LE PETIT VAMPIRE : Entretien avec Joann Sfar, co-scénariste et réalisateur – 5ème partie
Article Animation du Dimanche 25 Octobre 2020

Propos recueillis par Pascal Pinteau

La transposition du style graphique et de la mise en image des albums

Comment avez-vous travaillé avec Adrien Gromelle sur l’adaptation du graphisme de vos personnages de BD pour l’animation ?


Sur LE CHAT DU RABBIN, l’objectif avait été de reproduire mes dessins quasiment à l’identique, avec leurs petits traits, leurs détails. Sur PETIT VAMPIRE, j’avais envie d’une autre approche, dans l’esprit du travail que j’adore dans les vieux Disney en 2D comme LES 101 DALMATIENS, avec des décors peints, des personnages dont on voit le tracé des dessins d’animation faits au crayon. J’ai rencontré Adrien quand il passait son diplôme d’animation aux Gobelins. En plus d’être un génie du dessin, il est aussi un pro des arts martiaux, très fort en Capoeira. Le sujet d’animation qu’il avait choisi pour passer son diplôme, c’était de s’emparer de personnages Disney, et de leur faire faire des mouvements de Capoeira ! (rires) Vous imaginez ça ? Peter Pan, la Petite Sirène, et quelques autres qui donnaient des coups de pieds, des coups de poings, faisaient des sauts périlleux, et tout ça en animation pure, dessinée au crayon ! C’était tellement formidable que je lui ai dit ‘Houlà, toi, viens par ici ! Si tu n’as rien de prévu dans les années qui viennent, on va travailler ensemble !’ (rires) Adrien est aussi quelqu’un qui sait me dire non, et ça a une grande valeur. Nous avons parfois des discussions animées – sans jeu de mots – mais toujours constructives. Pour PETIT VAMPIRE, j’étais tout à fait prêt que l’on modifie mon dessin pour l’adapter à une animation vivante, très dynamique. Et l’avantage d’avoir l’auteur sous la main, c’est qu’on peut le trahir beaucoup plus facilement !

Pouvez-vous nous parler du travail technique et artistique qui a été fait pour transposer les décors des albums sur le grand écran ? Avez-vous mélangé la 2D et la 3D pour les « mouvements de caméra » ?

Tout part des références du monde réel, comme je vous le disais. Bertrand Piocelle, notre décorateur, est un génie fou, qui veut disposer d’absolument toutes les informations sur le moindre élément d’un décor. Je ne parle pas seulement d’un panorama, d’une rue ou d’un immeuble, mais quand on doit représenter une tronçonneuse, il veut savoir s’il s’agit d’une Husqvarna de 1981 ou d’un autre modèle précis. Si l’action se déroule dans une classe de CM2, il demande l’époque exacte pour pouvoir retrouver le look des pupitres, des chaises et des pots de colle de ces années-là. Et évidemment, quand on met en scène un bateau pirate, on le construit, ce qui signifie que l’on dessine de vrais plans de toute la structure, des mâts, du pont, etc. Ensuite, pour répondre à votre deuxième question, on le modélise en 3D pour pouvoir le faire bouger plus facilement dans l’espace, mais le rendu sera quand même en 2D à la fin dans le film. Et quand tout est fait, parce qu’il adore ça, Bertrand cache des petites blagues partout dans les décors, comme les noms sur les pierres tombales et les unes des journaux.

En tant que réalisateur, quelles opportunités de mise en scène le film vous a-t-il données par rapport à votre mise en image initiale dans les albums ? Est-ce qu’en revisitant certaines scènes de vos BDs, vous avez découvert d’autres idées pour les amplifier, ou leur donner une ambiance légèrement différente ?

C’est difficile à dire, car le processus a été long, et nous sommes passés par plusieurs phases de storyboard… J’ai d’abord tout storyboardé moi-même, puis il y a eu un second storyboard fait par Adrien et l’équipe d’animateurs. Et l’idée, c’était que l’on puisse toujours se projeter plan par plan ce qui avait été prévu depuis le storyboard initial jusqu’au plan animé presque fini, pour vérifier si on n’avait rien perdu en chemin dans la narration de la scène, et si au contraire on avait bien réussi à gagner des choses. Parmi les rajouts qui me viennent à l’esprit, il y a le générique, qui a été très amusant à imaginer.

Il y avait d’ailleurs déjà une version de ce générique dans le premier des trois albums…

Oui. Mais pour celui du film, nous nous sommes fait plaisir en allant chercher nos copains du studio La Cachette, qui vient de réaliser la série PRIMAL pour Genndy Tartakovsky. Ils sont fantastiques. Je leur ai demandé de s’emparer de mes personnages, de changer leur style graphique pour le transformer en celui utilisé par les frères Fleischer pendant les années 30 pour les cartoons de Betty Boop, puis de les montrer en train de voyager tout autour du monde. Je leur ai dessiné des petits storyboards, nous nous sommes documentés, et ils ont fait cela magnifiquement.

Quelles ont été les difficultés artistiques qu’il vous a fallu résoudre en chemin ?

Réussir à faire cohabiter visuellement des personnages qui ont des styles graphiques assez différents, ce qui se pratique surtout au Japon mais rarement en Europe. Le Capitaine des Morts et Pandora sont assez réalistes, Petit Vampire et Michel sont mignons comme des personnages des PEANUTS, et les créatures ont l’air de sortir d’une série déjantée du studio américain Klasky Csupo comme LES RAZMOKETS ou DROLES DE MONSTRES. L’objectif était d’arriver à harmoniser tout cela. Bookmark and Share


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