Entretien avec Jérémie Degruson, directeur artistique sur Fly me to the Moon
Article 3-D Relief du Mardi 05 Mai 2009

Après être sorti de la formation de l'école SupInfoCom en 1994, Jérémie Degruson rejoint nWave pictures (alors nommé Movida). Il y travaille sur des publicités et des films pour simulateurs de parcs d'attractions. Il participe notamment au documentaire IMAX Special effect : Anything can happen, réalisé par Ben Burtt (le designer sonore de Star Wars et Wall-E), dont Movida réalise quelques séquences didactiques en 3D. Il est désormais le directeur artistique de Fly me to the Moon. Ce premier long métrage d'animation de nWave pictures voit trois mouches, Nat, I.Q. et Scooter, embarquer clandestinement dans le premier vol vers la lune avec les astronautes Armstrong, Aldrin et Collins. Le spectateur s'envole alors pour une aventure en trois dimensions au coeur de la célèbre mission d'Apollo 11...

Propos recueillis par Pierre-Eric Salard



Pouvez-vous nous présenter l'activité du studio belge nWave Pictures ?

Fondée en 1992 par Eric Dillens et Ben Stassen (également réalisateur de Fly me to the Moon), nWave Pictures est une société spécialisée dans la production de films en 3-D relief et IMAX. En tant que principal producteur de films en relief pour les salles IMAX, les productions de nWave ont rapporté plus de 200 millions de dollars de recettes à travers le monde. Et la moitié des films pour simulateurs de parcs d'attractions ont été créés par nWave. Notre premier long-métrage fut Thrill Ride : The Science of Fun. Il fut suivi par 3D Mania, Alien Adventure 3D, Haunted Castle 3D, SOS Planet 3D, Wild Safari 3D et African Adventure 3D. nWave Pictures s'est depuis lancée dans la production de films d'animation numérique en relief...

Le « relief immersif » est la marque de fabrique de nWave Pictures. Pouvez-vous expliquer ce que représente cette expérience immersive ?

Le relief immersif est une approche assez unique chez nWave. Nous ne considérons pas l'écran comme une fenêtre, mais comme un espace. Le but est de "vivre" le film.

Que vous a apporté l'école Supinfocom ?

La formation a bien évolué depuis 1994. On apprenait beaucoup par nous-même à l'époque ! Le fait d'avoir co-réalisé un court-métrage en 3D avec peu de ressources m'a appris à me débrouiller avec les moyens du bord...

Comment devient-on directeur artistique ?

Je suis devenu directeur artistique de façon assez naturelle. Etant infographiste, j'ai pris de plus en plus de responsabilité au fur et a mesure des projets. Et travaillant avec le réalisateur Ben Stassen depuis de longues années, une certaine confiance s'est installée. Mon métier de directeur artistique sur ce film consiste en plusieurs choses. Il faut d'abord mettre en place le look du film en accord avec le réalisateur et d'après des recherches graphiques, veiller à la continuité, faire des validations et prendre des décisions en collaboration avec les superviseurs et la production. Il faut mettre en place le relief dans chaque plan et essayer d'avoir le meilleur résultat visuel avec les moyens mis en place. Enfin, il faut avoir une vue globale du projet pendant que chaque département est concentré sur certaines parties.

Quel est votre relation de travail avec le réalisateur Ben Stassen ?

C'est une relation assez créative, auxquels participent aussi certains superviseurs comme le directeur d'animation ou le responsable de la pré-visualisation (animatiques en 3D). On essaie de faire passer des idées... C'est un travail véritablement collaboratif : tout le monde apporte sa pierre à l'édifice.

Pouvez-vous expliquer les origines de Fly me to the Moon ? L'utilisation du relief a-t-il influencé le scénario ?

Lorsque nous avons décidé de produire un véritable long-métrage d'animation, nous avons cherché une histoire qui pourrait grandement profiter du relief. Nous voulions faire un film pensé et conçu en relief. Comme nous financions le film nous-même, nous devions compter sur un budget limité. Cela nous a donc pris presque deux ans pour trouver le scénario. En terme de contenu et de possibilités formelles, le script de Domonic Paris nous convenait parfaitement. L'espace est un environnement idéal pour la diffusion en relief – les objets flottent – et nous voulions créer un film où des personnages stylisés évoluaient dans un environnement photoréaliste. Ce scénario nous permettait de trouver l'équilibre entre la réalité et le fantastique ! Nous nous sommes inspirés de films assez proches comme Apollo13 de Ron Howard, 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick ou 1001 Pattes des studios Pixars. Nous avions également des influences plus lointaines, comme Les Goonies de Richard Donner ou les bande-dessinées belges pour enfants. Les story-board et les color keys ont d'ailleurs été dessinés par des artistes qui travaillent régulièrement pour le journal Spirou. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la production de Fly me to the moon n'a pas été très longue. Le film a été bouclé en deux ans, pré-production comprise, alors qu'on parle plutôt de cinq ans dans les grands studio. Nous avons bien sûr dû créer le story-board et les color keys (recherches des ambiances colorimétriques), mais Ben Stassen souhaitait passer aussi vite que possible à la 3D, comme sur les films IMAX précédents. Un besoin de visualiser les décors en volume pour une réalisation en relief...

Pouvez-vous nous présenter les étapes nécessaires à la création d'un plan, du scénario au film projeté ?

Il faut d'abord dessiner le storyboard, enregistrer les voix et créer les animatiques en 3D (mise en place du plans avec des formes simples, placement de la caméra). Viennent ensuite les étapes de la finalisation des décors et des personnages pour le plan et l'animation finale. Nous ajoutons ensuite les effets visuels (fumée, eau, etc), faisons le rendu (mise en lumière) et le compositing (on assemble les couches d'images et on améliore le résultat final). Enfin, nous transférons le film sur pellicule ou l'encodons pour une projection digitale. Le plus dur a été de créer une équipe de création des images de synthèse qui puisse fonctionner de A a Z, puis de gérer la masse de personnages, de décors et de plans.

Comment expliquez-vous le grand retour du relief ? Quels en sont les avantages ?

Le retour du relief est surtout du à l'avènement de la projection digitale et a l'invention de procédés très performants (Real-D, Dolby digital3D, NuVision, etc). L'avantage est de pouvoir proposer un nouveau type de spectacle et de rapporter plus d'argent aux exploitants. Ce type de film est également difficile à pirater.



Quelles sont les contraintes pour créer un film en relief ? Un film en relief ne se traite pas de la même manière qu'un film traditionnel...

Le relief nécessite une approche complètement différente. Nous devons apprendre un nouveau langage cinématographique, qui n'en est qu'à ses balbutiements. Nous n'avons pas encore découvert toutes les possibilités du relief. Mais quand cela fonctionne, c'est magique. Lorsque vous concevez un film en relief pour les parcs d'attractions, tout est question d'immersion. Maintenant, nous devons apprendre à raconter une histoire avec cette nouvelle technologie. La différence fondamentale entre les films conçus en relief et ceux convertis en 3-D relief, c'est qu'un film conçu pour le relief doit suivre une grammaire spécifique comme le choix des cadrages, la vitesse et la façon de faire les raccords de montage. Le but étant de maximiser l'expérience. Nous continuons à affiner cette grammaire suite aux réactions du public. Un film converti en relief a été réalisé traditionnellement. Le relief devient alors un gadget.

Vu le faible nombre de salles de cinéma équipées en 3-D relief, n'est ce pas un risque de se lancer dans la production de films en relief ?

Oui, c'est un gros risque, et nous y sommes actuellement confrontés aux États-Unis. Il n'y a pas assez de salles pour l'instant. 1500 salles étaient prévues pour cet été... et il n'y en a que 890 ! Il faut pourtant pouvoir sortir le film sur un maximum de marchés.

Quel avenir imaginez-vous pour le 3-D Relief ? Au cinéma comme dans les salons ?

Je pense que nous n'en sommes qu'au début du phénomène. Le 3-D relief, combiné à une bonne histoire, devrait faire fureur. Au niveau technologique, je pense qu'on va voir fleurir des écrans "3D ready" - peut-être aussi rapidement que les "HD ready". Samsung en commercialise déjà...

A votre avis, quelle est la « valeur ajoutée » de Fly me to the Moon par rapport aux autres films en images de synthèse ?

Fly me to the moon propose une expérience différente. On voit parfois de jeunes enfants qui préfèrent ce film aux productions de Pixar ou Dreamworks, parce qu'il paraît réel... D'autres ont même l'impression d'avoir été sur la lune ! (rires)



Quels sont les films d'animation récents que vous préférez ?

Je n'ai pas eu le temps de voir tous les films d'animation qui sont sortis, mais j'ai bien aimé Wall-E. J'aimerais avoir la possibilité d'arriver a ce niveau de finesse et de talent - et de budget... J'ai également apprécié Persépolis et Max & co !

Préparez-vous un second long-métrage en relief ?

Après la lune, nWave vous conviera dans les océans pour un voyage mettant en scène des tortues. Ce film familial est prévu pour fin 2009.

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