STAR WARS : L’ASCENSION DE SKYWALKER : Entretien exclusif avec J.J. Abrams, réalisateur - 3ème Partie
Article Cinéma du Lundi 06 Janvier 2020

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Qu’avez-vous ressenti en vous retrouvant sur le plateau avec l’Empereur Palpatine ?

Vous voulez dire avec Ian McDiarmid ?

Je veux dire avec le personnage de l’Empereur présent devant vous, sur le plateau…

Mmm, j’ai l’impression que vous essayez de me pousser à révéler des choses ! (rires) Un reporter m’a demandé une fois ‘Que répondez-vous aux gens qui ont détesté LES DERNIERS JEDI parce qu’ils pensent qu’il diffuse un message féministe ?’ J’ai répondu ‘Si tel est le cas, je pense qu’ils doivent avoir de plus gros problèmes à gérer que STAR WARS, et qu’ils ont probablement peur des femmes.’ Et la une de ce magazine a été ‘J.J. Abrams déclare : Si vous avez détesté LES DERNIERS JEDI, vous avez peur des femmes !’ (rires) Donc je vais faire bien attention à ce que je dis car j’ai l’impression de me diriger tout droit vers un piège… Ce que je peux vous répondre, c’est que Ian est l’un des acteurs les plus agréables, les plus patients, et les plus en maîtrise de son art avec lesquels j’ai eu le plaisir de travailler. C’est un comédien extrêmement brillant. Il fait partie de ces acteurs qui possèdent la capacité de déclencher instantanément des réactions stupéfiantes en eux, et qui réussissent ainsi à jouer des moments complexes d’une scène. Personne n’a une voix comme la sienne. Diriger Ian a été un rêve.

Comment avez-vous tenu compte de ce qu’aiment les jeunes générations actuelles de spectateurs pendant que vous conceviez le film ?

Je comprends le sens de votre question et l’importance non négligeable que cela peut avoir, mais si je commence à raisonner de cette manière, je ne peux plus faire correctement mon travail de scénariste. C’est une approche qui donne beaucoup trop d’importance au regard extérieur porté sur la création d’un film, avant même qu’elle ait eu lieu. Il y a des gens autour de moi qui se soucient constamment de cela, qui se demandent ‘Comment pourrions-nous plaire aux jeunes spectateurs ? Faire en sorte qu’ils trouvent le film cool ?’. Cependant, si je me mets à penser ainsi, je sais que je ne pourrais plus me laisser guider par mon instinct et que cela nuira à la crédibilité de l’histoire, à sa propre vérité. A titre personnel, ce que je trouve formidable dans STAR WARS, ce sont ses possibilités narratives quasiment illimitées : il y a énormément d’endroits où l’on peut aller et autant de personnages à rencontrer. Et ce qui me plait tout particulièrement, c’est que toutes les histoires de cet univers ont du cœur et véhiculent des valeurs humanistes. Dans STAR WARS, on parle toujours de nouvelles alliances, d’aventures folles et parfois d’actions désespérées pour lutter contre des forces du mal capables d’actes horribles, insensés. On décrit de merveilleuses amitiés, des liens profonds et indéfectibles qui se tissent entre des gens très différents, des protagonistes qui découvrent leur véritable potentiel en décidant de se battre. Je considère que tout cela est très important, et certainement bien plus que les dernières tendances du moment. Il s’agit de thèmes éternels qui font partie des raisons pour lesquelles nous aimons que l’on nous raconte des histoires dans les livres, les séries et les films. Nous aimons les récits d’espoir, de situations terribles dans lesquelles on remet de l’ordre, d’actions qui donnent un sens à nos vies, de circonstances pendant lesquelles les méchants sont punis comme ils le méritent mais sans qu’ils puissent le voir venir, et où des gens apparemment aussi ordinaires que nous vont devenir d’incroyables héros. Voilà les fondations des bonnes histoires, et si cela n’est pas considéré comme étant « cool » aujourd’hui, eh bien je ne sais pas quoi faire de mieux ! (rires) Tenter de narrer ces récits de la meilleure manière possible est ce qui constitue la raison d’être de notre travail.

Vous sentez-vous honoré d’avoir écrit et mis en scène deux volets de cette trilogie ? Éprouvez-vous un sentiment d’accomplissement, d’épanouissement personnel ?

Je ne sais plus qui l’a dit le premier, mais bien souvent, quand on demande à un réalisateur quel est son film préféré, il répond ‘Celui sur lequel je travaille en ce moment’ parce qu’il est totalement focalisé sur cette création-là. A l’heure actuelle, il m’est encore impossible de parler de L’ASCENSION DE SKYWALKER au passé…Ce que je peux vous dire, malgré tout, c’est que je n’ai jamais eu à un tel point le sentiment d’avoir à relever autant de défis pendant la création et la réalisation d’un projet, quel qu’il soit. Ce film a été infiniment plus difficile à écrire et à réaliser que LE REVEIL DE LA FORCE, car les problèmes à résoudre se sont multipliés de façon exponentielle. Inversement, je ne me suis jamais senti aussi gratifié et satisfait du résultat auquel nous sommes parvenus. Je crois que le type de travail que les monteurs, les co-auteurs, les producteurs, toutes les équipes artistiques et techniques, les acteurs et moi avons investi dans ce film, démontre que nous avons tous donné le meilleur de ce que nous pouvions offrir. C’est bizarre à dire, mais quand tout le monde s’est retrouvé au début de la production du film, j’ai ressenti encore plus fortement qu’avant le tournage du REVEIL DE LA FORCE que chacun voulait que ce dernier épisode soit fait de la bonne manière, et que nous nous surpassions. Je ne veux pas dire que ce n’était pas déjà le cas pendant l’épisode 7, car les équipes et les comédiens ont accompli un travail extraordinaire, mais là, on les sentait encore plus « affamés », impatients et déterminés à créer ensemble le film qui satisferait les spectateurs et les rendrait heureux. J’éprouve beaucoup de gratitude envers tous ceux qui ont travaillé sur le film, et je me sens bien sûr très honoré d’avoir pu faire partie de tout cela.

Après avoir réalisé coup sur coup ces deux énormes blockbusters que sont les épisodes de STAR WARS, ressentez-vous à présent le besoin de « nettoyer votre palette artistique », pour ainsi dire, en mettant en scène un film indépendant à petit budget, sans avoir à porter la responsabilité d’une superproduction sur vos épaules ?

Oh oui, désespérément ! (rires) Je suis en train d’écrire une série, qui était d’ailleurs le projet dont je devais initialement m’occuper quand on m’a proposé de m’occuper de ce film. Et je suis également impliqué dans plusieurs autres projets sur lesquels j’ai hâte de travailler. Je dois dire que comme d’autres, je suis en partie coupable d’avoir initié et/ou perpétué cette tendance des reboots et des suites modernisées de grandes franchises hollywoodiennes, et que je souhaite contribuer aussi à la création d’idées nouvelles et originales. Je pense qu’il est important de conserver un bon équilibre entre les remakes de classiques et les concepts nouveaux, car on ne peut pas recycler perpétuellement les mêmes films. Pour revenir à STAR WARS, je pense aussi que la bonne harmonie se situe entre l’hommage et les idées totalement inédites. Nous avons tous vu des remakes qui nous permettaient de deviner pourquoi le studio avait voulu les produire, mais qui n’étaient pas forcément construits autour d’une histoire capable de faire avancer efficacement le récit. Dans ces cas-là, on a l’impression d’avoir vu le fruit d’une décision de comité administratif plutôt qu’une bonne idée créative qui justifiait l’existence de ce projet. Ce que je peux vous affirmer, c’est que chez Lucasfilm, les bonnes idées et les concepts artistiques audacieux ne manquent pas. Nous étions tous sincèrement très émus de pouvoir raconter cette histoire en particulier, tout en sachant aussi pour quelles raisons Disney produisait ce film. Quand je regarde les BATMAN de Christopher Nolan, je suis sûr et certain que la Warner s’est dit ‘nous savons comment nous allons assurer la promotion de ce film à l’international’, mais que le réalisateur a agi librement, et a pu s’exprimer comme il le voulait, sans avoir à remplir un mandat qui lui aurait été imposé par la direction du studio. En tant que spectateur, je sens cela, et je l’apprécie énormément. Et notre ambition a été de faire de même avec L’ASCENSION DE SKYWALKER, en complétant cette trilogie de trilogies.

Aviez-vous préécrit jusqu’à l’épisode 9 les grandes lignes de cette trilogie, en particulier en ce qui concerne les Skywalker ?

Oui, j’ai toujours eu en tête une grande ébauche générale, mais quand je travaillais sur l’épisode 7, j’étais totalement focalisé sur ce film-là, parce que c’était un énorme travail et que sa date de sortie était fixée avant même que le tournage ne débute. Je ne pouvais pas m’impliquer davantage sur le futur de la saga Skywalker à cette époque-là. Ensuite, Kathleen Kennedy est allée chercher Rian Johnson, qui est un cinéaste sensationnel, pour s’occuper de l’épisode 8. Rian a vu ce que nous étions en train de faire, nous nous sommes rencontrés plusieurs fois, puis il a travaillé de son côté. Et je crois que comme nous, il s’est rendu compte que l’on apprend à faire un STAR WARS en le faisant, avec beaucoup d’humilité. C’est à ce moment-là que l’on comprend le mieux les personnages, ce qu’ils ont envie de vous dire, et réciproquement, ce que vous voulez exprimer par leur intermédiaire. Et c’est ainsi que le film prend vie. Rian a puisé son inspiration dans ce qui l’intéressait le plus. Je me rappelle avoir été frappé par la lecture d’une interview de George Lucas, quand j’étais enfant, dans laquelle il disait ‘En tant que réalisateur, c’est en avançant que vous prenez les meilleures décisions’. Je me souviens avoir acheté le poster de LA VENGEANCE DU JEDI et de l’avoir épinglé sur l’un des murs de ma chambre quand le film s’appelait encore ainsi. Et puis George Lucas a changé ce titre parce qu’il s’était rendu compte qu’un Jedi ne pouvait pas être animé par le désir de revanche, et ce troisième volet de la trilogie originale est devenu LE RETOUR DU JEDI. Là encore, il nous a prouvé qu’il ne fallait pas fermer la porte à une idée supérieure à la précédente, ni se laisser enfermer dans des contraintes matérielles. C’est toujours en agissant ainsi que l’on obtient les meilleurs résultats. Nous avions donc établi un plan assez ouvert, et les directions qui ont été prises ensuite par Rian dans l’épisode 8 sont nées de sa propre inspiration. Mais il n’a rien défait ni détruit parmi les éléments du futur possible de la saga qui m’intéressaient au moment où je travaillais sur LE REVEIL DE LA FORCE. Donc pour répondre précisément, il y avait bien un traitement donnant les grandes directions à venir, mais pas des scripts complets pour les épisodes 8 et 9 quand nous tournions l’épisode 7. Il s’agissait surtout d’idées, d’inspirations et d’endroits dans lesquels nous avions envie de nous rendre.

Et donc rien de définitif non plus concernant la fin de la trilogie, dans cet épisode 9 ?

Il y avait juste une ébauche. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire en travaillant sur des séries télé ou des séries de films, concevoir un tel projet, c’est un peu comme conduire une voiture dans le brouillard : vous pouvez deviner à peu près dans quelle direction vous allez, mais ce n’est que quand vous vous rapprochez des choses qu’elles vous apparaissent clairement, et que les bonnes décisions s’imposent. C’est à ce moment-là que vous vous dites ‘En fin de compte, l’aboutissement de mon voyage se situe plus loin que je ne le croyais’ ou ‘ce que je croyais être une route fiable mène en réalité à une falaise’. (rires) Vous découvrez ce que vous devez faire en avançant, mais pour ne pas errer sans but, vous devez avoir choisi une destination pertinente. Je mentirais si j’affirmais que nous connaissions déjà toutes les péripéties de la saga et des destinées de chacun des personnages, mais je savais où nous allions, de bien des manières. Quand nous avons commencé à écrire l’épisode 9, nous avons tenu compte de tout cela et envisagé ce travail comme l’expérience interactive qu’elle devait être pour atteindre ses buts.

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