[50ème anniversaire de Star Trek] La saga au cinéma : Trucages, frontières de l'infini
Article Cinéma du Vendredi 09 Septembre 2016

Depuis son apparition au cours des années 1960, la franchise Star Trek a influencé de nombreuses oeuvres de science-fiction, tant par sa richesse narrative que par la qualité de ses trucages. Les équipes de post-production qui se sont succédées sur les séries et les films ont conçu de nombreuses séquences spatiales inoubliables, qui sont autant de jalons dans l’histoire des effets spéciaux. Si les maquettes traditionnelles étaient encore utilisées dans les premières aventures de cette saga, elles ont été remplacées peu à peu par des images de synthèses. A l'occasion de la prochaine sortie du onzième opus, sobrement intitulé Star Trek (dont les effets spéciaux sont signés I.L.M.), nous revenons sur les trucages majeurs de cette passionnante épopée spatiale.

Par Pierre-Eric Salard

Avant de devenir la plus longue saga de SF du cinéma, devant la Planète des Signes, Terminator ou encore Star Wars, la franchise Star Trek a connu des débuts houleux. En 1979, Star Trek : Le Film décrivait la lente approche vers la terre de V'Ger, une gigantesque entité extraterrestre détruisant tout sur son passage. Ayant quitté le poste de commandement du célèbre USS Enterprise pour devenir amiral, James T. Kirk est chargé de reprendre du service. On lui confie la mission d’aller à la rencontre de V'Ger, de percer le mystère qui l’entoure..et de trouver le moyen de sauver la terre ! Kirk retrouve alors son vaisseau spatial, qui vient d'être rénové de fond en comble, et se lance dans cette nouvelle aventure...



Star Trek : Phase 1

La phase de pré-production d'un film s'accompagne toujours d'un long processus de recherches artistiques, qui permet de transposer les scènes du script en concepts visuels et esquisses de décors, tandis que les superviseurs des effets spéciaux épluchent chaque description pour déterminer les trucages à réaliser. La production de Star Trek : Le Film est lancée en 1977, peu après le succès phénoménal de Star Wars. Bien évidemment, il est impossible d’utiliser tels quels les décors, les costumes et les maquettes de la série originale, qui débuta en 1966. Afin de s'éloigner de cet aspect suranné et kitsch typique de la SF des sixties, les designs sont retravaillés. Précisons cependant que le film est né des cendres d'une série avortée, Star Trek : Phase II. Dans un souci d'économies financières, les recherches artistiques, ainsi que les quelques accessoires et décors déjà construits sont recyclés et adaptés pour servir au film. L'illustrateur Andrew Probert (Retour vers le Futur, Star Trek : The Next Generation) est chargé de moderniser l'aspect extérieur de l'USS Enterprise, dont les moteurs deviennent plus aérodynamiques (ce qui n’a aucune importance dans l’espace !). Les décors intérieurs bénéficient d'importantes modifications. En collaboration avec le directeur artistique Harold Michaelson (La Mouche, Dick Tracy), Probert va jusqu'à déterminer où se situent les différents décors dans les plans du vaisseau spatial ! En ce qui concerne le design de V'Ger, la mystérieuse entité extraterrestre que rencontre l'équipage de l'Enterprise, le réalisateur Robert Wise (West Side Story) fait appel à Robert T. McCall. Pendant plus de trente-cinq ans, ce brillant artiste a représenté les grandes étapes du programme spatial américain pour la NASA. On peut d'ailleurs retrouver ses œuvres et ses fresques murales dans le Smithsonian National Air & Space Museum de Washington et le Johnson Space Center de Houston. Robert T. McCall a également dessiné la célèbre affiche de 2001, l'Odyssée de l'espace. Son expertise lui permet d'élaborer une esthétique particulière pour V'Ger. De son côté, Fred Phillips, le créateur du design original de Spock sur la série originale, prépare de nombreuses prothèses pour les besoins du film, car la détérioration des matériaux se remarque davantage sur un écran de cinéma. Pour chaque journée de tournage, Phillips crée donc trois paires de pointes d'oreilles en mousse de latex pour Spock !

A la rescousse de l'Enterprise

Malgré cette longue pré-production, le tournage de Star Trek : Le Film s’avère plus complexe que prévu. Le superviseur des effets spéciaux Robert Abel (TRON) tente de réaliser des plans en images de synthèse. Or à cette époque, la création de vaisseaux réalistes en 3D n'en est qu'à ses balbutiements ; les plans qui sont réalisés s'avèrent logiquement inutilisables. (Rappelons que TRON ne sortira que trois ans plus tard, et que les premiers vaisseaux en images de synthèse ne feront leur apparition qu'en 1984 dans The Last Starfighter !) Au bout d’un an de travail et cinq millions de dollars dépensés, les trucages d'Abel sont rejetés par les producteurs. La sortie du film est repoussée de plusieurs mois afin de pouvoir créer de nouveaux effets visuels. La Paramount fait alors appel à deux experts des effets visuels, qui ont souvent travaillé ensemble par le passé : Douglas Trumbull (2001 l’odyssée de l’espace, Blade Runner) et John Dykstra (Star Wars, Spider-Man). Les nouveaux superviseurs des effets visuels s'emploient à produire des trucages de qualité en utilisant de superbes maquettes. Trumbull filme le croiseur Klingon comme s'il s'agissait d'un « sous-marin allemand de la Seconde Guerre Mondiale, resté en mer bien trop longtemps ». Pour tourner les plans de l'Enterprise, John Dykstra réutilise la technique qu'il a inauguré sur le premier Star Wars. Une caméra se déplace, sur un rail de travelling, autour de la maquette de l’Entreprise fixée devant un écran bleu. En se rapprochant ou s'écartant de la miniature, la caméra donne l'illusion que le vaisseau se déplace. Un ordinateur pilote des dizaines de moteurs qui font bouger d'une manière très précise la caméra sur tous les axes...



Compromis

Malgré tous ces efforts, le film sort dans une version inachevée. « Il aura fallu de nombreuses années avant que Robert Wise accepte de parler sans rancœur de la production de ce film », se rappelle le producteur David C. Fein. « Le film est longtemps resté incomplet. A cause des nombreux compromis que nous avons dû faire, il n'avait pas pu atteindre sa forme définitive ». Si certaines séquences, dont le survol de V'Ger ou la découverte du nouvel USS Enterprise, sont réussies, le film manque effectivement d'action. Si certaines scènes sont trop longues, d'autres séquences à effets spéciaux sont abandonnées. Il faudra attendre vingt ans pour que le film soit définitivement achevé. En effet, à l'occasion de la sortie du film en DVD, les studios Paramount acceptent de financer une version Director's Cut. Robert Wise en profite pour terminer le film tel qu'il l'avait imaginé initialement. De nouveaux trucages sont alors réalisés en images de synthèse à partir d'animatiques créés pour l'occasion, eux-mêmes tirés du storyboard datant de 1978. Le film bénéficie également d’un nouveau mixage sonore et, surtout, d’un montage resserré. En 2001, Robert Wise a donc enfin pu concrétiser sa vision originale...

Petit budget, beaucoup d'action

Remontons vingt années en arrière. Suite au relatif succès de Star Trek : Le Film, qui remporta 139 millions de dollars dans le monde, les studios Paramount décident de financer un second volet, dont la sortie est annoncée pour 1982. Les producteurs tirent cependant les leçons des difficultés rencontrées lors du précédent tournage et préfèrent réduire les risques : ils allouent un budget de onze millions de dollars à la production de Star Trek II : la colère de Khan ! Une somme ridicule en comparaison des 46 millions du premier opus ! Le scénario d'Harve Bennett (Super Jaimie, Star Trek 3/4/5) et Jack B. Sowards (Les Rues de San Francisco) renoue avec le style et le charme de la série originale. L'histoire fait d'ailleurs suite à Space Seed, l'un des épisodes de la série, et narre le retour du méchant Khan, incarné par Ricardo Montalban. L'USS Enterprise y accomplit une mission de routine jusqu'à ce qu'il intercepte une communication urgente provenant du laboratoire spatial Regular One. Un vieil ennemi de l'Amiral Kirk, Khan, cherche à s'emparer d'un dispositif ultra-secret, le projet Genesis. Ce dernier pourrait faire naître la vie sur une planète morte... ou être détourné à des fins guerrières ! L’affrontement des deux hommes est aussi passionnant que les séquences d'actions – dont une superbe bataille spatiale où les vaisseaux sont aveuglés par la rayonnement d'une nébuleuse ! L’USS Enterprise évitera finalement de peu la destruction grâce au sacrifice d'un Vulcain bien connu... La mise en scène du film est confiée à Nicholas Meyer (C'était demain). Afin de respecter le budget du film, le réalisateur a l'ingénieuse idée de reproduire au sein de l'Enterprise l'ambiance et l'atmosphère claustrophobiques d'un sous-marin. Dans un même soucis d'économie, le décorateur Joseph Jennings récupère de nombreux éléments utilisés lors du tournage du film précédent. Le pont du croiseur Klingon de Star Trek : Le Film est recyclé en plusieurs salles, dont celles des torpilles et de téléportation. Et le même décor, reconfiguré selon les besoins, est utilisé pour les ponts de L'Enterprise, de l'USS Reliant et du simulateur qui ouvre le film ! Au final, 65% des plans de Star Trek II : la colère de Khan sont tournés sur le même plateau !



Des astuces très spatiales

Afin d'éviter la construction de grands décors coûteux, Nicholas Meyer ne manque pas d'imagination. Il met au point quelques techniques astucieuses. Afin de créer l'illusion du déplacement d'un ascenseur, les décors extérieurs sont reconfigurés dès que les portes se ferment. A leur ouverture, le couloir est complètement différent ! Il n'y a pas de petites économies : de nombreux ordinateurs sont simplement loués. Cela revient moins cher à la production que d'investir dans leur achat ! De toutes manières, le réalisateur possède un avis tranché quant à l'utilisation des trucages. « Les effets spéciaux ne font pas un film », rappelle Nicholas Meyer. « Prenons comme exemple Star Trek : Le film. Ses trucages sont spectaculaires et splendides, mais ils ne sont pas au service d'une bonne histoire ! De nos jours, les films ne sont plus basés sur le scénario. On oublie la narration ! Il ne s'agit plus que d'offrir aux foules des cascades inédites et des explosions incroyables. C'est une nouvelle forme de pornographie ! La question est : pouvez-vous encore filmer l'histoire de deux personnes qui tombent amoureuses sans que le film soir truffé de cascades et de trucages ? Les spectateurs payeront-ils quand même leurs places ? C'est un défi que doivent relever tous les cinéastes... »

Travail minutieux

Lorsque le tournage du film se termine, durant l'hiver 1982, les équipes de post-production d'Industrial Light & Magic ne disposent que d'une poignée de mois pour livrer leurs plans. Les équipes des superviseur des effets spéciaux, Jim Veilleux (Poltergeist) et Ken Ralston (Forrest Gump, Beowulf), s'efforcent de transformer les idées du scénario en storyboards et dessins conceptuels. Ce travail minutieux est essentiel pour éviter que le budget alloué aux trucages n’explose. La durée des plans est calculée. Au terme de six semaines de travail acharné, chaque trucage est minutieusement préparé. Alors qu'il vient tout juste de terminer les designs des créatures du Retour du Jedi (1983), Ken Ralston supervise la confection des vers Ceti. Ces parasites repoussants prennent le contrôle de leurs hôtes en s'introduisant d’abord dans leurs conduits auditifs, puis en perçant ensuite les tympans afin de remonter jusqu’à leurs cerveaux !Pour montrer le parcours de ces vers sur les visages des acteurs, jusqu'à leurs oreilles, Ken Ralston les tire grâce à une ficelle invisible, tout simplement ! Lorsqu'un parasite quitte l'oreille de Pavel Chekov (Walter Koenig), allongé, un micro-filament tire la créature vers le bas. Pour laisser le choix au réalisateur, trois plans différents ont été tournés, avec un volume de sang différent. Le plus sanglant fut d'ailleurs surnommé « Fangoria » par Ralston, en hommage au célèbre magazine sur les films d'horreur ! ?

Batailles spatiales recyclées

Afin de réduire les coûts, la production réutilise des plans du premier film, dont celui de l'USS Enterprise logé dans son chantier spatial. Lorsque cela s'avère possible, les maquettes originales sont utilisées, ou modifiées de manière à passer pour de nouveaux modèles. Le complexe orbital du film original, inversé et retouché, devint par exemple la station spatiale Regula ! Quant au nouveau vaisseau du film, l'USS Reliant, il ne doit pas ressembler à l'USS Enterprise. Après un long travail de recherche, la solution est trouvée lorsque le scénariste Harve Bennett découvre une esquisse du vaisseau... à l'envers ! Le design final du Reliant est donc né d'une erreur... Notons cependant que, dans l'espace, il n'y pas de haut, ni de bas ! Mais la magie du cinéma n'a pas besoin de respecter les règles de la physique, c'est bien connu... Si la maquette de l'USS Reliant, équipée d'un mécanisme interne peu complexe, s'avère légère, celle de l'USS Enterprise est détestée par les techniciens. La miniature est si imposante qu'il faut la participation de huit personnes pour la monter... et un camion pour la déplacer ! Pour l'occasion, l'Enterprise bénéficie de l'ajout de détails supplémentaires sur sa coque. Mais la scène la plus spectaculaire reste à faire...

L'espace d'un aquarium

A une époque où il n'est pas encore possible de créer des modèles en images de synthèse, la bataille dans la nébuleuse s'avère être particulièrement difficile à concevoir. Le nuage stellaire est créé en injectant un mélange d'ammoniaque et de latex dans un aquarium rempli d'eau salée. Les vibrantes couleurs de la nébuleuse sont simulées en éclairant le réservoir à travers des gels colorés. Les éléments lumineux supplémentaires, comme les aurores, sont créés par le département de l'animation d'ILM. Les vaisseaux sont ensuite ajoutés dans les plans par les responsables du compositing optique. Tous les plans de cet affrontement sont filmés à deux images par seconde pour donner l'illusion d'un mouvement plus rapide : lorsque la séquence est montée à 24 images par seconde, les vaisseaux évoluent avec aisance. Le scénario indique que les deux vaisseaux devaient s'infliger des dommages importants. Industrial Light &Magic développe alors plusieurs techniques afin d'illustrer ces dégâts sans pour autant devoir endommager les maquettes. Des pièces en aluminium sont par exemple peintes et ajoutées aux miniatures, selon les plans. Les dommages engendrés par les phasers, les rayons lasers des engins spatiaux, sont ajoutés en stop motion. La destruction des moteurs de l'USS Reliant est créée en superposant des plans de la dislocation des moteurs et des explosions. Enfin, la destruction finale du Reliant nécessite la confection de maquettes plus grandes, destinées à être détruites par de violentes explosions. ?

Une étape importante de l'histoire des trucages

Au-delà des remarquables combats spatiaux, un trucage du film a marqué l'histoire du cinéma. Il s'agit du film de démonstration de l’effet Genesis, qui transforme une planète morte en monde vivant. Ce plan est la première séquence 3D photoréaliste du septième art ! A l'origine, l'effet Genesis devait prendre la forme d'une démonstration de laboratoire : une pierre aurait été placée dans une machine et se serait transformée en fleur. Mais l'idée ne convainc pas le superviseur des effets spéciaux Jim Veilleux. Il propose alors que l'impact de la séquence soit renforcé en montrant les effets de l'invention sur une planète entière. Bien que les cadres de la Paramount approuvent l'idée, ils exigent que la simulation soit plus impressionnante qu'un simple film d'animation traditionnelle. Au même moment, un jeune infographiste, Loren Carpenter (Toy Story), réussit à générer sur son ordinateur un paysage fractal. Il est immédiatement engagé par une division de Lucasfilm, Computer Graphics – qui devint plus tard un studio nommé Pixar. Les fractales sont des formules mathématiques qui produisent des formations aux structures répétitives, et qui permettent par exemple de créer des formes comme des structures de rocher. Les fractales sont devenus l'une des premières applications des images de synthèse : grâce à leur compression optimale, ils ne nécessitent qu'un faible espace de stockage. Les recherches effectuées par Loren Carpenter et le Dr Ed Catmull (qui dirigeait auparavant le laboratoire d'infographie de l'Institut de technologie de New York) impressionnent Jim Veilleux. Il leur demande alors de concevoir l'effet Genesis. L'équipe de la division Computer Graphics travailla longtemps sur cette séquence de soixante secondes, dont ils espéraient pouvoir faire une vitrine de leurs nouvelles aptitudes. Un des artistes est même chargé de vérifier que l'éclat des étoiles visibles en arrière-plan correspond à celui d'un astre visible de la Terre ! Le rendu de la séquence, un processus alors nouveau, engendre un problème inattendu : au bout de plusieurs jours de calculs, les techniciens découvrent que la caméra virtuelle allait bientôt traverser l'une des montagnes virtuelles ! Afin de ne pas relancer le processus, ils décident d'ajouter une vallée que la caméra pourra emprunter ! L'un des avantages des images de synthèse vient d'être découvert... Pour la première fois, des effets de flammes, conçues grâce à un système de particules, sont ajoutées à la scène. A quelques mois de la sortie de TRON, Star Trek II : la colère de Khan devient le premier film à tirer parti des images de synthèse. L'effet Genesis fut d'ailleurs réutilisé dans les deux volets suivants de la saga Star Trek. Ce trucage inédit inaugurait un renouveau des effets spéciaux, même s'il faudra attendre une dizaine d'années supplémentaires pour que l'usage des images de synthèse se démocratise. Mais c'est une autre histoire, que nous aborderons prochainement...



[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.