La conception des créatures des sagas Alien et Alien contre Predator
Article Cinéma du Mercredi 09 Janvier 2019

Entretien avec Tom Woodruff Jr et Alec Gillis

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Tom Woodruff Jr et Alec Gillis sont les fondateurs du Studio Amalgamated Dynamics. Ils ont donné vie aux créatures de Tremors, Jumanji, X-files le film, et sont intervenus sur les maquillages de X-Men Origines : Wolverine que nous évoquerons bientôt. Effets-speciaux.info vous propose aujourd’hui un entretien spécial « Alien & Predator » (réalisé au moment de la sortie de Alien vs Predator : Requiem ) avec ces deux grands noms des effets spéciaux, dont la carrière a débuté au sein du studio du regretté Stan Winston.

Il est très rare de pouvoir interviewer un Alien, car c’est vous qui vous cachez à l’intérieur de ces monstres, n’est-ce pas Tom ?

Tom Woodruff Jr : Eh oui, je dois le confesser...

Alec Gillis : Et de mon côté, je pilote à distance les mécanismes et je dialogue avec le réalisateur pour gérer la performance de Tom.

Que ressent-on quand on se trouve dans le costume ?

Tom Woodruff Jr (révélant une tête d’Alien cachée sous un tissu) : Eh bien, ma tête se trouve en fait ici, à la base du cou de la créature. Le costume est assez étroit, donc il vaut mieux ne pas être claustrophobe. Il y a des petites fentes ici pour me permettre de respirer, car il arrive que je reste dans le costume plusieurs heures sans le retirer.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le design d’un Alien ?

Alec Gillis : Le fait que ce soit une créature sans yeux. C’est vraiment une idée géniale, d’autant plus effrayante que ça ne l’empêche pas d’attaquer ses victimes avec une précision imparable. On ne sait pas comment, mais il arrive à sentir votre présence…alors comment faire pour se battre contre lui ?

Tom Woodruff Jr : Ce qui fait la différence entre un Alien et un Predator, c’est justement ce côté mystérieux des Aliens. Les Predators, eux, ont deux yeux, des caractéristiques physiques qui ressemblent à celles des humains – c’est la raison pour laquelle on a tendance à s’identifier davantage à eux – et paraissent plus proche de nous que les monstres insectoïdes que sont les Aliens.

Votre aventure professionnelle avec ces créatures est déjà longue...

Alec Gillis : Oui. Nous avons d’abord travaillé sur Aliens de James Cameron, puis sur tous les films suivants, ce qui fait que AVP Requiem est notre cinquième rendez-vous avec eux. Ce qui est drôle, maintenant, c’est qu’on nous considère un peu comme des autorités dans le domaine des Aliens. Des gens plus jeunes que nous viennent nous consulter et nous demander de leur raconter le mode de vie de ces créatures !

Comment le design des Aliens a-t’il évolué au fil des ans ?

Tom Woodruff Jr : Eh bien quand nous avons travaillé sur la première suite, Aliens, nous avons commencé à nous éloigner un peu du design du premier Alien qui avait été sculpté et peint par HR Giger. Dans le premier film, le haut de la tête du monstre était une sorte de dôme translucide. James Cameron nous a demandé de l’enlever pour que l’on puisse voir la structure osseuse qui se trouve en dessous, car il voulait que les têtes des créatures soient plus intéressantes à filmer qu’une simple forme lisse. Il voulait que l’éclairage et les ombres puissent jouer sur des reliefs. Nous avons donc suivi ses indications et retiré le dôme. Mais quand nous avons préparé Alien 3, David Fincher nous a demandé de le remettre en place, car il aimait l’aspect insectoïde de cette forme. Le dôme est resté pour Alien resurrection, et pour le premier AVP. Pour AVP Requiem, les frères Strause nous ont demandé de retirer le dôme à nouveau, pour retrouver l’aspect que les créatures avaient dans Aliens.

Les costumes ont-ils évolué aussi ?

Alec Gillis : Oui. Pour Aliens, les costumes des créatures étaient très simples. C’étaient pratiquement des costumes de lycra noir avec des sections en relief ajoutées dessus, dont les différentes parties s’enfilaient très simplement. L’idée de James Cameron, c’était qu’il fallait simplifier au maximum les tenues pour que les acteurs qui se trouvaient dedans disposent d’une très grande liberté de mouvements. Il voulait surtout voir des formes capables de bouger très rapidement, comme des insectes menaçants. Pour Alien 3, nous sommes revenus à une approche plus classique, c’est à dire à une tenue réalisée d’après une sculpture complète du corps, très détaillée, qui a été moulée et tirée en mousse de latex. Nous avons beaucoup consulté les livres d’illustrations de HR Giger pour reproduire les textures, les détails et les couleurs de ses créations réalisées pour le premier Alien, afin d’être très fidèles à sa vision.

Avez-vous eu l’occasion de rencontrer Giger ?

Alec Gillis : Quand nous étions à Londres pour tourner Alien 3, j’ai eu l’occasion de lui parler deux ou trois fois au téléphone, mais je n’ai jamais eu l’occasion de le rencontrer.

Vous travailliez avec Stan Winston à l’époque d’Aliens...

Tom Woodruff Jr : Oui. Alec et moi faisions partie des 4 ou 5 superviseurs principaux qui s’occupaient du film.

Stan Winston a-t’il contribué au nouveau design des Aliens à ce moment-là ?

Alec Gillis : En fait, James Cameron a imaginé lui-même le design des Aliens et de la reine Alien. Jim est un formidable illustrateur. Stan a complété les parties de design que James n’avait pas détaillées et ensuite, nous avions la tâche de construire ces créatures, ce qui a été une expérience fantastique.

Tom Woodruff Jr : A cette époque, nous intervenions sur toutes les prestations : nous sculptions, nous fabriquions les moules, les mécanismes, les costumes, etc. J’ai sculpté la tête des soldats Aliens pour le film de Jim Cameron, j’ai donc eu le plaisir de retirer le dôme la première fois ! Et vingt ans plus tard, je côtoie toujours ces créatures, mais je ne sculpte plus ! Et je dois dire que les sculpteurs qui ont travaillé pour nous sur ce film ont fait un bien meilleur travail que celui que j’avais fait il y a vingt ans.

Comment les créatures sont comportent-elles dans ce nouvel épisode ?

Alec Gillis : Eh bien, dans le dernier épisode, on découvrait que les Predators avaient élevé des Aliens pour leur propre usage, en leur donnant de nouvelles caractéristiques, notamment en raccourcissant de manière drastique la durée de leur cycle de développement, afin de pouvoir les chasser le plus vite possible. Malheureusement pour le Predator de ce nouvel épisode, les choses deviennent rapidement très difficiles à contrôler...

> Quelles sont les nouvelles techniques que vous avez développées pour AVP R ?

Alec Gillis : C’est intéressant que vous posiez cette question, car depuis quelques années déjà, les seuls progrès techniques dont les médias se font l’écho au sujet des effets spéciaux concernent uniquement les images de synthèse. Mais de notre côté, nous continuons aussi à avancer, notamment en ce qui concerne les moteurs qui actionnent les mécanismes, les matières qui nous permettent d’imiter la peau, et les structures composites de plus en plus légères que nous créons à partir de résine epoxy. Nous avons fabriqué de nouvelles versions entièrement mécaniques des créatures qui sont capables de faire des gestes encore plus fluides qu’avant. Notre système de programmation des mouvements nous permet de « lisser » les animations, et de les répéter en les modifiant jusqu’au moment où elles nous satisfont entièrement. Je crois que vous serez surpris par ce que certaines créatures font dans le film.

Tom Woodruff Jr : Il y a très peu de créatures réalisées en images de synthèse dans la saga Alien. Le film qui en utilisait le plus est le premier AVP, mais même dans ce cas, il y avait 1500 plans réalisés avec des créatures animatroniques, et 500 plans avec des créatures 3D.

Alec Gillis : Les créatures animatroniques et les costumes ont un côté plus présent, plus organique et plus réaliste parce qu’elles évoluent dans les mêmes décors et les mêmes éclairages que les acteurs. Elles appartiennent au même univers. C’est la raison pour laquelle la Fox et même les frères Strause, qui possèdent le studio d’effets numériques Hydraulx, sont venus nous voir en nous disant qu’ils ne voulaient pas utiliser des Aliens en 3D, parce que l’on se rend toujours compte qu’ils sont virtuels. C’est un formidable encouragement pour nous. Nous sommes fiers de notre approche « vieille école » !

Plus spécifiquement, quels sont les nouveaux matériaux que vous avez utilisés ?

Tom Woodruff Jr : Des silicones, des vinyls, plusieurs méthodes nouvelles pour peindre toutes sortes de matériaux. Je dois ajouter aussi que nous nous donnons beaucoup de mal pour rendre les costumes extrêmement résistants. Les acteurs qui les portent sont exposés à la pluie, doivent ramper, tomber, se battre. Il faut que leurs tenues soient pratiquement à l’épreuve des balles pour résister à un tournage comme celui-là ! Il nous arrive aussi de faire des exceptions pour un costume d’une des créatures principales, qui est plus détaillé, et que nous traitons plus délicatement pendant le tournage.

Combien de costumes « principaux » utilisez-vous, et combien de costumes destinés aux cascades et aux scènes d’action ?

Alec Gillis : Nous avons fabriqué 16 costumes d’Alien au total. 8 costumes « principaux » et 8 costumes pour les cascades. Les costumes pour les cascadeurs sont simplifiés dans leurs détails et dans leurs couleurs, mais on ne s’en rend pas compte quand on les voit en action : ils ressemblent beaucoup aux autres. La différence, c’est que nous n’utilisons pas de structures en résine à l’intérieur des têtes, car il faut que les cascadeurs n’aient que des choses souples autour de leurs visages, pour ne pas se blesser en tombant. Nous avons fabriqué neuf costumes de Predators, dont 5 principaux. Vous verrez que le visage du Predator principal est très différent de ceux que l’on a vus précédemment. C’est un spécialiste du camouflage et de la traque de ses proies. Un mélange entre un tueur à gages et James Bond ! Il a des tas de gadgets à sa disposition. C’est un vétéran des combats contre les Aliens. Ce n’est pas le genre à se laisser surprendre dans un couloir par trois créatures qu’il n’aurait pas vu venir. Il est bien plus malin que ça.

Quels sont les mouvements que peuvent faire les têtes animatroniques des Aliens ?

Alec Gillis (reprenant en main la tête d’Alien) : Justement, ceci est une tête animatronique qui est radiocommandée. Les servomoteurs permettent d’ouvrir et de fermer la mâchoire, de faire bouger les lèvres et de les retrousser, et il y a aussi des tubes qui permettent de faire couler du slime dilué, pour simuler la salive.

Combien de personnes de votre studio travaillent-elles avec vous sur ce tournage ?

Tom Woodruff Jr : Nous sommes 8, mais nous avons engagé 5 techniciens en animatronique de Vancouver en renfort, et je pense que nous allons en engager encore 2 ou 3 de plus d’ici la fin du tournage.

Alec Gillis : Pour animer les Aliens, nous employons une dizaine de manipulateurs. 6 d’entre eux s’occupent des animations principales des mécanismes, et les 4 autres des animations secondaires, comme les queues qui sont suspendues à des fils, les jambes.

Donc l’animation d’un seul Alien mobilise 3 personnes...

Tom Woodruff Jr : Oui. Moi qui suis dans le costume, un manipulateur qui actionne les radiocommandes des servomoteurs, et un autre manipulateur qui anime la queue et actionne la pompe qui permet à la créature de baver.

Quelle est la recette de la bave d’Alien ?

Alec Gillis : Nous utilisons les mêmes ingrédients que le Slime. A la base, il s’agit de methylcellulose, une substance très proche de la colle à papier peint. Nous ajoutons un agent plastifiant dedans pour lui donner plus de liant. C’est ce qui produit les effets de filament quand la matière tombe goutte à goutte.

Tom Woodruff Jr : Nous sommes obligés de la produire nous-mêmes, car nous en utilisons d’énormes quantités pendant le tournage. Nous en fabriquons par lots de tonneaux de 250 litres ! (rires)

Et le sang des Aliens ?

Alec Gillis : Nous utilisons la même substance, mais elle est simplement colorée différemment. Quand on doit montrer le sang acide ronger un décor, nous fabriquons un mélange à base d’acétone coloré, et nous le projetons sur des éléments réalisés en polystyrène. L’acétone fait fondre le polystyrène instantanément.

Quels types de mécanismes utilisez-vous pour les mains et les queues des Aliens ?

Alec Gillis : L’intérieur de la queue d’un Alien est composé d’une série de disques positionnés sur la tranche, verticalement, les uns à côté des autres, et reliés par des articulations. Il y a des câbles qui traversent ces disques en haut, en bas, à droite et à gauche. Donc, quand vous tirez sur ces câbles avec des leviers, vous pouvez animer la queue de la créature dans tous les sens et la faire fouetter l’air. C’est assez drôle d’ailleurs, car il y a des superviseurs d’effets numériques qui sont absolument convaincus qu’il est impossible d’animer correctement les queues des Aliens, et qu’il faut les reconstituer en 3D. Ils sont sidérés quand ils voient les rushes et découvrent ce que nous sommes capables de faire avec une queue mécanique, ou avec une queue manipulée avec des fils. Nous avons développé des trucs tout simples pour rendre les fils vraiment invisibles. Dans 99% des cas, il suffit de passer un coup de marqueur noir dessus pour les faire disparaître ! Pas besoin de les effacer numériquement, à la grande surprise des infographistes !

Au fond, quelle est votre créature préférée, entre un Alien et un Predator ?

Alec Gillis : Sans vouloir offenser les fans, je préfère un Alien. C’est un design plus élégant, plus mystérieux. C’est une créature superbe. Le Predator est un monstre macho plus classique, et plus brutal !

Le film débute par une sorte de flashback...

Tom Woodruff Jr : Oui. Chaque réalisateur veut imprimer sa marque à la saga, et réinventer un bout de l’histoire, et les frères Strause ont fait de même.

Comment votre collaboration avec eux se passe-t’elle ?

Alec Gillis : Ce sont des garçons très sympathiques, pas prétentieux pour un sou, qui n’ont rien à voir avec le genre de personnes que l’on croise bien trop souvent à Hollywood. Je ne sais pas si vous le savez, mais leurs parents travaillent avec eux dans leur studio Hydraulx, un endroit high tech, qui ressemble au QG de James Bond, avec des ordinateurs partout. Au milieu de tout ça, il y a une charmante vieille dame qui passe dans les couloirs pour proposer des muffins aux gens : c’est leur grand mère ! (rires)

Tom, est-ce que vous avez mis au point une nouvelle gestuelle pour les créatures de ce film ?

Tom Woodruff Jr : A chaque fois que j’incarne un Alien dans un nouveau film de la série, je change des éléments de la gestuelle. D’abord, parce que j’ai de plus en plus l’habitude de jouer en portant le costume, mais aussi parce que nous apportons des petites améliorations aux créatures à chaque fois. J’essaie vraiment de jouer les situations. C’est pendant Alien 3 que j’ai porté le costume pour la première fois. Sigourney Weaver venait me voir pour discuter de la scène et je me souviens qu’elle me disait « Même si tu portes un costume, tu joues un personnage important ». On se mettait d’accord sur le timing de mes gestes, mes attitudes par rapport à elle. En ce qui concerne les monstres, il arrive que les réalisateurs pensent moins en termes de performance qu’en terme de positions à respecter dans le décor pendant une prise. Dans ces cas-là, c’est évidemment beaucoup moins intéressant pour moi : cela devient mécanique. Je préfère qu’on me laisse la possibilité de réfléchir à la manière dont la créature devrait réagir dans cette situation, puis jouer librement. Après avoir passé toutes ces années à construire ces créatures, nous nous sommes rendu compte que nous ne pouvions pas dépendre des mimes ou des acteurs engagés à la dernière minute par la production pour faire vivre nos personnages. Si une personne n’a pas le bon feeling, ou fait des gestes maladroits, les spectateurs verront juste un type dans un costume. Mais si la performance est bonne, là, on aura l’impression de voir une vraie créature. C’est pour cela que je vais jusqu’au bout de notre démarche et que je porte le costume moi-même. J’avais déjà envie d’être un acteur à l’intérieur d’un costume de monstre quand j’étais enfant, c’est donc aussi un rêve que je réalise.

De quels animaux vous êtes-vous inspirés pour mettre au point la gestuelle des Aliens ?

Tom Woodruff Jr : J’ai étudié des documentaires animaliers sur les insectes, notamment les mantes religieuses et les insectes aux corps longs et effilés. Ils ont souvent une démarche un peu hésitante et semblent tâter le terrain avant chaque pas. Mais quand le réalisateur vient me voir pour me dire « Contente-toi de marcher d’ici à ici. », je suis bien forcé d’obéïr ! Pour Alien Resurrection, j’avais étudié les mouvements des crocodiles et des iguanes de mer pour la scène où l’on voit les Aliens nager.

Qu’est-ce qui est le plus difficile à supporter quand vous portez le costume ?

Tom Woodruff Jr : Sur ce tournage, c’est le froid et l’humidité. Le costume est composé de lycra et de mousse de latex, et quand l’eau pénètre dans les alvéoles spongieuses de la matière, elle y reste, malgré le mal que nous nous donnons pour essayer d’en imperméabiliser la surface. Il y a aussi le fait que je ne vois pratiquement rien. Quand je me déplace à toute allure et que je sais qu’un mur se trouve quelque part en face de moi, il faut que je sois très prudent pour éviter un accident.

Avez-vous mis au point des astuces pour enfiler et retirer le costume plus rapidement ?

Tom Woodruff Jr : Oui. A l’époque d’Alien 3, les différentes parties du costume étaient collées, ce qui faisait que je restais en tenue huit heures d’affilée. On retirait juste la tête de temps en temps, pour me permettre de respirer normalement, mais comme le bas du costume était composé de morceaux collés, je ne buvais ni ne mangeais de toute la journée, car je ne pouvais pas aller aux toilettes. Nous avons fini par réaliser que c’était peut-être un peu dangereux pour ma santé ! (rires) Mais à l’époque, j’étais tellement dévoué à ce rôle que je m’en moquais. Aujourd’hui, nous avons utilisé les reliefs du corps des Aliens pour y dissimuler les jonctions des différentes parties du costume. Je peux retirer la tête, les mains, les pieds, et j’ai la possibilité de retirer le costume plusieurs fois pendant la journée de tournage. Et je peux boire et manger !

Le costume est-il lourd ?

Tom Woodruff Jr : Non, pas vraiment. La tête avec les mécanismes radiocommandés pèse six kilos, et le costume est assez léger. Il s’alourdit seulement quand il commence à être trempé. Là, il faut en sortir, le sécher, et en prendre un autre, sec, pour tourner les prises suivantes.

Alec Gillis : Je voulais juste préciser que c’est Ian White qui porte le costume du Predator dans ce film. Et il bouge de façon beaucoup plus fluide et plus gracieuse que les Predators de l’épisode précédent. Ces personnages-là étaient de jeunes guerriers venus prouver leur virilité en affrontant les Aliens. Ils étaient bardés de cuirasses, un peu « rouleurs de mécaniques », mais assez inexpérimentés pour être assez facilement battus par les Aliens. Depuis le premier AVP, Ian a étudié le yoga et les arts martiaux. Il est beaucoup plus souple qu’il ne l’était avant, et ça se voit quand il évolue avec le costume. Le personnage de Wolf est une sorte de Predator Ninja, qui se déplace vite et discrètement, à la manière des maîtres de Tai-chi, et frappe sans que ses victimes aient eu le temps de le voir. Il a aussi un équipement très performant. Au début du film, on le voit ouvrir ce que nous avons surnommé « la valise de nettoyage », pour en extraire ses armes. Il emploie notamment des mines à déclenchement à distance pour se débarrasser des Aliens une fois qu’il les a attirés dans un recoin. On le voit aussi utiliser sa « trousse de premiers soins » après qu’il ait été blessé. Il emploie toujours ses canons laser, et ses shurikens.

(Tom Woodruff Jr nous quitte pour partir sur un tournage, tandis qu’Alec Gillis répond seul à nos questions sur le Predalien…)

Pouvez-vous nous raconter comment vous avez conçu le Predalien ?

Alec Gillis : Volontiers. Comme vous le savez sans doute, ce personnage est déjà apparu dans des bandes dessinées et dans un jeu vidéo. Etant donné que le précédent AVP montrait un chestburster émerger du thorax d’un Predator, nous savions que nous allions avoir l’occasion de créer un nouveau design pour cette créature. La première chose que nous avons faite a été de lire le script pour savoir ce que le studio et les réalisateurs attendaient que nous fassions sur ce film. Deux processus de conception différents débutent à ce moment-là d’un projet : le choix des techniques à utiliser – par exemple savoir si nous pouvons réaliser tel plan avec Tom Woodruff portant un costume ou avec une tête mécanique, ou s’il faut employer un personnage animé par des mécanismes hydrauliques – puis il y a l’aspect purement artistique du design des personnages. Nous avons assemblé une équipe d’artistes avec lesquels nous collaborons depuis longtemps, et Tom, moi et eux avons commencé à dessiner et à sculpter des concepts très différents du Predalien. Nous surnommons cette approche « la méthode du fusil à pompe » parce qu’on tire une seule fois dans une direction, mais que les projectiles s’éparpillent. Nous avons présenté toutes ces options aux réalisateurs pour qu’ils nous disent ce qu’ils préféraient. Quand on présente 50 esquisses à quelqu’un, il ne va en retenir peut-être que 4 ou 5, mais ces quelques croquis là vont vous donner une très bonne idée de ce qui lui plaît vraiment. Cela nous permet d’ajuster le tir quand nous produisons une seconde série d’essais. Evidemment, le Predalien étant un hybride de deux créatures bien connues, aux caractéristiques dont on ne peut pas trop s’éloigner, cela facilite notre travail. Mais à ce moment-là, nous nous demandions tous quel était la proportion d’Alien et la proportion de Predator qu’il fallait garder dans l’aspect final du personnage. L’idée des frères Strause, c’était que le Predalien devait être à 80% Alien et à 20% Predator, pour une raison très simple : dans les films précédents, on voit bien que les Aliens ne conservent que très peu de caractéristiques des créatures qu’ils ont parasitées. Dans Alien 3, par exemple, le monstre prenait certains aspects d’un chien, puisqu’il se déplaçait à quatre pattes, mais globalement, il avait tous les autres attributs d’un Alien. En y réfléchissant, Tom et moi nous sommes dits qu’on pouvait peut-être pousser un peu plus loin les ressemblances avec un Predator, car l’ADN de Predator doit certainement être plus robuste et plus fort qu’un ADN de mammifère ! Mais néanmoins, nous sommes partis sur cette proportion de 80/20 pour créer notre seconde série de designs, qui a plu à tout le monde…jusqu’au jour où nous avons reçu un coup de fil d’une personne de la Fox qui était très inquiète. Quelqu’un avait montré la sculpture du Predalien à un garçon de 15 ans, qui avait dit « Whoa, il est vraiment cool, cet Alien ! ». Et à la suite de ça, tout le monde a commencé à paniquer et à dire « Oh, on est peut-être allé trop loin du côté Alien. Peut-être que le Predalien devrait être 75% Alien seulement, et 25% Predator ! » (rires) Pendant un moment, on nous suggérait toutes sortes de pourcentages qui ne voulaient pas dire grand chose, puis nous nous sommes mis à faire des modifications. La première a consisté à remettre le fameux dôme translucide au sommet de la tête, et sous cette carapace translucide, si on regarde vraiment attentivement, on peut voir un crâne qui n’est pas humain, mais qui est un crâne de Predator. Nous avons aussi créé une sorte de sillon qui trace la délimitation de la tête courte d’un Predator, dans la forme longue d’une tête d’Alien. C’est de là qu’émergent les tentacules qui ressemblent à des dreadlocks. Le design a été approuvé à ce moment-là. Par la suite, nous avons tâtonné encore un peu pour mettre au point les coloris de la créature. Une fois que tout cela a été fait, Tom a dû mettre au point une nouvelle gestuelle pour cette créature hybride. Des gestes qui évoquent à la fois l’aspect brutal d’un Predator et la grâce d’un Alien. D’habitude, les Predators ont une posture droite, comme celles des humains, tandis que les Aliens avancent penchés ou se recroquevillent dans des recoins, comme des insectes. Tom a donc combiné les deux attitudes pour inventer de nouveaux comportements. Vous vous souvenez peut-être que dans le premier Predator, quand la créature révèle son visage à Arnold, elle écarte les bras et les tend en arrière dans un geste de défi. Vous retrouverez certaines de ces attitudes dans la manière dont Tom joue le Predalien.

Les Predators sont décrits comme des créatures d’une intelligence au moins égale à celle des hommes, tandis que les Aliens se comportent plutôt comme des animaux qui chassent leur proies en utilisant leur instinct. Quelle est la part d’intelligence « Predatorienne » que conserve le Predalien ?

Ah, cette question a été très longtemps débattue au sein de l’équipe. Il est évident que les Predators ont une culture de la chasse et un code du combat, mais ils sont aussi capables de développer des technologies extrêmement sophistiquées, comme on peut le constater en voyant leurs armes et leurs vaisseaux spatiaux. En revanche, tout ce que l’on peut imaginer, à propos des capacités intellectuelles des Aliens, c’est qu’ils ont une sorte « d’esprit de la ruche », une capacité de se comporter en tant qu’entité globale, par des liens qui sont peut-être télépathiques, ou qui fonctionnent en diffusant des phéromones dans l’air…Ces deux créatures sont si différentes que l’hybrique est aussi étrange que le mélange d’un humain et d’un insecte. En ce qui me concerne, j’ai toujours pensé que plus on donnait de caractéristiques humaines à un Alien, moins il devenait effrayant. Pour répondre plus précisément à votre question, les actions du Predalien dans le film prouvent qu’il est capable d’avoir un raisonnement logique, une suite de pensées. Je crois que cet aspect-là était certainement la partie la plus difficile a réussir dans ce mélange. Il fallait éviter de retirer trop de mystère à cette nouvelle créature. Je sais que beaucoup de fans aimeraient que l’on montre les planètes d’origine des Predators et des Aliens, mais même si je dois admettre que ce serait un challenge artistique formidable à relever, si on allait dans cette direction pour les films suivants, on risquerait de banaliser ces créatures. De tomber dans un côté Star Wars ou Star Trek. Les Predators deviendraient alors des sortes de « super-Klingons » belliqueux et dangereux, mais on saurait tout d’eux.

Greg et Colin Strause nous ont confié récemment que l’un de leurs projets, déjà soumis à Fox, était justement de faire une suite d’Alien dans laquelle on découvrirait la planète d’origine des créatures…

Vraiment ? Mmm, je serais content de participer à ce projet, mais en même temps, cela m’inquiète un peu.

HR Giger avait produit de superbes peintures où l’on voyait des hyéroglyphes Alien qui décrivaient leur cycle de reproduction, ainsi que des pyramides…Cela pourrait être une découverte fascinante…

Oui, mais on saura tout d’eux. On finirait par les comprendre. On a déjà fait un pas dans cette direction en révélant la reine Alien dans Aliens, et en apprenant d’où viennent les œufs…Mais j’imagine que l’on verra la planète des Aliens un jour ou l’autre au cinéma, quel que soit mon avis personnel !

Quels types de mécanismes avez-vous placés dans la tête du Predalien ?

Beaucoup ! En fait, nous avons dû insérer dans peu d’espace les mécanismes d’un Alien – l’animation de la mâchoire, des lèvres et de la langue – et ajouter les mécanismes d’un Predator pour animer les mandibules dans différentes directions. Cette animation particulière des mandibules intervient dans une scène où le Predalien insémine une pauvre femme en utilisant sa bouche. Ses mandibules se placent alors autour de la tête de la femme pour la maintenir captive.

Combien de costumes du Predalien avez-vous fabriqués ?

Six costumes détaillés, deux têtes très élaborées, la tête qui sert à la scène d’insémination, puis 4 ou 5 têtes pour les cascades, et six tenues pour le même usage.

Quelles étaient les premières idées des frères Strause à propos du predator, Wolf ?

Leur référence, c’était le personnage joué par Harvey Keitel dans Pulp Fiction, un tueur venu du quartier de Queens, à New York. Disons que dans le premier Predator, la créature était sans doute un tout jeune Predator de 13 ans, que ses parents avaient laissé s’amuser sur une planète peuplée de créatures fragiles – les hommes – juste pour s’entraîner sans courir le moindre risque. Dans le premier AVP, les Predators étaient de jeunes adultes qui devaient s’affirmer en affrontant des Aliens. Dans cet épisode, Wolf est un Predator nettement plus âgé, qui a peut-être 45 ou 50 ans à l’échelle d’une vie humaine, et qui est comme un soldat qui a participé à beaucoup de campagnes militaires. Il a sans doute tué des centaines d’Aliens, et les balafres qu’il porte sur son corps et sur son visage sont là pour le prouver. Contrairement aux autres Predators, Wolf n’utilise que très rarement son système de camouflage, tout simplement parce qu’il est tellement malin qu’il n’en a pas besoin la plupart du temps. Même s’il est parfaitement capable d’affronter un Alien en corps à corps, il ne le fait pas s’il a la possibilité de l’éliminer d’une manière moins risquée et plus rapide. Greg et Colin nous ont demandé de rendre le masque de métal de Wolf un peu plus anguleux, pour lui donner un aspect plus agressif. Ils ont également amené des idées intéressantes à propos de ses armes et de son équipement. Ce sont des garçons qui ont un avis très net. Ils sont capables de vous dire tout de suite ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas. L’idée du fouet fabriqué avec une queue d’Alien aux vertèbres aiguisées vient d’un dessin qui avait été fait par Farzad, l’un des artistes qui travaille avec nous. Les frères Strause ont vu ce dessin et l’ont adoré.

Quels sont les effets les plus complexes que vous avez réalisés pour ce film ?

Je crois que ce qui nous tenait le plus à cœur, c’était d’avoir une autre occasion de travailler sur les Predators, car nous avions été très frustrés de la manière dont les choses s’étaient passées sur le précédent AVP…

Pourquoi ?

Vous vous souvenez peut-être que les fans ont trouvé que les Predators du précédent film étaient trop massifs. Paul Anderson voulait qu’ils portent des armures, ce qui n’est pas une mauvaise idée, mais si vous rajoutez une cuirasse sur un corps déjà très musclé, cela donne une silhouette extrêmement épaisse, et ça ne fonctionne pas bien visuellement. De plus, la sculpture du corps des Predators a été faite sur le moulage du corps de l’acteur qui joue le rôle, Ian White, un garçon qui mesure 2m20. Pendant le tournage à Prague, il nous arrivait souvent de préparer des scènes avec plusieurs Predators, pour plusieurs équipes de tournage, qui allaient filmer au même moment sur des plateaux différents. Ce qui nous posait un gros problème, car nous ne disposions de que très peu d’acteurs de très grande taille en plus de Ian. C’est la raison pour laquelle nous étions souvent obligés de nous rabattre sur des acteurs qui ne mesuraient que 1m90, soit trente centimètre de moins que la taille requise pour porter un costume de Predator ! On nous disait « Ne vous inquiétez pas, ce seront juste des plans rapides, on ne s’en rendra pas compte ! », mais au bout d’un moment, on voyait une seconde caméra arriver, puis une troisième, et sans que nous puissions dire quoi que ce soit, les opérateurs filmaient les créatures en plan large, ce qui permettait de se rendre compte que leurs jambes étaient trop courtes par rapport aux proportions de leurs cuisses et de leurs mollets ! Tom et moi allions alors voir le producteur pour lui expliquer que ça n’allait pas, que le résultat n’aillait pas être bon, mais il nous disait « Désolé les gars, mais nous avons 50 jours pour tourner ce film, et nous n’y arriverons pas si nous filmons seulement ces scènes avec Ian White… ». Nous avons donc grincé des dents pendant le tournage et n’avons pas été surpris que des fans s’exclament « Oh, les Predators ont rapetissé et grossi ! » pendant la projection ! Le bon côté des choses, c’est que nous avons négocié notre participation à AVP Requiem pour obtenir un droit de regard sur ce qui est filmé. Cette situation ne se reproduira plus. Nous avons un seul Predator dans le film, et il est à chaque fois interprêté par Ian White, et par des cascadeurs de très grande taille.

Quelle matière avez-vous utilisé pour la tête de Wolf ?

Du silicone, ce qui donne à sa peau une transparence très intéressante. Nous avons préféré éviter d’utiliser les vrais yeux de Ian, car si l’on choisit cette option-là, les orbites de la tête du Predator doivent être très profondes, à cause de l’épaisseur du masque et des moteurs de mandibules et des sourcils. Du coup, les yeux de Ian se trouvent tout au fond des orbites, et sont pratiquement toujours dans l’ombre, ce qui pose des problèmes d’éclairage difficiles à gérer de plan en plan. Pour ce film, nous avons choisi de fabriquer des paupières et des yeux mécaniques, animés par radiocommande et placés bien en avant, qui sont beaucoup plus visibles.

Comment Ian voit-il ce qui se passe devant lui ? Avez-vous inséré une caméra et un petit écran vidéo pour lui permettre de se déplacer ?

C’est un truc que nous avons utilisé par le passé, mais le problème, c’est que la technologie est encore trop encombrante. Si vous mettez un écran dans un masque, vous avez besoin de place pour que l’acteur puisse voir quelque chose, et du coup, vous vous retrouvez avec une tête bizarrement allongée, ce qui gâche tout. Pour Wolf, nous avons tiré parti du fait qu’il porte son masque de métal la plupart du temps, et le masque a été conçu pour permettre à Ian de voir très bien au travers. Par contre, quand Wolf est montré visage nu, Ian a une vision extrêmement réduite.

Avez-vous dû créer des costumes d’Aliens particuliers pour les scènes qui se passent dans les égoûts ?

Nous avons surtout dû créer des costumes supplémentaires. Tourner dans l’eau, c’est la pire chose que l’on puisse infliger à un costume en mousse de latex. La matière est imbibée de liquide, alourdie, fragilisée et elle a donc tendance à se déchirer plus facilement. Nous avons dû faire tellement de réparations que nous avions besoin d’avoir plus de costumes de rechange pour ne pas retarder le tournage. Le problème était d’ailleurs le même avec les scènes filmées sous la pluie.

N’était-il pas possible de prévoir une sorte de « Rideau de pluie » seulement devant et derrière les créatures ?

Malheureusement non, car les opérateurs utilisaient souvent des objectifs avec de très longues focales qui compressent les perspectives et réduisent un peu la profondeur de champ. Autrement dit, si les gouttes d’eau ne tombaient pas vraiment sur les Aliens, on s’en serait rendu compte. Malgré tous les problèmes que l’eau nous a causé, je dois dire que ces scènes sous la pluie sont fantastiques. La pluie devient presque un des personnages du film. Et quand on voit ces gouttes d’eau exploser sur le haut de la tête d’un Alien, cela ajoute une texture formidable.

Quel est l’éclairage idéal pour filmer un Alien ?

Un éclairage assez intense pour souligner les reliefs de la tête et du corps, tout en s’assurant que les ombres seront vraiment bien sombres. Sur Alien 3 et Alien Resurrection, nous avons passé beaucoup de temps à détailler la peinture des créatures, en multipliant les nuances subtiles et les textures réalisées à l’aérographe. Ça a bien fonctionné pour Alien Resurrection, parce que le chef opérateur Darius Kondhji ne faisait pas des images excessivement contrastées. On pouvait voir les détails même dans les replis sombres de la peau des créatures. Mais sur AVP, nous avons dû nous adapter à un éclairage plus intense, plus saturé. Nous avons fini par utiliser un mélange de noir et de peinture argentée pour accentuer les reflets, et nous avons utilisé aussi cette approche sur AVP Requiem, sur les Aliens.

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.