MATRIX RESURRECTIONS – Entretien avec Jonathan Groff et Neil Patrick Harris
Article Cinéma du Mercredi 05 Janvier 2022

Entretien avec JONATHAN GROFF (Smith)

Comment avez-vous été convié au casting du film ?


J’ai reçu un appel d’une agent de casting qui me demandait de m’envoler pour San Francisco pour un rendez-vous autour d’un projet secret. L’agent refusait de m’en dire plus à moins que je ne me rende sur place. C’est alors qu’elle m’a dit que c’était pour MATRIX. Je lui ai répondu « Non, mais c’est une blague ? » Et elle m’a dit « N’en parle pas à tes agents. Il y a un rôle auquel je pense, sans être certaine qu’il te corresponde. Mais tu devrais rencontrer Lana : je pense que vous allez très bien vous entendre ». Du coup, j’ai pris l’avion pour San Francisco, on s’est vus dans un hôtel et on a pris un café ensemble. J’ai plutôt découvert une artiste qu’une réalisatrice, pour autant que cela veuille dire quelque chose. Elle voulait juste qu’on se parle. Elle avait une présence incroyable et on a tout de suite été sur la même longueur d’ondes. Sa femme était là, elle aussi, et son chien également. On n’a pas parlé de choses futiles, mais de coming out, de couple, de relations amoureuses. Elle m’a expliqué pourquoi elle voulait tourner MATRIX RESURRECTIONS. C’était beaucoup plus détendu que n’importe quel rendez-vous que j’avais pu avoir. Je n’avais jamais vécu une audition aussi extraordinaire !

Comment avez-vous collaboré avec Lana ?

Il y a très peu de metteurs en scène qui ont une telle vision de leur projet que tous leurs collaborateurs s’y rallient. Ce n’est pas qu’on ne pouvait pas discuter, car Lana a un vrai sens du travail d’équipe, mais elle est dans une tout autre dimension intellectuelle – et on se contente de la suivre. Elle m’a donc dit que j’avais décroché le rôle et je me suis alors rappelé que je n’avais jamais campé un personnage pareil. Il fallait que je frappe quelqu’un au visage et que je participe à des scènes de combat tout en prononçant mon texte ! Je me suis dit que j’allais devoir faire comme si je cassais la gueule de Keanu Reeves ! Mais pour qui je me prenais tout à coup ? (rires) Ça me semblait délirant. Et puis, en m’imprégnant du scénario, en apprenant mon texte et en commençant l’entraînement, je me suis mis à mieux comprendre l’univers de MATRIX. Et j’ai réussi à y trouver ma place. Il fallait juste que je me convainque que ce n’était pas vraiment moi dans le film, mais un personnage. Et puis, lorsque j’ai commencé à cerner le style de Lana, je me suis senti plus à l’aise – même lorsque je ne saisissais pas tout intellectuellement, je les comprenais de manière instinctive.

Parlez-nous de votre expérience sur le tournage…

Tout le tournage – que ce soient les scènes de combat ou celles sous la pluie – a surtout été physique bien plus que cérébral. C’était formidable à cet égard de ne pas avoir à intellectualiser les choses. Je me suis contenté de ressentir le rôle et je me suis appuyé sur la mise en scène de Lana et son approche. C’est comme cela qu’elle dirigeait le plateau et je me suis laissé entraîner dans son élan. L’apprentissage des combats est très physique, et devoir se battre avec autrui est un langage très différent de la parole. Du coup, c’était épatant trouver le personnage au fond de moi. C’était tellement jubilatoire que j’ai déprimé pendant le tournage en prenant conscience que c’était une expérience qui n’allait pas durer. Que c’était un moment de ma vie qui aurait une fin. Mais j’ai tenté d’en profiter au maximum et de ne pas penser à la fin. J’étais totalement investi dans le travail. Et d’ailleurs, je n’avais pas l’impression de « travailler », mais de participer à une expérience profondément artistique aux côtés de Lana et de Keanu qui sont tous les deux merveilleux. C’était incroyable d’acquérir une nouvelle compétence. Je me suis senti vivant comme jamais auparavant. C’était comme un rêve éveillé.



Entretien avec NEIL PATRICK HARRIS (L’analyste)

Comment avez-vous réagi en découvrant le scénario ?


J’ai adoré le script. Il y avait quelques trucs que je n’ai pas bien compris (rires), mais je me suis dit que ce n’était pas un problème. J’ai compris mon personnage et, à mes yeux, c’était le plus important. Je me souviens d’une anecdote que m’a racontée Lana pour m’expliquer pourquoi elle avait voulu écrire un tel personnage – elle avait perdu ses deux parents à peu de temps d’intervalle, et elle avait rêvé d’un phénix qui renaissait de ses cendres, et de deux êtres qui tentaient de nouveau d’établir un lien. C’était une démarche intéressante et j’ai apprécié le fait que ce projet ne soit pas totalement gratuit. Il s’inspirait d’un vécu et, très sincèrement, j’ai adoré toute la dimension humoristique du film. Il y a une forme de réflexion profonde sur tous les projets antérieurs de Lana qu’on retrouve dans le film. Il y a pas mal d’éléments vraiment géniaux et quelques clins d’œil assumés.

Il s’agit de votre premier tournage de film d’action…

La liste des choses que je veux faire avant de mourir est très longue et j’en ai déjà accomplies pas mal. J’ai commencé à établir cette liste vers l’âge de 16 ou 17 ans. J’ai aujourd’hui 47 ans. J’ai déjà fait du saut à l’élastique, du saut en parachute, du rafting, j’ai rebondi sur des bâtons sauteurs installés sur un pneumatique géant et effectué un salto arrière. J’ai été cracheur de feu. Je me suis suspendu à un trapèze. J’ai participé à de grosses productions et à des films plus modestes, à des comédies, à des spectacles sur d’importantes scènes de théâtre – et des scènes plus petites – , et j’ai animé des émissions. J’ai fait pas mal de choses. Mais je n’avais jamais tourné dans un gros film d’action. J’ai joué dans STARSHIP TROOPERS, qui certes était un film d’action, avec d’incroyables scènes de combat, mais je débarquais sur le plateau dans mon drôle de trench-coat en cuir, et tout ce que j’avais à dire, c’était « Oui, tout semble normal ici. Continuez ». Et je rentrais chez moi. Je me suis dit que je ne participais pas vraiment aux scènes d’action, mais que je me contentais de les observer de loin. Du coup, j’avais vraiment envie de tourner dans un gros film d’action, avec les câbles, les explosions et les cascades. Et j’ai décroché ce rôle ! Je me suis beaucoup entraîné. J’étais en grande forme physique pour exécuter toutes les acrobaties. Malheureusement, j’ai découvert que mon personnage ne se fait tabasser que quelques fois. Mais ça ne m’a pas découragé. J’ai expliqué que je voulais réaliser mes propres cascades. Et je me suis retrouvé plaqué contre un mur ! Et je voulais y aller à fond – je disais à l’entraîneur de ne pas se retenir et de me balancer contre le mur ! Dans une autre scène, on m’envoie un coup de poing tellement violent que je décolle du sol ! Et je me suis dit « si jamais une doublure cascade me ressemblant se pointe sur le plateau, prêt à se faire éclater la tête, je ne réponds plus de rien ! C’est moi qui vais faire les cascades, un point c’est tout ! Je suis prêt à en assumer la responsabilité ! Je m’en fous. J’ai fait trop d’efforts pour en arriver là et renoncer à faire mes propres cascades ». Par chance, j’ai l’impression que la production a cru à la sincérité de ma passion. Je ne voulais pas être le genre d’acteur qui accepte qu’on le film en gros plan, puis qui cède sa place à une doublure de 20 kg de plus que lui pour la scène où il tombe par terre avec fracas, et qui revient ensuite pour crier « Aïe ! » Car c’est le cri que je pousse quand je tombe. Enfin, il paraît. (rires)

Qu’avez-vous ressenti en entrant dans l’univers de Matrix ?

Entre le premier rendez-vous avec Lana, le vol vers San Francisco, la séance de lecture, le tournage à San Francisco et l’arrivée à Berlin – on avait l’impression d’être dans une Matrice à part entière (rires). Je ne suis pas très sûr de moi. En tant qu’acteur, je travaille depuis une trentaine d’années. J’ai un registre de jeu assez large. Je connais mes domaines de compétence – non seulement ceux dans lesquels je n’ai pas besoin de faire grand-chose, mais aussi ceux où j’excelle… et dans ce cas-là, pour une raison ou pour une autre, je ne savais absolument pas où le film m’entraînait pendant qu’on le tournait. (rires) Je ne sais pas si c’était voulu, mais c’était une expérience intellectuelle intéressante comme seul MATRIX pouvait me l’offrir.

Comment décririez-vous l’impact de MATRIX ?

J’ai le sentiment que le concept de la Matrice existe depuis bien plus longtemps qu’une vingtaine d’années. Les gens disent « Est-ce que tu vas choisir la pilule rouge ? » dans toutes sortes de contextes différents. Je trouve que c’est devenu une expression qui a une très forte résonance. J’avais très envie de voir le making-of du film – pour comprendre quelles étaient les références des réalisatrices, à quoi ressemblaient leurs story-boards, quelles nouvelles technologies elles utilisaient – je trouvais tout cela exaltant. J’observais tout cela comme quelqu’un qui était en apprentissage, mais je me sentais davantage comme un étudiant qui s’initiait à leur processus créatif. Bookmark and Share


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