Entretien avec l'illustrateur John Howe à propos du Monde de Narnia
Article Cinéma du Lundi 07 Avril 2008

John Howe s'est fait connaître dans le monde entier en illustrant brillamment les romans de la saga du Seigneur des Anneaux, écrit par JRR Tolkien. Après ce premier succès, il signa aussi les peintures d'un calendrier Seigneur des anneaux qui remporta un immense succès. La qualité de son travail avait frappé Peter Jackson et le cinéaste contacta John Howe pour lui demander de participer à l'aventure de l'adaptation cinématographique de l'œuvre-culte. En acceptant, Howe n'imaginait pas qu'il allait passer deux ans en Nouvelle-Zélande et s'impliquer dans la création d'innombrables décors, paysages, costumes, accessoires et créatures, en compagnie de son compatriote Alan Lee.

John Howe eut l'occasion de prolonger sa fructueuse association avec le studio d'effets spéciaux Weta de Peter Jackson, en collaborant à l'adaptation d'un autre roman-culte anglais : Le lion, la sorcière et la garde-robe, premier épisode des Chroniques de Narnia imaginées par C.S. Lewis. Cette superproduction à mi-chemin entre le conte de fées et le récit d'aventures épiques, sortie en même temps que King Kong, à réussi à dépasser les scores du gorille géant au boxoffice mondial. C'est dans le cadre de la galerie Arludik que nous avions rencontré cet artiste de grand talent, qui s'exprime dans un français remarquable.

Propos recueillis par Pascal Pinteau

ATTENTION : A l'occasion de la sortie de son nouveau livre "Fantasy Art" dans lequel John Howe détaille sa façon de dessiner et de peindre en évoquant son approche de l'Heroic Fantasy, ainsi que ses illustrations du monde de Tolkien, et de la trilogie au cinéma du Seigneur des Anneaux, la galerie Arludik est particulièrement heureuse d'exposer, du 16 AVRIL au 17 MAI 2008, plus d'une trentaine de dessins et croquis grands formats réalisé spécialement pour l'exposition. Vernissage le 17 avril de 18h30 à 21h30 en présence de l'artiste !




Quels souvenirs gardez-vous de vos études artistiques en France ?

John Howe : Des souvenirs très flous et très bons ! Je n'ai rien compris sur le moment, car la toute première année, je parlais très mal le français. Je ne comprenais pas ce qu'on me disait... La seconde année, j'ai commencé à saisir plus ou moins ce qu'on essayait de m'enseigner, mais je me suis rendu compte qu'il y avait une approche culturelle assez différente de celle que je connaissais en Angleterre... et la troisième année, j'avais envie de sortir des études, mon diplôme en poche, et de passer à la vie professionnelle. J'ai beaucoup d'affection et de reconnaissance pour mon professeur, un homme extraordinaire, qui m'a beaucoup appris, mais sans que je m'en rende compte. Il s'appelle Claude Lapointe. Il vit à Strasbourg et prend sa retraite cette année. C'est un bonhomme fantastique et un communicateur hors pair. Il a une grande culture et une grande intelligence. Je n'aurais pas pu tomber mieux.

Est-ce que les architectures gothiques de Strasbourg vous ont beaucoup inspirées ?

Beaucoup ! Strasbourg, c'était ma première rencontre avec l'Europe. Je n'avais aucune idée de l'aspect réel de la ville. Avant de m'y installer, j'imaginais une bourgade nichée dans une vallée du Rhin, dans un relief encaissé, avec la forêt noire autour, puis je me suis retrouvé au milieu d'une plaine, dans une très grande ville ! C'était un vrai choc, mais dans un sens très bénéfique.

Est-ce que vous avez dessiné la cathédrale de Strasbourg ?

Oui, j'ai beaucoup dessiné cette fameuse cathédrale. J'ai eu la chance qu'on me confie une clé, grâce à un ami maçon et sculpteur qui faisait partie des équipes de réparation qui interviennent pratiquement en permanence sur l'édifice. Pour rendre service à l'immigré que j'étais, il m'avait confié une clé passe-partout qui me permettait de monter et de me promener absolument partout dans cette cathédrale, ce qui était une chance unique dont je ne me rendais pas compte à l'époque ! J'ai passé pas mal de temps là-haut, oui.

J'ai un souvenir d'enfance particulier à Strasbourg : mes parents m'avaient emmené visiter cette fameuse cathédrale pour y voir la célèbre horloge astronomique qui s'y trouve et qui est surmontée d'un automate de coq. Je me souviens que le guide nous avait annoncé de façon très solennelle « Et maintenant, le coq va chanter », et qu'on avait vu le coq battre des ailes et pousser une sorte d'horrible couinement qui m'avait fait mourir de rire !

(rires) Oui, ce coq est un peu asthmatique ! Je m'en souviens ! Cela dit, j'ai passé peu de temps à l'intérieur de la cathédrale, car je préférais les ornementations extérieures, qui sont quasi-païennes et très belles.

Est-ce que vous diriez que c'est là, dans cette cathédrale de Strasbourg, que vous avez déjà fait un premier « plein » d'images, et de représentations fantastiques du bien et du mal ?

Oui, mais je dirais plutôt que j'ai été attiré par l'ambiguïté de la représentation du bien et du mal. C'est ça qui est extraordinaire dans l'art populaire religieux, c'est ce mélange insolite, cette présence de toutes ces traditions bien plus anciennes que la chrétienté, qui se libèrent et s'expriment sur ce support de pierre. Les sculpteurs et les artistes de l'époque avaient une liberté d'expression extraordinaire. C'est très étonnant de se rendre compte que le Moyen-âge était une époque si libre, complètement à l'opposé de l'image d'obscurantisme que l'on en a souvent. Si nous avions cette liberté maintenant, dans la construction des églises, on pourrait créer des choses bien plus intéressantes.

Est-ce que vous avez étudié aussi l'art Païen en Angleterre ?

Oui. J'aime beaucoup l'histoire de l'art en général, mais je l'ai étudiée de manière émotionnelle et très empirique. Je ne suis pas très bon pour les dates et les noms des artistes, mais je sais ce qui me plaît.

Quelles sont justement les périodes de l'histoire de l'art que vous préférez ?

Tout avant le XVe siècle et ensuite, selon les disciplines, j'aime ce qui a été fait au XIXe siècle et jusqu'à aujourd'hui.

Vous n'aimez donc pas la période de la Renaissance ?

Non, pas dans la peinture, ni dans la sculpture, mais en revanche, j'aime bien la musique composée à cette époque, et les « cabinets de curiosité » qui sont nés dans ces années-là.

Qu'est-ce qui vous attire dans ces « cabinets de curiosité », qui étaient des collections d'objets insolites, souvent ramenés de pays lointains ?

C'est cette approche éclectique et empirique du monde. Ces collectionneurs amassaient ce qui était étrange ou inédit, en provenance de pays éloignés. Ils essayaient de reconstituer un monde et exprimaient leur envie de voyage, souvent inaccessible. Ils s'intéressaient à d'autres cultures sans les connaître, à des choses mystérieuses produites par la nature. Ces collections ont aujourd'hui un charme désuet qui me plaît beaucoup.

Vous en parlez avec tellement d'enthousiasme que j'ai l'impression que vous avez un cabinet de curiosité chez vous...

J'en ai un petit, en effet, composé d'objets que les gens m'envoient. J'ai une corne en ivoire d'une bestiole africaine bizarre dont je ne connais pas le nom. J'ai une griffe d'un énorme lézard, un morceau de cathédrale qui vient d'une colonne, des fossiles de limules, qui sont des mollusques apparus il y a des millions d'années et qui vivent encore aujourd'hui... des choses comme ça.

Comment avez-vous approché votre travail de conception graphique sur Narnia ? Le réalisateur vous a-t'il donné des indications ou avez-vous eu une totale liberté pour vous exprimer ?

Je suis intervenu seulement pendant la période de pré-production et on m'a laissé libre de faire toute la recherche de base pendant environ six mois. Je ne sais pas encore si ce que j'ai fait sera vraiment visible à l'écran. Disons que j'ai essayé à ce moment-là de jeter les fondations du monde de Narnia.

Avez-vous pris beaucoup de notes en lisant le livre, et amassé des idées de futurs dessins ?

Je n'ai pas pris beaucoup de notes car je n'aime pas passer par une phase écrite avant de commencer à dessiner.

Pourquoi ? Parce que vous avez peur que le côté analytique et rationnel prenne le pas sur le côté émotionnel du dessin ?

Oui. Dans le fond, il n'y a pas qu'une seule image qui corresponde à une scène du roman, pas une seule vision des choses. Disons qu'il me fallait d'abord rester ouvert et lire le livre avec une sorte de légèreté attentive. Disons que dans ce cas, on se retrouve un peu dans la peau d'un scientifique qui est lâché dans une forêt. Est-ce qu'il va apprécier le moment présent et regarder la forêt avec tout sa sensibilité, ou est-ce qu'il va se mettre aussitôt à dresser une liste détaillée de toutes les espèces animales et végétales qui s'y trouvent ?

Est-ce que vous vous êtes fixé d'emblée l'objectif de faire un travail très différent de celui que vous aviez fait sur le Seigneur des anneaux ?

C'était effectivement une des requêtes de la production de Narnia. D'abord parce qu'il y a beaucoup de points communs entre les deux auteurs, qui sont tous les deux anglais et vivaient à la même époque, et ensuite parce que tout s'est tourné en Nouvelle-Zélande, avec les mêmes équipes d'effets spéciaux que celles du Seigneur des anneaux. Nous nous sommes retrouvés confrontés à cette demande typiquement hollywoodienne : « On veut la même chose, mais en complètement différent ! » (rires).

Comment avez-vous évité ces ressemblances ?

Il faut être vigilant et se soumettre à un texte et au monde décrit dans ce texte. La différence doit venir du texte original, en cherchant a décrire la véritable nature des choses, même si elle est très subtile.

Vous êtes-vous servi sources d'inspirations visuelles pour créer ce monde ?

J'étais assez libre de créer car la « charte graphique » de Narnia est moins stricte, moins codifiée que celle du Seigneur des anneaux. Narnia fait référence à des périodes bien définies de notre culture, puisqu'on y voit des minotaures, des centaures, qui sont des créatures bien connues, alors que les « ents » du Seigneur des anneaux, les arbres vivants, étaient eux, complètement inconnus.

Quelle a été votre approche quand vous avez dessiné pour la première fois la méchante de l'histoire, la fameuse Reine Blanche, qui recouvre peu à peu le monde de Narnia d'un manteau de neige et de glace ?

Je lui ai dessiné des armures et des costumes dont les formes évoquaient des cristaux de glace, mais c'était avant que l'actrice soit choisie. On a souvent tendance à oublier que le département de création des costumes s'adapte à la personnalité de l'artiste qui incarne le rôle, et que ces premiers concepts peuvent être entièrement changés par la suite. Je dirais que le plus grand compliment que les spectateurs puissent faire à ce travail de préparation, c'est de ne pas se rendre compte qu'il a eu lieu. Cela prouve alors qu'on a réussi à créer quelque chose de cohérent, de naturel, qui est complètement englobé dans ce grand tout qu'est le film terminé.

Comment commencez-vous à dessiner un personnage, un élément de décor ou un paysage ? Commencez-vous d'abord par une mise en place globale, ou par un petit détail, autour duquel vous allez ajouter des tas de choses ?

Je commence plutôt par un petit détail. J'aime beaucoup travailler sur de très grandes feuilles, en ayant en tête les exigences du metteur en scène et de la production. Après, il faut vagabonder. Il faut laisser le dessin en cours vous révéler où vous allez vous rendre, sans avoir tout planifié à l'avance. J'aime beaucoup partir dans un coin de la feuille sans savoir où je vais. En fin de compte, je suis entraîné par mon crayon et je le suis. Faire une grande esquisse de paysage, par exemple, me prend une heure ou deux. Ensuite, quand ce croquis est approuvé par la production, je le reprends et je travaille tous les détails. Disons qu'il faut se laisser le temps de se laisser entraîner par son imaginaire, de laisser faire cet aller-retour entre l'esprit, la main et l'inconscient, qui vous réserve souvent de belles surprises.

La période de la préproduction d'un film est-elle celle que vous préférez ?

Oui. C'est assez normal pour un artiste, car on est encore dégagé des contraintes réelles du tournage. On crée un paysage totalement imaginaire sans avoir à se soucier si on trouvera l'équivalent plus tard, quelque part en Nouvelle-Zélande. Ensuite lorsque la production commence, il faut reprendre les concepts et les adapter aux sites réels qui auront été choisis.

Votre mode d'expression préféré reste le dessin au crayon, même si vous avez produit des œuvres magnifiques avec beaucoup d'autres techniques. Pourquoi ?

Je crois que c'est parce que le dessin au crayon élimine tous les artifices artistiques. C'est du dessin pur. On ne peut pas donner d'effets de couleur. On suggère des effets de lumière et d'ombres. C'est une façon de montrer clairement une idée, sans se disperser, et c'est aussi un moyen de s'exprimer plus facile et plus rapide à mettre en œuvre que d'autres. Dans beaucoup de cas, surtout lorsque l'on dessine des édifices de bois et de pierre, ou certains paysages, la couleur est secondaire. Et le crayon reste la façon la plus efficace et la plus économique d'exprimer ses idées.

Quels sont les éléments de Narnia que vous avez eu le plus de plaisir à représenter ?

Forcément l'armée des méchants ! C'est là où l'on trouve de la densité, des textures, des aspérités, des ambiguïtés. Narnia est un monde qui est assez vite résumé, au fond. Ce n'est pas très vaste dans le premier roman. J'ai fait beaucoup de croquis du château de Cair Paravel dans lesquels j'avais tenté d'intégrer cette dimension chrétienne à laquelle tenait beaucoup C.S. Lewis. Ce sont des rappels presque subliminaux.

Est-ce que vous voyagez beaucoup pour dessiner des paysages d'après nature ?

Je ne dessine pas beaucoup dans la nature, à mon grand regret, par manque de temps. On a deux possibilités pour fixer une image, finalement. On peut prendre une photo, mais dans ce cas-là, on compte sur l'appareil pour interpréter le paysage à notre place, ou on fait un croquis, qui ne sera pas parfait, mais qui sera une trace personnelle, un souvenir de ce que l'on aura vraiment vu en le dessinant. Quelle est la meilleure des deux images ? Celle que l'on gardera parce que l'on aura bien regardée, ou celle que l'on stockera parce qu'on peut en faire un tirage ? Je ne sais pas. Je crois qu'il faut faire un mélange des deux pour se constituer de bons souvenirs.

Avez-vous souvent été agréablement surpris de la manière dont Weta a adapté vos dessins en accessoires, en maquettes et en effets spéciaux ?

Oui, très agréablement surpris. Ils ont engagé un armurier extraordinaire sur le tournage, et leurs maquettes étaient remarquablement fidèles aux dessins. Les maquettistes ont d'ailleurs fait preuve de beaucoup d'humilité en acceptant de se « soumettre » en quelque sorte au dessin, et de s'en emparer pour réaliser leur superbe travail, sans essayer d'interférer en quoi que ce soit. Ce sont des grands artistes, mais ils acceptent la vision qui vient d'un autre artiste avec une ferveur très touchante. Il n'y a jamais eu de tiraillements entre nous, mais un enthousiasme commun qui était formidable.

Comment travaillez-vous dans votre atelier ?

Je travaille souvent sur des feuilles de très grande taille, en m'entourant d'une abondante documentation - photos, livres, objets -, de manière à m'imprégner du sujet. J'ai donc besoin de beaucoup, beaucoup de place pour travailler !


Johnhowe
envoyé par makistador


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