[De nos archives] Coraline (2009) : De l'autre côté du miroir
Article Animation du Mercredi 12 Octobre 2016

Après les succès de l'Etrange Noël de Monsieur Jack et James et la Pêche Géante, le réalisateur Henry Selick renoue avec l'animation image-par-image grâce à Coraline. Ce film d'animation est adapté d'un conte sombre pour enfants et adultes, écrit en 2002 par l'anglais Neil Gaiman. Une petite fille y découvre une porte menant vers un monde alternatif qui défie l'imagination...

Par Pierre-Eric Salard

Passionné par la « Stop Motion » depuis toujours, Henry Selick a suivi le premier programme de cours d'animation de personnage de l'école Cal Arts dans les années 1970, aux côtés de deux autres étudiants qui ont fait eux aussi un joli parcours : Brad Bird (Ratatouille) et John Lasseter (Toy Story). Après avoir été animateur sur Rox et Rouky, Selick réalise de nombreux spots de publicité. Son premier long-métrage est le formidable Etrange Noël de Mr. Jack, qu'il dirige pour Tim Burton. La production de ce chef d’oeuvre nécessite trois années de travail acharné. Par la suite, Selick réalise en James et la pèche géante (1997), une jolie adaptation du roman de Roald Dahl, qui mêle animation et prises de vue réelles. En 2001, le réalisateur connaît son premier échec commercial avec le curieux Monkeybone, dans lequel Brendan Fraser incarne un dessinateur qui se retrouve prisonnier de sa propre création. Ce mélange de réel et d’animation ne convainc ni la critique, ni le public. L'année suivante, Selick découvre l'histoire de Coraline et en tombe aussitôt amoureux. Se déclarant volontiers « le plus grand fan » du livre de Neil Gaiman, Henry Selick achète les droits de l'adaptation cinématographique avant même que le roman soit publié !



Des boutons à la place des yeux

Scénariste et romancier, Neil Gaiman s'est notamment fait connaître grâce aux comics Sandman. Il est également l'auteur de scénarii pour les séries Neverwhere et Babylon 5. Il a depuis co-écrit avec Roger Avary (Pulp Fiction) le scénario du Beowulf de Robert Zemeckis, en 2007, et signé le script de l'adaptation de son propre roman, Stardust. Publié en 2003 en France aux éditions Albin Michel, le roman Coraline narre les aventures d'une petite fille qui vient d'emménager avec ses parents dans une immense maison. Au terme de son exploration, Coraline découvre une porte mystérieuse, la franchit, et se trouve projetée dans une réalité parallèle. Ce monde alternatif semble être l'exacte réplique du sien. Il est pourtant peuplé de créatures fantastiques, dont des « autres » versions des gens qu'elle connaît ! Elle y rencontre une « Autre » mère et un « Autre » père... aux yeux remplacés par des boutons ! Sa mère alternative n'a qu'un désir : la garder près d'elle. Coraline doit alors puiser dans ses ressources, son courage et sa détermination afin de trouver un moyen pour rentrer chez elle. Par son ambiance surréaliste et effrayante, cette aventure possède plus d'un point commun avec Alice aux Pays des Merveilles de Lewis Carroll. Œuvre exceptionnelle, Coraline a obtenu le Prix Bram Stoker du meilleur roman pour enfants en 2002, ainsi que les Prix Hugo et Nebula du meilleur roman en 2003.

Un conte de fées moderne

« J'ai rencontré pour la première fois Neil Gaiman en l'an 2000 », confie le réalisateur Henry Selick. « Il cherchait alors un cinéaste aguerri pour mettre en scène une adaptation de son roman. Il a d'abord appelé Tim Burton, mais j'ai répondu en premier (rires) ! Il faut dire que Tim et moi avons travaillé plusieurs fois ensemble. Bref, le livre n'était pas encore publié. En fait, il n'était même pas terminé ! Mais j'imaginais déjà le film qui pouvait en être tiré. Le récit d'origine était parfait ». Même si ce projet lui tient à coeur, Henry Selick doit parcourir une longue route semée d’embûches avant de parvenir à le concrétiser. « Ce qui m'a plu dans l'histoire de Coraline, c'est qu'il s'agit d'un conte de fée sombre et moderne qui parle d’un des premiers souhaits que formule un enfant quand il est en colère: "Je souhaiterais avoir d'autres parents !" . Et ne parlons même pas de ce que montre le film, c’est à dire des yeux des parents remplacés par des boutons ! (rires) » Selick propose le projet à Bill Mechanic, ex-Président de la Fox, afin que sa nouvelle société Pandemonium produise le film. « J'ai convaincu Bill de me laisser écrire l'adaptation du roman », se rappelle Selick. « A l'origine, il voulait adapter Coraline en film « live », avec des acteurs ! Il était inflexible sur ce sujet : cela m'a pris un long moment pour le convaincre d'en faire un film d'animation ! Il fallait conserver les qualités du roman, proche des contes de fées des frères Grimm. Neil Gaiman me l'a dit dès le départ : aussi étrange que cela puisse paraître, Coraline est un livre d'aventures pour les enfants et un récit angoissant pour les adultes ! » Grâce à son pouvoir de conviction, Henry Selick peut enfin s'atteler à l'adaptation elle-même...



Les difficultés de l'adaptation

Jusqu'alors, Henry Selick n'avait jamais adapté un roman. « J'écris habituellement mes films moi-même, car on est obligé de faire des réécritures pendant un tournage . Or le scénariste n'est pas tout le temps disponible pour écrire de nouveaux dialogues... » La rédaction du scénario prend donc beaucoup de temps. « J'ai pu travailler sur d'autres projets pendant cette période, comme les séquences animées du film La Vie Aquatique de Steve Zissou, du réalisateur Wes Anderson. Je n'arrêtais pas de me dire que Neil Gaiman écrivait mieux que moi. Je lui demandais souvent son avis. Ma première version du script s'est donc avérée beaucoup trop fidèle au livre. J'avais tout simplement recopié le roman (rires) ! Neil était flatté, mais l'adaptation ne fonctionnait pas. Cela n'aurait jamais pu devenir un film. J'ai été obligé de ne plus communiquer avec Neil pendant une année, et de prendre du recul. J'ai tout recommencé de zéro. J'ai essayé de garder l'essence du roman, ainsi que ses principaux éléments. Dans le livre, nous savons ce que Coraline pense. Or je ne voulais pas utiliser de voix-off. C'est le genre de détails qu'il faut prendre en compte... » Si l'histoire du film est forcément différente de celle du roman, Henry Selick voulait qu'elle reste fidèle. « La version filmée de Coraline sera très proche du ton et de l'esprit du livre. Dans le passage du livre au film, il y a forcément des ajustements à faire au niveau de l'histoire et des personnages. Ma seule préoccupation était de ne pas décevoir les lecteurs! Bien que certains détails aient changé, tel l'ordre des séquences, je pense que j'y suis arrivé... » L’une des modifications les plus importantes imaginées par Selick a été le transfert du lieu du récit de l'Angleterre à l'Oregon, dans les terres du Midwest américain. « Je ne savais pourtant pas encore que j'y habiterai quelques années plus tard (rires) ! » Au final, Neil Gaiman semble enchanté par les modifications effectuées par Selick. « Cela ne lui a jamais posé aucun problème, du début à la fin. Honnêtement, quand il a lu la dernière version du scénario, j'étais terrifié. Je l'avais fait lire auparavant à toute l'équipe, excepté lui ! Un jour, je me suis dit qu'il fallait prendre mon courage à deux mains. Après avoir terminé la lecture du script, il m'a simplement dit : « cette version est bien meilleure que la première ». J'étais aux anges ! » Le script achevé, le film peut désormais entrer dans sa phase de production...

Du papier à l'écran

Ravie par la qualité du script, la société de production Laika Entertainment House dote le film d'un confortable budget de soixante millions de dollars. Henry Selick peut donc se permettre d'engager Dakota Fanning (la Guerre des Mondes) pour doubler Coraline. Teri Hatcher (Desperate Housewives) et John Hodgman prêtent leurs voix aux parents de la jeune fille. Le comédien Keith David incarne le Chat, qui sert de guide à Coraline dans l'univers alternatif. « Il est l'ange gardien de l'héroïne », précise le réalisateur. En 2006, le tournage débute sur les plateaux de Laika, à Portland... en Oregon ! Au départ, Henry Selick voulait filmer le monde réel en stop motion, alors que le monde alternatif, lui, aurait été réalisé en images de synthèse ! Mais cet hommage au Magicien d'Oz (1939) de Victor Fleming ne s'est finalement pas concrétisé. « Lors des essais, l'autre Monde paraissait bien plus ennuyeux que l'univers morne duquel Coraline voulait s’échapper! »



On ne change pas une équipe qui gagne

De nombreux membres de l'équipe ont auparavant travaillé sur l'Etrange Noël de Mr Jack. « Nous avons tous évolué et notre esthétique visuelle est finalement différente maintenant. La dernière chose que je souhaiterais faire serait d'essayer de copier un film classique que j'ai dirigé auparavant ». Une fois que le design d'un personnage est approuvé, une première maquette est créée. « Cela nous permet de découvrir le modèle sous toutes les coutures », précise Scott Tom, le superviseur de la fabrication des personnages. La création des véritables marionnettes peut ensuite commencer. « Une armature en métal leur sert de squelette. Elle est recouverte d'une peau en silicone, qui s’adapte aux mouvements. Certaines parties sont interchangeables ; nous avons notamment créé mille paires de mains différentes pour ce projet ! A elle seule, Coraline a nécessité la confection de 38 coupes de cheveux amovibles ! Et à cause des aléas du tournage, nous avons reproduit certains vêtements une trentaine de fois... » Afin de pouvoir placer les caméras et lumières selon l'orientation des plans, les décors sont truffés de parties amovibles.

La magie de la technologie

L'animation en elle-même représente un véritable challenge. Même si la technologie a évolué depuis l'Etrange Noël de Mr Jack, il faut beaucoup de temps et de persévérance pour animer image par image les personnages du film. « Aujourd’hui, on peut filmer la scène entière et la visionner pendant que l’on est en train de l’animer. Les nouvelles technologies aident les animateurs. Mais en même temps, cela ralentit le processus, car ils vérifient tout chaque fois qu'ils tournent une nouvelle scène. Les ordinateurs ont donc ralenti ce qui était déjà un processus extrêmement lent (rires) ! » Le superviseur de l'animation, Anthony Scott, se rappellera longtemps du tournage d'une scène se déroulant dans une forêt obscure. « Pour chaque image d'un plan, j'étais obligé de bouger toutes les branches à la main ! En tout, il y avait plusieurs milliers de feuilles (rires) ! ». Il fallait également prendre en compte le tournage avec deux caméras, car Coraline est le premier film de stop motion à être tourné en relief !



Un film d'animation tout en relief

« Je voulais vraiment créer une expérience qui rappellerait le Magicien d'Oz », explique Henry Selick. « A l'époque, le passage du noir et blanc à la couleur faisait basculer le spectateur dans un monde onirique. Tourner notre film en relief nous permet d'approcher cette expérience. Ce n'est pas un simple gimmick : nous utilisons relief à l'intérieur de notre histoire ! « L'Autre Monde » paraît alors plus riche et profond. Le relief est au service du récit. Dans les cinémas traditionnels, l'expérience sera certainement exceptionnelle. Mais en stéréoscopie, elle deviendra mémorable ! Nous cherchons tout simplement à atteindre la perfection (rires) ! » De nouveaux logiciels ont été développés pour les besoins du film. En post-production, les animateurs découvrent une flexibilité proche des images de synthèse : ils ont la possibilité d'éloigner ou rapprocher les éléments de l'image ! La composition des numéros musicaux est confiée parallèlement au groupe de rock They Might Be Giants. La bande originale, elle, est écrite par le français Bruno Coulais (Microcosmos). « 90 % de ce qu'il a composé était parfait dès le départ (rires) », précise Selick. « Je suis profondément reconnaissant d'avoir pu tourner le film que j'avais imaginé en 2000. J'ai récemment montré plusieurs extraits à Neil Gaiman. Il en est très heureux ! Il comprend parfaitement que les adaptations de romans doivent voler de leurs propres ailes... »

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