TOY STORY 4 : Des jouets toujours aussi magiques ! Entretien avec Jonas Rivera, producteur – 2ème partie
Article Animation du Samedi 13 Juillet 2019

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Les gens sont blasés et ont souvent des a priori négatifs quand on leur parle de la suite d’une saga. La fin émouvante de TOY STORY 3 donnait le sentiment que nous avions déjà dit au revoir à Buzz, Woody et tous leurs amis. Pourquoi l’équipe de Pixar a-t-elle pris le risque artistique de présenter une aventure de plus ?

Nous nous sommes longtemps dits que nous ne produirions pas de 4ème volet, sauf si nous trouvions une idée qui en valait véritablement la peine. Et c’est le cas. Vous savez, mon nom va figurer au générique de ce film, et j’adore ces personnages. Pour rien au monde je n’aurai voulu que nous nous présentions un épisode décevant au public, car j’ai moi-même l’impression de réagir plus comme un spectateur du film que comme son producteur, ce qui est étrange ! D’ailleurs, quand je travaillais avec Pete Docter sur LA-HAUT et sur VICE-VERSA, je lui disais tout le temps que j’avais la chance d’être le premier spectateur du film. Bien sûr, j’aide à fabriquer ces films, mais comme je ne participe pas au travail des auteurs, je peux découvrir leurs premiers pitchs en réagissant spontanément, en tant que membre du public qui va se demander s’il aura envie de venir voir cette idée au cinéma ou pas. Et souvent, trouver la bonne idée, l’approche qui va tout changer, prend énormément de temps.

Justement quel a été le moment clé où vous avez trouvé LA bonne idée pour TOY STORY 4 ?

Nous avions exploré plusieurs pistes mais nous hésitions encore à nous lancer parce que TOY STORY 3 concluait parfaitement l’histoire d’Andy et de ses jouets : il les donnait à la petite Bonnie, juste avant de partir pour l’université. Et puis un jour, Andrew Stanton nous a dit : ‘C’est la fin de l’histoire d’Andy, mais ce n’est pas la fin de l’histoire de Buzz, ni de celle de Woody et de tous les autres jouets’. Cela a été une révélation, et nous nous sommes sentis libérés d’un poids. Et paradoxalement, la fin de TOY STORY 3 qui nous bloquait auparavant nous a soudain aidés. Nous allions pouvoir raconter un nouveau chapitre, et montrer ce qui arrivait à Bonnie, Woody, Buzz et toute l’équipe, et imaginer aussi de nouveaux jouets. En revoyant les deux premiers volets, nous nous sommes rappelés qu’ils avaient eux aussi de belles fins. Rappelez-vous que pendant la conclusion du premier épisode, les jouets ont un choc en entendant que le nouveau cadeau d’Andy est un petit chien, qui risque d’accaparer toute son attention ! (rires)

Vous parliez tout à l’heure de « passage de relais » entre Joe Grant et Pete Docter, mais la torche de Pixar a également changé de main très récemment. Étant donné que l’histoire originale de TOY STORY 4 a été écrite par John Lasseter, Andrew Stanton, Pete Docter et Lee Unkrich, je me demandais si John Lasseter, qui est l’un des quatre créateurs originaux de ces personnages, avait suivi le développement du script de TOY STORY 4 jusqu’au moment où il a été entièrement achevé ? A-t-il continué à envoyer des commentaires et suggestions jusqu’au moment où il a quitté officiellement Pixar ?

Oui, John a continué à le faire jusqu’au moment où il est parti. Il a été impliqué dès le début du projet et devait d’ailleurs le mettre en scène lui-même. Puis il avait choisi Josh Cooley comme co-réalisateur, et finalement, il lui a confié entièrement la réalisation en se rendant compte qu’il était trop accaparé par ses autres fonctions. Et quand John est parti, Andrew, Pete et moi avons continué à superviser le projet. Andrew s’est essentiellement impliqué en tant que scénariste, et comme il est l’un des « parrains » de TOY STORY, nous avons eu beaucoup de chance qu’il rejoigne notre équipe. Je dois dire que même si Andrew et Pete sont deux des co-créateurs de ces personnages, ils nous ont laissé libres de les entraîner dans de nouvelles directions.

Puis-je vous demander comment les dirigeants et les nombreux employés de Pixar ont vécu la crise de l’année dernière puis le départ de Lasseter et comment ils sont parvenus à la surmonter pour avancer sur leurs projets respectifs ?

Je ne peux pas nier que tout cela a été une affaire très importante et un choc dont nous avons tous ressenti l’impact. Mais l’une des choses dont je suis le plus fier à propos du studio est sa capacité de résilience. Depuis que j’y travaille, il n’y a pas une saison qui se soit écoulée sans que des changements profonds aient lieu. Il y a eu la disparition de Steve Jobs, et avant cela, le moment où Pixar a été vendu à Disney. Je suis fan des films d’animation Disney, et je connais l’histoire du studio presque par cœur, mais nous aimions beaucoup être une entité totalement indépendante, avec ses particularités, ses habitudes excentriques qui ressemblaient un peu à celles des groupes de rock californiens…

…Oui, je me souviens de l’époque où les animateurs de Pixar avaient fabriqué des décors en volumes pour habiller les murs des couloirs de vos locaux flambant neufs, en les truffant de détails hilarants…

Exactement ! Quand Pixar a été vendu, nous nous sommes tous demandés si nous allions pouvoir continuer à créer avec ce grain de folie, et travailler de la même manière en devenant l’une des filiales du groupe Disney. Je me rappelle que pendant deux jours, tout le monde ne parlait que de cela, en imaginant toutes sortes de situations. Et puis le troisième jour, chacun s’est à nouveau concentré sur son travail. J’ai été très fier de cette capacité à surmonter une période de doutes. J’ai eu l’impression de revivre cela au moment du départ de John. C’est un homme très important dans l’histoire de Pixar, et un être complexe, mais après qu’il soit parti, nous nous sommes remis au travail, car nous avions tous un job à faire. Et comme nous aimons vraiment les projets sur lesquels nous travaillons, nous nous sentons responsables de leur bon aboutissement, quelles que soient les circonstances.

Y a-t-il un sentiment de soulagement général à présent ? Considérez-vous tous qu’une nouvelle page positive du studio est en train de s’écrire ?

Absolument. Il y a tant de personnes extrêmement talentueuses qui travaillent chez Pixar que c’en est presque embarrassant ! Nous pouvons donc leur confier des projets très ambitieux en sachant qu’ils relèveront tous les défis que cela représente, et qu’ils seront à la hauteur de la tâche.

En tant que spectateur des films Pixar, on est bluffé par la perfection de presque toutes vos histoires. Les enjeux sont intéressants, les rebondissements bien amenés, les gags originaux et les émotions sonnent si juste qu’il faut toujours se munir d’un paquet de mouchoirs en papier quand on découvre un nouveau film. Et TOY STORY 4 ne fera pas exception à la règle. Pendant combien de temps avez-vous développé ce scénario pour arriver jusqu’à la version définitive ?

Très longtemps ! (rires) Mais c’est une habitude chez nous : par exemple, il y a au moins 6 ou 7 storyboards filmés de VICE-VERSA que personne ne verra jamais, et dieu merci, parce qu’il s’agit de mauvaises versions de cette histoire. En ce qui concerne TOY STORY 4 , je crois que le développement du script s’est étalé sur 5 ans et demi. Pour LA-HAUT, c’était 5 ans.

Créer un film d’animation demande tant d’efforts que l’on est souvent abasourdi d’apprendre de manière informelle que la production de certains longs métrages animés est parfois lancée avant que les scripts ne soient totalement finalisés…

Oui. Je crois que l’une des choses que Pixar fait particulièrement bien est de se laisser le temps de construire une rampe de lancement narrative bien solide avant de valider un projet. On nous laisser le temps de faire des erreurs et de recommencer. Les storyboards filmés sont refaits autant de fois que c’est nécessaire, jusqu’au moment où l’histoire fonctionne vraiment bien. La scène que nous avons vue pendant laquelle les jouets sont cachés dans un placard et observent Bonnie alors qu’elle s’apprête à aller à l’école maternelle pour la première fois a été repensée entièrement à quinze reprises. On ne peut pas croire qu’une scène sera parfaitement écrite du premier coup. Il faut la remettre en cause.

Les nouveaux personnages que l’on découvre dans le film sont des références directes à de vrais jouets du passé : la poupée inquiétante du magasin d’antiquités, notamment, est inspirée de Chatty Cathy, la première poupée parlante, qui avait été créée par Mattel. Comme Mattel vient tout juste de créer une division de production de films, je me demandais si Pixar et Mattel Films avaient entamé des discussions pour collaborer dans le futur.

C’est intéressant… Je ne suis pas au courant de discussions qui auraient eu lieu. Mattel a été un partenaire formidable en nous laissant utiliser ses jouets dans la saga TOY STORY, et aussi un excellent allié commercial en fabriquant sous licence les jouets tirés de nos films.

Quel est l’un des meilleurs souvenirs que vous garderez de la création de TOY STORY 4 ?

Il y en a beaucoup…mais comme je n’avais jamais eu l’occasion de collaborer avec Tom Hanks auparavant, j’ai été ravi de le rencontrer. Il se trouve que nous venons du même coin de Californie, Castro Valley, que nous avons étudié dans le même lycée, et que nous aimons les mêmes équipes de sport. Ces points communs nous ont permis de faire connaissance en discutant agréablement. Et Tom est exactement comme on l’imagine : un gentleman, un homme absolument délicieux, et un acteur qui travaille dur, en se donnant à fond, et en étant totalement disponible. J’avais l’habitude de lire les dialogues du film, mais quand j’ai entendu Tom les jouer pour la première fois, j’ai eu une sorte de révélation. Il n’est pas étonnant que Woody soit tellement aimé du public : Tom lui apporte tant de choses grâce à sa voix et à son interprétation, qui inspire ensuite les animateurs ! J’ai eu le sentiment d’avoir découvert l’un des secrets de TOY STORY : cet ingrédient magique de la voix d’un immense acteur, qui s’ajoute au design du personnage et à la narration de l’histoire.

Tom Hanks vous a-t-il dit que l’un de ses jouets favoris quand il était enfant est le Major Matt Mason, l’astronaute fabriqué par Mattel ?

Oh oui ! Nous en avons beaucoup parlé ! (rires)

Je suis étonné qu’il n’ait pas fait du lobbying pour imposer que Matt Mason apparaisse dans l’un des volets de TOY STORY !

Ce serait une bonne idée ! Il n’a jamais oublié sa part d’enfance. Je me souviens qu’il m’a dit un jour : ‘A chaque fois que je viens chez Pixar, c’est un immense privilège. J’ai l’impression d’entrer dans l’atelier des jouets de PINOCCHIO.’

Cet article est paru initialement dans GEEK MAGAZINE, le trimestriel du meilleur de la Pop Culture ! Bookmark and Share


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