Saint Maud : Entretien avec la réalisatrice Rose Glass – 2ème partie
Article Cinéma du Mercredi 02 Decembre 2020

Saint Maud sortira en salle le 30 décembre !

QUELLES SONT LES PRINCIPALES INFLUENCES DE SAINT MAUD ?

C’est un mélange d’images aléatoires de films, de peintures, de photographies… J’ai demandé à Paulina Rzeszowska, ma décoratrice, et Ben Fordesman, mon directeur photo, de visionner Répulsion et Rosemary’s Baby, et aussi, même si cela peut sembler prétentieux, Persona d’Ingmar Bergman, ainsi que Les Diables de Ken Russell. J’ai également demandé à mes deux actrices de regarder ces œuvres, car le ton général de Saint Maud est à la fois théâtral et ironique, mêlé d’une certaine d’allégresse. Il vaut mieux échouer en étant audacieux que de ne pas être assez audacieux, selon moi.

QUELLE RELATION ENTRETENEZ-VOUS PERSONNELLEMENT AVEC LA RELIGION ?

Je ne suis pas croyante moi-même, mais je suis baptisée, j’allais de temps à autre à l’église avec ma famille, et j’ai fréquenté une école catholique où la plupart de mes professeurs étaient des nonnes. Je me suis cependant désintéressée de la religion étant adolescente, il a fallu attendre que je mûrisse, que je devienne plus indépendante, et que je prenne un peu de recul pour que je commence à me pencher sur le sujet, plus d’un point de vue psychologique. Pour moi, Saint Maud ne parle pas vraiment des religions organisées, mais du côté extrême de la foi en général - ce qui pourrait s’appliquer à beaucoup d’autres domaines – et aussi du danger lié à l’instinct universel de se soumettre à un pouvoir supérieur. La vie est chaotique, désordonnée et déroutante, je pense qu’il est donc normal de rechercher des moyens de donner un sens au monde et de se sentir connecté à quelque chose de plus grand ou de plus sécurisant.

VOS ACTRICES, MORFYDD CLARK ET JENNIFER EHLE, SONT EN TOTALE ALCHIMIE. QU’EST-CE QUI A DÉTERMINÉ LEUR CHOIX ?

Nous avons commencé les auditions très rapidement, alors que j’écrivais encore le script. Le personnage de Maud figure dans quasiment tous les plans, la réussite du film dépendait donc du choix de la bonne personne. Morfydd est l’une des dernières candidates que nous avons vues, et ce fut elle, instantanément. Bien qu’elle soit une grande actrice, quelques-uns de nos financeurs ont eu besoin de persuasion, ils étaient soucieux de son air trop doux et voulaient s’assurer qu’elle pourrait aller vers toutes les extrémités torturées nécessitées par le scénario. Je lui ai donc demandé de revenir pour filmer la séquence où Maud vomit, convulse et entre en lévitation, performance difficile à réaliser sans effets spéciaux. Ils ont été conquis. C’est une comédienne phénoménale, et pas seulement dans le registre dramatique, elle a également un excellent timing comique, et c’était très important pour moi de faire ressortir son humour décalé. Concernant le personnage d’Amanda, il était écrit pour une anglaise plus âgée, mais rapidement j’ai eu peur qu’elle devienne trop théâtrale. Notre directeur de casting a suggéré Jennifer, et dès que j’ai imaginé Amanda plus jeune et américaine, le personnage est devenu décontracté, se positionnant plus à part, comme Maud, de la communauté de cette petite ville anglaise. La situation est également devenue plus tragique, voyant la carrière de danseuse à succès d’Amanda brutalement interrompue par la maladie.

LA MUSIQUE AMÈNE UNE ATMOSPHÈRE TRÈS PARTICULIÈRE…

C’est le tout premier film du compositeur, Adam Janota Bzowski. Je voulais que la musique et le sound design soient à la fois audacieux et chargés en vibrations morbides. Ma plus grande peur était que le film soit perçu comme se prenant trop au sérieux, et cette crainte a inspiré beaucoup de choix musicaux énergiques, comme ce morceau de Jesus Lizard que vous pouvez entendre dans la séquence du pub. Je voulais que les sons et le visuel soient très immersifs.

EN TANT QUE FEMME RÉALISATRICE ET SCÉNARISTE, VOUS SENTEZ-VOUS DES AFFINITÉS AVEC D’AUTRES FIGURES ÉMERGENTES DU CINÉMA ?

A mes yeux, Grave de Julia Ducournau est un des meilleurs premiers films depuis des années, et j’adore son sens de l’humour. Il y a d’autres réalisatrices féminines qui montent en Angleterre, deux amies à moi sont notamment en pleine post-production de leurs films. Je suis douloureusement consciente que mon timing est assez bon, le fait d’être une jeune cinéaste désirant faire ce genre de films arrive à un moment où les gens ont soudainement envie d’en regarder. Mais en même temps c’est très important que tous ces changements surviennent, cette diversité entre scénaristes et réalisateurs : le film en tant que média va bénéficier de cette plus grande variété, les gens qui ont des expériences de vie différentes vont raconter différents types d’histoires, ce qui sera d’autant plus intéressant pour le public. J’attends ardemment néanmoins le jour où le fait qu’il existe des femmes cinéastes ne surprendra plus personne.

BIEN QUE SAINT MAUD SOIT TRÈS SOMBRE, LES SPECTATEURS QUI L’ONT VU SONT TOUS TRÈS ENTHOUSIASTES, ET VOUS AVEZ DÉJÀ RÉCOLTÉ DE NOMBREUSES RÉCOMPENSES PRESTIGIEUSES DANS DES FESTIVALS. COMMENT ACCUEILLEZ-VOUS UNE TELLE RÉCEPTION ?

L’année dernière a été tellement étrange pour moi ! Tout ce que je désirais depuis très jeune était de mettre des films en scène, et il est à chaque fois impossible jusqu’au dernier moment de pouvoir affirmer que l’on va parvenir à en réaliser un… Cette épreuve est à la fois agréable et stressante. Par conséquent il est incroyablement gratifiant de sentir que quelque chose que vous avez créé installe une connexion avec les gens, particulièrement quand tout le film traite d’une personne qui lutte pour se connecter avec les autres. J’ai l’impression de vivre une expérience opposée à celle de Maud, en fait… Bookmark and Share


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