Avant-première PETIT VAMPIRE : Entretien avec Joann Sfar, co-scénariste et réalisateur – 3ème partie
Article Animation du Dimanche 11 Octobre 2020

Propos recueillis par Pascal Pinteau

La préparation et la fabrication du film : le travail en coulisses

Petit Vampire est votre deuxième film d’animation après LE CHAT DU RABBIN, et vous avez réalisé aussi deux longs métrages en prises de vues réelles, GAINSBOURG (VIE HEROÏQUE) et LA DAME DANS L’AUTO AVEC DES LUNETTES ET UN FUSIL. Comment décririez-vous ce que ces expériences en live action et en animation vous ont permis d’apprendre, et comment cela vous a-t-il aidé à aborder la préparation et la mise en scène de PETIT VAMPIRE ?


Je suis dessinateur de bandes dessinées, mais le passage à la réalisation du film sur Gainsbourg a été très facile même s’il s’agissait d’un nouveau métier à apprendre, parce que tous les techniciens adoraient que je dessine pour communiquer avec eux : c’était une excellente manière de se faire comprendre. Quand je suis passé à l’animation avec la série PETIT VAMPIRE il y a une quinzaine d’années, puis avec le long métrage LE CHAT DU RABBIN en 2011, c’était bien plus difficile parce que le dessin d’animation a très peu de choses en commun avec le dessin de BD : il est tout entier inscrit dans le mouvement, alors que le dessin fixe de BD a besoin d’être construit case par case et posé avec des os, des muscles, et n’en fait pas le même usage. Cet apprentissage très compliqué a duré pendant les 5 ou 6 ans de la production du CHAT DU RABBIN. Il m’a permis de me préparer pour éviter de faire les mêmes erreurs sur PETIT VAMPIRE. J’ai eu la chance de pouvoir m’entourer d’une partie des transfuges de l’équipe du CHAT DU RABBIN, et d’une jeune génération d’animateurs rencontrés à l’école des Gobelins, où j’interviens assez souvent. Nous avons d’excellents animateurs en France, qui sont pratiquement tous cooptés par les studios américains à la fin de leurs études. Moi, je leur ai proposé de créer de l’animation 2D, ce qui n’est pas si fréquent en ce moment, et de le faire avec une exigence amoureuse, en s’inspirant de Miyazaki ou des vieux Disney. Nous ne lâchons pas un plan tant qu’il ne nous plaît pas complètement.

Comment travaillez-vous avec votre équipe d’animateurs ?

Je commence par leur raconter toute l’histoire, micro en main. Et il se trouve que le timing de ma narration orale correspond exactement à celui du film achevé 5 ou 6 ans plus tard. J’ai pu le vérifier à deux occasions, avec LE CHAT DU RABBIN et avec PETIT VAMPIRE. Ensuite, j’essaie de créer le plus possible de sources de références : je fais appel à des comédiens, à des cascadeurs, des modèles. Je les habille, je les maquille, on les filme pendant une semaine, et cela constitue une base pour le travail de mes animateurs. En réalité, il y a le travail de jeune acteur qu’amènent chacun de ces dessinateurs, mais il s’appuie aussi sur les performances des comédiens, qui interviennent des années auparavant. Chez moi, il y a toujours l’obsession du dessin d’après nature. Puisque nous devions représenter le Cap d’Antibes, nous nous y sommes rendus pour prendre des milliers et des milliers de photos et de vidéos des ambiances de lumière, des mouvements des vagues, des ondulations des branches traversées par le vent… Je crois que c’est une partie du secret des Miyazaki et des meilleurs Disney : avant de dessiner, d’animer, il faut d’abord observer très attentivement la réalité. Chez moi, plus l’univers est fantastique, plus on s’appuie sur le vrai monde. Ça, c’est l’aspect agréable d’un film d’animation. Ensuite le côté désagréable c’est qu’il n’y a rien de plus long que la fabrication d’un dessin animé ! Pour PETIT VAMPIRE, cela représente six ans de travail et de péripéties, avec des difficultés au milieu, des départs de gens de l’équipe, des commanditaires qui ne sont plus forcément en place au moment où le film va sortir… Mais nous y sommes arrivés ! Ce sont des leçons de vie, de patience, parfois compliquées pour un garçon comme moi qui est très pressé de nature. Et je suis très heureux que StudioCanal ait décidé d’organiser la sortie du film en tant que dessin animé destiné au grand public, car ce n’est pas du tout un projet élitiste : j’ai envie d’amuser tous les gamins, et leurs parents aussi ! Le jour où l’on m’a annoncé que PETIT VAMPIRE était entré dans certains manuels scolaires, j’ai été un peu inquiet, car je me suis demandé si cela ne signifiait pas qu’il allait quitter la cour de récréation ! Et moi, je veux rester dans la cour de récréation. Je ne dis pas cela par démagogie, mais parce que je souhaite vraiment m’adresser à tous.

Dans un premier temps, le film avait été annoncé comme un projet qui serait réalisé en 3D, alors qu’il a abouti en animation dessinée « à la main ». Qu’est-ce qui vous a poussé à changer de cap ?

Oui, cela tient au fait que dans un premier temps, nous étions associés à un ami américain, hélas disparu, qui nous avait ouvert les portes des USA. Il était alors question de faire ce film en 3D, dans les standards de Pixar ou des autres studios nord-américains, puisque tout le principe de PETIT VAMPIRE consiste à parler de sujets essentiels et de choses graves, mais avec un dynamisme qui fait que tous les gamins vont y trouver leur compte. Très vite, nous nous sommes aperçus que ce niveau de budget ne serait pas possible pour un film européen. Il n’y a rien de pire que d’essayer de faire un film « à la Pixar » en ne disposant que du dixième du budget d’un Pixar, car au final, on voit forcément que ce n’est pas aussi bien. Nous étions allés assez loin, beaucoup d’américains nous suivaient, mais le budget n’était décidément pas adapté à de la 3D ambitieuse. Nous avons alors décidé de changer d’approche et de repartir sur de l’animation 2D haut de gamme comme celle que nous avions utilisée sur LE CHAT DU RABBIN. Mais au lieu de nous adresser aux adultes, cette fois-ci nous allions faire la part belle à l’enfance. Même si PETIT VAMPIRE allait être réalisé en dessin animé, je l’ai écrit avec Sandrina Jardel comme si c’était un film en prises de vues réelles à la GOONIES, avec des gamins qui vivent une aventure, des bateaux pirates, des bagarres…Ils vont se dire des choses intimes, mais entretemps, il y aura des coups de sabre !

Pourriez-vous nous parler du studio Magical Society ?

C’est une initiative très ambitieuse et très chouette. Je connaissais le producteur Aton Soumache parce que nous nous sommes souvent croisés dans ce métier. Un jour Aton est venu me voir en me disant que c’était dommage que je ne travaille que sur un projet à la fois, alors que je suis perçu comme un créateur de « multivers ». ‘On ne se rend pas compte de tout ce que tu as à raconter’ a-t-il ajouté. Et c’est ainsi que nous avons créé ensemble un studio dans lequel nous sommes en train de développer une dizaine de projets à la fois. Certains en dessin animé, certains en prises de vues réelles, et tous à peu près situés dans le surnaturel. Nous allons essayer de faire en France ce que peuvent faire un Tim Burton ou un Guillermo Del Toro dans d’autres territoires. Et ne plus écouter les voix qui disent que les français n’ont pas la capacité à traiter le fantastique ni d’exporter ce genre de choses… Nous avons les mains sur le guidon depuis plus d’un an, avec des collaborateurs époustouflants, qui viennent des USA, d’Angleterre, de France, des équipes internationales. Aton nous a non seulement aidés à terminer PETIT VAMPIRE, parce que tout seuls nous n’y serions pas arrivés, mais en plus, il a m’a ouvert cette porte du studio qui va me permettre de faire dans l’audiovisuel ce que je fais dans mes bouquins. Créer toutes sortes d’univers qui se répondent, qui se rencontrent, avec des personnages qui passent d’un film à l’autre, d’un dessin animé à une production avec des acteurs de chair et d’os, etc. C’est très ambitieux, très enthousiasmant à faire, et nous nous amusons beaucoup.

La suite de notre dossier PETIT VAMPIRE apparaîtra bientôt sur ESI. Ça tombe bien, non ? Bookmark and Share


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