéciales pour animer leurs pattes. Pour les plans des dinos vus en entier, en train de courir ou de marcher, Spielberg s’en remet à Phil Tippett et à ses trucs pour fluidifier l’animation image par image, et à la technique du « Go-Motion » qui utilise un support contrôlé par ordinateur pour faire bouger certaines des articulations d’une marionnette pendant que l’obturateur reste ouvert. C’est un procédé très long et complexe, mais c’est le seul qui permette alors d’obtenir un résultat plus réaliste. Mais voilà qu’ILM crée un test d’animation 3D pour la scène du troupeau de Gallimimus courant dans une plaine, que Tippett ne peut pas animer image par image. Après ce premier essai où l'on voit seulement des squelettes de dinos courir, Spielberg pousse ILM à aller plus loin. Quand un test d'animation de T-Rex est réalisé, il prend la décision audacieuse de tout miser sur cette technique qui débute. Après des mois de travail acharné, ILM crée les premiers animaux 3D hyperréalistes de l'histoire du cinéma.

L’anecdote : Ces techniques 3D inédites étaient tellement complexes à mettre en œuvre et à calculer en 1993 qu'il n'y a que 7 minutes d'animations de dinos en images de synthèse dans tout le film ! Tout le reste est suggéré grâce à la mise en scène formidable de Spielberg, qui évoque ce qu’il se passe sans le montrer vraiment - ce qui effraie bien plus le spectateur, comme il l’avait prouvé dès 1975 dans LES DENTS DE LA MER - et avec les dinos robotisés grandeur nature.

Avant : ENEMY (1985)

Dans ENEMY, un pilote terrien qui s’est crashé sur une planète désolée doit cohabiter avec un ennemi extraterrestre de la flotte des Dracs. Abandonnant leurs préjugés, ils réussissent à survivre en s’entr’aidant. Comme dans tous les films de SF réalisés jusque là, c’est un maquillage facial et un costume complet en mousse de latex que porte l’acteur Louis Gossett Jr pour se métamorphoser en alien.

Le film qui a tout changé : AVATAR (2009)

Dès la conception de l’histoire d’AVATAR en 1994, James Cameron décide que ses aliens filiformes de trois mètres de haut seront réalisés en images de synthèse et non pas avec des costumes. Mais à l’époque, il est impossible de réaliser des êtres humanoïdes crédibles en 3D...C’est après avoir vu Gollum dans LE SEIGNEUR DES ANNEAUX : LES DEUX TOURS en 2002 que Cameron relance son vieux projet avec les équipes de Weta Digital. Elles se surpassent pour scanner en 3D les vraies expressions faciales des acteurs principaux et les stockent pour pouvoir les transférer sur les visages de synthèse de leurs avatars Na’vi. Quand Cameron "filme" les scènes en capture de mouvements avec les acteurs (qui portent des justaucorps avec des repères et des casques-caméras filmant leurs visages) il tient dans ses mains une sorte de tablette baptisée « Simulcam » sur laquelle apparaissaient les images de synthèse schématiques des Na'vi animées en temps réel et les décors 3D de Pandora. Cet équipement lui permet de cadrer la scène pendant qu'elle était enregistrée en trois dimensions, à 360° sur le plateau, puis de la cadrer différemment, en faisant rejouer l'enregistrement des performances, ou en reprenant juste une partie de la séquence avec les acteurs.

L’anecdote : On ne peut pas l’imaginer en le voyant, mais AVATAR est à 70% un film d'animation 3D ! Il ne contient que 30% d'images réelles.

Avant : TERMINATOR 2 , LE JUGEMENT DERNIER (1991)

Vous n’avez pas pu oublier la séquence cauchemardesque où Sarah Connor assiste à l’explosion d’une bombe atomique qui pulvérise la ville de Los Angeles. Sur cette image, les techniciens sont occupés à mettre en place les véhicules sur l’énorme maquette d’autoroute qu’ils vont réduire en morceaux peu après, en se servant d’un canon à air, et en faisant tourner la caméra à 250 images par seconde pour ralentir les effets de destruction lors de la projection. Des décors miniatures très élaborés comme celui-ci ont servi à réaliser toutes les séquences de catastrophes du cinéma pendant plus d’un siècle.

Le film qui a tout changé : 2012 (2009)

La quantité et l'ampleur des scènes de destructions prévues dans le scénario du film-catastrophe 2012 est telle que le superviseur des effets visuels Volker Engel (INDEPENDENCE DAY) comprend d’emblée qu'il lui sera impossible de tout créer avec des maquettes. Il décide alors d’utiliser le logiciel "Volume Breaker" qui vient à peine d’être créé par un petit studio de développement allemand. Ce programme révolutionnaire permet d'attribuer à un objet modélisé en 3D - un immeuble, un pont, une automobile - toutes les caractéristiques physiques des éléments qui sont sensés le composer. Dans le cas d'un bâtiment moderne, cela veut dire que l'on va déterminer que les surfaces des fenêtres sont en verre, les encadrements en aluminium, les parois internes en plaques de plâtre, et la structure en poutres d'acier et en piliers de béton armé. Une fois "Volume Breaker" programmé avec toutes ces données, un animateur dessine des lignes de cassures sur le modèle, selon la manière dont il doit s'effondrer, puis il lance le programme avec une simulation de tremblement de terre ou d'incendie, ou les deux. Le logiciel prend le relais et simule parallèlement les destructions de toutes les parties du bâtiment : les vitres éclatent lors des premières secousses, les débris tombent et se fracassent en plus petits morceaux au sol, les premières grosses parties de la structure en acier cassent, et la structure interne s’effondre, entraînant la chute de l'immeuble entier. Et cela marche aussi bien sur ce plan où l’on voit un parking et un pont d’autoroute se disloquer que sur des grands panoramas, où des dizaines et des dizaines de bâtiments sont anéantis.

L’anecdote : L'application de Volume Breaker dans 2012 a eu un tel succès que plus aucune scène de catastrophe destinée à un blockbuster n'a été réalisée par la suite avec des miniatures, ce qui a provoqué la faillite de nombreux ateliers de maquettistes. Hélas beaucoup de producteurs actuels ne connaissent que la 3D, et ignorent que dans la plupart des cas, les effets de miniatures restent moins chers que des simulations 3D sophistiquées, et permettent d'obtenir des résultats aussi crédibles. Bookmark and Share


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