NIGHTMARE ALLEY : Le thriller cauchemardesque de Guillermo Del Toro – 5ème partie
Article Cinéma du Mercredi 16 Fevrier 2022

L’ART DE LA COIFFURE ET DU MAQUILLAGE

Certains des phénomènes de NIGHTMARE ALLEY sont inspirés de personnages réels du début du XXe siècle présentés dans le film de Tod Browning FREAKS, notamment Zee Zee la tête d’épingle, Fifi la fille oiseau et JoJo le garçon chien. Guillermo del Toro a fait appel à Mike Hill, le sculpteur spécialiste des effets spéciaux qui a conçu l’homme amphibie imaginaire de LA FORME DE L’EAU, pour rendre hommage à ces artistes avec des prothèses détaillées et naturalistes. Ce dernier explique : « Lorsque nous avons développé les personnages du film, nous ne nous sommes jamais tournés vers le fantastique. Sortant tous de l’ordinaire, ils sont donc ancrés dans la réalité. »

Ce qui n’a pas changé en revanche, c’est la philosophie de Mike Hill et Guillermo del Toro selon laquelle les maquillages spéciaux et les prothèses doivent non seulement sembler naturels mais doivent aussi se comporter comme tels : ils doivent permettre à l’acteur de faire ressortir l’âme du personnage. Le sculpteur commente : « Si ce n’est qu’un amas de mousse et de latex, l’acteur disparaît dessous. »

Guillermo del Toro a laissé à Mike Hill une liberté totale pour explorer les artistes, curiosités et autres phénomènes. Celui-ci confie : « Guillermo m’a même généreusement permis de choisir les acteurs, ce qui est totalement inédit. J’ai décidé de confier le rôle de Zee Zee - un personnage masculin - à une femme, et celui de Fifi la fille oiseau à un homme. Les deux personnages sont ainsi androgynes. J’aime que les spectateurs ne sachent pas exactement ce qu’ils regardent. »

Pour JoJo le garçon chien, Mike Hill lui-même a endossé le rôle. Il a créé pour ce personnage un look qui évite scrupuleusement la caricature. « J’ai conçu pour lui un visage avec différentes couches de poils, avec des nuances plus pâles dans certaines zones. J’ai aussi rendu le nez un peu plus proéminent et les joues un peu plus foncées. Je ne voulais pas qu’il ait l’air d’une perruque de laine avec deux yeux ! Je voulais de l’humanité. »

Les prothèses ont également joué un rôle dans la création d’Enoch, la créature dotée d’un troisième œil, dont la présence vigilante revêt une signification mystique dans le monde de la tournée. Le terme « pickled punk » était l’expression traditionnelle des forains pour désigner les fœtus humains conservés dans des bocaux de formol, une autre attraction qui tenait les foules en haleine. Ces fœtus pouvaient être authentiques ou factices, mais ils présentaient souvent des formes congénitales inhabituelles qui rappelaient les contes de fées et les fables.

LA PANDÉMIE : DEUXIÈME PRISE

Presque à mi-chemin du tournage, il a fallu prendre une décision difficile : interrompre NIGHTMARE ALLEY à cause de la pandémie mondiale de Covid-19. Même si ce n’était pas encore obligatoire à l’époque, Guillermo del Toro ne voulait prendre aucun risque avec la santé et la sécurité de sa famille de cinéma. Bien sûr, il ignorait combien de temps cela allait durer. Il raconte : « Lorsque nous avons annoncé l’interruption du tournage, personne ne s’y attendait. Tout le monde est allé déjeuner… puis nous ne sommes pas revenus pendant de nombreux mois. »

Dans l’incertitude, Guillermo del Toro, Bradley Cooper et J. Miles Dale ont puisé du réconfort en mettant ce temps supplémentaire à profit pour développer des idées pour le film. Au final, ils ont pu intégrer cette expérience dans le processus créatif. Le producteur explique : « Cela a permis à Guillermo de réfléchir à ce qui avait déjà été tourné, de faire un premier montage approfondi et d’affiner encore davantage. »

Lorsque le tournage a pu reprendre, rien n’était plus pareil. Des protocoles ont été mis en place pour que la production puisse redémarrer sur le décor de la foire en septembre 2020. Ceux-ci étaient précis et complets. Plus de 17 000 tests Covid ont été effectués au cours des 13 semaines de tournage qui restaient – et il n’y a eu que 5 résultats positifs, dont aucun à proximité du plateau.

Tous les acteurs et l’équipe ont été testés trois fois par semaine, les personnes étrangères au tournage ont été mises en quarantaine pendant deux semaines, les membres de l’équipe technique qui travaillaient en étroite collaboration avec les comédiens ont été isolés dans des hôtels pendant cinq semaines tandis que les figurants portaient des masques selon un code couleur. Lorsque Guillermo del Toro annonçait « action ! » et « coupez ! », le premier assistant annonçait également « on enlève les masques » et « on remet les masques ».

Si NIGHTMARE ALLEY se termine sur la sombre note de la condamnation d’un homme qui a voulu s’élever trop haut sans se soucier des autres, la production s’est achevé sur la note opposée : le film a survécu grâce à l’attention portée aux autres et à l’amour.

Bradley Cooper conclut : « Ce fut une expérience unique de traverser la pandémie, de tout arrêter six mois, puis de revisiter et reprendre l’histoire. Nous avons vécu une expérience artistique comme aucune autre, à la fois à cause de ce qui est arrivé au monde et en raison de la nature de cette histoire. »

WILLIAM LINDSAY GRESHAM : l’auteur du roman (1909-1962)

William Lindsay Gresham est un romancier et auteur né le 20 août 1909. Il est particulièrement apprécié des amateurs de romans noirs. Nightmare Alley (1946) est le seul de ses romans à avoir été traduit en français : il est paru en 1948 sous le titre Le Charlatan. Ses autres livres sont Limbo Tower (1949), Monster Midway : An Uninhibited Look at the Glittering World of the Carny (1954), Houdini : The Man Who Walked Through Walls (1959) et The Book of Strength : Body Building the Safe, Correct Way (1961). Il a également écrit des dizaines de nouvelles, souvent autour du cirque. L’une d’elles, Le peuple du grand chariot, a été traduite en français et publiée en 2021.

Originaire du Maryland, William Lindsay Gresham emménage à New York avec sa famille lorsqu’il est encore enfant. Il se découvre alors une passion pour Coney Island et le monde des spectacles de foire américains.

En 1926, il est diplômé de l’Erasmus Hall High School de Brooklyn. Après le lycée, il accumule les petits boulots puis se porte volontaire pour prendre part à la guerre civile espagnole en 1937. C’est là qu’il se lie d’amitié avec un ancien artiste de foire, Joseph Daniel « Doc » Halliday. Leurs longues conversations inspireront une grande partie de son œuvre.

Il rentre aux États-Unis en 1939, mais à la suite d’un séjour difficile dans un sanatorium pour soigner sa tuberculose, il est perturbé et fait une première tentative de suicide.

En 1942, il épouse la poétesse Joy Davidman. Ils auront deux fils mais finiront par divorcer en 1954.

William Lindsay Gresham était alcoolique. Il a développé une attirance pour le spiritisme en allant chez les Alcooliques anonymes après son divorce.

Nightmare Alley a été publié en 1946. William Lindsay Gresham a écrit la plus grande partie de ce livre à l’hôtel Carter, à Manhattan. Le roman a été adapté une première fois au cinéma dans une réalisation d’Edmund Goulding et une interprétation de Tyrone Power, Joan Blondell, Coleen Gray et Helen Walker. NIGHTMARE ALLEY est sorti aux États-Unis le 28 octobre 1947. En France, le film est sorti le 11 août 1948 sous le titre LE CHARLATAN.

En 1962, on a diagnostiqué à Gresham un cancer, et il a commencé à perdre la vue d’un œil. Il s’est suicidé le 14 septembre 1962, dans l’hôtel où il avait passé son temps à écrire Nightmare Alley des années auparavant. Il avait 53 ans. Bookmark and Share


.