Avant-première PETIT VAMPIRE : Entretien avec Joann Sfar, co-scénariste et réalisateur – 4ème partie
Article Animation du Vendredi 16 Octobre 2020

Propos recueillis par Pascal Pinteau

Des cases de BD au grand écran : l’animation des albums

Le scénario du film est la transposition fidèle des trois albums de PETIT VAMPIRE qui racontent ses origines, dont on retrouve quasiment toutes les péripéties et les dialogues…


PETIT VAMPIRE est né il y a une trentaine d’années chez Delcourt, et ces premiers albums sont très différents. Il y a quelques années, le personnage est passé chez Rue de Sèvres, un éditeur qui s’adresse spécifiquement à la jeunesse, et je leur ai écrit ces trois nouveaux albums qui forment une longue histoire, et qui constituent la base du film. Ces albums n’ont pas été adaptés : ils ont été écrits d’emblée pour le projet du film. Vous savez, à chaque fois que je fais un truc en BD, et que l’on me dit ‘Attention, cette chose-là ne passera pas au cinéma’, je suis certain que la personne se trompe. Je me souviens d’une interview formidable de Scorcese pendant laquelle on lui demande comment on doit procéder pour adapter un roman. Il répond que tous les gens qui pensent qu’il est question de scénario, de structure ou de dynamique du récit se trompent, et que ce qui compte vraiment, c’est de retrouver la voix du romancier. Moi, ce qui m’intéresse, c’est de faire passer ma voix d’un médium à l’autre sans que le lecteur devenu spectateur ne s’en rende compte. Et qu’il réagisse en se disant ‘Ah oui, c’est exactement comme dans l’album.’

Pourquoi n’aviez-vous jamais parlé des origines de Petit Vampire avant, dans vos premiers albums ?

Pour une raison toute simple : c’étaient des contes pour enfants, et le sujet c’était la rencontre entre Petit Vampire et Michel. Mais dès que l’on passe à un projet de cinéma, on a envie de dramatiser et de raconter ce qui constitue chaque personnage, ce qui le motive. Il fallait comprendre d’où vient Petit Vampire, quels sont ses drames, même si lui n’en a pas vraiment conscience, bref il fallait mieux connaître tous les protagonistes de l’histoire. Cela m’a d’ailleurs permis de répondre à des questions que je ne m’étais jamais posées auparavant.

Pourquoi avez-vous eu envie de coller autant à ces trois albums initiaux, sans couper de scènes ni en ajouter qui soient totalement inédites dans le film ?

Parce que j’ai eu envie de me consacrer totalement à la mise en scène de l’histoire qui existait déjà. De gagner mes galons de réalisateur. Mon objectif, c’était de réussir à retrouver en animation les mêmes impressions, les mêmes émotions que celles des albums de bandes dessinées. Et aussi de trouver des choses qui m’amusent comme le fait que le bouledogue rouge Fantomate a un accent niçois, car ça, bien sûr, ça ne pouvait pas exister dans la BD !

Le travail avec les acteurs, des références vidéo aux voix des personnages.

Pouvez-vous nous parler de votre travail avec les acteurs sur les scènes de références filmée en vidéo ?


C’est le cœur du projet. Il y avait les comédiens, mais aussi les cascadeurs, avec toute l’équipe de Dominique Fouassier, grand cascadeur dont le fils Sébastien débarquait du tournage de ROGUE ONE. Sébastien Fouassier est donc passé d’un STAR WARS aux combats à l’épée de PETIT VAMPIRE, en m’offrant trois jours de sa vie ! En dirigeant ces acteurs et ces cascadeurs, j’avais non seulement besoin de leurs performances, de leurs actions, mais je voulais aussi leur emprunter des choses de leurs morphologies, de leurs façons d’être ou de se battre. Et je voulais échapper à tout prix aux mimiques et au jeu ultra stéréotypé des films d’animation américains. Ces expressions standardisées, typiquement américaines, peuvent amener des personnages féminins à grimacer, avec des conséquences dramatiques. Cela me rappelle ce que j’avais vécu pendant la production du CHAT DU RABBIN : quand j’avais demandé aux animateurs de faire bouger de manière respectueuse Zlabya, la fille du Rabbin - parce que c’est quand même ma grand-mère ! – tout le monde me dessinait la nana de Roger Rabbit qui roule des fesses dès qu’elle fait trois pas ! Nous nous en sommes sortis quand j’ai demandé à la comédienne Hafsia Herzi de jouer le personnage. Nous l’avons filmée et photographiée pendant trois jours, et Zlabya a été animée d’après sa gestuelle. Le danger, quand on demande à un animateur formé à l’animation internationale de faire quelque chose, c’est d’obtenir quelque chose de probablement formidable pour une narration anglo-saxonne très formatée, mais qui ne pourra pas plaire à un cinéphile. On ne peut pas aimer Truffaut et ce jeu hyper caricatural en même temps, ça ne me paraît pas possible. Dans un registre assez proche, je ne modifie jamais les voix des comédiens en les trafiquant avec un vocoder, en les rendant plus graves ou plus aigües. Quand vous entendez une voix bizarre dans le film, c’est l’acteur qui l’a jouée comme ça. Et rien d’autre !

Vous avez fait appel au maquilleur Olivier Alfonso afin de réaliser des prothèses pour les comédiens…Est-il intervenu sur le Capitaine des morts ?

Oui, il a dessiné le crâne de mort sur le visage de Quentin Faure qui prêtait son corps au Capitaine pirate, et surtout, il nous a fabriqué une tête de Gibbous, et grâce à cela, le comédien qui jouait la gestuelle du personnage a pu faire ses cascades en portant une grande tête en latex. Cela nous a beaucoup aidé à comprendre et surtout à voir comment on pouvait bouger quand on a une énorme tête de lune.

Comment avez-vous choisi les acteurs qui prêtent leurs voix aux personnages ?

Là aussi, l’idée était de faire cohabiter des acteurs venus d’horizons très différents. Il y a Louise Lacoste qui est Petit Vampire, Claire de la Rüe du Can, de la comédie Française, qui joue Michel, Camille Cottin qui incarne Pandora avec sa douceur et son autorité, tout en restant proche du monde réel, Jean-Paul Rouve qui joue le Capitaine des Morts en allant vers une poésie à la Jean Rochefort, Alex Lutz qui est le Gibbous, et il faut que tout cela marche. La difficulté supplémentaire qu’ils ont tous eu à surmonter, c’était de s’adapter au tempo de l’animation réalisée à partir des voix provisoires, enregistrées cinq ans plus tôt avec l’aide des acteurs qui avaient joué les scènes de référence filmées en vidéo. Je ne voulais pas de vrais enfants pour les voix de Petit Vampire et Michel, et Louise et Claire ont réussi à inventer quelque chose de très beau, de très naturel, alors que c’était extrêmement difficile à faire. Quentin Faure m’a sauvé quand il a fallu trouver la voix de Fantomate le bouledogue. Je pensais que c’était moi qui allait l’interpréter, mais ce que Quentin avait enregistré il y a six ans pour les voix témoins était si drôle que je n’ai jamais réussi à faire mieux. Il s’était d’ailleurs documenté à propos de l’accent niçois pour bien le restituer, sans le faire ressembler à un des autres accents du Sud-Ouest. Je tenais à ce que tous les accents du film soient justes. Par exemple, quand Ophtalmo, le monstre avec trois énormes yeux, qui a sans doute été un savant fou irradié, explique qu’il est « un pur produit du nucléaire français dans le Pacifique », je ne voulais pas qu’il ait un vague accent créole. J’ai donc fait venir un comédien qui a connu des personnes âgées des Caraïbes, et qui sait imiter leur accent.

Quelles surprises avez-vous eues pendant ces sessions d’enregistrements des voix ?

Quand Alex Lutz est arrivé, il a quasiment réinventé le personnage du méchant, le Gibbous, tout en respectant le rythme de l’animation. Il m’a époustouflé ! C’était un exercice extrêmement difficile, pour des raisons de tempo, d’intelligibilité à conserver malgré le débit très rapide des dialogues, d’intentions à faire passer… Alex est vraiment un grand comédien.

Et vous jouez Margueritte, qui pleure parce que les monstres perdent toujours au cinéma…

Oui, et quand j’ai enregistré les dialogues de ce monstre de 200 kilos, qui a des problèmes de propreté et une petite voix aigüe, ma compagne est arrivée dans le studio, ce qui n’était pas prévu. Hurler comme un monstre qui adore le caca devant votre femme, c’est un vrai crash test pour la vie conjugale ! (rires) D’autant qu’il fallait que je fasse tous les gestes qui correspondaient à ce que Margueritte faisait pour bien jouer les scènes : gigoter, se goinfrer de vers, rouler par terre en sanglotant... Mais à la fin, elle m’a dit ‘C’était bien, chéri !’ (rires)

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