Le jour où la terre s’arrêta : Entretien avec Jeffrey Okun, superviseur des effets visuels
Article Cinéma du Vendredi 16 Janvier 2009

Jeffrey A. Okun a débuté sa carrière de superviseur des effets visuels sur The « Last Starfighter » (1984), l’un des premiers films qui utilisait des vaisseaux spatiaux réalisés en 3D. Il est ensuite intervenu sur « Die Hard 2 » (1990) « Stargate » (1994), « L’île aux Pirates » (1995), « Sphère » (1998), « Planète rouge » (2000), « Le dernier Samouraï » (2003), « Les 4 Fantastiques » (2005) et plus récemment « Blood Diamond » (2006). Effets-speciaux.info s’est entretenu avec Jeffrey Okun pour évoquer avec lui les problèmes très spécifiques que posait la nouvelle version du « Le jour où la terre s’arrêta », et les solutions très convaincantes qui ont été trouvées en collaboration avec Weta, qui a signé la majeure partie des effets 3D...

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau



La version originale du « Le jour où la terre s’arrêta » était-elle l’un des films que vous avez vu enfant, et qui vous ont peut-être donné envie de devenir superviseur d’effets visuels ?

Le film original est effectivement l’un de ceux que j’ai vus pendant mon enfance, et qui m’ont ouvert l’esprit en me faisant rêver à d’autres mondes lointains, très différents du mien. Il m’a incité à réfléchir à la présence possible de formes de vies intelligentes sur d’autres planètes, et au fait qu’elles pourraient être amicales et pourraient aider les humains à progresser, et à se rendre compte du mal que nous nous faisons nous-mêmes. C’est vraiment l’un des films qui a changé ma vie et mon regard sur les choses, jusqu’à ce jour ! Et il m’a aussi donné envie de m’intéresser aux effets visuels, tout comme « Jason et les Argonautes » et « Le Voyage Fantastique ».

Comment avez-vous créé le nouveau vaisseau de Klaatu et les scènes dans lesquelles il apparaît ?

Scott Derrickson, le réalisateur, avait déjà décidé que le vaisseau devrait avoir une forme sphérique. Comme son chef décorateur, il pensait que cette forme naturelle et organique serait probablement celle que toute race intelligente choisirait en raison de sa résistance structurelle, de ses capacités aérodynamiques, et aussi parce qu’elle symbolise tout ce qui compose l’univers : les planètes, les lunes et les étoiles. J’avais déjà travaillé sur un film dans lequel on découvrait une sphère géante (« Sphère » , réalisé par Barry Levinson d’après le roman du regretté Michael Crichton) et j’étais donc déjà bien averti des propriétés de cette forme et des problèmes d’échelle et de reflets que l’on peut rencontrer quand on doit la transposer en images. J’ai fait part de ces difficultés à Scott lors de notre première réunion. Je lui ai fait remarquer qu’une sphère parfaitement lisse n’a aucune échelle apparente : personne ne peut juger si elle est petite ou grande tant qu’on ne la place pas à côté de quelque chose de familier dont on connaît la taille. Les propriétés réfléchissantes d’une surface sphérique sont aussi beaucoup plus difficiles à restituer de manière crédible. Et bien sûr, quand on veut représenter l’intérieur d’une sphère géante, il est difficile d’estimer le degré de courbure exact des parois, et de les utiliser pour donner une idée de la taille globale de ce décor. Dans « Sphère », j’avais dû faire construire en studio une portion d’un huitième du vaisseau, qui était peinte en vert, parce que Peter Coyote devait se tenir debout devant et la toucher. Avant que Peter et nous ne nous retrouvions sur le plateau, devant cette partie de vaisseau, nous aurions été bien incapables de lui indiquer jusqu’où il allait devoir lever les yeux pour faire semblant de regarder la partie supérieure de la sphère. Ce morceau de décor nous a bien aidé à « vendre » cette scène, à la rendre convaincante, et pourtant, il ne s’agissait là que d’une sphère sensée mesurer un peu plus de 9 mètres de haut. Dans « Le jour où la terre s’arrêta », le vaisseau mesure 95 mètres de haut !

Cela posait donc des problèmes de mise en images bien différents…

Oui. Il fallait que nous trouvions le moyen d’estimer à quelle profondeur la base de la sphère allait s’enfoncer dans le sol. Imaginons que la trace dans le sol soit un cratère de 4,50m de diamètre. Cela signifie que si vous vous tenez debout à deux mètres du vaisseau, sa coque passe au ras de votre tête, et occupe l’espace encore pendant 43 mètres derrière vous ! Pouvez-vous imaginer ce que cela donnerait à l’image ? Ou estimer à quel angle serait la surface du vaisseau si vous vouliez la toucher avec votre main ? Cela veut dire que vous seriez obligé de vous pencher en arrière pour toucher une surface au-dessus de votre tête, à un angle oblique, ou que vous devriez vous pencher pour toucher le dessous de la courbe. Bien sûr, on peut estimer tout cela en ayant recours à des dessins et en échafaudant des théories sur la manière de filmer ces images, mais je dois vous dire que par expérience, j’ai pu me rendre compte qu’il est très difficile de comprendre ce que filmer un tel objet représente avant de le voir partiellement construit à taille réelle sur un plateau. C’est assez étonnant. Il a donc fallu que je communique toutes ces informations à la production, et que je dialogue avec le réalisateur, les producteurs, le directeur de la photo et l’équipe, afin que l’on puisse éclairer, filmer, jouer devant le vaisseau, et que chacun comprenne bien ce que nous allions faire.

Quelle a été l’étape suivante ?

Une fois que nous avons résolu ces difficultés, nous sommes passés à la phase de conception de l’aspect du vaisseau et de son animation. Là encore, Scott avait des idées bien précises de ce qu’il souhaitait. Il avait initié des plans de pré-visualisation de la séquence de l’atterrissage de la sphère bien avant que je ne sois engagé pour superviser les effets visuels du film. Au départ, il avait imaginé que la sphère serait une boule de lumière si vive que l’on aurait l’impression de voir un second soleil se déplacer, mais avec une rapidité et une légèreté gracieuse que l’on n’associe habituellement pas aux mouvements des objets de si grande taille. Bien sûr, une animation de ce genre allait créer une belle confusion, car les spectateurs associent toujours des mouvements lents et pesants à des objets énormes et lourds. Nous courrions le risque de brouiller la perception de la taille du vaisseau. Il a donc fallu que nous trouvions des angles de prises de vues dans lesquels nous puissions toujours intégrer des éléments de référence qui permettent de comprendre la taille de la sphère. Vous remarquerez que dans presque toutes les contre plongées sur la sphère, on peut voir les sommets des gratte-ciels environnants, et que l’on montre des silhouettes humaines ou des véhicules dans tous les plans en plongée. C’est ce qui nous aide à donner de la crédibilité à l’échelle du vaisseau.

Mais une fois qu’il s’est posé, le vaisseau n’est plus lumineux, n’est-ce pas ?

Oui. Dès qu’il est en contact avec le sol, la lumière vive s’estompe et l’on découvre alors quelque chose qui ressemble à une grande planète gazeuse, sans en être une copie parfaite. C’est ainsi que nous avons défini l’apparence de la sphère. Nous avons testé de nombreuses apparences différentes, dont certaines étaient très impressionnantes, mais la plupart avaient le défaut d’être un peu trop spectaculaires, trop proches des clichés des trucages habituels des films de SF. Notre but était d’obtenir un aspect à la fois organique et mystérieux, qui semble venir d’ailleurs et qui soit impressionnant à observer à cause de son aspect toujours changeant. En fin de compte, Kevin Rafferty et Chris White, les superviseurs des effets visuels de Weta, ont défini l’aspect qui est utilisé dans le film.

Comment a-t’il été créé ?

Il s’agit d’une simulation complexe en 3D, qui utilise non pas une, mais quatre sphères virtuelles imbriquées les unes dans les autres. A l’intérieur de cet objet, nous avons placée différentes sources lumineuses à des profondeurs variables. Il fallait que leurs déplacements et leurs intensités varient et paraissent réalistes. Nous ne voulions pas que l’on ait l’impression de voir un effet plaqué à la surface de l’objet, ni un effet de faisceaux ajoutés artificiellement à l’extérieur. On devait comprendre que la lumière venait de l’intérieur du vaisseau. Nous avons ajouté des lueurs ambiantes, et un traitement de surface qui permettait de créer les reflets des faisceaux lumineux, pour donner au vaisseau un aspect tridimensionnel convaincant. L’un des problèmes que l’on rencontre avec les sphères, c’est qu’elles ont tendance à ressembler à des disques plats si elles ne sont pas éclairées correctement.

Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir cette couleur verte ?

Nos recherches de couleur ont été intéressantes. Au départ, nous avions spontanément pensé à lui donner une couleur bleue, ou des teintes qui pourraient évoquer l’eau d’une piscine. Mais nous n’avons pas tardé à nous rendre compte qu’il ne fallait surtout pas aller dans cette direction, car le bleu est devenu la couleur cliché de toutes les représentations de manifestations extraterrestres ! Pensez-y et vous vous rendrez compte qu’elle est utilisée pratiquement dans toutes les scènes d’effets spéciaux dans ce registre ! On dirait que le bleu est LA couleur des effets visuels, et qu’on l’utilise systématiquement pour mettre en scène des extraterrestres, depuis les premiers films en technicolor ! Nous avons donc fait des tests avec des jaunes, des rouges, des verts, des cyans, des magentas, des blancs « chauds », des blancs « froids », soit pratiquement tout le spectre à l’exception du bleu, et avons finalement choisi ce que vous voyez dans le film, c’est à dire un mélange de bleu cyan, de jaune et de vert qui nous a semblé fonctionner très bien.



Comment avez-vous imaginé les fonctions du vaisseau, ses caractéristiques « techniques » ?

C’était l’étape suivante de notre travail. Il fallait déterminer jusqu’à quel point nous allions définir ce que la sphère était. Il ne suffisait pas de dire qu’il s’agissait d’un vaisseau, car elle n’en a pas vraiment l’allure. A un moment, dans le script, nous pénétrons dans la sphère avec Helen, et il fallait donc que nous sachions ce que nous allions voir. Nous nous sommes alors posé toute une série de questions : D’où la sphère vient-elle ? Combien de temps lui a-t’il fallu pour arriver jusqu’à la terre ? Est-ce Klaatu qui la pilotait ? Etait-il placé dans une état d’animation suspendue pendant le voyage, et était-ce alors Gort qui dirigeait le vaisseau ? Ou était-ce un système de pilotage automatique ? Nous nous sommes posé des dizaines de questions de ce genre.

Le scénario ne vous apportait-il pas toutes les réponses ?

Disons qu’il nous donnait quelques indices. Nous savions que le vaisseau avait traversé notre système solaire en temps réel, puisque le script indiquait qu’il était détecté pendant son approche. Il s’agissait donc bien d’un vaisseau et non d’une machine capable de se matérialiser d’un point de l’univers à un autre point. Mais ensuite, nous nous sommes dits que le vaisseau ne contenait peut-être pas des êtres vivants, mais peut-être juste un passage qui permettait de voyager au travers du temps et de l’espace, au travers d’une autre dimension, ce qui voudrait dire que ces êtres pourraient arriver jusqu’ici sans avoir à faire tout le voyage. C’est ainsi que le voyage est représenté dans le film. Le vaisseau atterrit et un être émerge de ce passage. L’avantage de ce concept, c’est que cela rend l’arrivée de Klaatu encore plus mystérieuse. Nous n’avons pas à nous préoccuper de représenter un sas, une porte ou une rampe qui se déploie pour lui permettre de marcher jusqu’au sol. Ce genre de détail est toujours un peu ridicule. Grâce à cette approche, nous avons créé une méthodologie qui nous permettait de définir qui étaient Klaatu et Gort !

Avez-vous utilisé des effets visuels pour représenter la première apparition de Klaatu ou avez-vous utilisé un vrai costume ou un effet réalisé devant la caméra ?

L’aspect extraterrestre de Klaatu a été mis au point par Aaron Sims. Scott avait là encore des idées très spécifiques à propos de cette créature, basées sur les conceptions « scientifiques » dont nous avions convenu. Il fallait que la créature ait un aspect étonnant, réaliste, organique, parce qu’elle devait donner l’impression d’avoir déjà vécu sa propre histoire. Il fallait qu’elle soit de toutes évidences d’origine étrangère, et que l’on sente qu’elle puisse être blessée, mais sans avoir l’air trop fragile non plus. Etant donné que nous avions décidé que la sphère était principalement composée de lumière et était un portail ouvert sur un autre point de l’univers, Aaron nous a proposé un extraterrestre qui était lui aussi composé de lumière. C’était particulièrement épineux à transposer en image. Un être lumineux placé devant un vaisseau plus grand et également lumineux, ce n’est pas une chose que l’on peut facilement créer et placer devant une caméra ! Scott voulait s’assurer que l’on puisse voir l’extraterrestre sans en distinguer tous les détails, puis qu’on le verrait de mieux en mieux jusqu’à ce qu’il prenne l’apparence de Keanu Reeves. Nous avons donc envoyé le design d’Aaron Sims à Cinesite, à Londres, et leur avons demandé de le modéliser en 3D, et de nous montrer ce qu’une telle créature donnerait, une fois rendue lumineuse, et placée devant un fond lui aussi lumineux. Cinesite a fait une démonstration fantastique, qui répondait à toutes nos demandes de lisibilité de l’image, et qui respectait le design d’Aaron. Cette créature était même capable d’exprimer des émotions, malgré le fait qu’elle est dépourvue d’yeux. L’extraterrestre était translucide, parcouru de sources lumineuses colorées à l’intérieur de son corps, mais aussi éclairé par les lueurs du vaisseau, et entouré d’effets de hauts contrastes de couleurs qui lui donnaient un aspect parfaitement réel. C’était tout à fait étonnant. Nous l’avons ensuite estompé en utilisant les lumières du vaisseau, mais je dois dire que nous en ressentions presque de la culpabilité ! C’était une des créatures les plus belles et les plus innovantes que j’aie vu depuis les extraterrestres en forme d’animaux marins luminescents imaginés par James Cameron pour Abyss.

Comment le travail de Cinesite a-t’il été utilisé par Weta pour réaliser le plan final ?

Nous avons confié le modèle de Cinesite à Weta, qui l’a retravaillé pour le conformer à leur processus de création 3D spécifique. Il a été animé à la fois en utilisant de la capture de mouvement et de l’animation en images clés, afin d’interagir avec ce que nous avions tourné en plateau.

Justement, qu’aviez-vous tourné en plateau pour représenter l’extraterrestre qui serait ajouté en post-production ?

Nous avons filmé un danseur recouvert d’un justaucorps vert et d’une cagoule , afin que Jennifer Connelly puisse interagir avec lui, puis le rattraper et le tenir quand il tombe. L’équipe de Weta s’est souvent arraché les cheveux pour donner la bonne luminosité au personnage pendant cette scène. Les indications du réalisateur étaient de cacher la créature dans la lumière du vaisseau, mais aussi de permettre de la voir suffisamment pour qu’elle semble réaliste et bien présente. Pour tourner cette scène, David Tattersall, notre directeur de la photo, a placé une énorme quantité de lumière derrière un écran géant de soie blanche. Il a demandé aux acteurs de se tenir sur une surface réfléchissante, puis il a filmé le tout face à l’écran lumineux. Les prises de vues réelles qu’il a obtenues ainsi était déjà superbes et étonnantes. Elles nous ont permis d’intégrer plus facilement le personnage en 3D dans cet environnement, mais il a tout de même fallu régler avec beaucoup de finesse la luminosité de l’extraterrestre et les ombres qu’il projette sur les personnages et les volumes qui l’entourent. Nous avons ensuite veillé à ce que ces équilibres très délicats soient bien respectés pendant tout le reste de la post-production du film, du compositing jusqu’à l’étalonnage final et la duplication des copies 35mm.



Comment le nuage de Nanobots et les effets de desintégration moléculaire ont-ils été créées et animés ? Quelles ont été vos références visuelles pour réaliser ces plans très spectaculaires ?

Les nuages de Nanobots ont tous été créés en utilisant des simulations de particules. Pour les animer, nous nous sommes référés à deux phénomènes de la nature : le déplacement très particulier des vols d’étourneaux (NDLR : on peut voir des vidéos de ces nuées d’oiseaux sur le site de YouTube) et les mouvements des bancs de poissons lorsqu’ils sont attaqués par des prédateurs. La représentation des Nanobots nous posait elle aussi des problèmes particuliers : ils sont trop petits (NDLR : par définition, des nanobots sont à peine plus grands que des atomes, puisqu’ils sont destinés à les manipuler et à les réassembler.) pour qu’on puisse les voir à l’œil nu. Ils sont constitués de métal qui reflète la lumière, mais en raison de leur taille, ils ressembleraient à de minuscules paillettes projetées en l’air. Vus de loin, ils pourraient évoquer de la fumée, un nuage, un ouragan ou une tornade. En fait, nous nous sommes rendu compte qu’ils ne devaient pas émettre de la lumière, car cela ne ferait qu’amoindrir leur apparence. Nous avons été contraints de les réinventer en fonction de ce qu’ils devaient faire dans l’histoire. Nous avons commencé par déterminer une série de règles liées aux réalités physiques de leur existence. Parmi ces règles, il a été établi que les Nanobots n’attaquent pas les choses : ils se contentent de dévorer pratiquement tout ce qui se trouve sur leur chemin. Ils agissent comme de petites usines mobiles qui démontent les atomes des objets et recomposent ces matières premières récoltées pour fabriquer d’autres Nanobots qui viennent rejoindre leurs rangs. Mais il fallait qu’ils consomment ou détruisent ces objets de manière réaliste, c’est à dire de l’extérieur vers l’intérieur. Cela ne signifie pas que quand un petit groupe de nanobots a rongé une partie de la surface de l’objet, il se précipite dedans pour le ronger de l’intérieur. Il ne fallait pas non plus que les mouvements de la nuée nous cachent les effets de cette destruction, et la désintégration progressive des objets, qui allait être très spectaculaire. Pour représenter les Nanorobots de manière lisible, nous avons évidemment dû tricher sur leur taille. En 3D, leur taille varie entre celle d’une tête d’épingle, et un point d’environ 6mm.

Quelles difficultés avez-vous du résoudre pour animer les mouvements des nuées de Nanobots ?

De multiples difficultés. De manière générale, les simulations de particules sont très difficiles à contrôler, car elles sont elles-mêmes animées par des logiciels de mouvements aléatoires, comme ceux que l’on utilise pour simuler de la neige, ou d’autres programmes qui permettent de représenter des gouttes de pluie, ou les déplacements de masses liquides. Chris White, l’un des deux superviseurs des effets visuels au sein de Weta, a supervisé cet aspect des Nanobots. Chris était l’un des génies d’ILM qui a développé les premières animations de particules, et il s’est fixé l’objectif de pousser ces recherches jusqu’à atteindre la perfection, une bonne fois pour toutes. Il a été engagé par ILM parce qu’il avait écrit une thèse remarquable sur les simulations de particules. C’était donc vraiment l’homme de la situation ! Il travaillait déjà à Weta quand nous sommes arrivés avec notre projet, et sa participation au film m’a immédiatement convaincu que nous allions réussir à atteindre notre but.

Comment avez-vous procédé pour répliquer les mouvements très particuliers des étourneaux et des bancs de poissons ?

Nous avons fait des recherches pour comprendre comment ce phénomène fonctionnait dans la nature. Comment ces animaux pouvaient se déplacer de manière si gracieuse et si belle en groupes de plusieurs milliers d’individus sans que cela provoque le chaos auquel on pourrait s’attendre. Dans chaque groupe, ce sont les mâles dominants qui mènent les évolutions. Les femelles et les individus plus jeunes les suivent à une distance qui ne varie pas. Chaque animal à côté des « meneurs » reproduit les mouvements de son voisin et ainsi de suite. Si l’oiseau « meneur » tourne à gauche, son voisin tourne lui aussi à gauche, s’il s’élève, l’autre s’élève aussi. Bien sûr, écrire le code d’un logiciel pour obtenir la même chose en contrôlant des centaines de milliers de particules est une toute autre affaire, bien compliquée ! Nous avons fini par créer des petits groupes de particules appelés « Blobbies » qui restaient entre eux au milieu de la nuée. Autour de ces groupes, nous avons disposé des groupes baptisés « Sorcières », parce qu’ils se déplaçaient comme la sorcière du « Magicien d’Oz », en faisant de grands mouvements latéraux d’un bout à l’autre de l’écran. Quelquefois, la combinaison de ces deux grands groupes de particules provoquaient des résultats chaotiques complètement imprévus. On voyait les particules se disperser dans toutes les directions à la fois, sans se soucier de ce que faisaient les groupes voisins ! (rires) Mais en fin de compte, Chris et les formidables artistes de Weta ont fini par dompter les pixels ! Ils ont réussi à les faire bouger exactement comme nous le souhaitions. C’est ainsi que nous avons pu leur faire dévorer le camion et le stade géant comme nous l’avions prévu, à la bonne vitesse, et dans la bonne lumière. Mais ces animations étaient le fruit de calculs très complexes. Pour obtenir le rendering d’une nuée entière sur une image d’un plan, il fallait quelquefois attendre 24 heures ou plus ! Il était impératif que nous trouvions une solution qui nous permette d’obtenir un résultat identique dans des délais plus courts, qui correspondent à notre deadline technique.

Etait-ce un défi de créer la nouvelle version de Gort, qui est une des icônes les plus célèbres de la SF ? Combien de versions différentes du robot avez-vous développées avant de choisir la version définitive ?

Gort était un défi particulièrement ardu à relever, parce que pour de nombreux cinéphiles, Gort EST le film ! Dans la version originale de 1951, il faisait peu de choses, mais elles restaient gravées dans l’esprit des spectateurs : il se tenait debout, désintégrait un tank, soulevait Helen, et ressuscitait Klaatu ! En dépit de cela, il émanait de Gort une impression de puissance très marquante, qui en a fait une véritable icône, comme vous le disiez. Il se trouve que j’ai un souvenir personnel lié à Gort. Quand j’étais enfant, je vivais dans la même rue qu’un acteur nommé Larry Harmon, qui avait créé le personnage de Bozo le Clown. Il était célèbre parce qu’il présentait des programmes de télévision destinés aux enfants. Dans son garage, Larry avait entreposé un Gort grandeur nature, dont la visière se relevait et s’allumait ! Pour les gosses du quartier, aller là-bas, voir Gort et pouvoir le toucher était quelque chose d’extraordinaire. Donc comme vous l’imaginez, pour moi, Gort n’était pas seulement un challenge professionnel, mais un personnage très important à un niveau personnel. Depuis le début, j’ai été convaincu que Gort devait garder une forme humanoïde basique, pas seulement pour ressembler au modèle original, mais parce que ce serait probablement la forme que des extraterrestres choisiraient de donner à un robot s’ils décidaient d’entrer en contact avec nous. Extérieurement, il fallait que Gort soit complètement lisse et dépourvu d’expression pour que nous puissions projeter toutes nos émotions en lui, comme nous le faisons quand nous voyons le monolithe de « 2001, l’odyssée de l’espace », ou quand nous voyons la tâche d’encre noire d’un test de Rorschach. Je crois aussi que des extraterrestres n’utiliseraient pas volontairement une forme effrayante. Ils se contenteraient de prélever des échantillons de notre ADN pour savoir quel est notre aspect physique, ou ils pourraient se contenter de capter nos signaux de télévision pour nous voir. Muni de ces informations, ils pourraient ensuite donner une forme simple, non menaçante, à leur robot, tout en lui donnant le pouvoir d’anéantir la terre, le cas échéant ! Nous avons établi la liste de tout ce que Gort devait être capable de faire. Gort est d’abord le garde du corps de Klaatu et doit le protéger à tout prix. Gort doit aussi pouvoir être stoppé si nécessaire et doit donc être équipé d’un système d’arrêt d’urgence. Il doit être en mesure de se protéger lui-même en cas d’attaque. Et enfin, il doit pouvoir détruire la terre si on lui en donne l’ordre. Une fois cette liste achevée, nous avions tous les éléments en main pour créer un Gort qui soit fidèle à l’original, tout en étant modernisé pour répondre aux attentes du public d’aujourd’hui. En fin de compte, nous sommes arrivés à ne retenir que 5 Gorts complètement différents avant de choisir celui qui est dans le film. Il fallait être sûr que cette apparence allait convenir dans différents environnements de lumière, avec des angles de vues très variés, et qu’elle serait également adaptée à tout ce que Gort devrait faire.

Le design final est humanoïde et métallisé, comme l’original. Cela vous a-t’il posé des problèmes d’éclairage, comme pour l’aspect translucide original de Klaatu ?

Oui. Quand nous découvrons Gort pour la première fois, il se tient immobile à côté de la sphère qui a son apparence « colèrique » comme nous avions coutume de le dire. Il y a donc des éclairages par l’arrière très forts et beaucoup de diffusion de rayons lumineux qui entourent Gort. La première chose dont nous nous sommes rendu compte, c’est que ce type d’éclairage arrière dessine ses contours et souligne efficacement sa grande taille et sa forme de « tube », sans que nous ayons besoin d’ajouter un éclairage frontal. Dans la séquence qui se déroule dans la pièce de « flashage atomique », il était éclairé de manière très douce, et avait là encore une apparence très intéressante. Il fallait gérer l’intensité des reflets sur sa surface pour que Gort soit beau quel que soit l’éclairage autour de lui. Par la suite, nous nous sommes rendu compte que si la caméra ne bougeait pas ou que Gort restait immobile, il pouvait avoir un aspect « cartoon » ou « animation 3D » qui n’était pas souhaitable. Nous avons donc retravaillé tous les plans statiques pour qu’il ait une meilleure allure, et qu’il paraisse toujours mystérieux ou menaçant selon ce que la scène devait exprimer.

Son animation a-t’elle posé des difficultés ?

Nous avons constaté que d’infimes variations dans le « langage corporel » de Gort avaient un impact énorme sur son apparence lorsqu’il était en mouvement. Nous avons d’abord fait une session de captures de mouvements avec Shane Rangi de Weta. Nous l’avons dirigé en lui demandant de faire les gestes qui correspondaient à plusieurs variations de la même scène d’action, et avons transposé ces mouvements sur une version animée en 2D de la scène. L’équipe d’animation a ensuite adapté et transposé les données récoltées via la capture de mouvements, y a ajouté de l’animation en images-clés, et m’a soumis ces essais. Je les ai ensuite transférés à Scott Derrickson pour qu’il réagisse et nous donne des indications de réalisation et de mouvements de caméra. En fin de compte, nous avons créé un robot étonnant, constitué de Nanobots, qui s’intègre remarquablement bien dans l’histoire, tout en donnant un coup de chapeau au Gort original. C’était un grand défi à relever, et nous l’avons abordé avec beaucoup de sérieux, et avec beaucoup de respect pour le personnage entré depuis 1951 dans l’histoire de la SF.

Quelles sont les autres séquences majeures où interviennent d’autres effets visuels ?

Il y en a plusieurs, mais notre règle d’or était de ne pas les souligner, ni d’utiliser les effets visuels de manière ostentatoire. Nous voulions les imbriquer étroitement dans l’histoire. Si les spectateurs arrêtent de regarder un film pour ne se concentrer que sur les effets spéciaux, cela veut dire que tout est gâché. Cette nouvelle version, tout comme le film original, est animée, propulsée par son histoire. En 1951, Robert Wise a dû faire preuve d’astuce parce qu’il ne disposait que d’un budget limité. Nous avions un budget confortable, mais nous ne voulions pas nuire à l’équilibre d’une scène ni au déroulement de l’histoire en la stoppant avec des effets « tape à l’œil ». Certains des effets visuels « discrets » que nous avons ajoutés ont consisté à agrandir le décor d’arrière-plan de certaines scènes, comme celles qui se déroulent à Fort Monmouth, une base militaire. Ces images ont été tournées en réalité à l’université Simon Fraser de Vancouver, et nous avons dû ajouter énormément de troupes et de véhicules militaires dans le décor.

Vous n’avez pas tourné non plus dans le véritable Central Park de New York…

Non, d’abord parce que les tournages sont très rarement autorisés dans le parc, et aussi parce que c’est un endroit très sombre, à la nuit tombée. Il valait mieux reconstituer une version virtuelle de Central Park, et c’est ce que nous avons fait. Au cours de cette séquence, nous utilisons une série de transitions très intéressantes en partant de la sphère. Nous commençons dans le décor de marais, puis passons par Central Park, par le désert, et par la jungle. Ce mouvement de caméra géant a été conçu par Kevin Rafferty de Weta. C’est une séquence d’une grande ampleur, qui constitue une belle introduction, tout en lançant le début de l’histoire.

Vous êtes certainement intervenu aussi dans la création des scènes de panique…

Oui. Nous avons ajouté des embouteillages monstrueux et des vues des hélicoptères qui s’éloignent quand on voit l’exode des gens qui fuient les villes. C’était un point très important du film, qui devait décrire de manière convaincante toute l’angoisse de la population pendant cette crise. Je voudrais aussi ajouter que nous avons ajouté assez tard pendant la production du film la séquence où l’on voit l’armée attaquer la nuée de Nanobots autour des silos de missiles. Comme il s’agissait d’un ajout de dernière minute, il a fallu bien coordonner les équipe de prévisualisation, les équipes de prises de vues réelles et les prestataires des effets visuels. Nous n’avons eu que quatre semaines pour réaliser cette scène de A à Z !

Avec le recul, quels sont les plans les plus complexes que vous avez réalisés pour ce projet ?

Les plans les plus complexes sont de loin ceux dans lesquels apparaît Gort. Il fallait qu’il ait un aspect parfait, et qu’il corresponde en tous points aux attentes des fans, du grand public, du réalisateur et du studio. C’est ce qui rendait ce travail particulièrement difficile. Nous savions que nous devions nous inscrire dans la continuité d’une œuvre-culte, aimée depuis plus de 57 ans ! Quand j’ai commencé à travailler sur « Le jour où la terre s’arrêta », je me faisais du soucis à propos de la sphère, en partie à cause de mon expérience passée. Je me demandais comment nous allions pouvoir représenter de minuscules Nanobots pendant des scènes de nuit, sous la pluie, alors que tous les éclairages publics étaient éteints (c’était ce qui était prévu à ce moment-là). Je me demandais comment nous allions réussir la transition entre la créature extraterrestre et l’aspect humain de Keanu Reeves. Mais en fin de compte, plus que tous ces autres effets, c’est Gort – que je pensais pouvoir créer assez facilement – qui nous a causé le plus de problèmes ! C’est souvent comme cela que les choses se passent : il est très difficile de prévoir où se cachent les difficultés les plus épineuses !

Au total, combien de plans d’effets visuels avez-vous créés ? De combien de temps avez-vous disposé pour les concevoir et les finaliser ?

Il y a environ 500 plans truqués dans la version finale du film. Nous en avons créé davantage, car certaines scènes ont été coupées du film, et d’autres ont été testées mais finalement pas retenues. Nous avons disposé de cinq mois et demi pour livrer tous les plans.

Quels souvenirs garderez-vous de cette expérience ?

Je dois dire que ce projet nous a réservé pas mal de surprises, mais qu’au bout du compte, il a été très satisfaisant. J’espère que les spectateurs seront captivés par l’histoire du film, et qu’ils ne seront pas particulièrement conscients de notre travail. Cela voudrait dire que nous l’avons bien fait !

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