LA SAGA RAY HARRYHAUSEN – 1ère Partie
Article 100% SFX du Dimanche 19 Mars 2023

Par Pascal Pinteau

Avant-propos : ESI rend hommage à l’enchanteur de la stop-motion

Pour plusieurs générations de cinéphiles, le nom de Ray Harryhausen est une formule magique : en le prononçant de merveilleux souvenirs d’enfance resurgissent. De fascinants voyages dans les univers de la mythologie grecque ou des contes des Mille et une nuits, peuplés de créatures de rêves et de cauchemars. Épées et boucliers en main, les héros de ces incroyables aventures combattaient des chimères de toutes sortes, des squelettes revenus à la vie, des statues colossales ou des animaux légendaires.

À l’époque, ces interactions dynamiques entre des acteurs de chair et d’os et des personnages surnaturels étaient inédites, incroyables, véritablement extraordinaires.

Ce n’est pas un hasard si la plupart des grands superviseurs d’effets visuels les citent comme étant à l’origine de leur vocation. Ray Harryhausen fait partie de ces créateurs uniques qui ont marqué l’imaginaire de cinéastes tels que James Cameron, George Lucas, Steven Spielberg, Guillermo Del Toro, Tim Burton et Peter Jackson, qui lui ont tous rendu hommage lorsqu’il a disparu, le 7 mai 2013. « Sans Ray Harryhausen, il n’y aurait probablement pas eu de Star Wars » a même déclaré Lucas.

Harryhausen était un animateur de génie et un concepteur de trucages exceptionnel, mais aussi un artiste accompli dont nous allons explorer les multiples talents au fil de ces pages. Il était également un homme chaleureux et modeste avec lequel j’ai eu la chance de me lier d’amitié à partir des années 80. Contrairement aux grands noms des effets visuels d’aujourd’hui, qui travaillent dans des studios dont l’accès est strictement interdit au public, Ray se rendait toujours disponibles pour ses fans. Je peux en témoigner car j’ai été convié plusieurs fois chez lui, dans le saint des saints : le bureau-atelier de sa maison londonienne où, sagement alignées dans des vitrines, ses marionnettes ne semblaient attendre qu’un geste magique de leur créateur pour s’animer à nouveau. Le déclic de ma passion pour le fantastique avait eu lieu à l’âge de sept ans, lorsque j’avais vu un extrait de JASON ET LES ARGONAUTES – l’arrivée de Talos le géant de bronze – dans l’émission La Séquence du Jeune Spectateur. A cette époque, la fin des années 60, la science-fiction et le fantastique n’étaient guère appréciés des dirigeants des chaînes françaises, et ces images sidérantes du titan de métal arrivant sur une plage et tentant de saisir de minuscules marins se sont gravées à tout jamais dans ma mémoire. Imaginez l’émotion qui m’a étreint une quinzaine d’années plus tard, quand je me suis retrouvé à côté du créateur de Talos, dans son atelier, et qu’il m’a gentiment tendu la marionnette originale du film pour que je puisse observer ce géant…d’une trentaine de centimètres. Ce fut un moment extraordinaire.

L’hommage que Effets-speciaux.info lui rend dans cette longue série d’articles vous permettra de découvrir toute sa carrière et vous entrainera dans son imagination. Il vous permettre de découvrir aussi un portrait plus intime, grâce au témoignage de sa fille Vanessa, tandis que Connor Heaney vous présentera les projets présents et futurs de la Fondation Ray et Diana Harryhausen, dont il est le directeur des collections.

Ray nous a quitté, mais ses sortilèges cinématographiques demeurent. Nous vous invitons à les redécouvrir en voyageant dans l’univers de cet immense artiste de la stop-motion.



Les prédécesseurs de Ray Harryhausen dans l’histoire de la Stop-Motion.

L’animation de marionnettes image par image : une nouvelle forme d’expression artistique, apparue au début du 20ème siècle.


À partir des années 1900, le polonais Ladislas Starewitch et l’américain Willis O’Brien - futur mentor de Ray Harryhausen - sont les premiers à transposer la technique du dessin animé, déjà largement répandue, sur des personnages en trois dimensions.

Ladislas Starewich met en scène des récits féériques et burlesques en animant des poupées dont les squelettes de bois articulé sont recouverts de peaux de chamois et de tissu, tels les scarabées de sa première réalisation LA LUTTE DES CERFS-VOLANTS, en 1909. Starewitch vient s’installer en France à partir de 1919, et y tourne son chef d’oeuvre en 1929 et 1930, le long métrage LE ROMAN DE RENARD, qui ne sort en version sonore qu’en 1941. Suivent de nombreux courts-métrages d’une étonnante virtuosité artistique et technique. Starewitch utilise la rétroprojection pour ajouter ses marionnettes à des prises de vues réelles, et il parvient à créer des flous dans les mouvements rapides en bougeant ses poupées avec des fils invisibles, pendant que l’obturateur de la caméra est ouvert. Il poursuit son oeuvre essentiellement destinée au jeune public jusqu’à CARROUSEL BOREAL, achevé en 1958. Il disparaît en 1965, avant d’avoir terminé COMME CHIEN ET CHAT.

Dans le premier film de Willis O’Brien, un combat de boxe comique, les deux protagonistes sont des statuettes d’argile aux squelettes de fil de fer. Le célèbre inventeur Thomas Edison, enthousiasmé par ce rendu original, engage O’Brien dans sa firme cinématographique et lui permet de réaliser le court-métrage humoristique LE DINOSAURE ET LE CHAINON MANQUANT en 1915. On y voit un dinosaure et un homme singe s’amuser à effrayer des hommes des cavernes. Le succès du film rejaillit sur O’Brien, qui reprend son indépendance et se voit confier la conception des trucages du MONDE PERDU (1925), première adaptation du fameux roman d’Arthur Conan Doyle, dans lequel le professeur Challenger et un groupe d’aventuriers explorent les hauts-plateaux d’Amérique du Sud, et y découvrent des dinosaures encore vivants. C’est pendant la préparation de ce projet ambitieux que O’Brien perfectionna une technique de fabrication de marionnettes si efficace qu’elle est encore employée de nos jours.

Un squelette de métal inusable

Comme O’Brien avait pu le constater auparavant, une armature en fil de fer s’use rapidement, car plus les fils sont pliés et dépliés, plus ils se fragilisent, finissant par rompre, parfois au milieu du tournage d’un plan, avec des conséquences catastrophiques. Il fallait inventer une nouvelle technique pour créer des articulations non seulement durables, mais dont on pourrait régler indépendamment la résistance à l’effet de levier. Si les articulations des doigts d’une main ou d’un poignet n’ont à supporter que la pression exercée par la « peau » du personnage, tout le poids de la marionnette repose sur les articulations des pieds, des chevilles et des jambes, qui doivent donc être beaucoup plus robustes. Au cours d’une visite au Otis College of Art and Design de Los Angeles, O’Brien est impressionné par les sculptures du jeune étudiant mexicain Marcel Delgado. Il lui fait visiter le studio où LE MONDE PERDU est en cours de développement, et lui offre un salaire de 75 dollars par semaine, une somme importante à l’époque, que Delgado, issu d’une famille pauvre, accepte volontiers, d’autant que de son propre aveu, il va pouvoir travailler dans « un environnement idéal, vaste, propre et bien équipé, comme tous les artistes en rêvent. » C’est le début d’une longue et fructueuse collaboration entre les deux hommes. Pour fabriquer chaque dinosaure du film, Delgado utilise le même processus. Il observe d’abord les peintures de Charles R. Knight, basées sur les découvertes des paléontologues, et s’inspire aussi des assemblages d’ossements présentés dans les musées d’histoire naturelle. Il dessine un plan du squelette de l’animal en respectant scrupuleusement ses proportions, puis fabrique une série d’os de métal aux extrémités dotées de « rotules ». Ces billes d’acier sont « sandwichées » et maintenues entre deux plaques d’aluminium dans lesquelles des cratères ont été forés. Les plaques d’aluminium sont maintenues par deux vis qui les traversent de part en part, et qui sont bloquées par des écrous, afin de bien enserrer les billes. Reliées par les tiges, les billes des rotules permettent de positionner le squelette dans n’importe quelle attitude. Plus les vis sont serrées, plus l’articulation est résistante. Delgado habille ensuite l’armature métallique de bouts de mousse pour former les masses musculaires et la silhouette globale de l’animal. Il place une vessie dotée d’une soupape dans le ventre : elle pourra être gonflée et dégonflée progressivement avec une petite pompe, image par image, pour simuler la respiration. Ensuite, il entoure la marionnette d’une fine peau de caoutchouc, colle ses jointures, et la recouvre d’écailles en faisant sécher une à une des petites gouttes de latex liquide. La production du Monde Perdu débute en 1922. O’Brien – aidé par une dizaine d’autres animateurs – filme ses créatures dans des décors miniatures. Dans certains plans, il masque le coin inférieur droit ou gauche de l’image. Après avoir rembobiné la pellicule dans la caméra, il cache la partie de l’image déjà exposée (la scène avec les dinosaures animés) et filme les comédiens réagissant à la présence des monstres qu’ils tentent d’imaginer face à eux. LE MONDE PERDU sort en 1925 et connait un immense succès. Pour le public de l’époque, la vision des explorateurs confrontés aux dinosaures est un spectacle hallucinant.

KING KONG : un classique instantané et un tournant technique décisif

Ce n’est que huit ans plus tard, en 1933, que Willis O’Brien crée son chef d’œuvre, KING KONG, toujours avec l’aide de Marcel Delgado. Le gorille géant est une marionnette de 80cm de haut, recouverte de fourrure de lapin. Ses pieds munis de pas de vis sont vissés et dévissés à la table d’animation à chaque pas. Les iris de ses yeux sont percés de petits trous dans lesquels on insère des aiguilles pour animer son regard. O’Brien perfectionne encore ses effets : les splendides décors miniatures de la jungle de Skull Island dans lesquels évoluent Kong et les dinosaures sont munis de petits écrans de verre dépoli sur lesquels O’Brien projette par l’arrière, image par image, les prises de vues des acteurs. Les projections des comédiens ne peuvent apparaître que dans une petite partie de l’image, mais grâce à ce subterfuge, les interactions entre les humains et les créatures préhistoriques deviennent possibles, car les marionnettes peuvent être positionnées devant l’écran. Cet effet est particulièrement convaincant dans le plan où l’on voit Kong tenter de saisir Jack Driscoll, qui s’est réfugié dans un recoin de falaise. Le marin se défend en plantant son couteau dans l’énorme patte du gorille, qui réagit à la douleur, et finit par le laisser tranquille.

KING KONG triomphe dans le monde entier, et fascine un spectateur de 13 ans qui le découvre au Grauman’s Chinese Theater de Los Angeles. Il supplie ses parents de retourner le voir dès que possible. Sa vocation vient de naître : il sera animateur. Et par bonheur, ses parents Frederick et Martha décident de l’encourager.

Lisez la suite de notre Saga Ray Harryhausen bientôt sur ESI ! Bookmark and Share


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