STAR WARS : L’ASCENSION DE SKYWALKER : Entretien exclusif avec J.J. Abrams, réalisateur - 2ème Partie
Article Cinéma du Samedi 04 Janvier 2020

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

La conclusion de la trilogie de trilogies.

Satisfaire toutes les générations de spectateurs qui suivent Star Wars depuis 1977, achever la saga de la famille Skywalker et clore les histoires des nouveaux personnages, tels étaient les défis que J.J. Abrams et toutes ses équipes ont du relever pendant la création de ce 9ème épisode.

Est-il possible d’écrire le point final d’un récit entamé depuis 42 ans en réussissant à plaire à la majorité de ses fans, et sans irriter le créateur de cet univers, George Lucas ? Telle est la question qui a certainement hanté les esprits de tous les auteurs, acteurs, artistes et techniciens réunis autour de J.J. Abrams depuis qu’il a accepté de prendre la relève de Colin Trevorrow, initialement choisi pour réaliser ce dernier opus de la geste Skywalkerienne, mais parti à la suite de profondes divergences d’opinions avec Kathleen Kennedy, la présidente de Lucasfilm. On connaît l’habileté d’Abrams pour faire la synthèse de ce qui constitue la substantifique moelle d’une franchise : son arrivée à la tête de MISSION IMPOSSIBLE 3 a remis cette série sur le droit chemin, son reboot cinématographique de STAR TREK a été une réussite exemplaire, et même si son Réveil de la Force n’a pas fait l’unanimité parmi les afficionados de STAR WARS, nul ne pourra contester que visuellement, narrativement et commercialement, il est parvenu à relancer la franchise avec plus de succès que Lucas lui-même au moment de la sortie de ses préquelles. Après les surprises ménagées par Rian Johnson dans l’excellent LES DERNIERS JEDI (qui offusqua lui aussi certains fans, ne le jugeant pas conforme aux canons de la saga) Abrams a-t-il réussi à boucler la boucle de ces neuf films et signé une apothéose à la hauteur des espoirs suscités par L’ASCENSION DE SKYWALKER ? Les avis sont partagés à ce sujet depuis la sortie du film, mais pour mieux comprendre la démarche de J.J. Abrams, nous vous invitons à découvrir la suite de notre long entretien exclusif avec lui.



Vous êtes bien placé pour savoir qu’il est impossible de contenter tous les fans de STAR WARS quand on leur présente un film. Considérez-vous cependant que certaines des remarques qu’ils avaient faites au sujet du REVEIL DE LA FORCE et des DERNIERS JEDI étaient justifiées ? Et dans ce cas, vous ont-elles aidé à écrire et à réaliser L’ASCENSION DE SKYWALKER ?

L’opinion de chacun est importante et devrait être considérée. Y compris celle des scénaristes qui racontent ces histoires ! (rires) On doit traiter les critiques avec respect et parfois en tenir compte, mais le plus grand danger qui menace un auteur est de travailler en se disant ‘Oh voilà quelque chose qui plaira aux spectateurs. Ils seront ravis’ parce que si vous avancez ainsi, l’histoire perd forcément en sincérité. Vous ne tenez plus compte de ce en quoi vous croyez viscéralement et cela peut conduire le récit dans de mauvaises directions. Bien sûr que toutes les critiques faites au sujet de ces films sont justifiées, j’irais même jusqu’à dire que tous les films sont critiquables. D’ailleurs, j’ai tendance à apprécier davantage les critiques bien étayées que les compliments, car je cherche toujours à prendre conscience des choses que nous aurions pu mieux faire, afin d’en tenir compte dans le futur.

Pour quelles raisons avez-vous accepté de réaliser ce film ?

D’abord parce que cette proposition a été une surprise, et principalement parce que c’était l’occasion de raconter la fin de la saga des Skywalker, et de clore aussi les histoires de Rey, Finn, Poe Dameron et Kylo Ren. C’était une offre beaucoup trop alléchante pour que je puisse la refuser !

Est-ce que vos discussions passées avec Carrie Fisher ont contribué à vous donner envie de réaliser cet épisode final, pour lui rendre hommage ?

En fait, au tout début je n’ai pas pensé à cela. Sa présence dans le film tenait plus du défi à relever, car au moment où l’on m’a proposé de le mettre en scène, Carrie nous avait hélas déjà quittés. Je dois avouer que je ne savais pas exactement comment nous allions pouvoir nous débrouiller pour l’intégrer dans cette histoire, mais je me suis dit que nous finirions bien par trouver des solutions. Plus nous avons avancé sur les premières ébauches de l’histoire, plus il nous est apparu évident que nous ne pouvions absolument pas nous passer de Leia. Ce personnage est vraiment l’une des pièces les plus importantes du puzzle, et l’idée de conclure la saga des Skywalker sans elle était tout simplement inenvisageable. Certaines personnes ont suggéré que nous pourrions engager une autre actrice pour reprendre ce rôle, mais j’ai immédiatement dit que je ne le ferai jamais. D’autres ont soutenu que nous pourrions probablement utiliser des effets visuels pour la faire apparaître grâce à un clone 3D, mais je savais que cela ne marcherait pas. Après, nous avons fait l’inventaire de toutes les prises de vues avec Carrie que nous n’avions pas utilisées dans le montage du REVEIL DE LA FORCE, et nous nous sommes rendus compte qu’il y avait des scènes entières qui pouvaient devenir des opportunités très intéressantes. Pendant le processus de création d’un film, l’histoire évolue constamment, et cela nous force souvent à couper des séquences qui ont beaucoup de qualités intrinsèques, mais qui ne s’intègrent plus de manière harmonieuse au récit. Nous alors sommes contraints de retirer certains moments que nous aimons beaucoup, mais qui ne sont plus indispensables. Et je peux vous assurer qu’on le fait toujours à contre-cœur, parce que c’est le fruit de beaucoup de travail. Je ne compte plus le nombre de fois où je m’étais dit ‘C’est trop frustrant de couper cette scène, Carrie est vraiment super dedans.’ À l’époque nous n’avions bien sûr aucune idée de la tragédie qui allait se produire, mais étrangement, nous avons constaté que ce qui se passe dans ces scènes prend une toute autre signification aujourd’hui. Ce n’est pas comme si nous voulions insérer à tout prix des scènes inédites qui n’ont rien à voir avec le reste de l’histoire : ces séquences ont véritablement du sens. Presque comme si un dessein cosmique était à l’œuvre. Cela dépasse tout ce que nous aurions pu concevoir, tant ces moments semblent avoir été conçus dès l’origine pour apparaître dans cette conclusion de la saga !

Comment avez-vous intégré le contenu de ces scènes dans le script ?

Le script n’était pas encore écrit quand nous avons examiné attentivement toutes ces séquences coupées.

Vous avez donc construit le script autour d’elles, par la suite ?

Nous avons passé ces scènes en revue quand nous avons commencé à discuter de ce que l’histoire pourrait être, et cela m’a rappelé ce que nous faisions quand nous travaillions dans l’urgence absolue sur la création de la série LOST-LES DISPARUS. Nous ne disposions que de onze semaines pour concevoir la série, l’écrire, faire le casting, les repérages des décors extérieurs, lancer la production du pilote de deux heures, le tourner, le monter, et le remettre finalisé à la chaîne. Pris par le temps, nous l’écrivions pendant que nous faisions le casting, et cela nous a donné de nouvelles idées. Nous savions que nous voulions faire certaines choses, mais d’autres pistes ont surgi lorsque nous avons rencontré certains acteurs. Par exemple, quand nous avons auditionné un couple d’acteurs qui ne parlait pas bien anglais, nous nous sommes dits ‘Ce serait intéressant d’avoir un couple d’origine allemande parmi les passagers’. Ensuite, en rencontrant Yunjin Kim, nous avons ajouté un personnage d’origine coréenne. Donc comme pendant la création de LOST, nous avons écrit L’ASCENSION DE SKYWALKER en gardant l’esprit ouvert à de nouvelles possibilités, et dans ce cas précis, en regardant souvent les scènes avec Carrie dont nous disposions. C’était un peu comme un puzzle de Sudoku : il fallait trouver comment se servir de tel élément filmé et de telle réplique pour les lier à telle partie de l’histoire, et vice-versa. Bien sûr, il y avait aussi des limites à ce que nous pouvions envisager de faire. Et je crois que nous avons pris les décisions qui s’imposaient pour en tenir compte.

Dans les années 80, George Lucas a déclaré que le personnage de l’Empereur avait été inspiré par Richard Nixon. Considérez-vous qu’aujourd’hui, c’est un bon moment pour puiser des inspirations similaires ?

Je vous laisse le soin de tirer vos propres conclusions à ce sujet ! (rires) Mais je dirais que personne ne peut ignorer qu’il existe certaines similitudes entre le contexte de l’histoire et le moment où ce film va sortir en salles. Chacun pourra le considérer selon son propre point de vue. Nous n’avons pas cherché à glisser intentionnellement des messages, mais de manière générale, tous les conteurs cherchent à donner du sens à leurs histoires. Rien n’est plus déprimant qu’un récit qui n’a pas de signification plus profonde que les événements qu’il décrit directement. Tous les scénaristes arrivent avec leurs personnalités et leurs convictions. Il est donc normal qu’ils apportent leurs idées, leurs passions, leurs regards sur le monde, et les posent sur la table pendant nos sessions de travail. Mais au-delà de ces considérations personnelles, l’une des grandes qualités de STAR WARS est sa capacité à rallier et à unir les gens. Donc plutôt que de parler des choses qui divisent, des sujets de conflits, les métaphores de STAR WARS autour des notions du bien et du mal permettent de mettre en valeur le sentiment que nous sommes tous d’accord pour nous unir et pour lutter contre une certaine forme d’oppression. C’est un univers dans lequel on rencontre des personnages très différents de vous, mais qui deviennent des compagnons de route puis des amis. C’est l’une des choses que j’aimais beaucoup à propos de STAR WARS quand j’étais enfant, cette idée que l’on pouvait se retrouver seul, très loin, et rencontrer assez rapidement des personnes – ou des créatures – qui allaient vous faire rire, agir loyalement envers vous, et auxquelles vous alliez vous attacher énormément, jusqu’au point de former une sorte de nouvelle famille. C’était très important pour moi pendant mon enfance, très rassurant. Je dirais donc que parmi les points forts de STAR WARS, il y a cette capacité à donner le sentiment que tout est possible, et que l’on peut devenir ami avec des gens complètement différents de ce que vous êtes.

Vos enfants sont-ils des fans de STAR TREK ou de STAR WARS ?

Je dirais que la majorité d’entre eux s’intéresse plus à STAR WARS. Mais il faudrait le leur demander, car à chaque fois que je parle à leur place, je sais qu’au moins l’un d’en eux va lever les yeux au ciel, et dire ‘ça n’a rien à voir avec ce que je pense !’ (rires)

Vous pourrez lire bientôt la suite de notre conversation avec J.J. Abrams sur ESI. Bookmark and Share


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