[50ème anniversaire de Star Trek] Les effets spéciaux d'une saga-culte
Article TV du Jeudi 08 Septembre 2016

Première partie : les débuts de la « randonnée stellaire» !

Par Pascal Pinteau

En attendant la sortie événement du Star Trek de J.J. Abrams, nous allons revenir sur les effets spéciaux des séries et films de cette célèbre saga de Science-Fiction. Pour ce premier rendez-vous, nous remontons le temps pour nous retrouver en 1964, quand tout a commencé…



Un western spatial

En 1964, le scénariste Gene Roddenberry conçoit une série de Science-Fiction à la manière d'un « western spatial ». Son projet s'intitule justement Wagon to the stars (Convoi vers les étoiles) pour établir clairement un parallèle entre la conquête de l’ouest sauvage par les pionniers et la découverte des immensités spatiales. Roddenberry peaufine le concept pour jeter les bases de Star Trek ( littéralement Randonnée Stellaire). La chaîne NBC accepte de produire un premier épisode-pilote, intitulé The Cage, et s’attend à voir un divertissement fantaisiste qui plaira autant aux enfants qu’aux jeunes adultes. Mais Roddenberry ne voit pas les choses ainsi : il tient à rendre crédible l'univers du 23ème siècle de Star Trek. Il consulte alors des scientifiques de la NASA pour établir la forme de l'astronef Enterprise. Ils le persuadent que les réacteurs doivent être placés loin des quartiers d'habitation, au bout de supports indépendants, pour limiter les risques d’accident en cas de disfonctionnement. C’est ainsi que naît la forme étrange du vaisseau, sorte de soucoupe prolongée par un corps duquel émergent deux réacteurs. Des conseillers militaires aident Roddenberry à établir les règles hiérarchiques au sein du vaisseau, et le fonctionnement de "La fédération des planètes unies" à laquelle il est sensé être rattaché. La santé du personnel n’est pas négligée non plus : des médecins imaginent les lits d'auto-diagnostic dont l'infirmerie de bord sera équipée. Bien évidemment, une vision d'une telle ampleur va nécessiter l'emploi d'effets spéciaux sophistiqués…

La construction de l’Entreprise

Howard A.Anderson et le directeur artistique Matt Jeffries collaborent étroitement sur le design et la construction de l' Enterprise . Ils font fabriquer trois maquettes : une de 7,62cm, une de 91cm, et une version très détaillée de 4m26, qui servira à filmer tous les plans rapprochés. Le vaisseau est sensé se déplacer à plusieurs fois la vitesse de la lumière. Un concept difficile à représenter en images. Anderson décide d'agir sur l'arrière-plan plutôt que sur les déplacements de la maquette du vaisseau. Il fait fabriquer de grands panneaux blancs sur lesquels sont peints des points noirs. Ces panneaux sont filmés à plusieurs reprises, en une série de travellings avant dont les vitesses varient. Les points qui grandissent les plus vite dans le cadre donnent l'impression d'être les plus proches tandis que ceux qui se déplacent lentement semblent être situés plus loin. Ces différents plans sont combinés sur une seule pellicule grâce à une tireuse optique. Le négatif de cette image composite montre alors des centaines de points blancs - les étoiles - qui se déplacent dans l'obscurité de l'espace. Un travelling matte permet d'incruster la maquette de l' Enterprise, filmée sur fond bleu, sur ce fond stellaire. Le trucage final montre un vaisseau qui se déplace si vite que les étoiles filent autour de lui. Anderson utilise le même principe pour filmer de multiples déplacements du vaisseau, sous tous les axes possibles. Ces plans seront utilisés plusieurs fois pendant le pilote, puis amortis en tant que "stock-shots" tout au long de la série. L’Enterprise ayant été filmée sur un fond bleu, il suffira par la suite de l’incruster devant de nouvelles planètes, ou devant de nouveaux fonds étoilés, pour créer les trucages adaptés à chaque épisode.

Téléportation !

Roddenberry simplifie la procédure d'arrivée de ses héros sur des mondes inconnus grâce à la téléportation. Plutôt que de tourner de coûteuses scènes d'atterrissage avec des maquettes, on se contentera de filmer les acteurs dans le décor de l'entreprise, puis on les fera réapparaître au milieu du paysage fabriqué en studio. Howard A. Anderson pourrait employer un simple fondu-enchainé pour représenter la téléportation, mais il tient à mettre au point un trucage spectaculaire. Il filme d'abord les comédiens qui prennent place sur les plots du téléporteur. Il leur demande de rester figés puis ferme progressivement le diaphragme de la caméra pour obtenir un fondu au noir. Les comédiens quittent le décor, qui est filmé vide une seconde fois. Anderson se sert alors d'une copie du négatif pour dessiner des caches des silhouettes des acteurs. Ces contours noirs sur fond blanc sont filmés pour générer un contre-cache négatif : des silhouettes blanches sur un fond noir. Anderson filme alors des paillettes d'aluminium qu'il disperse dans un faisceau lumineux très intense. La tireuse optique lui permet d'incruster les images des paillettes argentées dans les contours des silhouettes grâce au cache obtenu précédemment. L'effet de scintillement apparaît et disparaît pendant le fondu-enchaîné. On a l’impression que la silhouette téléportée se matérialise dans un poudroiement d’énergie avec de prendre un aspect solide. L'un des trucages les plus célèbres de la télévision est né ! Il deviendra une des références les plus populaires de Star Trek, tout comme la phrase « Beam me up, Scotty ! » (Téléportez-moi, Scotty !).

Le look de Spock

D'autres effets spéciaux mémorables se préparent dans les loges des comédiens. Le maquilleur Fred B. Phillips a contacté une petite société qui fabrique des masques de créatures pour lui demander de réaliser les oreilles pointues dont Roddenberry veut gratifier Mr Spock, l’officier scientifique. Quand les fameuses oreilles arrivent, Phillips est épouvanté : ce sont des choses assez grossières, que l’on doit placer par-dessus les vraies oreilles, et qui semblent sorties d’un magasin de farces et attrapes ! Il essaie néanmoins de les appliquer sur Leonard Nimoy à titre de test, et le résultat est catastrophique ! Le maquilleur sait que le budget de fabrication des oreilles a été dépensé, mais il ne peut se résoudre à utiliser des accessoires si ridicules. Il contacte alors son ami John Chambers, expert en prothèses, et lui demande de concevoir à ses frais les oreilles en pointe de l'officier vulcain. Chambers moule d’abord les oreilles de Leonard Nimoy , et se sert des tirages positifs de ces empreintes pour modeler les fameuses prothèses. Il fabrique un moule de cette sculpture, et produit plusieurs paires de prothèses en mousse de latex. Spock est sauvé du ridicule ! Avant chaque métamorphose, Fred Phillips prend soin de fixer les oreilles légèrement décollées de Nimoy sur sa nuque avant de coller les prothèses en mousse de latex. Nimoy rase la moitié extérieure de ses sourcils pour faciliter le travail de Phillips. Le maquilleur prolonge ensuite ses demi-sourcils par des postiches relevés pour donner à Mr Spock l'air diabolique souhaité par Roddenberry. Nimoy revient de loin : le créateur de Star trek avait d'abord songé à l'affubler aussi d'une peau rouge vif ! Roddenberry s’étant contenté de donner un sang vert aux Vulcains, Fred Phillips se contentera de disperser un peu de poudre verte sur le visage de Nimoy.

Le tournage du pilote

Le premier capitaine de l'entreprise ne s'appelle pas encore Kirk, mais Pike (NDLR : on retrouve d’ailleurs ce personnage dans le nouveau Star Trek réalisé pour le cinéma par J.J. Abrams). Il est interprété par Jeffrey Hunter. Dans le pilote, le capitaine Pike est enlevé par des extraterrestres qui collectionnent les êtres venus de lointaines planètes. Ses ravisseurs sont dotés de crânes de mousse de latex hypertrophiés sur lesquels on peut voir pulser des veines (qui sont en fait des petites poches que l’on gonfle avec de l’air). Fred Phillips accentue l'étrangeté de ces personnages en suggérant qu'ils soient interprétés par deux comédiennes aux visages menus, dont les voix seront remplacées au mixage par des voix d'hommes. Le tournage se déroule dans les meilleures conditions et Roddenberry montre fièrement son œuvre à la direction de NBC. Le pilote est apprécié, mais son intrigue est jugée "trop intellectuelle" et l'apparence du personnage de Spock beaucoup trop diabolique : le vulcain doit disparaître ! Roddenberry fait des concessions sur le premier point, mais refuse de se passer de Spock : il affirme qu'il sera l'un des personnages les plus populaires de la série. Fait rarissime, la chaîne se laisse convaincre. Elle commande un second pilote pour permettre de peaufiner les détails de Star Trek. Jeffrey Hunter étant retenu par d'autres projets, c'est William Shatner qui devient le nouveau capitaine de l’Enterprise. Le second pilote Where no man has gone before (Où l'homme dépasse l'homme) est accepté par NBC et diffusé en 1966. 79 épisodes seront diffusés. Star Trek disparaît en 1969 pour renaître sous la forme d'une série animée, puis d'une série de films au cinéma, avant qu'une "nouvelle génération" ne remplace l'équipage d'origine sur le petit puis sur le grand écran. Les séries Star Trek Deep Space Nine, Star Trek Voyager et Star Trek : Enterprise apparaissaient successivement.

La nouvelle jeunesse de la série originale

A l’approche de 2006, les studios Paramount décident de célébrer avec faste le 40ème anniversaire de la série originale de Star Trek (1966-1969), afin de donner un nouveau lustre aux aventures de Kirk et Spock. Ils initient une tâche herculéenne : tous les épisodes de la série originale sont remastérisés en haute définition à partir des négatifs 35mm originaux. Mais Paramount ne n’arrête pas en si bon chemin. Il est évident que les effets visuels des années 60, réalisés avec des budgets modestes, ont mal vieillis, et datent terriblement ces épisodes cultes. Au cours d’une réunion de travail, un des responsables des studios lance l’idée de refaire ces plans truqués en 3D, afin de leur donner un aspect nettement plus satisfaisant en haute définition. C’est une occasion inespérée d’améliorer ces plans, et de leur donner un aspect plus spectaculaire. Les maquettes des vaisseaux spatiaux, jadis incrustées sur des fonds étoilés granuleux (à cause des nombreuses recopies des plans de stock-shots, chaque génération copiée était de moins bonne qualité que la précédente), ont été remplacées par des répliques en images de synthèse d’une précision impressionnante, capable de tromper le fan le plus pointilleux ! La version virtuelle de l' Enterprise est basée sur les mesures exactes de la miniature originale, exposée depuis de longues années au musée Smithsonian de Washington. Ce modèle a été également photographié sous toutes les coutures, afin d’en reproduire les moindres détails, couleurs et textures. De même, tous les plans du générique original ont été recréés, et la musique réenregistrée par un orchestre symphonique. Grâce à cette nouvelle approche, toutes les scènes où l’on voit l’Enterprise évoluer dans l’espace et rencontrer des astronefs Klingons ou Romuliens ont été renouvelées, et bénéficient de mouvements de caméra aussi sophistiqués que dynamiques, qu’il aurait été impossible de réaliser dans les années 60.



A leur grande surprise, les fans de Star Trek ont ainsi redécouvert avec des yeux neufs des versions à la fois plus percutantes et parfaitement fidèles de leurs épisodes favoris. Les combats spatiaux sont bien plus spectaculaires, tout comme les images des approches des différentes planètes, traitées de manière hyperréalistes. Au lieu de globes de couleurs assez grossiers, on découvre désormais des planètes dotées de continents clairement visibles, et d’atmosphères aux nuages en constante évolution. Le plaisir se poursuit pendant la téléportation des héros sur les surfaces des mondes visités. La série originale ayant été tournée sur des petits plateaux, les plans de découvertes des panoramas étaient souvent réalisés grâce à des peintures sur verre, seuls moyens de révéler un large paysage à peu de frais, en le dessinant au lieu de le construire. Tous ces matte paintings ont été repensés et améliorés en 2D / 3D, afin de donner une nouvelle ampleur à ces scènes. Ce superbe travail, parfaitement fidèle à l’esprit de la série et au look futuriste des années 60, a été supervisé par Mike et Denis Okuda, directeurs artistiques de nombreuses séries Trek. C’est le studio CBS Digital qui a réalisé ces effets numériques, sous la direction de Niel Wray. Alors qu’on aurait pu s’attendre à une levée de boucliers de fans indignés que l’on touche à « leur » Star Trek, c’est le contraire qui s’est produit : les véritables amateurs de l’œuvre de Gene Roddenberry ont été bluffés par le soin apporté à cette résurrection de Star Trek en haute défintion.

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