Entretien avec Ian Softley, le réalisateur de Cœur d’encre
Article Cinéma du Vendredi 13 Fevrier 2009

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment imaginiez-vous l’héroïne de « Cœur d’encre » avant de trouver Eliza Bennett?

J’imaginais une adolescente très indépendante, à la fois douce et dotée d’une grande force de caractère, et qui attire immédiatement la sympathie. Dans l’histoire, on apprend que Meggie a perdu sa mère à un très jeune âge, et a appris à aider son père dans les tâches de la vie quotidienne. Quand j’ai rencontré Eliza pour la première fois, je me suis rendu compte qu’elle avait une personnalité très proche de celle de Meggie, et qu’elle était une jeune actrice pleine de talent. En dépit du fait qu’elle n’a pas encore beaucoup d’expérience, elle a brillamment relevé tous les défis que posaient les scènes du film. Elle n’a suscité que des commentaires enthousiastes des autres comédiens. Vous savez, jouer une scène complexe comme celle de la conclusion du film, où elle doit lire un texte tout en traçant des mots sur son bras, et en faisant semblant de voir une créature monstrueuse avancer vers elle, ce n’est vraiment pas évident…

Nous nous étions rendus sur le tournage de votre film, qui avait lieu en même temps que celui de « La boussole d’or », aux studios de Shepperton. Nous avions été frappés par le fait que vous utilisiez des décors d’extérieurs en studio très élaborés, alors que ceux de « La boussole d’or » se limitaient à quelques faux blocs de glace placés devant un immense fond vert…

Oui, nous avions besoin de construire de vrais décors, car nous avons tourné la plupart des scènes du film à Ballestrino, un village de montagne situé en Italie. Il fallait que les scènes d’extérieurs et les scènes de studio raccordent parfaitement, et que les acteurs puissent évoluer dedans, emprunter des escaliers, grimper dans le clocher de la tour, etc. Tourner sur fond vert était exclu. John Baird, notre chef décorateur, a construit tout le décor de l’amphithéâtre de la scène finale à Shepperton, comme vous avez pu le voir, ainsi que quelques ruelles qui nous ont permis de tourner des plans de raccord et des effets spéciaux d’effondrement de murs et de toitures. Je crois que nous n’aurions pas pu rendre la scène aussi intense si nous ne l’avions pas tournée dans un vrai décor, avec 250 acteurs en vestes noires en train d’acclamer leur chef !

Est-ce que vous aimez le genre de la Fantasy ?

Oui, beaucoup. J’apprécie les Harry Potter et Le seigneur des anneaux, et j’ai trouvé que l’histoire de Cœur d’encre était tout aussi captivante. J’ai immédiatement eu envie de faire exister ce monde sur le grand écran, de trouver les acteurs qui allaient tenir ces rôles, et de chercher les équivalents des lieux décrits par Cornelia Funke. Visuellement, j’ai eu envie de m’inspirer des palettes de couleurs et de certaines images de Goya. Il a souvent peint des géants observant des paysages, et notamment un personnage énorme au visage caché sous une capuche. C’est ainsi que je me suis représenté l’arrivée de l’ombre vers le village, comme une forme gigantesque, colossale. Mais le film devait aussi évoquer les conflits du 20ème siècle, et avoir par moment une atmosphère proche de celles du néo-réalisme italien, notamment quand on découvre les bâtiments en ruines de la ville. Nous voulions rappeler que l’Europe n’est pas seulement un continent où l’on trouve de beaux châteaux et des paysages merveilleux, mais aussi un ensemble de pays qui se sont affrontés, qui ont connu maintes guerres qui ont laissé des traces. J’ai d’ailleurs filmé l’arrivée de Capricorne dans le village en noir et blanc, comme s’il s’agissait d’un document d’époque. Cette scène a été coupée dans le film, mais on la verra dans le DVD. Pour moi, il était important que Cœur d’encre ait un pied dans la réalité, et l’autre dans la fiction. Pour adapter le roman, nous avons dû couper certaines scènes, comme celle où Meggie et ses amis tentent de s’échapper du château de Capricorne, sont rattrapés, puis interrogés par les « vestes noires ». Pour restituer ce climat d’oppression, de kidnappings et d’interrogatoires, il était important que nos décors rappellent certains faits historiques, et notamment la lutte contre le fascisme pendant la seconde guerre mondiale, même si le film est une œuvre de Fantasy.



De quels films néo-réalistes vous êtes-vous plus particulièrement inspiré ? De « Rome ville ouverte », de Roberto Rossellini ?

Oui, notamment. Mais pas que de ce film-là. Je voulais faire un collage de différentes ambiances, qui évoque à la fois l’après guerre dans les villages et les villes de l’après-guerre.

Vous avez donné un aspect intemporel aux environnements du film, que l’on remarque notamment dans les scènes qui si déroulent dans cette petite ville de Suisse…

En fait, nous avons tourné aussi ces scènes-là en Italie, pour éviter un déplacement supplémentaire ! (rires) Oui, effectivement, quand j’avais lu le livre de Cornelia Funke, j’avais remarqué que la technologie contemporaine était très présente. Il y avait des ordinateurs, des téléphones portables, des voyages en avions, etc. Je ne voulais donné un aspect passéiste au film, mais je ne souhaitais pas que la technologie empiète sur la magie, car elles ne font pas bon ménage quand on essaie de les représenter dans le même univers. Je voulais que les spectateurs se disent « Ça pourrait se passer aujourd’hui, mais dans un monde où les contes de fées peuvent prendre vie. » Je me souviens que cette idée m’est venue en tête alors que je passais des vacances à Zermat, en Suisse, et que je prenais un merveilleux petit train de montagne. En voyant ces paysages enneigés, j’avais l’impression de me retrouver projeté dans un conte. C’est ce qui m’a donné l’idée de situer la première scène du film dans un décor enneigé de Suisse, pour qu’une petite touche de magie soit immédiatement présente.

Quels sont les défis que vous avez eu à relever pendant la réalisation de « Cœur d’encre » ?

Il y en avait beaucoup, mais le souvenir principal que j’en garde, c’est surtout le plaisir de travailler avec une équipe technique et une troupe de comédiens extrêmement agréables. La scène de l’ouragan a été très compliquée à tourner, parce qu’elle a été filmée en grande partie en extérieurs. Quand vous travaillez en extérieurs, le temps est toujours très limité parce que vous êtes à la merci des intempéries et des variations de la lumière du jour. En fin de journée, vous pouvez tricher un peu en ajoutant beaucoup d’éclairages artificiels, mais quand la nuit tombe, vous êtes forcé de vous arrêter ou vous débrouiller en essayant de tourner un autre plan.

Avez-vous utilisé beaucoup d’effets spéciaux en direct, pour filmer cette scène ?

Oui. Le village dans lequel nous tournions était envahi par notre équipe de techniciens. Il y en avait partout ! Certains étaient postés sur les toits et jetaient de fausses tuiles en contrebas, d’autres assignés aux effets pyrotechniques déclenchaient des explosions, tandis que les responsables des effets mécaniques provoquaient l’écroulement des faux murs que nous avions fabriqués à côté de vraies maisons. Tout cela était rendu plus difficile par le fait que nous utilisons de puissants ventilateurs et des fumigènes pour simuler le souffle de l’ouragan. Les habitants ne sont pas prêts de nous oublier : nous avons déchaîné un véritable chaos dans leur village ! (rires) Tout cela était très long à préparer et à tourner, et très bruyant aussi à cause du bruit des ventilateurs géants. Mais les villageois ne nous en ont pas voulu. A la fin du tournage, ils ont même organisé une fête en notre honneur et le maire à prononcé un discours dans lequel il disait « Ballestrino a été envahi bien des fois au cours de son histoire, mais votre invasion était de loin la plus agréable ! » (rires). Et il nous a fait citoyens d’honneur, Cornelia et moi ! (rires) Les effets spéciaux de la séquence finale, celle de l’approche de l’ombre, ont été difficiles à mettre en place aussi parce que c’était un moment crucial de l’histoire, dans lequel tous les personnages jouent un rôle important. Il fallait que tous les évènements qui se déroulent simultanément soient bien clairs, afin que les spectateurs puissent bien suivre l’action. Nous avons tourné cette séquence pendant deux semaines, en filmant les plans dans le désordre, à cause de certains impératifs techniques. C’était assez compliqué pour tout le monde, pour moi, comme pour les acteurs, car aux différents effets en direct que nous créions dans le décor de Shepperton allaient venir s’ajouter les images de synthèse des singes volants et de l’ombre géante. Il fallait que j’en tienne compte dans mes cadrages, et que je montre bien l’action principale tout en gardant de la place pour les éléments 3D.

Avez-vous eu recours à la prévisualisation pour préparer ces scènes ?

Non, ou très peu. Nous avons utilisé une version primitive de prévisualisation, à base d’illustrations de référence, de petits tests réalisés en basse définition, mais seulement pour quelques plans.

« Cœur d’encre » a été produit par New Line, tout comme « La boussole d’or », sorti en salle en décembre 2007, et qui n’avait pas rencontré alors le succès espéré, en dépit de ses qualités. Est-ce que cette situation a poussé New Line a vous demander des modifications sur « Cœur d’encre » ?

Non, car j’ai terminé Cœur d’encre entre octobre et décembre 2007, avant cela, donc. Tout a été figé alors, car la post-production du film était achevée. Arrivé à cette étape, vouloir faire des modifications serait aussi compliqué que coûteux. Après le rachat de New Line, il a fallu attendre que les studios Warner décident de ce qu’ils allaient faire d’une bonne dizaine de films terminés, parmi lesquels se trouvait Cœur d’encre. C’est la raison pour laquelle le film sort avec un tel retard.

Ce qui est intéressant dans votre casting, c’est qu’il est composé d’acteurs qui viennent d’horizons très différents : Helen Mirren, oscarisée pour « The Queen », Brandon Fraser qui est une vedette de films d’action, Paul Bettany, que l’on a pu voir dans de nombreux films indépendants…N’avez-vous pas craint d’avoir du mal à harmoniser ces comédiens au sein du même groupe ?

Non, justement parce que dans l’histoire, les personnages sont eux aussi très différents les uns des autres, et contraints de participer ensemble à une grande aventure. Ils sont obligés de mettre leurs griefs de côté et de collaborer pour atteindre leur but, et se protéger mutuellement. Je crois que ce casting est un immense atout pour le film, et que le public l’appréciera.

Andy Serkis est très savoureux dans le rôle de Capricorne…Commentr avez-vous eu l’idée de lui proposer ce personnage ?

Andy est capable d’instiller beaucoup de malice et d’intensité dans un rôle. Il a un côté farceur, une étincelle dans le regard que j’apprécie beaucoup, et un visage très mobile et très expressif qui convenait à merveille pour incarner Capricorne.

Cornelia Funke vous a souvent rendu visite sur le tournage. Avez-vous discuté avec elle de la réalisation de certaines scènes, ou de la manière dont vous alliez représenter certains personnages ?

Oui, Cornelia est venue assez souvent. Elle a aimé voir comment sont univers prenait vie devant les caméras. Il est arrivé qu’elle ait des commentaires à faire, surtout à propos des personnages secondaires. Elle était ravie du casting des personnages principaux. Dans la plupart des cas, elle était très satisfaite des décisions que nous avions prises. D’ailleurs, elle a décrit de manière enthousiaste ses différentes visites du tournage sur son site web, ce qui a rassuré ses nombreux fans. Cornelia m’avait aussi envoyé des notes après avoir reçu la première version du script. Il y a forcément des petites choses qui ont été modifiées et qui ne lui convenaient pas tout à fait, mais elle est globalement très satisfaite du résultat, et elle soutient le film à 120% !

Quelles sont les modifications que vous avez apporté vous-même à la première version du script ?

J’avais le sentiment qu’il n’était pas assez ancré dans des lieux réels, et qu’il avait été écrit pour que la production puisse tourner le film n’importe où, ce qui me semblait être une erreur. Cornelia était elle aussi très attachée au fait que la partie principale du tournage ait lieu en Italie. Je crois que le fait d’avoir pu nous rendre là-bas, dans la région de Liguria, et à Ballestrino, apporte énormément au film, et lui donne une touche supplémentaire de réalisme et de magie. Cela nous a sauté aux yeux quand nous avons vu les rushes des premières scènes tournées là-bas, et plus particulièrement la scène où les personnages incarnés par Raffi, Brendan, Eliza et Helen se rendent dans une ville côtière pour retrouver l’écrivain Fenoglio. Il s’agissait du premier plan que nous tournions avec tous les personnages principaux, et dès ce jour, ils était chacun parfaits dans leurs rôles respectifs, et s’intégraient à merveille dans ce décor. C’était un immense soulagement pour nous ! Pour en revenir au script, j’ai ajouté une idée qui ne figurait pas dans le livre : l’écriture qui barre les visages des personnages que Capricorne a fait venir dans notre monde. C’était, me semble-t’il, un moyen simple et efficace de distinguer les personnages tirés du livre des personnages appartenant au monde réel.

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