L'étrange histoire de Benjamin Button : Le vingtième siècle à rebours
Article Cinéma du Mercredi 04 Fevrier 2009

Seize ans après Alien 3, David Fincher renoue avec le fantastique en adaptant une nouvelle de F. Scott Fitzgerald. Brad Pitt y incarne Benjamin Button, étrange bambin né avec l’aspect d’un homme de 70 ans, qui rajeunit peu à peu au fil des ans… Du crépuscule de la Première Guerre Mondiale à l'aube du 21ème siècle, ce conte narre la vie d'un homme extraordinaire et son exploration paradoxale du temps. Benjamin Button découvre les joies de la vie et la lente approche de la mort comme personne n’a pu le faire avant lui. Quand on se nomme Button, l'amour est une malédiction...

Par Pierre-Eric Salard

L'étrange histoire de Benjamin Button est une nouvelle publiée pour la première fois dans l'édition du 27 mai 1922 du Collier's Weekly, puis dans le recueil de nouvelles Tales of the Jazz Age. L'histoire originale de F. Scott Fitzgerald débute en 1860 par la naissance de Benjamin Button, un bébé qui semble avoir soixante-dix ans ! Dès ses premières heures d'existence, il est déjà doué de parole. Si sa famille se rend vite compte qu'il rajeunit au lieu de vieillir, cet handicap l'empêche de suivre des études : aucun directeur d'université ne veut croire qu'il n'est qu'un adolescent ! Avec le temps, la forme physique de Button s'améliore. Il finit même par connaître le bonheur en se mariant. Ses âges biologiques et chronologiques se recoupent momentanément, lui permettant de profiter enfin des attraits de la vie. Mais sa plus grande crainte pointe à l’horizon: en rajeunissant, ne finira-t-il pas par perdre toute une vie de souvenirs ? Si la première partie de cette nouvelle est imprégnée d’humour, son épilogue est mélancolique. Selon F. Scott Fitzgerald, cette étrange histoire est inspirée d'une remarque de Mark Twain. L'auteur américain disait "la vie serait bien plus agréable si on pouvait naître à l'âge de 80 ans et aller progressivement vers ses 18 ans". Notons qu'un livre écrit par Andrew Sean Greer en 2004, The Confessions of Max Tivoli, traite le même sujet...



Une longue gestation

Il a fallu attendre presque un siècle pour que le cinéma s'empare de cette histoire. Un premier projet d'adaptation est initié en 1994... mais retombe dans l'oubli. Quatre ans plus tard, le scénariste Robin Swicord (Mémoires d'une Geisha) écrit un script pour Ron Howard, qui veut proposer le rôle-titre à John Travolta. Lorsque le réalisateur préfère s'atteler à la production d'En direct sur Edtv, le studio Paramount commande un second scénario à Jim Taylor (Jurassic Park 3), puis un troisième à Charlie Kaufman (Eternal Sunshine of the Spotless Mind). Paramount sélectionne ensuite Spike Jonze (Dans la Peau de John Malkovich) afin de mettre en scène l'adaptation. Or ce dernier décide finalement de réaliser le film... Adaptation ! Il faut donc attendre 2003 pour que le projet prenne son envol définitif : une dernière version du scénario de L'étrange histoire de Benjamin Button est alors rédigée par Eric Roth (Forrest Gump, Munich). Les dirigeants de Paramount entament ensuite des négociations avec le réalisateur Gary Ross (Pleasantville). En mai 2004, David Fincher propose le scénario de son Zodiac aux studios Sony Columbia, Paramount et Warner Bros. Ces deux derniers s'associent pour produire le film, et en profitent pour s'accorder sur le financement des 150 millions de dollars de budget nécessaires à la création de Benjamin Button. Ils proposent alors à Fincher de tourner ce film après Zodiac, et de remplacer Gary Ross au pied levé... "J'avais déjà lu un des traitements écrits il y a plusieurs années", précise le réalisateur. "C'était une histoire magnifique ; j'en avais d'ailleurs déjà parlé à Brad Pitt ! Mais ce script n'était pas adaptable. J'ai fini par travailler sur une nouvelle version de l'histoire en compagnie d'Eric Roth, durant la production de Zodiac. Contre toute attente, nous avons enfin pu concrétiser un projet qui traînait dans les cartons de la Paramount depuis les années 1920". ?

Un casting Quatre Etoiles

Suite à de nombreuses réunions de pré-production, David Fincher et Eric Roth finissent par accoucher d'un scénario de 200 pages. Au final, ce traitement n'est pas une adaptation fidèle en tous points à la nouvelle. Alors que le héros de papier naît avec le corps d'un vieillard, celui du film est par exemple un bébé au visage ridé. "Mon scénario est également différent des précédentes versions du script", précise le scénariste Eric Roth. "J'ai pris la liberté d'adapter le livre à ma sauce. Je n'ai pas lu les anciens scénarii. Toute ressemblance est complètement fortuite (rires) ! Je n'ai conservé que les noms des principaux personnages et le coeur de l'histoire, celle d'un homme qui rajeunit. A part cela, j'ai tout inventé, de la première à la dernière page..." Le casting du film débute dès 2005. L'histoire de Benjamin Button est racontée à travers le récit que fait Daisy l'amour de sa vie, incarnée par Cate Blanchett (Le Seigneur des Anneaux), à sa fille Caroline, que joue Julia Ormond (Légendes d'Automne). David Fincher propose parallèlement le rôle principal à son ami Brad Pitt, avec qui il a déjà tourné ses deux plus grands succès, Seven et Fight Club. La perspective de jouer un personnage de la naissance à la mort enchante d'emblée le comédien. "Benjamin Button est un nouveau-né qui ressemble à un croisement entre Einstein et un Shar-Pei", précise le réalisateur. "Pourtant, sa bonne fortune le conduira à ressembler à Brad Pitt (rires) ! Brad possède une personnalité et un talent incroyables. Je lui fais totalement confiance. S'il dit qu'il doit jouer une scène de telle manière, c'est qu'il a ses raisons. Il ne se trompe jamais. Qui peut encore croire que son succès n'est dû qu'à son physique ?". En septembre 2006, Tilda Swinton (Les Chroniques de Narnia) obtient le rôle d'Elizabeth Abbott. "Le film est divisé en huit chapitres. J'apparais dans l'un d'entre eux", explique l'actrice. "Je joue le premier amour de Button, dans les années 1930, en Russie. Tous ces chapitres seront ensuite montés ensemble, comme une anthologie. C'est fascinant !" Alors que le tournage approche, Taraji P. Henson (la série Boston Justice) est engagée afin d'incarner la mère de Benjamin Button. "J'incarne Queenie de ses 26 à 71 ans", explique la comédienne. "Les parents de Button l'ont déposé devant ma porte. Je l'ai donc adopté comme l'aurait fait toute femme du Sud (rires)". Queenie apparaît dans la plupart des segments du film. "Elle est présente dès le départ, l'éduque et assiste à son départ dans la vie. Mais, un jour ou l'autre, Benjamin sera obligé de revenir vers sa mère..."



Un voyage à travers les époques

Alors que le casting s'achève, le réalisateur décide de tourner la majeure partie du film à la Nouvelle-Orléans, et dans ses environs, en Louisiane. "Les taxes locales y sont moins élevées, et les extérieurs facilement accessibles", explique David Fincher. "Les dégâts causés par l'ouragan Katrina ne nous ont posés aucun obstacle, et nous sommes ravis d'avoir pu apporter notre petite contribution à l'économie locale !" Il avait un temps pensé à Baltimore. "Mais cette ville manque d'une certaine chaleur. Elle n'a pas la patine historique de la Nouvelle-Orleans". Les extérieurs sont retouchés par le directeur artistique Donald Burt (Zodiac) afin de recréer les époques traversées par Benjamin Button. "C'est un véritable film d'époque", précise le directeur de la photographie Claudio Miranda (Seven). "L'histoire se déroule de 1918 à ce nouveau millénaire. Nous avons donc beaucoup travaillé sur le look des différentes périodes..." Prévu pour durer 150 jours, le tournage débute le 6 novembre 2006. "Nous avons notamment reconstitué la Nouvelle-Orléans de 1918, qui n'était pas encore une grande ville", ajoute Claudio Miranda. "L'ambiance de ce film est très différente de celle de Zodiac. Il y a des moments vraiment sombres, mais les changements d'époques apportent une touche de contraste". Le tournage s'avère même amusant. D'ailleurs, Taraji P. Henson ne tarit pas d'éloges sur son « fils adoptif ». "Brad possède une énergie phénoménale ! Chaque jour, il emmenait un de ses enfants sur les plateaux et s'en occupait entre les prises. Et pendant les prises, il n'hésitait pas à lancer des blagues qui nous faisaient mourir de rire !" En janvier 2007, Cate Blanchett commence à tourner ses scènes. Le mois de mars voit l'équipe de production emménager dans les plateaux de Los Angeles pour deux mois de tournage supplémentaires. A la fin du mois de mai, le vieux centre de Montreal prête ses extérieurs, pendant une semaine, afin de reconstituer les rues du Paris et du Moscou des années 1940. Ces scènes se déroulant en hiver, les rues de Montreal sont recouvertes de fausse neige. Après six mois de tournage, David Fincher peut enfin s'atteler à la longue post-production du film... ?

Le monstre de Frankenstein numérique

Jusqu'à ces dernières années, la technologie ne permettait pas de répondre aux besoins de l'histoire de Benjamin Button. Auparavant, il aurait fallu utiliser plusieurs acteurs pour incarner Benjamin Button aux moments clés de sa vie... et prier pour que les spectateurs acceptent ces différents visages ! David Fincher savait qu’il allait pouvoir utiliser les dernières avancées en matière d'effets visuels pour créer une partie des effets de vieillissements du personnage principal. Il fait ainsi appel aux équipes du studio Digital Domain (Titanic), avec lesquels il a déjà travaillé sur Zodiac. Plusieurs techniques sont utilisées pour que Button puisse garder les traits de Brad Pitt tout au long de sa vie. Lorsque le héros a trente ou soixante ans, un maquillage est appliqué sur l'acteur. Pour paraître âgé d’une vingtaine d'années, le visage de Brad Pitt est rajeuni numériquement. Cette technique a déjà été employée dans la séquence de flashback que l’on découvrait au début de X-Men 3 : Patrick Stewart et Ian McKellen y retrouvaient leur jeunesse ! Enfin, lorsque le héros est âgé et rabougri, ou adolescent, la tête du Brad Pitt remplace celle d'un acteur plus petit. Ce trucage est rendu possible grâce à Contour, un nouveau système de capture de mouvement. Ce dernier enregistre les mouvements et les déformations faciales de la tête de Brad Pitt et des autres acteurs. Les données ainsi récupérées sont ensuite filtrées par un logiciel de rigging (technique simulant la contraction des muscles lors des mouvements), AnEmotion, qui permet de créer de véritables acteurs synthétiques ! Les mouvements de la tête de Brad Pitt épousent alors parfaitement celles des corps des autres comédiens. Les amateurs de Fantastique ne manqueront pas d'y voir la concrétisation du mythe de la créature de Frankenstein... sur ordinateur ! Néanmoins, ce trucage miraculeux ne facilite pas la tâche du réalisateur. "Diriger des acteurs dont les visages ne sont pas ceux que les spectateurs découvriront, c'est un véritable challenge", raconte Fincher. "C'est le chose la plus étrange que j'ai faite pour un film ! Il faut puiser dans son imagination pour tirer des performances correctes d'un corps sans tête (rires) ! Et lorsque vous découvrirez, dans les bonus du DVD, toutes les difficultés qu'a dû surmonter Brad Pitt pour incarner Benjamin Button, vous comprendrez qu'il a mérité le moindre centime de son cachet (rires) ! Mais je reste persuadé que nous avons utilisé la meilleure technique..."



Alors que la post-production se termine, le compositeur français Alexandre Desplat écrit et enregistre la musique du film avec l’orchestre du Hollywood Studio Symphony. La sortie du film est alors annoncée pour l'hiver 2007. Mais à la suite de problèmes de production, et de retards causés par le perfectionnisme de Fincher, elle est repoussée à mai, puis au 26 novembre 2008. Finalement, il faudra attendre le 25 décembre pour que L'étrange histoire de Benjamin Button arrive sur les écrans américains...

Ode à l'amour

Cette adaptation ne ressemble pas aux précédentes oeuvres de David Fincher. "C'est le film le plus romantique que j'ai jamais réalisé ! Mais il est également très sombre. Nous abordons la mort d'une manière peu conventionnelle. Il est bien difficile de dire quel est le ton du film. Mélancolique ? Romantique ? Cela fait désormais quatre ans que nous travaillons sur ce film, et je ne sais toujours pas quoi répondre... Benjamin Button est simplement un film sur la nature de la vie et de la mort. Aimer suffisamment les autres pour les accompagner jusqu'à leur dernier soupir..." En France, ce n’est que le 4 février 2009 que nous pourrons découvrir la dernière création d'un réalisateur décidément hors-norme...

L'étrange histoire de Benjamin Button est nommé treize fois aux Oscars, dans les catégories du Meilleur film, Meilleur acteur (Brad Pitt), Meilleure second rôle féminin (Taraji P. Henson), Meilleur réalisateur (David Fincher), Meilleure adaptation (Eric Roth et Robin Swicord), Meilleure Direction artistique (Donald Graham Burt, Victor J. Zolfo), Meilleure Photographie (Claudio Miranda), Meilleurs costumes (Jacqueline West), Meilleur Montage (Kirk Baxter, Angus Wall), Meilleurs Maquillages (Greg Cannom), Meilleure Musique (le français Alexandre Desplat), Meilleur Mixage sonore (David Parker, Michael Semanick, Ren Klyce, Mark Weingarten), et Meilleurs effets visuels (Eric Barba, Steve Preeg, Burt Dalton, Craig Barron).

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.