La création de THE BATMAN – 4ème partie
Article Cinéma du Lundi 14 Mars 2022

Un lieutenant nommé Gordon

Si Alfred connaît le secret de Bruce, celui-ci a besoin d’un allié extérieur à qui il puisse faire confiance – et on ne tarde pas à apprendre qu’il est déjà de mèche, sous couvert d’anonymat, avec le lieutenant James Gordon. À noter que ce dernier est encore lieutenant car, à l’époque des événements du film, il est en début de carrière. Batman reste un personnage relativement méconnu à Gotham City– pour la plupart, il s’apparente davantage à une rumeur qu’à une réalité – et si Gordon est l’un des meilleurs éléments du Gotham City Police Department, il est, à ce moment-là de la chronologie, au bas de l’échelle. Flic aguerri et résolument intègre, Jim Gordon incarne les valeurs morales dont le commissariat et la ville ont absolument besoin. S’il compte parmi les rares officiels qui tiennent Batman pour un allié, c’est lui qui, intuitivement, le sollicite pour l’aider à élucider le meurtre atroce du maire – sans être soutenu par ses collègues ou sa hiérarchie. Il semble désormais évident qu’un tueur en série rôde et s’en prend aux plus éminents représentants de l’élite de Gotham City. Tout comme Alfred, Gordon est un personnage crucial de l’univers de Batman. Les auteurs ont donc sollicité un acteur d’une force toute en retenue : Jeffrey Wright. Celui-ci était enchanté, d’autant qu’il était fan de Batman depuis l’enfance, qu’il admirait à la fois dans les albums de BD et la série télé. « Ce qui démarque Batman d’autres super-héros, c’est qu’il habite dans une ville parfaitement reconnaissable, qui ressemble beaucoup à New York ou Chicago », dit-il. « C’est ce qui explique qu’il reste ancré dans la réalité et qu’il soit attachant. Par ailleurs, c’est un être humain, et non un extraterrestre, et il évolue dans le même genre d’environnement que la plupart des gens. Matt Reeves s’est totalement approprié cette approche, de manière très convaincante, dans le scénario, et a mené de vraies recherches – une forme de travail archéologique dans les archives de la mythologie Batman – afin que l’environnement du personnage soit parfaitement cohérent pour le spectateur. En lisant le scénario, je cherchais à me projeter dans le rôle de Gordon, et j’ai trouvé que l’univers dans lequel il évolue était tellement convaincant qu’il en disait long sur notre époque. Il s’inscrit dans une réalité sociopolitique qui m’a semblé cohérente et qui, sur le plan esthétique, enrichissait les représentations de Gotham City. Il y avait une dimension propre à l’atmosphère de la ville qui m’a touché dès le scénario ».

Pour Wright, Gordon « incarne la vision qu’avait Matt de Gotham City, mais ses réactions sont aussi tributaires de Batman, tel qu’il est interprété par Robert Pattinson. Gordon et Batman forment une véritable équipe et, pour moi, il s’agissait de nouer une relation avec Robert qui permet de cerner Gordon et qui, d’une certaine manière, permet aussi de mieux cerner Batman. Dans le même temps, on est aussi partis de l’univers que Matt avait envisagé et qui s’est mis en place grâce à la collaboration entre les décorateurs, le chef-opérateur et les différents corps de métier. Quand on est arrivés sur le plateau, l’atmosphère était tellement palpable qu’elle nous a totalement guidés ». Les rapports entre Batman et le lieutenant Gordon continuent d’évoluer. « Bruce ne fait confiance à personne, et il ne connait pas Gordon depuis très longtemps, si bien qu’ils se découvrent encore », note Pattinson. « C’est sans doute difficile pour Gordon car Batman n’a confiance en personne d’autre au sein du commissariat, et qu’il ne fait confiance à Gordon qu’à hauteur de 60%. Dans les précédentes adaptations, Batman disposait d’un avantage considérable car il était capable de recueillir des informations cruciales, mais ici, il compte sur Gordon, tout comme Gordon compte sur lui. Du coup, ils sont à égalité à bien des égards, ce qui rend leur relation d’autant plus intéressante ».

Wright considère la première fois où ils sont réunis – là où le premier meurtre a eu lieu – comme un moment décisif qui donne le ton du film. « Tous les regards se détournent de Gordon pour se fixer sur cette créature étrange, dont tout le monde a entendu parler, mais que personne ne connaît et qui n’inspire certainement pas confiance », dit-il. « C’est alors qu’une forme de collaboration se met en place dès lors qu’ils s’aperçoivent qu’un pervers a laissé des indices sur la scène de crime. C’est ce qui nous permet d’explorer davantage la dimension d’enquête criminelle du film et de nous ramener à la véritable nature de Batman et Gordon : des enquêteurs ».

Robert Pattinson a été impressionné par le jeu de son partenaire : « Jeffrey dégage de l’assurance et un certain sens de l’humour et, grâce à lui, son Gordon se distingue des interprétations antérieures », témoigne-t-il. « La plupart du temps, Gordon donne le sentiment d’être un type méprisé, qui porte le poids du monde sur les épaules, alors que Jeffrey est habité par une flamme qui donne une autre tonalité au personnage. Il ne considère pas Batman comme un type infaillible – il se dit que Batman peut commettre des erreurs. Il y a comme un rapport de force qui s’instaure entre eux, ce qui est assez nouveau, et il n’est pas qu’un simple observateur des agissements de Batman – ils forment une équipe ». Gordon demande à Batman de se rendre sur le lieu où ont été commis les crimes, non seulement pour solliciter son aide, mais parce que les assassinats ont, cette fois, une dimension personnelle : l’auteur de plusieurs meurtres abjects cherche à communiquer avec Batman à travers des énigmes qu’il a semées sur chaque scène de crime. Dans cette métropole gangrénée par la drogue, si corrompue qu’elle menace de s’autodétruire – mafieux et policiers y sont presque interchangeables –, la politique vacille entre clientélisme et mépris. Autant dire qu’il est devenu quasi impossible d’éliminer les personnages les plus iniques.

The Riddler / L’homme-mystère, plus sinistre que jamais

The Riddler s’est rapidement imposé comme l’ennemi le plus redoutable de Gotham City. Tueur masqué et mystérieux, il a mis au point toute une série d’énigmes macabres et de dispositifs pervers pour piéger l’élite de Gotham City et révéler au grand jour les plus sombres réalités de la ville. D’après Reeves, le film explore les parallèles entre Bruce Wayne et les pervers sur lesquels il enquête. « The Riddler est un tueur en série dont le mobile se dévoile peu à peu : démasquer ces notables soi-disant légitimes qui, en réalité, s’avèrent être corrompus », signale le réalisateur. « Batman et The Riddler partagent le même point de vue sur la ville, la criminalité et la corruption qui y sévissent. Batman se retrouve au bord du gouffre – mais il se bat pour agir avec justesse et équité ».

Pour camper ce personnage qui attire Batman vers le précipice, Reeves reconnaît que, tout comme avec Pattinson, « j’ai commencé à écrire le scénario avec Paul [Dano] en tête, sans savoir s’il accepterait de jouer le rôle. The Riddler est brillant et dispose d’un formidable pouvoir lié au mode opératoire qu’il répète de crime en crime. Ses intentions sont très noires, et il s’est réfugié dans les nombres et les énigmes parce que c’est le seul domaine sur lequel il peut exercer son contrôle, tout comme Batman se réfugie dans sa mission de justicier. Par chance, lorsque j’ai envoyé le scénario à Paul, il m’a dit qu’il était très intéressé, qu’il était emballé par la dimension réaliste du personnage et qu’il comprenait mes références au Tueur du Zodiac qui l’avait inspiré ».

« Dans le même temps, c’est toujours The Riddler », ajoute Reeves, « autrement dit, un personnage emblématique, mythique, qui devait être imposant et impressionnant dans son usage des énigmes et des messages codés dont il se sert pour provoquer l’élite de la ville, voire pour en prendre la tête. Surtout, il cherche à provoquer Batman : il lui adresse un message lui laissant entendre qu’il s’apprête à révéler les origines de la corruption qui ravage la ville. Comme s’il lui disait ‘j’ai l’information et je vais te la transmettre, mais avant d’en arriver là, je vais d’abord te torturer et te terroriser’ ». S’il a adoré le scénario, Dano a également été sensible au mélange de souffrance psychologique et affective des personnages principaux, et à ses conséquences. « Avec Matt, on a beaucoup discuté des deux aspects du traumatisme, et cela m’a vraiment parlé », confie l’acteur. « Bruce Wayne a perdu ses parents et affronte les séquelles de son traumatisme en cherchant à sublimer sa souffrance au profit de la justice. Quant à Edward Nashton, qui a aussi vécu un traumatisme, il croit agir pour le mieux, mais il se trompe. C’était une formidable approche du personnage du méchant. Car comment l’aborder avec un regard neuf ? J’ai été séduit par le fait que la trajectoire émotionnelle de The Riddler guide l’écriture du personnage ».

Dano envisage Edward Nashton comme un homme aux nombreux talents, mais qui n’a jamais eu de chance. « Il est brillant, mais il n’a jamais eu l’occasion de se hisser dans la hiérarchie sociale, si bien qu’il se contente de travailler comme comptable judiciaire », précise le comédien. « Il s’est sans doute recroquevillé sur lui-même, et s’est réfugié dans son passé, dans sa sphère intellectuelle, et dans la ville qui, pourtant, ne lui a jamais tendu la main. Les énigmes sont une réponse à toutes les questions qui l’ont obsédé toute sa vie, et notamment ‘pourquoi moi ?’ Mais elles lui apportent aussi un soulagement car les rares moments qui lui procuraient du plaisir, quand il était enfant, étaient ceux où il devait résoudre des énigmes et des problèmes mathématiques, se confronter à des jeux cérébraux… C’était l’une des rares possibilités d’échapper à sa condition et de se sentir bien ». Du coup, comment comprendre que son personnage soit obsédé par Batman ? « C’est en voyant Batman qu’il se sent inspiré », tente de répondre Dano. « C’est un moment où il retrouve une part cachée de son identité. Sans Batman, The Riddler n’existe pas, car ils sont liés par une proximité émotionnelle. Malheureusement, Edward a le sentiment qu’il doit se donner un mal fou pour se faire entendre et susciter un changement, car il considère que la corruption qui sévit à Gotham City est le signe d’une profonde trahison – et il veut faire éclater la vérité, aussi terrifiante soit-elle. C’est son premier meurtre qui déclenche les événements relatés par le film ». Contrairement à Wright, Dano est devenu fan des BD de Batman après avoir été engagé. « C’est une forme d’expression artistique extraordinaire, et je dois dire que j’ai un peu honte de ne l’avoir découverte que récemment », reconnaît l’acteur. « C’était vraiment passionnant de lire les albums, parce que la vision de Matt est singulière. Batman: Year One, qui est mon album préféré, a été ma porte d’entrée dans cet univers. Et après en avoir lu beaucoup, je suis très heureux de me dire qu’on va pouvoir faire découvrir une œuvre nouvelle au public ».

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