Dans les coulisses de JOKER, la réinvention des origines du méchant culte de DC – 1ère partie
Article Cinéma du Mardi 17 Septembre 2019

De la solitude à la folie

Constamment seul parmi la foule, Arthur Fleck voudrait aller vers les autres. Pourtant, tandis qu'il arpente les rues sales de Gotham City et emprunte les rames de métro couvertes de graffiti, dans une ville où monte une colère de plus en plus palpable, Arthur porte deux masques. C'est lui qui peint le premier pour son boulot de clown publicitaire. Mais il ne peut jamais ôter le second : c'est le visage qu'il présente aux autres dans sa tentative futile d'appartenir au monde qui l'entoure – loin de l'homme incompris systématiquement malmené. S'il n'a jamais connu son père, Arthur a une mère fragile, sans doute sa meilleure amie, qui l'a rebaptisé "Happy" – surnom qui explique ce sourire sur ses lèvres qui, chez lui, dissimule une souffrance morale. Mais quand il est brutalise? par des adolescents dans la rue, raillé par des types en costard-cravate dans le métro et moqué par ses collègues clowns au travail, ce paria social se retranche de plus en plus de son entourage ... JOKER de Todd Phillips s'attache au personnage maléfique légendaire et s'affirme comme un récit original et inde?pendant de toute saga, inédit au cinéma. Le réalisateur nous plonge dans l'univers d'Arthur Fleck, campe? de manière inoubliable par Joaquin Phoenix, qu'il aborde comme un homme tentant de trouver désespérément sa voie dans un Gotham déchiré. Clown publicitaire le jour, Arthur s'efforce d’être artiste de stand-up le soir... mais s’aperçoit qu'il est systématiquement la risée de tous. Passant de l'apathie à la cruauté, Arthur prend une mauvaise décision qui provoquera une se?rie d'événements dévastateurs, mais sans jamais se départir d’un sourire ancré en lui, car comme il l’explique : ‘Ma mère me répète sans cesse de sourire et d'afficher un visage heureux...’

Retour dans les Eighties

Au début des années 1980, Gotham City est en ébullition. Mais il n’y a pas de forces obscures criminelles à l’œuvre, ni de grand patron de la pègre qui met tout en jeu pour servir ses propres intérêts. C’est plutôt une inquiétude quasi palpable qui frappe les habitants d'une métropole divisée entre les possédants et les plus pauvres, ou? les écarts de richesse sont devenus extrêmes et les tensions exacerbe?es par une longue grève de ramassage des ordures. Gotham est au bord du gouffre, et comme toute ville en faillite, le manque de fonds conduit à la suppression des services publics et des aides aux plus demunis. Il ne s'agit ni du Gotham, ni du Joker qu’on a si souvent vus dans les bandes dessinées ou au cinéma depuis 80 ans. Au contraire, il s’agit la d’une histoire inédite sur l’origine de ce me?chant tristement célèbre – le récit d’une époque trouble engendrant un homme qui, comme la ville qui l’a vu naitre – ou sans doute à cause d’elle – se rapproche de plus en plus de l'abime : Arthur Fleck.

"J’adore la complexité du Joker et je pensais que ça valait la peine d’explorer ses origines", déclare le réalisateur Todd Phillips. "Personne ne l’avait fait auparavant et même dans la légende [de DC Comics, Ndlr.], il n’y a pas de naissance officielle du personnage. Scott Silver et moi avons donc écrit une version du personnage complexe, montrant comment il évolue et finit par dégénérer. C’est ça qui m’intéressait, pas de raconter une histoire du Joker, mais une histoire sur la naissance du Joker".

Le film comprend tout juste assez de monuments emblématiques de Gotham, habilement cachés dans son paysage urbain lugubre pour permettre au public de se repérer. Le décor laisse ainsi la place à l’interprétation hypnotique et sans concession de Joaquin Phoenix : grâce a la force émotionnelle de son jeu, on s'embarque dans le périple d’Arthur à travers la ville et ses facettes les plus sombres. "On tenait à aborder l’empathie et, plus encore, l'absence d’empathie omniprésente dans le monde d’Arthur", explique Phillips. "Par exemple, dans le film, on voit une différence dans le regard qu'enfants et adultes portent sur Arthur, parce que les enfants n’ont pas de filtres : ils ne font pas de distinction entre riches et pauvres, et contrairement aux adultes, ils n’ont pas la notion de marginalité. Ils considèrent simplement Arthur comme un homme qui essaie de les faire sourire. Ce n’est pas inné : on apprend à devenir intolérant et, malheureusement, c’est une disposition qu’on acquiert très vite", poursuit-il. "Il commence par vouloir faire rire les gens et essayer de leur rendre le sourire, et c’est pour cela qu'il est clown et qu’il rêve de devenir comique. Il veut seulement apporter de la joie dans ce monde. Mais l’environnement toxique de Gotham le brise peu à peu, avec son manque de compassion et d’empathie et la disparition de tout civisme. C’est cela qui façonne le Joker", déclare Silver.

L'Arthur créé par Phillips et Silver est plongé dans un cycle fatidique d’erreurs de jugement. Me?me le rire incontrôlé et déplacé d’Arthur, qui gagne en puissance quand il tente de le contenir, lui vaut l’hostilité de ceux qu’il croise au quotidien, ce qui l’expose encore plus aux moqueries et l'isole des habitants de Gotham. "De nos jours, son syndrome serait reconnu mais à l’époque à laquelle se déroule l’histoire, ce n’était pas vraiment diagnostiqué, même s’il s’agit bien d’une maladie réelle", constate le réalisateur. Phoenix reconnait que, même pendant le tournage, "il y a eu des moments ou? j’ai éprouve de la peine pour lui : j’ai d’ailleurs eu l’impression de comprendre ses motivations, et puis l’instant d’après, j’étais écœuré par ses décisions. Ce n’était pas un personnage facile à jouer et je savais qu’il allait mettre le public mal a l’aise et bousculer ses idées préconçues sur le Joker, car, dans son univers fictionnel comme dans notre monde réel, tout n’est pas noir ou blanc".

"On parle souvent du sommet de l’iceberg mais rarement de ce qui se cache en-dessous, de ce qui peut y conduire", ajoute Phillips. "Arthur est le genre de type sur lequel on ne se retourne pas, voire qui pourrait se faire marcher dessus. Avec ce film, on espère pousser les gens à aller au-delà des apparences". Ce sont ces sujets, ainsi que la passion du réalisateur pour le cinéma, qui ont contribue à faire de ce film une œuvre singulière. "Je me suis inspiré des drames psychologiques que je regardais quand j’étais jeune. L’esthétique, l’atmosphère, le ton de ces films prenaient tout leur sens pour ce projet", dit-il. Pour Phillips, il s'agissait de se replonger dans les années 1970 et 1980, à l’époque de grands classiques comme SERPICO, TAXI DRIVER ou NETWORK, MAIN BASSE SUR LA TELEVISION. "On a intègre quelques éléments propres a cette esthétique dans une ville de Gotham ravage?e, aux alentours de 1981, pour faire référence à cette époque tout en s’éloignant de l'univers des comics auquel on est tellement habitue? au cinéma de nos jours". Phillips a non seulement souhaité que ce soit Phoenix qui campe le role mais il l'a écrit avec l’acteur en tête. "Les personnages joue?s par Joaquin sont marquants mais, ce qui me plait chez lui, c’est son style et son coté imprévisible qui colle parfaitement au personnage", poursuit-il. " Quand d’autres ont besoin de tout calculer, Joaquin, lui, improvise et semble jouer du jazz. Il fait partie des plus grands, il n’a peur de rien, son travail illustre son courage et sa vulnérabilité, et je me suis dit que, s'il nous donnait son accord, on pourrait faire de ce film une œuvre à part".

L’acteur avait jusque-là refusé de participer à des films qui puissent être qualifiés de genre mais a été intrigué à la lecture du script. "Je me suis dit que c’était audacieux, complexe et radicalement différent de ce que j’avais pu lire jusqu’alors. Todd a une façon unique d’envisager les choses et c’est parfait pour un film comme celui-ci", détaille Phoenix. "Quand je travaille avec un metteur en scène, je tiens à ce qu’il ait une vision singulière du sujet et personne d’autre que Todd n’aurait pu faire ce film". La trajectoire d’Arthur est à la fois réaliste et fantasmatique. Phillips se souvient que Silver et lui l’ont écrite "sur une année, dans un petit bureau, à New York", en commençant tout d’abord par réfléchir à la manière dont un type des plus banals pouvait devenir aussi maléfique et malveillant. "Dans notre version, un type qui tombe dans un bain d’acide n’est pas crédible – même si je pense que c’est intéressant – et on a donc continué à tout envisager à travers le prisme de la réalité", dit-il. "Par souci de cohérence par rapport à notre récit, on s'est demandé pourquoi il porte ce maquillage quand il se transforme en Joker. Comment a-t-il eu l’idée de ce maquillage et comment se l'est-il procuré ?" "Puis, bien évidemment, on a dû se demander comment il a l’idée de travailler comme clown et on a décidé que c’était parce que sa mère lui répétait toujours qu’il devait procurer de la joie et du rire au monde entier. Tout est parti de là", poursuit-il.

La suite de notre dossier JOKER apparaîtra bientôt sur ESI, et ce n’est pas une plaisanterie. Bookmark and Share


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