Par Pascal Pinteau.



Né en 1900 à Lougansk en Ukraine, le cinéaste Alexandre Ptouchko a d’abord été journaliste, décorateur de théâtre et acteur avant de concilier tous les aspects de sa créativité en créant des dessins animés et des films d’animation de marionnettes. À partir de 1927, il crée des poupées et des modèles articulés pour le cinéma et se lance dans la mise en scène. En 1928, il crée son personnage fétiche, Bratichkine, puis sort son premier dessin animé parlant en 1932 : VLASTELINE BYTA. Impressionné par le KING KONG de Schoedsack et Cooper, qu’il parvient à visionner en 1934 malgré l’embargo de l’union soviétique sur les films américains, il décide de mêler lui aussi marionnettes animées et acteurs dans le long métrage LE NOUVEAU GULLIVER (1935), qui remporte un vif succès. Pour adapter à sa manière le conte de Jonathan Swift, Ptouchko fait fabriquer plus de 1500 marionnettes et se lance dans de nouvelles méthodes de trucages. C’est à cette époque qu’il se voit confier la direction du département de l’animation des grands studios Mosfilm. Parallèlement, il continue à réaliser et en 1939, adapte un conte de Tolstoï directement inspiré du PINOCCHIO de Collodi, LA CLÉ D’OR. Il utilise alors toutes sortes de trucages pour animer les pantins : personnages mécaniques, figurants portant des têtes géantes et des costumes de poupées réduits dans l’image à côté des acteurs, animation image par image, etc. Pendant la 2ème guerre mondiale, les équipes et les dirigeants de Mosfilm sont évacués de Moscou à Alma-Ata, dans le Kazakhstan, et Ptouchko se consacre à la conception de trucages, mais ne réalise pas de film. Il revient à la mise en scène avec FLEUR DE PIERRE (1946) conte russe récompensé au festival de Cannes la même année, racontant l’histoire de Danilo, sculpteur émérite qui se retrouve prisonnier de la reine de la montagne de cuivre, qui est la seule à savoir où se trouve la légendaire fleur de pierre. C’est en adaptant les récits merveilleux et les légendes de la grande Russie, et en mêlant épopée, fresques historiques et féérie que Ptouchko signera ses chefs d’œuvre comme LE TOUR DU MONDE DE SADKO (1952), film d’aventure d’une beauté exceptionnelle, ILYA MOUROMETZ LE GEANT DES STEPPES (1956), grande fresque magique dont le morceau de bravoure final montre un dragon tricéphale attaquant une ville fortifiée, LE CONTE DU TSAR SALTAN (1963) et finalement ROUSLAN ET LUDMILA (1972), magnifique chant du cygne, jalonné de visions inoubliables. Ptouchko disparaît en 1973, mais ses films sont à jamais ancrés dans la culture populaire russe et continuent à être admirés par les nouvelles générations de spectateurs.

ARTUS FILMS nous permet aujourd’hui de voir LE CONTE DU TSAR SALTAN grâce à un superbe mediabook qui contient le DVD et le Blu Ray du film, ainsi qu’un passionnant livret de 96 pages rédigé par Nicolas Bonnal : Alexandre Ptouchko et le Tsar Saltan : la condition initiatique au cinéma. C’est l’occasion de découvrir ce conte narré en vers avec une qualité d’image enfin à la hauteur du magnifique travail esthétique de Ptouchko. Et c’est important, car par le passé, ce ne sont souvent que de vieilles copies fatiguées en basse définition ou pire, des versions tronquées aux USA de ses films dont on devait se contenter…Dans cette histoire, le tsar Saltan choisit son épouse parmi trois sœurs. Tandis que la cadette devient tsarine, les deux aînées, folles de rage et dévorées par la jalousie, décident de tout faire pour lui nuire. Alors que le tsar est parti guerroyer, la tsarine met au monde le prince Gvidon. Avec l’aide du perfide conseiller du tsar, les deux sœurs fomentent un horrible complot : elles se débarrassent en secret de la mère et du fils en les jetant à la mer dans un tonneau. Mais contre toute attente, le sort les épargne, et le petit prince grandit à une vitesse déconcertante. Lorsque le tonneau échoue sur l’île de Bouïane, il est devenu un jeune homme courageux qui va aider sa mère à ne pas perdre espoir. Un jour, le prince Gvidon sauve un magnifique cygne des griffes d’un aigle. Le cygne est en fait une belle princesse victime d’un sort, qui lui révèle sa véritable apparence. Pour le remercier de lui avoir sauvé la vie, elle va mettre ses pouvoirs magiques à la disposition de Gvidon et l’aider à rendre justice…

Pour adapter le conte de Pouchkine, Alexandre Ptouchko a déployé un talent artistique époustouflant et une inventivité technique sans cesse renouvelée. Le film avance au rythme lent d’un manuscrit dont on admirerait les magnifiques enluminures, page après page. Ne vous attendez donc surtout pas au tempo survolté d’une production d’aujourd’hui : LE CONTE DU TSAR SALTAN est un voyage dans une autre époque, celle où l’on faisait durer le plaisir de raconter une belle histoire pour mieux captiver son auditoire. Le spectateur contemplatif qui se laisse porter par cette narration est maintes fois récompensé par des images d’une beauté époustouflante, véritablement magiques, et par des trouvailles poétiques admirables.

ESI vous incite à découvrir l’univers de cet immense artiste russe à l’occasion de cette belle sortie vidéo. Les prouesses réalisées par Alexandre Ptouchko un demi-siècle avant l’avènement de la 3D sont là pour nous rappeler qu’au cinéma, c’est le talent artistique qui importe avant tout et non pas la sophistication des techniques employées. Ptouchko est parvenu à créer des visions enchanteresses en ayant recours à des méthodes artisanales souvent simples, mais parfaitement maîtrisées. Le simple fait qu’elles réussissent à nous surprendre et à nous ravir aujourd’hui est la preuve de son génie.

LE CONTE DU TSAR SALTAN MEDIABOOK DVD/BluRay/Livret ARTUS FILMS
Contenus :
Master 2K restauré
Version intégrale non censurée
Version française d'origine
Livret 96 pages rédigé par Nicolas Bonnal : Alexandre Ptouchko et le Tsar Saltan : la condition initiatique au cinéma
Traduction du conte original de Pouchkine par Tatyana Popova-Bonnal
Diaporama d’affiches et de photos
Film-annonce original