Entretien avec André Brizard : l'art du compositing sur Cloverfield et Hellboy 2
Article Cinéma du Jeudi 30 Avril 2009

Après avoir fait un stage de fin d'études dans le studio français d'effets visuels DUBOI, durant lequel il a travaillé sur La Cite des Enfants Perdus de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro, André Brizard est intervenu sur les long-métrages Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain, Astérix 1 et 2, Belphégor, Taxi 2, Jeanne d'Arc et Bon Voyage. Il a ensuite rejoint les studios MPC puis Double Negative à Londres, où il a eu l'occasion de faire du compositing sur Cloverfield et Hellboy 2...

Propos recueillis par Pierre-Eric Salard

Un français à Londres

Peux-tu nous décrire ton parcours, et comment tu en es venu à travailler sur des effets numériques ?

Après avoir obtenu un bac E [Mathématiques, Physiques et Technique], je suis rentré dans la section Automatique et Informatique Industrielle d'un DTS. Ce diplôme allie le côté expérience pratique du BTS et la théorie des cours du DUT . Bref, je m'orientais vers la programmation. Suite à mon service militaire, j'ai suivi une formation en Image Infographie et Communication. A ce moment là, je me suis rendu compte que ce qui m'intéressait n'était pas la programmation, mais plutôt la fabrication d'image. A la fin de cette formation, un stage était obligatoire. Je l'ai fait chez DUBOI, qui finissait a l'époque La Cite des Enfants Perdus. Ils m'ont ensuite embauchés. Et après avoir travaillé au sein de différents services durant 2 ans, je suis passé au compositing pour le film Alien Resurrection...

Peux tu nous expliquer en quoi consiste le compositing ?

Le compositing est l'art et la manière d'assembler, à travers des caches, des images provenant de domaines différents. Par exemple, cela peut consister à ajouter un simple matte-painting 2D, ou à assembler différentes couches 3D sur plusieurs éléments 2D. Comme le système du pochoir. Le but est de composer l'image finale, que les spectateurs verront en salles - image qui aura été auparavant étalonnée, bien sûr. Je tiens a préciser que ce métier est aussi vieux que le cinéma, puisque Méliès le pratiquait avec ferveur ! Pour l'exercer, il faut tout simplement être passionné, car on ne compte jamais les heures ! (rires)

Qu'est-ce qui t'a donné envie de venir travailler à Londres ?

L'envie de ne plus bosser dans la publicité et le clip. Les effets visuels ne sont malheureusement pas monnaie courante dans le cinéma français. Il y en a quelques uns, mais il y a surtout de nombreux graphistes qui n'attendent qu'un travail. Et je ne parle même pas du combat presque rituel avec les Assedic du spectacle ! Un soir, j'ai croisé un ami qui travaillait a Londres, et il m'a convaincu. J'ai donc envoyé 3 CVs et une bande de démonstration. Et j'ai passé seulement deux entretiens avant d'être embauché par le studio d'effets visuels MPC ! Plus tard, j'ai eu envie de découvrir d'autres sociétés, et je suis passé chez Double Negative...



New-York en flammes

Quels sont les plans de Cloverfield sur lesquels tu es intervenu ?

Double Negative s'est principalement occupé des plans de destruction de Manhattan. J'ai travaillé sur la séquence appelé Bodega. J'ai travaille sur le compositing de l'énorme matte-painting des bâtiments détruits que l'on découvre après la vague de poussière. C'est un plan où la caméra pivote de 180 degrés avant de finir sur la tête de la statue de la liberté prise en photos par les survivants.

Pourrais-tu nous décrire les principales étapes de sa création ?

Il y a d'abord deux étapes très importantes, celles du tracking 3D et de la rotoscopie. Le tracking 3D consiste à recréer en données informatiques les mouvements de la caméra sur le plateau de tournage. La rotoscopie se substitue aux fonds vert/bleu. Elle permet donc de détourer image par image les acteurs ou objets qui ont besoin d'être intégrés. Pendant ce temps, le matte-painting était en fabrication et je préparais le Key des fonds verts. Le Keying est l'action qui permet de produire un cache par l'intermédiaire d'un fond uni (généralement vert ou bleu). Une fois le matte-painting terminé, j'ai pu y intégrer les fumées et autres feux, qui aident à le rendre réaliste. Et donc à oublier que c'est un effet spécial ! Ce plan m'a demandé un à deux mois de travail, bien que le temps nécessaire est assez dur à quantifier. Et quand j'ai passé le relais, il restait quelques détails à intégrer....

Quels sont les petits détails de ces scènes dont tu es le plus content ?

Les effets d'intégration entre les éléments ajoutés et le matte-painting, comme l'éclairage des murs par des feux adjacents. Des feux visibles ou non à l'écran d'ailleurs... Je préfère souvent ce genre de détails, car ils sont fait pour être invisibles. Ils permettent d'ajouter de la crédibilité dans le plan. Par exemple, un arbre avec des feuilles, c'est bien. Mais si les feuilles bougent légèrement, c'est mieux : il y a toujours un petit vent dans la réalité.

Comment s'est passé la collaboration entre Double Negative et les Tippet Studios ?

Je n'ai pas travaillé sur le monstre, qui incombait aux Tippet Studios. Mais je sais que les relations entre les deux sociétés étaient excellentes. Elles se sont échangées les différentes informations et fichiers nécessaires à la réalisation des plans communs.

As tu des anecdotes amusantes sur ton travail, dans l'ensemble de ta carrière ?

Sur Cloverfield, non. Mais quand je travaillais sur Alexandre d'Oliver Stone, chez MPC, je me suis occupé du plan où l'éléphant se fait couper la trompe. Et je dois avouer que j'y ai pris un malin plaisir ! Il a même fallu m'arrêter dans mon élan, car je voulais intégrer davantage de sang dans ce plan ! (rires) J'avais fait des recherches sur la constitution anatomique de la trompe d'un éléphant, afin de savoir comment le sang doit jaillir ! Enfin bref. Un matin, je vérifiais le résultat du calcul informatique de la nuit précédente. J'étais donc concentré sur le plan quand j'ai entendu de grands « Beurk » et autres « pouah c'est dégoutant ». Les producteurs du film étaient derrière moi et jetaient un oeil sur mon travail lors de leur visite hebdomadaire ! Et ils étaient vraiment écoeurés par l'aspect gore du plan. A ce moment là, j'ai su que j'étais sur la bonne voie. C'est le genre de réaction que le plan devait causer : la répulsion et le dégoût. Mais on m'a également demandé d'enlever du sang car il y en avait trop - même si c'était sensé être réaliste. Le comité de censure a même failli faire enlever le plan du film.



L'enfer des effets visuels

Après Cloverfield, tu as rejoins la post-production du film Hellboy 2. Peux-tu nous expliquer en quoi a consisté le travail de Double Negative sur ce film ?

Nous étions en charge des séquences principales. Les autres sociétés se sont reparties les tâches annexes. Par exemple, les équipes de CubeFx (Budapest) se sont occupées des yeux d'Abe, Lipsync de la lance en 3D et des inserts moniteurs, et The Senate de la séquence de l'Ange de la Mort ainsi que de l'intégration de certains matte-paintings. Enfin, le studio Baseblack a travaillé sur les yeux du Shopkeeper.

Sur quels plans as-tu personnellement travaillé ?

J'ai travaillé sur la séquence ou Hellboy se bat contre la Golden Army. Mes principales tâches étaient d'enlever les marqueurs aidant au tracking3D, faire la rotoscopie des zones utiles, intégrer les robots à l'aide de toutes leurs couches (par exemple : ambiance, réflexion, fumée, les engrenages chauffés à blanc, etc). Sans oublier les différents types d'ombres.

Dans une telle production, avec qui travailles-tu ? Et comment se déroule cette collaboration ?

Je travaille directement avec le superviseur des effets visuels. Je reçois par l'intermédiaire du VFX producteur les plans sur lesquels je dois travailler. J'effectue donc la composition des plans et montre leur évolution aux superviseurs. Nous discutons du travail à accomplir avant de les montrer au superviseur des VFX du film, puis au réalisateur. Les discussions portent aussi bien sur les aspects techniques qu'artistiques, tels que les couleurs de l'incandescence de la Golden Army. Il a fallu par exemple que je trouve un bleu particulier qui plaise au réalisateur et qui fonctionne dans la séquence.



Avais-tu aimé le premier film ?

Pas à la première vision, car je trouvais que l'équilibre entre l'humour et le film de super-héros était bancale. Mais j'ai adoré le second film. On sent la maturité et l'assurance de Guillermo del Toro, qui montre un fois de plus que les monstres sont des humains comme les autres. Hellboy 2 ne ressemble pas aux traditionnels films de super-héros qui se prennent au sérieux.

Sur quels films travailles-tu ?

J'ai travaillé sur Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé. Sinon, j'aimerais pouvoir travailler sur un film comme l'adaptation du jeu vidéo Bioshock, avec un design et une ambiance particulière. J'aime les films avec des monstres ! (rires)

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