Dans les coulisses de DUNE, le film-événement de Denis Villeneuve – 8ème partie
Article Cinéma du Vendredi 15 Octobre 2021

Parmi les créations de Vermette, les ornithoptères, immenses véhicules volants pourvus d’ailes qui peuplent les cieux d’Arrakis, comptent parmi les plus ambitieuses. Vermette a eu l’idée du style de ces engins en collaborant avec le graphiste George Hull et le directeur artistique chargé de l’ornithoptère David Doran. « L’ornithoptère est un vaisseau qui vole comme un oiseau », explique Vermette. « Il possède des ailes qui bougent très vite, comme un colibri ou une libellule. Il mesure 39 mètres d’envergure et 23 mètres de long. Je me suis inspiré d’oiseaux, d’insectes et d’hélicoptères. Leur allure a évolué quand on s’est mis à créer l’univers du film, à l’architecture anguleuse et empruntant au brutalisme. Ils devaient avoir l’air crédible, et c’était primordial pour que l’univers du film soit éloquent. Ça a été un tour de force d’ingénierie de mettre au point un engin capable de fonctionner. BGI, une société londonienne de fabrication d’accessoires, les a construits et livrés en Jordanie ». La livraison des deux ornithoptères – un grand de 23 mètres et un plus petit de 15 mètres – a été un défi d’un point de vue logistique. Vermette a insisté pour qu’ils soient transportés totalement achevés pour éviter d’avoir à les assembler sur le plateau. Par ailleurs, cela aurait fragilisé la structure des ornithoptères qui devaient être hissés par des grues, tandis que les comédiens ou les cascadeurs se trouvaient à l’intérieur de ces engins

Les producteurs ont loué un Antonov, l’un des avions de transport parmi les plus gros porteurs disponibles, sur lequel le nez s’ouvre pour y loger les éléments de décor. Puis, ces derniers étaient acheminés sur le plateau. Une fois sur place, les engins, pesant respectivement 10 et 2 tonnes, ont été transportés par grues et montées sur une Dolly spécialement conçue pour les scènes de vol. Au même moment, dans les studios d’Origo, deux versions du cockpit de l’ornithoptère ont été construites : une maquette était arrimée à une grue à cardan sur un plateau ; l’autre était fixée à une grue à cardan en haut d’une colline à Fót, dans les environs de Budapest.

L’équipe a passé environ quatre semaines dans le Wadi Rum, dans le sud de la Jordanie. Sous le contrôle et la protection de plusieurs groupes de Bédouins vivant là, le Wadi Rum est aussi connu sous le nom de Vallée de la lune, en raison de son paysage irréel, taillé dans le granite et le grès. C’est là que l’équipe a tourné certains extérieurs d’Arrakis dans des décors naturels à couper le souffle. C’est aussi là que certains effets visuels ont été réalisés et que les prises de vues aériennes par hélicoptères ont été filmées. Villeneuve avait déjà tourné en Jordanie et avait conscience des trésors que la région avait à offrir. « Je me souviens d’être tombé amoureux des habitants et des paysages de Jordanie qui sont magnifiques », se remémore-t-il. « C’est impressionnant de voir le paysage changer tous les 40 kilomètres. Il y a là-bas de nombreux types de désert, ce qui dépasse l’entendement. La première fois que je m’y suis rendu, je me rappelle m’être dit que, si jamais je réalisais un film comme DUNE, ce serait l’endroit rêvé. C’est lié à la luminosité, à l’âme du pays que nous avons restituée à l’écran, à mon avis. Je n’ai ressenti ce genre d’émotion nulle part ailleurs. Il y a une atmosphère assez grandiose dans ces paysages qui convient parfaitement à DUNE ».

L’équipe n’a pas choisi la Jordanie que pour ses paysages spectaculaires. « On trouve sur place des gens parfaitement qualifiés pour repérer et superviser des lieux de tournage », explique le réalisateur. « Nous avons bénéficié d’une organisation et d’une gestion fantastiques : toutes les routes désertiques sont cartographiées, tout est dernier cri. Les Jordaniens ont été très généreux : on était environ 800, si bien que ce n’était pas une production modeste, mais ça ne m’a pas empêché d’avoir l’impression de faire un film entre amis. C’était très émouvant de revenir là dix ans après INCENDIES et de retravailler avec certains membres de la même équipe, devenus plus expérimentés ». L'un des autres sites de tournage se trouvait dans une région connue des gens du coin sous le nom de Dunes militaires, à la frontière entre la Jordanie et Israël. Le lieu est utilisé pour des entraînements militaires et était inaccessible au public… jusque-là. L’équipe de DUNE est la première à avoir été autorisée à y tourner. Elle avait des raisons légitimes de le faire, même si les avantages propres au lieu s’accompagnaient d’inconvénients inattendus. « Le sable y est complètement vierge, personne ne l’avait jamais foulé », développe le régisseur d’extérieurs Nick Oliver. « Les dunes se déversent sans obstacle dans le désert et changent continuellement. C’est merveilleux mais c’est aussi justement ce qui rend le travail en extérieur compliqué ! Soudain, les dunes dérivent en raison du vent et le paysage est sans cesse en mutation ».

Les passages tournés dans cette région sont parmi les plus grandes scènes d’action du film, notamment la séquence de la récolte de l’Épice, qui nécessitait une moissonneuse décrite par George Hull comme un mélange de haut fourneau et de bousier du désert. Il incombait à Oliver de veiller à ce que le sable soit parfait pour le tournage, dans quelque lieu que ce soit. « Avec une équipe technique d’environ 400 personnes qui piétinent, il fallait interdire d’accès de vastes zones pour limiter l’empreinte de notre passage », explique-t-il. « Bien sûr, aux côtés de l’équipe chargée des prises de vue réelles, on trouvait celle des végétaux, balayant les empreintes de pas et s’assurant que rien d’indésirable n’apparaisse à l’image, à l’instar des plantes et autres végétaux, et les camouflant sous de faux rochers ». Avant l’arrivée de l’équipe technique, Oliver et ses assistants ont dû construire un camp de base dans la région pour les quatre semaines de tournage. « Il n’y a aucune infrastructure dans cette partie de la Jordanie, rien que du sable », ajoute-t-il. « Il a fallu six semaines et à peu près 200 ouvriers pour préparer le camp et faire en sorte que nous ayons tout ce dont on avait besoin. On a créé une gigantesque infrastructure : des petits bâtiments préfabriqués, un réseau de communication portable et des cabines pour les acteurs au lieu de faire venir des caravanes ou camping-cars. Il y avait des compresseurs pour protéger le matériel et les composants électroniques du sable. Dès qu’on avait terminé quelque part, on s’acheminait vers la zone de tournage suivante et on recommençait ». L'équipe a dû gérer de nombreuses difficultés logistiques, comme le transport de l’ornithoptère géant sur le lieu de tournage. Oliver et ses assistants ont dû tracer une route dans le désert pour permettre aux semi-remorques de déplacer l’engin. Pour la scène où Duncan Idaho tombe du ciel sur les rochers, il a fallu effectuer un gros travail de câblage : une grue de 300 tonnes a été utilisée pour maintenir la plateforme équipée pour la cascade et pour que tout se déroule comme prévu. L’un des lieux de tournage, le bassin rocheux de Wadi Rum, a présenté davantage de problèmes en raison de la composition de la roche, très friable, et comme les formations rocheuses sont inscrites au Patrimoine mondial, il est interdit de forer. L’équipe a fait appel à des experts d’Amman, qui ont trouvé les endroits où ils pouvaient installer dans la roche un ancrage assez solide pour retenir les cascadeurs à des câbles sans endommager le rocher.

D’après Cale Boyter, les techniciens ont travaillé dur pour concrétiser la vision qu’avait Villeneuve du paysage décrit par Herbert, tout en évitant l’allure post-apocalyptique habituelle. « Le film est le croisement de plusieurs éléments », confirme le producteur. « Il y a une dimension médiévale et une autre propre à l’heroic fantasy. Ce que Denis a tenté de faire a consisté à extraire tout le reste pour offrir aux spectateurs une version hybride résolument unique et qui n’appartient qu’à elle-même ». Bookmark and Share


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