MINUIT DANS L’UNIVERS sur Netflix : Double compte à rebours pour la survie de l’humanité – 3ème partie
Article Cinéma du Vendredi 26 Fevrier 2021

Par Pascal Pinteau

A bord du vaisseau

Après le froid glacial du tournage en Islande, la production s’est installée dans des conditions infiniment plus confortables dans les célèbres Studios Shepperton de Londres. De nombreux classiques de la science-fiction y ont vu le jour, comme ORANGE MECANIQUE, ALIEN ou plus récemment MOON et GRAVITY. C’est là que les décors intérieurs du vaisseau Aether ont été construits, pour filmer le deuxième volet de l’histoire. David Oyelowo, qui incarne Adewole, le commandant de la mission, a particulièrement apprécié ces environnements concrets, dont le réalisme l’a énormément aidé dans sa performance. « Il est très rare que nous ayons à jouer avec des éléments créés de toutes pièces tels que ceux-ci » explique-t-il. « C’est la première fois que je vois un film se tourner avec un décor de station spatiale réparti sur trois étages, construits les uns au-dessus des autres. Cela crée un espace très interactif : vous pouvez vous promener réellement sur le plateau, toucher et sentir tout ce avec quoi vous interagissez. » Oyelowo attribue ce choix bénéfique au fait que George Clooney a joué dans des films tels que GRAVITY et SOLARIS, et connaît donc aussi bien les méthodes de tournage dictées par les environnements virtuels que celles utilisées dans de vrais décors. « Nous avions envie que tout soit le plus réel possible », ajoute Oyelowo. « Parce que plus ça semble réel, plus le public le ressent. » Le directeur de la photographie Martin Ruhe est du même avis : « C’est très important pour George de pouvoir communiquer constamment avec les acteurs sans être contraint par l’aspect technique. Il veut que tout reste fluide et naturel. » Ruhe a trouvé que la transition entre l’immensité de l’Islande et les plateaux de Shepperton était passionnante : « On filme de manière très différente. Les zones du poste de pilotage et des nacelles ont dicté une nouvelle approche, car nous souhaitions faire ressentir les limites de cet espace pendant les déplacements de la caméra. Nous avons évité que les murs soient clairs afin de souligner cette impression de claustrophobie. » Pour l’aider à concrétiser des décors de station spatiale crédibles, George Clooney a pu compter sur le fameux chef décorateur Jim Bissell , qui l’accompagne depuis ses débuts dans la réalisation en 2002, avec CONFESSIONS D’UN HOMME DANGEREUX. Dans le domaine de la science-fiction, Jim Bissell a notamment conçu les décors de E.T., L’EXTRATERRESTRE, et de STARFIGHTER, mais sa filmographie s’étend à tous les registres. « Le point le plus intéressant pour moi, c’est la science, car elle permet aux astronautes de ne pas perdre la raison dans ces circonstances » explique Bissell. « Les vaisseaux spatiaux qui emmèneront des gens sur les lunes de Jupiter et au-delà n’auront pas besoin d’une surveillance constante. Après tout, de nombreuses sondes spatiales sans équipage ont déjà effectué de tels voyages. Les astronautes s’occuperont en travaillant sur leurs recherches scientifiques ou en observant leur environnement. » Le chef décorateur a donc extrapolé ses designs de décors à partir de conceptions actuelles de la NASA. C’est ainsi qu’il a créé la structure élancée et toujours en mouvement de l’Aether, avec un intérieur élégant destiné à créer une ambiance calme et sereine, permettant à un équipage d’y vivre pendant des missions de plusieurs années. « Jim a eu des idées merveilleuses sur la nature du vaisseau et sur la façon dont il est construit », ajoute Clooney. « Il l’a imaginé avec une structure en Kevlar à l’extérieur et un endosquelette solide, ce qui ressemble beaucoup aux projets actuels de la NASA. » Pour Bissel, cette approche est aussi une métaphore : « En fin de compte, le vaisseau, au même titre que la Terre, est un petit sac gonflé d’air qui flotte dans un environnement cosmique hostile. Soit on en prend soin, soit on meurt. » Les combinaisons spatiales conçues par la chef costumière Jenny Eagan, sont elles aussi inspirées de véritables modèles scientifiques : «Grâce au développement rapide de nouvelles techniques d’impression 3D, on peut imaginer que les combinaisons spatiales du futur seront plus légères et beaucoup moins imposantes. Après avoir étudié celles qui existent déjà, pour comprendre leur fonctionnalité globale, je me suis mise à étudier les dernières avancées technologiques. Pour ce projet particulier, il était intéressant de dépasser la réalité au profit de l’esthétique et d’ajouter ainsi une touche de créativité tout en restant fonctionnel. » Ces designs répondaient au désir du réalisateur d’orienter l’histoire vers le terrain plus sombre de la psychologie de personnages confrontés à l’apocalypse. « Je voulais que ce film ressemble à CAPRICORN ONE », déclare Clooney, en évoquant le film de 1977 réalisé par Peter Hyams décrivant une conspiration autour d’un faux débarquement sur Mars, simulé en studio. « Je voulais qu’il y ait de la matière, de la profondeur et un travail sur les ombres qui donne à MINUIT DANS L’UNIVERS l’aspect d’un film noir. »

Effets spatiaux

Les productions cinématographiques les plus mieux préparées ne sont jamais à l’abri de l’inattendu. MINUIT DANS L’UNIVERS n’a pas fait exception à la règle, comme s’en souvient George Clooney : « Alors que nous tournions en Islande, Felicity Jones m’a appelé et m’a annoncé : « J’ai une petite surprise pour toi ». Elle était enceinte de trois mois. Il n’y avait rien à dire à part que c’était une excellente nouvelle, et que nous étions ravis pour elle. Cependant, cela représentait un nouveau défi pour nous. » L’équipe avait déjà bien avancé dans la réalisation des séquences en Islande, et a pu ainsi commencer à réfléchir aux changements que cela allait apporter pendant le tournage des scènes dans les décors du vaisseau Aether. Parallèlement, l’actrice a porté un autre regard sur le rôle qu’elle allait tenir : « Quand j’ai découvert que j’étais enceinte, mon lien avec le personnage de Sully a été renforcé. Le fait de porter la vie a donné une sorte d’urgence à ce rôle. Faire partie d’une histoire consacrée à la fin du monde a soudainement pris tout son sens. Après avoir appris la nouvelle, George était ouvert à l’idée de faire des ajustements. Il tenait à ce que je conserve le rôle et était persuadé qu’il pourrait trouver des moyens d’adapter les tâches physiques à mon état, tout en assurant ma sécurité et celle du bébé. » Après avoir envisagé de faire appel à une doublure et de remplacer numériquement son visage par celui de Felicity Jones, d’utiliser plutôt des cadrages du haut de son corps, et des costumes plus amples pour camoufler le ventre de l’actrice, tout a été repensé différemment. « J’ai frappé à la porte de Grant », explique Clooney, « Je me suis assis et lui ai expliqué qu’après y avoir bien réfléchi, je pensais que Sully pourrait tout à fait être enceinte. De nombreuses choses peuvent se passer au cours d’un voyage de deux ans dans l’espace. C’est déjà arrivé. En acceptant d’emblée cette réalité nous pouvions l’intégrer à notre histoire, et même la rendre plus poignante, à bien des égards. » Grant Heslov a été immédiatement convaincu qu’il s’agissait d’une excellente idée : «Tout le monde a poussé un soupir de soulagement. Cette décision a eu toutes sortes de conséquences positives imprévues qui ont donné à l’histoire un sens plus profond. Elle a ajouté une dimension qui n’était pas là à l’origine. Le destin a joué en notre faveur. » La grossesse de Felicity Jones a également contraint George Clooney à modifier son approche de la mise en scène : « J’ai dû faire mes débuts dans le monde de l’improvisation », explique-t-il. « Et l’une de ses règles, c’est de ne jamais dire “non” au cours d’une scène. On ne refuse jamais la situation, sinon ça bloque le processus. Le secret était donc de dire : “OK, si elle est enceinte, comment allons-nous intégrer cet élément dans l’histoire de manière efficace ?” Nous avons fourni un énorme travail, et je pense qu’il a porté ses fruits. » Le scénariste Mark L. Smith a également accueilli cette nouvelle comme une belle opportunité : « Des portes que nous n’avions pas envisagées se sont ouvertes, notamment en termes de relations. Dans le roman, Sully était plus solitaire, un peu plus froide. La grossesse de Felicity nous a donné l’occasion d’instaurer une dynamique différente, que les acteurs sont parvenus à exprimer, et qui s’est avéré être un plus. » La grossesse de Sully amplifie les enjeux et améliore le concept original du roman. Elle apporte un supplément d’espoir et de poésie au cœur du récit forcément sombre d’une planète mourante. Il faut donner sa chance à un avenir qui est déjà en train de se développer. « Au-delà de la situation à laquelle ils sont confrontés, les personnages ont à présent une autre raison de se battre : il faut préserver cette nouvelle vie. Je n’ai pas eu l’impression de changer radicalement ma façon de jouer Sully, mais sa grossesse a rendu ses actions plus touchantes et, d’une certaine manière, plus intentionnelles. Cela a également renforcé le lien entre Sully et Adewole. Leurs scènes communes figurent parmi mes préférées. » Il restait cependant à adapter le tournage des séquences d’apesanteur à la condition physique de la comédienne. Le coordinateur des cascades Paul Herbert devait trouver une solution donnant la priorité au confort et à la sécurité de Felicity Jones, car en plus des nombreux moments d’apesanteur à l’intérieur de l’Aether, Sully participe aussi à une sortie dans l’espace pendant l’une des scènes les plus spectaculaires du film. « Quand nous avons appris que Felicity allait jouer le plus possible elle-même la scène dans l’espace, la première chose qui nous est venue à l’esprit a été que nous n’étions pas autorisés à la soulever avec des câbles », se souvient Herbert. « Nous avons donc mis au point un bras avec un siège qui la soutiendrait tout en la maintenant solidement attachée, et nous permettrait de la soulever et de la faire flotter au-dessus du plateau. » Ce système a prouvé son efficacité dès les premières prises de vues. « Il a d’abord fallu nous familiariser avec les combinaisons spatiales et la gestuelle à utiliser pour faire semblant d’être en apesanteur », explique Felicity Jones. « Dès le début du tournage, il y a eu une scène où je grimpe sur une échelle vers l’un des niveaux supérieurs du vaisseau spatial, et nous l’avons soigneusement planifiée avec l’équipe de cascadeurs. C’était très amusant à faire. »

La musique des sphères

« La musique est un personnage à part entière parce qu’une bonne partie de MINUIT DANS L’UNIVERS est silencieuse », déclare Clooney. « La moitié du film se déroule sans dialogue. La musique se substitue donc aux paroles et aide les spectateurs à comprendre les pensées des personnages. » Le compositeur français Alexandre Desplat, deux fois lauréat aux Oscars, a ajouté sa sensibilité au paysage sonore du film et signe une partition remarquable non seulement par sa richesse, mais aussi par sa longueur. «Quand j’ai parlé de cela avec Alexandre, il m’a dit : "Oh, tu veux que j’écrive un concert" » se souvient le réalisateur en riant. « Et il l’a fait. Alexandre comprend remarquablement bien les émotions. C’est un bon ami, et aussi mon compositeur préféré. Il est très français : il lui faut un verre de vin, un peu de thé... mais je fais avec ! » Réalisé par une équipe de collaborateurs de longue date, MINUIT DANS L’UNIVERS est finalement une œuvre audacieuse et sereine. G. Clooney ne s’attendait pas à ce que son film de survie apocalyptique ait une résonance aussi actuelle : « C’est au moment où nous débutions le montage, en février 2020, que Grant est venu me dire « Tu sais, cette histoire de Covid 19 risque de devenir sérieuse. Heureusement, il semblerait que ce virus menace seulement les gens de plus de 55 ans. » Je lui ai répondu que ce n’était pas rassurant, puisque j’avais 59 ans ! » Mark L. Smith est cependant convaincu que le message porté par MINUIT DANS L’UNIVERS est réconfortant dans les circonstances réelles que nous traversons : « C’est un film rempli d’espoir. Il se termine en laissant entendre que tout ira bien. Je pense que nous nous posons cette question tous les jours et qu’entendre cette réponse est particulièrement utile en ce moment. Il ne s’agit pas d’une conclusion où tout finit bien dans le meilleur des mondes, car il reste encore beaucoup de travail à faire. Mais c’est un pas dans la bonne direction. » A ce sujet, George Clooney évoque les premières réactions que le visionnage de son film a suscitées parmi ses connaissances : « Beaucoup de gens m’ont dit : "Une fois le film terminé, je suis allé dans la pièce à côté où se trouvaient mes proches et je les ai embrassés ". J’espère que MINUIT DANS L’UNIVERS aura cet effet sur de nombreux spectateurs, car il a été conçu pour cela. Ces liens que nous considérons comme acquis sont d’autant plus importants qu’ils sont fragiles. » Bookmark and Share


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