MADELMAN, l’aventurier espagnol
Article Produits Dérivés du Mardi 31 Decembre 2019

Textes et photos : Pascal Pinteau

Fans de jouets vintage, voici un dossier consacré à une très belle gamme de figurines apparue à la fin des années 60, et qui contrairement à Action Joe et Big Jim, n’est pas née aux USA, mais en Europe ! Injustement méconnues hors des frontières de l’Espagne et du Mexique, les figurines MADELMAN comptent parmi les plus belles réussites de l’industrie du jouet. Remarquablement bien articulés en dépit de leur petite taille, ces personnages étaient proposés avec un vaste choix de panoplies, d’accessoires et de véhicules…

Les débuts du projet


A la fin des années 60, le marché de la figurine articulée pour garçons est un monopole exclusivement américain. Hasbro triomphe avec G.I. Joe depuis 1964, Louis Marx se réjouit de l’accueil du cowboy articulé Johnny West lancé en 1965, Ideal Toys explore l’univers des superhéros avec Captain Action en 1966 et Mattel connaît un joli succès avec son astronaute, le Major Matt Mason, qui colonise la lune à partir de 1967. Au même moment, en Espagne, près de Madrid, la petite société Manufacturas Delgado, connue sous le nom de Madel, connaît de graves difficultés financières. Elle fabrique différents objets en injectant du plastique dans des moules de métal. Les petits jouets bon marché et les accessoires ménagers qu’elle produit depuis les années 50 se vendent de moins en moins bien. Les caisses sont vides et le dépôt de bilan inévitable. Deux familles d’industriels, les Arnau et les Andrès, co-propriétaires de l’entreprise Exin, offrent alors de racheter la société et le nom de la marque. Les repreneurs assainissent les finances de Madel, relancent la production de ses petits soldats et jouets divers, et s’investissent dans un projet particulièrement ambitieux : la création d’une nouvelle figurine articulée pour garçons, une initiative unique en Europe.

La naissance de Madelman

A cette époque – fin 1967, début 68 - la référence absolue en matière de personnage articulé reste G.I. Joe. Les nouveaux dirigeants de Madel n’ont évidemment aucun intérêt à copier le format et l’apparence du personnage de Hasbro. Ils choisissent de produire une figurine de 17 cm, presque deux fois plus petite. A cette échelle du 1/11ème, il est encore possible de tailler et de coudre les manches des panoplies en tissu, mais on ne sait pas descendre en dessous de cette limite. Si G.I. Joe est articulé grâce à un système de rotules maintenues par des élastiques, le prototype qu’inventent les techniciens de Madel est très différent, mais tout aussi astucieux. Un Madelman est composé d’un assemblage de 23 pièces. Le corps du petit mannequin est conçu autour d’une double rotule placée au niveau du ventre. La première sphère vient s’encastrer dans le torse et la seconde dans le bassin. Grâce à cette double articulation, ces deux parties du corps bénéficient d’une capacité d’articulation accrue. La figurine se comporte comme si elle était dotée d’une colonne vertébrale souple : son dos peut se cambrer ou s’arrondir. C’est une des innovations principales du personnage. Il paraît de ce fait beaucoup moins raide qu’un G.I. Joe au dos droit, dont seul le bassin pivote. Les bras et les jambes sont conçues en deux moitiés et terminées comme des rotules creuses, dans lesquelles on a aménagé des fentes. Les membres sont moulés en polystyrène résistant aux chocs. Pour relier les différentes parties du corps, on pose deux croix en nylon aux extrémités terminées par des petites boules dans les membres ouverts (la première croix est destinée aux bras, la seconde aux jambes). Les membres sont ensuite refermés et collés, emprisonnant de ce fait les deux croix. Les deux modules « bras » et « jambes » sont alors insérés dans le torse, la double rotule centrale (également composée en deux moitiés) et le bassin. On referme alors les deux parties du torse et du bassin grâce à deux vis qui permettent aussi de contrôler le degré de pression que l’on exerce sur les rotules des bras et du haut des cuisses, ce qui est un moyen astucieux de régler la bonne résistance des articulations. Lorsque les articulations d’un personnage se relâchent, il suffit de donner un coup de tournevis pour régler le problème. C’est à Alfonso Diaz, un sculpteur de grand talent, auteur de plusieurs statues du Christ, que Madel confie la tâche de modeler le personnage. Il réalise un travail d’une grande finesse, notamment sur la sculpture des mains, dont on peut voir distinctement les os, les tendons, et chaque phalange des doigts. Si les poignets de Madelman sont fixes, un axe de rotation est prévu au milieu des avant-bras. C’est une bonne décision, car les mains et les poignets réalisés en une seule pièce dépassent des manches. L’absence d’articulation à cet endroit rend le personnage habillé plus réaliste. Le visage est composé de trois parties en plastique rigide : un bloc de couleur marron qui représente les cheveux, un bloc de couleur chair pour le visage, dont les paupières ouvertes sont vides, et une pièce de plastique transparent teinté et blanc pour figurer les yeux. Lorsque ces trois éléments sont encastrés, le personnage semble dotés d’yeux en verre bien plus réalistes que ceux des figurines américaines. Cette première version de la figurine sera d’ailleurs surnommée « Ojos de cristal » (yeux de cristal), à cause de ce regard si particulier, unique dans l’univers des figurines articulées. Une rotule prévue à la base du cou permet de faire pivoter la tête. Pour les pieds, les concepteurs de Madelman choisissent une option radicale : le personnage en sera dépourvu ! Ses jambes se terminent par deux extrémités arrondies qui viennent se fixer directement dans des bottes en plastique moulé. Il ne reste plus qu’à confectionner les panoplies du personnage. Elles sont dessinées dans les locaux d’Exin situés à Barcelone et fabriquées dans un atelier situé dans la commune de Villarejo de Salvanés, près de Madrid.

Un début triomphal

Tout comme G.I. Joe, les premiers Madelman commercialisés sont des soldats : un marin, un chasseur alpin et un fantassin en tenue de camouflage. Les personnages sont joliment présentés dans des petites boîtes de carton rouge conçues comme des vitrines. Sur la partie inférieure, on peut lire le slogan « La mas perfecta miniatura articulada del hombre » (La figurine humaine la plus parfaitement articulée). Ces trois premiers Madelman apparaissent dans les magasins espagnols pour les fêtes de Noël de 1968. Ils remportent un tel succès que Madel décide de concentrer tous ses efforts sur cette nouvelle gamme, qui devient aussitôt son produit phare. Trois autres personnages sont créés: le chasseur en tenue de safari, son porteur noir à la tête coiffée d’un fez rouge et un astronaute tiré d’un film de science-fiction américain qui vient de sortir dans les salles : 2001, L’ODYSSEE DE L’ESPACE, de Stanley Kubrick. En raison de l’ambition de son thème et de son traitement qui, à l’époque, déroute le public et une bonne partie de la critique, 2001 est un terrible échec commercial pour le Studio MGM. Madel peut donc acheter à un prix raisonnable la licence qui lui permet de produire l’unique figurine inspirée par ce chef d’œuvre. La combinaison des astronautes est fidèlement reproduite, et pour l’occasion, les mains du personnage sont moulées en plastique noir, comme si elles étaient gantées. L’astronaute de 2001 a le privilège d’être vendu dans une boîte bleue, décorée avec l’affiche du film, tandis que les autres modèles sont toujours présentés dans des boîtes rouges. Pendant un moment, Madel annonce la fabrication du « pod », ce véhicule rond et blanc muni de grandes pinces avec lequel un des deux astronautes tente de secourir son collègue, victime d’un accident à l’extérieur du vaisseau spatial principal. Mais ce projet reste au stade du prototype. Une voiture de course, prévue pour accompagner le personnage du pilote de compétition, est également rangée dans les tiroirs. Exin préfère limiter les investissements à risque sur ces accessoires, et miser davantage sur les circuits électriques de sa marque Scalextric, qui remportent un grand succès. Bizarrement, Madel ne créé pas d’autres visages que celui du porteur noir, contrairement à Hasbro, qui changeait les couleurs des cheveux de ses premiers G.I. Joe pour les différencier, et avait aussi conçu des soldats étrangers aux visages européens et asiatiques. Les concepteurs de la société espagnole semblent surtout préoccupés par le développement des panoplies et des véhicules, et à ce titre, ils accomplissent un travail tout à fait remarquable. Les tenues sont bien réalisées, et accompagnées de nombreux accessoires aux détails finement sculptés.

Première époque

Le succès du modèle de Madelman « aux yeux de cristal » se confirme en 1969. En l’espace de six ans, de 1970 à 1976, Madel réussit à commercialiser 26 personnages vendus en boîtes, 13 modèles de panoplies sur blister avec un personnage et ses accessoires, 5 coffrets de luxe avec deux personnages et de nombreux accessoires, et 7 véhicules variés ! C’est un véritable exploit pour une entreprise européenne. Si Madelman devient un jouet culte en Espagne et au Mexique, où il est fabriqué sur place par la filiale Exin-mex, il subit la concurrence des géants américains du jouet partout ailleurs. G.I. Joe s’est déjà solidement implanté dans la plupart des pays d’Europe, et le reste du marché est accaparé par Mattel (avec le Major Matt Mason, puis Big Jim). Pourtant, la richesse de la gamme Madelman est un bon argument commercial : le personnage dispose de tenues de plongeur, de scaphandrier, d’explorateur polaire, de spéléologue, de trappeur, de pirate, d’astronaute, et d’autant de véhicules que ses concurrents américains. On peut imaginer que la puissance financière de Hasbro et de Mattel, et les liens privilégiés que les deux entreprises ont tissé avec les principaux distributeurs de jouets européens ont permis de limiter la percée du personnage de Madel hors des frontières espagnoles. Madelman est cependant vendu en France, en Italie, en Allemagne et en Angleterre, mais de manière relativement confidentielle. Aux USA, le pauvre a bien de la peine à se faire connaître. Il est cependant présent dans les magasins de jouets FAO Schwartz, et apparaît aussi dans leur catalogue de vente par correspondance. Madel cherche le moyen d’améliorer cette situation et décide de modifier l’aspect de son personnage. S’il est doté des fameux « yeux de cristal », le Madelman original a un visage enfantin et naïf, comparé à ceux, nettement plus virils, de G.I. Joe et de Big Jim. Il est temps de lui donner l’allure d’un aventurier adulte, aux traits dynamiques.

Un nouvel aventurier

Le nouveau visage de Madelman est une réussite. Si les « yeux de cristal » sont hélas remplacés par des yeux peints à la main, les traits sont plus saillants, la mâchoire plus carrée, et les sourcils froncés expriment une détermination tranquille. La chevelure en plastique dur est remplacée par une pièce en PVC souple, qui supporte mieux les chocs. Des améliorations sont également apportées aux mains, moulées dans un polystyrène un peu plus résistant (les pouces très fins des premiers Madelman se cassaient facilement, comme on peut le constater aujourd’hui en examinant des personnages des années 68 à 76 vendus sur des sites d’enchères) et les jambes sont désormais prolongées par des pieds souples. En conséquence, toutes les panoplies sont modifiées pour être équipées de bottes creuses de différentes couleurs (ce sont d’ailleurs les accessoires qui manquent le plus souvent lorsque l’on recherche des personnages de seconde génération en tenues!). Au cours de sa « première époque », Madelman disposait déjà d’une belle gamme militaire, composée de plusieurs tenues de soldats, d’une jeep avec remorque, d’un canon que l’on peut disposer dans un décor d’abri fortifié, d’un bazooka et d’un mortier, ainsi que d’une tente et d’un hélicoptère. L’arrivée du nouveau Madelman est l’occasion de créer une série western particulièrement variée.

Cowboys et indiens

A partir de 1976, Madel utilise les « trucs » de ses concurrents (cf Mattel avec Big Jim), et se sert de peinture pour ajouter une fine moustache à son aventurier, transformé en sheriff, et vendu avec un râtelier de carabines, un sac postal, trois lingots d’or, une gourde d’eau, une paire de menottes et une affiche d’un bandit « recherché mort ou vif ». Les concepteurs de la gamme ont compris qu’il fallait proposer des héros différents aux jeunes fans de Madelman. Ils créent coup sur coup des soldats de la 7ème cavalerie, un chef, un guerrier et une princesse indienne, un chercheur d’or, deux cowboys et un couple de pionniers de l’Ouest. Ces nouveaux personnages sont accompagnés d’accessoires très bien conçus : un décor indien avec un tepee en feutrine, un totem et un feu de camp, un canoë pour le trappeur, une brouette, un tamis, un banjo et un tonneau de whisky - un accessoire qu’on ne trouverait jamais dans une panoplie américaine ! - pour le prospecteur, différents modèles de chevaux pour les indiens et les cowboys, un canon pour les soldats de la cavalerie et le véhicule le plus rare et le plus détaillé de toute la gamme Madelman : le chariot des pionniers. Tiré par deux chevaux, cette miniature bénéficie d’une finition exemplaire. Le plastique du chariot est coloré et traité dans la masse pour produire des striures et des reflets qui imitent de façon frappante une surface de bois. La bâche est réalisée en tissu, et différents accessoires (tonneaux, caisses, seau, accessoires de cuisine, etc.) permettent de mettre en scène de façon réaliste le couple de pionniers livré avec ce véhicule fabriqué en petite série, en raison de son prix élevé. Aujourd’hui, le fameux chariot est devenu le « saint graal » des collectionneurs de personnages Madelman, car il est extrêmement rare d’en retrouver un exemplaire complet, avec les chevaux, les accessoires et les personnages de pionniers en bon état.

Les pirates espagnols

La série des pirates est une autre belle réussite de Madel. L’équipage est composé d’un capitaine barbu portant un bandeau sur l’œil, d’un marin équipé d’un crochet, d’un pirate à la jambe de bois, d’un marin noir portant un anneau d’or dans le lobe de son oreille droite et d’une séduisante jeune femme, aussi bien armée que ses compagnons de pillage. En guise de navire, les pirates ne disposent que d’un radeau réalisé avec un assemblage de troncs d’arbres ! Construire un bateau complet à l’échelle des personnages aurait été impossible : il aurait dû mesurer au moins un mètre de long pour que ses proportions paraissent crédibles. Conscients de ce problème, les concepteurs de Madel ont l’excellente idée de représenter des pirates vaincus à l’issue d’une bataille, et certainement échoués depuis un bon moment sur une île des Caraïbes, où ils ont eu le temps de se fabriquer une embarcation de fortune. Le radeau de rondins est équipé de roulettes qui permettent de le faire glisser sur un sol plat, pour donner l’impression qu’il navigue. Un drapeau pirate en tissu est fixé au mat, ainsi qu’un petit perchoir sur lequel vient se placer un perroquet. Les accessoires vendus avec le radeau sont une rame, une gaffe, un seau, un tonneau de poudre, un tonnelet et une bouteille de rhum ( !), une lanterne, une chaîne et un boulet, un coffret au trésor rempli de pièces d’or, un carte indiquent l’endroit de sa cachette et…plusieurs rats ! Une petite touche d’humour typique des créations de Madel, dont les détails sont souvent pittoresques.

Exploration spatiale

En 1977, la tornade STAR WARS remet la science-fiction au goût du jour et tous les fabricants de jouets veulent profiter de cette aubaine. Comme les grandes marques américaines, Madel décide d’envoyer ses héros dans l’espace et développe une nouvelle gamme à cet effet. Elle est commercialisée en 1980. Quatre personnages appartenant à la même équipe d’astronautes du futur sont créés : deux hommes, une femme et un extraterrestre vert et chauve, dont les oreilles pointues rappellent celles du Mr Spock de la série STAR TREK. Un second extraterrestre à la peau bleue argentée est vendu avec une version « spatiale » du scooter réservé auparavant aux plongeurs. Les astronautes disposent d’un vaisseau spatial particulièrement bien conçu, appelé ASTRONAVE M7X. Une fois encore, les concepteurs de Madel se surpassent : le vaisseau est équipé d’une poignée qui permet à l’enfant de le tenir solidement tout en actionnant une gâchette. La gâchette fait tourner une petite dynamo, qui fournit de l’électricité à l’éclairage du vaisseau! La partie frontale du cockpit se soulève pour permettre d’installer les figurines sur les deux fauteuils du poste de commande. Une lentille de plastique, placée à l’avant du vaisseau, capte l’image du décor qui lui fait face, et la projette sur un écran dépoli intégré au tableau de bord. Quand l’enfant tient le vaisseau dont la partie arrière est largement ouverte, il peut voir le poste de pilotage, les deux personnages assis, et l’écran sur lequel s’affiche l’image miniaturisée du panorama. Il a ainsi l’impression de voler aux côtés de ses astronautes.

Fin de l’aventure

En dépit de la qualité de la gamme Madelman, développée à grands frais, Madel connaît des difficultés économiques au début des années 80. La marque espagnole à de la peine à rester compétitive face aux figurines de la concurrence américaine et à la version espagnole de G.I. Joe, baptisée Geyperman, qui devient de plus en plus populaire. En 1982, la coupe du monde de Football se déroule en Espagne. Madel saisit cette occasion et produit une série de sept personnages de footballeurs, portant les couleurs de l’Angleterre, de la France, de l’Allemagne, du Brésil, de l’Argentine, de l’Italie et de l’Espagne. Ils sont vendus dans des boîtes en carton fermées, réalisées avec un souci d’économie qui nuit à la vente du produit, car on ne peut pas voir les figurines. Apparaissent ensuite un « Archer rouge » qui évoque Robin des bois, un « Homme masqué » qui ressemble furieusement à Zorro sans en porter le copyright, et un chef indien baptisé « Black Moose » (élan noir). L’année suivante, la société Madel ferme définitivement ses portes. Ses stocks seront écoulés encore pendant de longues années par les magasins de jouets espagnols.

Suite et fin de ce dossier disponible très bientôt pour fêter dignement ce début d’année ! Bookmark and Share


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