STAR WARS : L’ASCENSION DE SKYWALKER - Entretien exclusif avec J.J. Abrams, réalisateur
Article Cinéma du Dimanche 22 Decembre 2019

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Vous avez consulté George Lucas avant que le scénario de ce dernier épisode de la saga des Skywalker ne soit écrit. Comment cela s’est-il passé ? Qu’avait-il en tête de son côté ?

Nous nous sommes effectivement rencontrés avant le début de la production de L’ASCENSION DE SKYWALKER, comme cela avait déjà été le cas avant LE REVEIL DE LA FORCE. George Lucas est venu dans les locaux de ma société de production Bad Robot, nous avons passé un peu de temps ensemble à bavarder de différentes choses, puis nous avons évoqué les thèmes de STAR WARS, leurs significations, tout ce que représente la Force, tout ce que l’on peut exprimer dans de tels récits, etc. En tant que fan, cela a été un moment très plaisant, et en tant que scénariste et réalisateur de ce film, cela m’a énormément aidé. La plupart des choses que George m’a dites sur tous ces sujets, et sur la saga des Skywalker en général, correspondait bien à ce que nous avions prévu. Et c’était une bonne chose, car dans le cas contraire, nous aurions été très ennuyés ! (rires) Heureusement, toutes les points vraiment importants à ses yeux qu’il a évoqués ce jour-là étaient déjà présents dans notre ébauche de récit.

Carrie Fisher a hélas disparu avant de pouvoir tourner dans L’ASCENSION DE SKYWALKER. Comment avez-vous réussi à l’intégrer dans le film, et à adapter ses dialogues à l’histoire que vous racontez ?

Concrètement, nous avons visionné tous les plans non utilisés dont nous disposions, en analysant l’éclairage de ces scènes, où la caméra était placée, quelles focales nous avions utilisées, ainsi que les mouvements de caméras effectués. Nous les avons classés et regroupés en plans intérieurs et plans extérieurs, puis nous nous sommes demandés si nous pourrions répliquer toutes les caractéristiques de ces prises de vues en plaçant la caméra sur un support motorisé et piloté par ordinateur. Et bien sûr, nous avons noté tout ce que Carrie disait, prise après prise, en nous demandant comment incorporer cela à notre nouveau récit. Dans certains cas, c’était incroyablement évident, tandis que dans d’autres, il a fallu y réfléchir davantage. Mais nous avons fini par découvrir des moyens d’y parvenir. A chaque fois que nous sentions que cela risquait de ne pas marcher à 100%, nous abandonnions cette piste. Je préférais que Carrie soit un peu moins présente, mais que chacune de ses apparitions soit bien meilleure. Nous avons écarté certaines séquences inédites car il nous a semblé qu’elles ne pourraient pas s’intégrer naturellement à ce récit, que ce serait un peu tiré par les cheveux. Nous ne voulions surtout pas prendre ce risque. Techniquement, nous avons filmé les gens qui sont sensés lui donner la réplique, et pour les contrechamps, nous avons détouré et intégré Carrie dans d’autres décors. Pour parvenir à ce résultat, nous avons bénéficié d’une méthode de tournage qui a été établie quand nous avons passé quelques semaines à filmer les scènes additionnelles du REVEIL DE LA FORCE : pour chaque plan, après que les acteurs aient dits leur texte, ils sortaient du plateau et nous tournions au moins une vue du décor vide. De cette manière, si jamais nous devions tourner de nouveaux moments de cette scène beaucoup plus tard, cela ne nous obligeait pas à reconstruire les décors, car nous pouvions simplement filmer les acteurs avec les mêmes costumes et selon les mêmes angles, devant un fond bleu, puis intégrer les décors déjà filmés derrière eux. Grâce à cela, nous disposions des fonds d’images de tous ces décors. Je dirais donc que ce que nous avons été contraints de faire techniquement avec Carrie en raison de sa disparition est un processus bien maîtrisé, identique à celui que nous employons avec d’autres acteurs pour les tournages additionnels de tous ces films, en les intégrant dans ces fonds d’images. Mais très souvent, les coïncidences entre ce que nous avions tourné il y a quatre ans et ce que nous avions prévu de faire dans ce dernier épisode ont été bizarres, vraiment troublantes.

Comme s’il y avait une sorte de « destinée cosmique » à l’œuvre ?

On pourrait le décrire comme vous le faites, mais je préfère dire que ces coïncidences ont souvent été étonnantes.

Nous avons demandé aux acteurs du film ce que STAR WARS leur avait apporté depuis leur apparition dans LE REVEIL DE LA FORCE. Bien évidemment, ils ont dit que cela leur avait permis de se faire connaître, d’acquérir plus d’expérience professionnelle, et de recevoir beaucoup plus de scripts et de propositions de films. Mais qu’en avez-vous retiré vous-même ?

Moi ? Oh, c’est difficile à dire…En toute sincérité, aujourd’hui encore, le simple fait d’être associé en quoi que ce soit à STAR WARS me paraît toujours très étrange.

Pourquoi ?

Parce que je me souviens comme si c’était hier de ce que je ressentais quand j’avais dix ans et que j’écoutais tout le temps le double album vinyl de la bande originale du film avec mon casque stéréo. La simple notion que je puisse être impliqué d’une quelconque manière dans le développement de cet univers m’aurait paru absolument impossible, inconçevable, à cette époque, et c’est encore ce que je ressens aujourd’hui. Je ne me rends pas compte de ce que ces films ont pu changer autour de moi, à titre professionnel ou pour mon image médiatique, parce qu’il s’agit du regard des autres. En revanche, à titre personnel, je peux vous dire que plus je travaille sur ces films, plus je me rends compte de l’ampleur et de la qualité stupéfiante du travail créatif accompli par George Lucas, et plus je l’apprécie. Curieusement, au début, je craignais que ce soit l’inverse qui se produise. J’avais peur de finir par être blasé en étant constamment immergé dans l’univers de STAR WARS, d’en arriver à ne plus l’aimer, et même d’éprouver un certain ressentiment à cause de cela, si j’avais abîmé ainsi mes souvenirs d’enfance, de jeune fan. Mais en réalité, fort heureusement, c’est tout le contraire qui s’est produit. Je ressens non seulement de la gratitude pour la chance qui m’a été donnée, mais en plus, j’éprouve une admiration sans borne pour la vision que George Lucas a eue, et pour le talent avec lequel il a mêlé différents thèmes, genres cinématographiques et idées. Il s’est inspiré des bandes dessinées et des sérials de FLASH GORDON, des films de Kurosawa, des idées philosophiques de différentes croyances, et du ‘Voyage initiatique du héros’ qu’a décrit Joseph Campbell dans ses ouvrages. Il a réussi à mélanger habilement tout cela et à inclure ses nouvelles idées pour créer un univers qui est totalement original, avec une vision unique. C’est un accomplissement remarquable. J’admire aussi sa capacité à improviser de nouvelles idées tout en avançant pendant son cheminement créatif, à changer des choses… Ce qu’il a fait est sensationnel. Je me souviens encore d’une de ses décisions caractéristiques qui m’avait frappé quand j’étais enfant : vous vous souvenez peut-être que l’épisode 6 de STAR WARS s’intitulait initialement LA VENGEANCE DU JEDI (REVENGE OF THE JEDI, ndlr.). Mais quand George Lucas s’est rendu compte qu’un Jedi ne pouvait pas être motivé par un esprit de vengeance, et en dépit du fait que les premières affiches avaient déjà été imprimées, il a décidé de changer le titre en RETOUR DU JEDI. De même, quand on compare la première version du scénario de L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE avec le film finalisé, qui est vraiment très différent, on ne peut qu’être épaté par tous les changements formidables qui ont été apportés. J’adore l’idée que l’on se lance dans la création d’un film en défendant ardemment tout ce que l’on y a mis, tout ce en quoi l’on croit sincèrement, puis qu’en avançant, on se rende compte qu’il y a des choses que l’on doit changer parce que l’on trouve de meilleures idées. C’est cela qui rend le film dynamique, vivant. Et George Lucas l’a fait avec un brio incroyable.

Allez-vous rejoindre les autres cinéastes impliqués dans des séries STAR WARS destinées à la chaîne à péage Disney + ?

Non, car ma société de production Bad Robot a signé un accord avec le groupe WarnerMedia pour développer des films avec la Warner, des séries avec HBO, et des jeux vidéo avec ses filiales interactives. Je vais quitter l’univers de STAR WARS en éprouvant beaucoup de gratitude, car je suis conscient de la chance que j’ai eu d’être choisi pour réaliser ces films.

De notre dossier STAR WARS la suite bientôt apparaîtra sur ESI. Bookmark and Share


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