LA SAGA RAY HARRYHAUSEN – 2ème Partie
Article 100% SFX du Lundi 20 Mars 2023

Par Pascal Pinteau

Les premiers pas d’un animateur

Rendons ici à Frederick et Martha Harryhausen l’hommage qu’ils méritent, car ils ont su nourrir l’imagination de leur fils dès son plus jeune âge. Frederick est un tourneur-fraiseur qui travaille parfois pour le studio RKO, et un inventeur talentueux qui a déposé plusieurs brevets. Ray aime regarder son père travailler et usiner le métal, sans se douter à quel point cela lui sera utile plus tard. Martha est mélomane. Elle initie son bambin à la musique classique, et lui fait suivre des cours de violons, dont les résultats, selon lui « évoquent les sons que produiraient douze chats pendant leur castration. » Amateurs d’art, les Harryhausen sont aussi des cinéphiles. Ils emmènent Ray voir les films à grand spectacle avec eux, dès l’âge de trois ans. Il découvre LE MONDE PERDU lorsqu’il a 5 ans – sans imaginer l’impact que le travail d’O’Brien aura sur sa vie - et se passionne pour les dinosaures. Avec ses parents, il observe les squelettes des bêtes préhistoriques au musée d’histoire naturelle de Los Angeles, et y admire les peintures de Charles R. Knight. Les années passent. La tante de Ray est infirmière et s’occupe de la vieille mère de Sid Grauman, le propriétaire de l’iconique Chinese Theater de Hollywood où toutes les avant-premières ont lieu. En gage de reconnaissance, Grauman lui offre trois billets. Elle s’empresse d’inviter Martha et Ray à aller voir « un film de gorille », ce qui réjouit l’adolescent. Sid Grauman et la RKO ont soigné l’accueil des spectateurs : des fougères arborescentes et d’autres plantes tropicales ont été installées dans la cour intérieure du cinéma, ainsi qu’un enclos où s’ébattent des flamands roses. Au milieu de ce décor de jungle émerge le buste géant et animé de Kong, qui a servi à filmer ses gros plans. D’autres surprises les attendent dans la salle, car Sid Grauman a imaginé un spectacle d’une heure pour servir d’introduction au film ! Il est composé de 17 numéros différents, avec un illusionniste, des acrobates, et des danseuses habillées en indigènes de Skull Island. Et tout cela est inclus dans le prix du billet ! Le jeune Ray est déjà transporté dans un autre monde lorsque la projection commence. Dès les premières images magnifiées par la musique de Max Steiner, il comprend que ce qu’il voit est unique et va changer sa vie…

Des secrets bien gardés

Dès lors, Ray tente de découvrir comment son film préféré a été créé. Il demande à son père de le conduire à Culver City, où la muraille et la porte géante de Skull Island ont été érigées dans les anciens studios Pathé. Il les observe de loin, au travers d’un grillage, comme si l’univers de Kong se trouvait au-delà. Il ne pourra pas la voir de plus près, car elle sera brûlée en 1938, pendant le tournage de la séquence de l’incendie d’Atlanta d’AUTANT EN EMPORTE LE VENT…Ray a bien du mal à trouver des informations fiables sur les trucages de KING KONG. Dans les rares articles qui leur sont dédiés, si la technique de l’animation image par image est bien décrite, on raconte, parmi d’autres fadaises, « qu’un figurant portant un costume de gorille a escaladé une maquette de l’Empire State Building couchée sur le sol du studio », et que « pour placer l’actrice Fay Wray dans la patte du gorille, on a découpé des photos d’elle prises sur un fond noir et que l’on a collé ces découpes sur des images de la patte de Kong » ! Ray tente de démêler le vrai du faux. D’après certaines sources, la RKO répandait ces mensonges pour permettre aux vraies méthodes d’O’Brien de rester confidentielles. Si tel est le cas, c’est absurde, car les trucages d’O’Brien avaient été expliqués en 1925, dans plusieurs articles consacrés au MONDE PERDU.

De la théorie à la pratique

Pour en avoir le cœur net, Ray décide de découvrir par lui-même comment procéder. Il construit un ours des cavernes sur la base d’une armature en bois, avec des perles de plastique en guise de rotules. Il prélève la fourrure nécessaire dans un vieux manteau de sa mère, après le lui avoir demandé, et avec son accord, contrairement à ce qui a été raconté à tort. Il emprunte une caméra à un ami, mais celle-ci n’est pas conçue pour l’animation : en la déclenchant brièvement, Ray filme soit deux, soit trois ou quatre image d’affilée, pendant qu’il anime l’ours dans un diorama rudimentaire. A la projection, cela produit de fortes saccades au cours des mouvements. Mais ces premiers essais encouragent Ray à se lancer dans la construction d’autres animaux préhistoriques : un stégosaure, un brontosaure et un mammouth. Il utilise des tiges flexibles de lampes comme armatures des longs cous et des queues des dinosaures. Pour habiller leurs structures articulées en bois, il découpe des éponges de bain, puis les recouvre de vieux bas de soie – donnés par Martha – qu’il imbibe de latex pour former une peau flexible. Aidé par son père, qui l’a laissé installer un mini-studio dans le garage familial, et lui a construit un établi, Ray perfectionne ses armatures, ses marionnettes et la qualité de ses films amateurs. Il achète une caméra Kodak 16mm qui lui permet enfin de filmer image par image. A partir de 1938, il imagine un ambitieux projet intitulé ÉVOLUTION, dans lequel il compte montrer l’émergence de la vie sur terre, le développement et l’extinction des dinosaures, puis l’apparition des premiers mammifères. Ray tente de reproduire les techniques d’O’Brien, en ajoutant des avant-plans d’arbres et de végétation peints sur une plaque de verre, pour donner plus de profondeur à ses décors miniatures, ou pour simuler une nappe de brouillard de laquelle émerge un brontosaure. Mais après avoir déployé énormément d’efforts, et obtenu de bons résultats, Ray a un choc en allant voir le FANTASIA de Walt Disney en 1940. La séquence du Sacre du Printemps montre avec une virtuosité confondante l’apparition, le règne puis la fin cataclysmique des dinosaures. Découragé, il abandonne ÉVOLUTION, réalisant qu’il ne pourra jamais le faire aboutir en travaillant seul. Mais les plans tournés lui serviront à présenter ses capacités, et s’avéreront fort utiles.

La rencontre avec son idole

C’est en voyant une camarade de lycée lire un script illustré de KING KONG, que la chance sourit à Ray. Le père de la jeune fille a collaboré avec O’Brien, qui travaille aux Studios MGM. Elle suggère à Ray de lui téléphoner là-bas. Ray trouve le numéro du standard du studio dans l’annuaire, demande à parler à Willis O’Brien, et ô miracle, c’est bien son héros qui décroche ! Touché par l’enthousiasme de ce jeune fan, O’Brien l’invite à lui rendre visite. Quelques jours plus tard, Ray se présente à l’entrée des studios avec une valise remplie de marionnettes de dinosaures. On le conduit jusqu’aux bureaux de la production du projet WAR EAGLES, que Willis O’Brien et Merian C. Cooper développent (et qui hélas, n’aboutira pas). En entrant, Ray est ébloui par les magnifiques illustrations qui recouvrent les murs, où l’on voit des aigles géants chevauchés par de fiers descendants des vikings. Sur d’autres images, les guerriers nordiques et leurs montures affrontent des avions nazis au-dessus de Manhattan. Quand O’Brien vient à sa rencontre, il incite Ray à lui parler de ses connaissances en animation et de ses projets. Il examine ses marionnettes avec bienveillance, mais lui fait remarquer que les pattes de son stégosaure « ressemblent à des saucisses toutes ridées. » Il conseille à Ray d’étudier l’anatomie, les structures musculaires, et les techniques de sculpture. Six mois après cet échange mémorable, Ray et ses parents sont invités chez Willis et Darlyne O’Brien. Il leur montre ses essais filmés en 16mm, que O’Brien critique de manière constructive, tandis que Darlyne déborde d’enthousiasme. Des années plus tard, elle confiera à Ray qu’après cette rencontre, son mari l’avait regardée d’une drôle de manière et lui avait dit ironiquement « Tu te rends compte que tu encourages un futur concurrent, n’est-ce pas ? »

Lisez la suite de notre Saga Ray Harryhausen bientôt sur ESI ! Bookmark and Share


.