La saga L’Âge de Glace : Entretien avec le character designer Peter de Sève
Article Animation du Mardi 07 Juillet 2009

Comment présenter Peter de Sève? Comme un illustrateur qui travaille dans l’animation ou comme un « character designer » qui fait de l’illustration ? La vérité se trouve assurément entre les deux tant il maîtrise les deux médiums.
Né dans le Queens, New York, en 1958, ses premières influences lui viennent des comics qu’il collectionnait enfant ainsi que d’illustrations de science-fiction et de fantasy. A la Parsons School of Design, il découvre l’illustration européenne et américain des 19e et 20e siècles, qui font également partie de son univers. Après une carrière de plus de 20 ans, ses illustrations ont été publiées dans tous les plus grands magazines tels Times, Newsweek, Atlantic Monthly, Smithsonian, Premiere et Entertainment Weekley. Il est aussi connu pour ses nombreuses couvertures du New Yorker. Il a réalisé des affiches pour des comédies musicales de Broadway et a designé bon nombre de personnages pour des dessins-animés produits par Disney, Dreamworks et 20th Century Fox comme Le Bossu de Notre-Dame, Le Prince d’Egypte, Mulan, 1001 Pattes et Tarzan.
Mais aujourd’hui, c’est pour son travail sur la saga L’Âge de Glace que nous le retrouvons, en tant que character designer de tous les personnages de la franchise.


Par Jérémie Noyer



Comment avez-vous rejoint la saga de L'Âge de Glace?

Je vis à Brooklyn, New York, et la plupart des films sur lesquels j'avais travaillé auparavant étaient produits à Hollywood. Un jour, j'ai reçu un appel de Westchester, un quartier de New York, venant d'un petit studio dont je n'avais jamais entendu parler. Ils me disaient qu'ils travaillaient sur leur premier long-métrage d'animation appelé L'Âge de Glace. Il me semblait a priori que ce serait sans importance, juste pour l'argent. J'avais déjà participé à de petites productions qui s'étaient révélées très compliquées. A moins d'avoir l'argent et le talent, il est presqu'impossible de mener un tel projet à terme. Or, il s'avère que ce studio avait les deux, notamment parce qu'ils s'étaient récemment associés à la Fox. J'ai donc rejoint ce projet, en même temps que d'autres designers qui ont également proposé leurs dessins. Peu après, j'ai appris que mes dessins avaient fait mouche. Ils semblaient correspondre à ce que Chris Wedge, le réalisateur et fondateur de Blue Sky Studio, recherchait. A partir de là, je me suis impliqué de plus en plus dans la production du film, et avant que je réalise ce qui m'arrivait, je designais tous les personnages de L'Âge de Glace. Au départ, je pensais que je ferais partie d'une équipe de designers, comme sur les autres films auxquels j'avais participé. Mais ce ne fut pas le cas, et j'ai profité du fait que je me trouvais pour une fois dans la même ville que le studio pour lequel je travaillais pour me plonger comme jamais dans ce film.

Qu'est ce que cela fait d'être seul aux commandes du design des personnages?

Cela aurait pu sembler intimidant si j'avais conscience de ce qui m'arrivais. Mais je n'ai réalisé quelle était ma responsabilité que longtemps après avoir rejoint l'équipe. A un moment, je me suis: "bon sang! Mais c'est moi le responsable de TOUS les personnages!" Que dire sinon que ce fut une sensation fantastique!

En quoi consiste le travail du character designer de toute la saga de L'Âge de Glace?

Le moindre personnage demande énormément de travail. Il ne s'agit pas seulement d'arriver avec un bon dessin. Ce n'est que le début du processus. Partant de là, je dois superviser la sculpture du personnage et sa modélisation dans l'ordinateur jusqu'aux détails de texture et de fourrure. J'ai mon mot à dire sur tous les aspects de l'apparence d'un personnage. Dans le premier film, ce n'était pas le cas officiellement. J'ai simplement commencé à faire des suggestions à l'oreille du modeleur, tout en pensant que ce n'était pas mon rôle. Mais j'avais des idées et je tenais à en faire part aux autres membres de l'équipe. Finalement, mes suggestions ont porté leurs fruits et j'ai été invité à participer davantage au processus. A partir du deuxième film, les choses sont devenues plus officielles et je suis devenu en quelque sort le directeur artistique des personnages.

Blue Sky semble proposer une sorte de troisième voie, différente de Pixar et Dreamworks. Qu'en pensez-vous?

De mon point de vue, la différence principale vient du fait de ne faire appel qu'à un designer pour définir le style visuel du film. J'aime à penser que cela donne une cohérence stylistique aux personnages –ce qui s'avère finalement assez rare en animation. Beaucoup de films ont un style qui correspond à la manière dont ils ont été conçus, par une sorte de comité : différents artistes qui se sont répartis les différents personnages. Cela conduit souvent à un style complètement éclaté. Je suis ravi de la cohérence que nous avons réussi à obtenir sur les films de L'Âge de Glace. Cela fut-il délibéré? Je n'en suis pas sûr. Mais je pense que ce qui rend le style visuel des films Blue Sky unique vient du fait que nous n'avions pas à nous inquiéter d'un précédent, pas de modèle auquel nous comparer. Les choses se sont faites spontanément à mesure que le projet avançait. C'est la raison pour laquelle j'ai eu cette responsabilité presque par accident. Il n'y avait rien de comparable. Le studio était tout jeune et le processus était tout nouveau pour eux, pour chacun de nous.

Avant L'Âge de Glace, vous conceviez vos dessins en 2D pour l'animation et l'illustration. Ce n'est qu'avec Blue Sky que vous avez pénétré dans le monde de l'animation par ordinateur, la modélisation, etc. Comment s'est passé la découverte de ces nouvelles techniques?

Mon expérience jusqu'alors était, comme vous le soulignez, uniquement en 2D. L'animation par ordinateur en temps que medium était toute nouvelle. De fait, quand je suis arrivé chez Blue Sky, mes dessins ne proposaient qu'un seul angle de vue du personnage. Mais très vite, en travaillant avec les modeleurs, il m'est devenu évident que l'apparence d'un personnage suivant un certain angle ne fonctionne pas forcément sous un autre angle, en trois dimensions. J'ai donc dû m'adapter et réfléchir non plus en termes de dessin, mais en termes de sculpture. Je me suis rendu compte qu'un dessin en deux dimensions trichait d'une certaine façon par rapport à la réalité. A partir de là, en faisant mes dessins sur papier, je me suis attaché à traiter mes personnage sous tous les angles. A mesure que j'ai gagné en maturité en tant que character designer, j'ai de plus en plus pensé en termes de sculpture, et cela correspond parfaitement aux besoins de l'animation par ordinateur. Au final, je pense que cela a profité à l'ensemble de mon travail, pas seulement en animation.



Le design des personnages de L'Âge de Glace est un subtil mélange de réalité historique et scientifique et de pure imagination typique de l'animation. Comment avez-vous dosé ces différents ingrédients?

Pour toutes les créatures que j'ai dessinées au cours de ma carrière, j'ai toujours essayé d'être le plus fidèle possible aux données scientifiques, et ce tout particulièrement sur les films de L'Âge de Glace. Aujourd'hui, quand je regarde le premier film, je ne peux m'empêcher de repérer certaines erreurs anatomiques que j'ai faites. Depuis, j'ai beaucoup appris en matière de dessin animalier. J'ai aussi essayé d'être le plus rigoureux possible sur le choix des créatures qui vivaient effectivement pendant l'âge de glace et celles qui n'y vivaient pas. Par contre, au fil du temps et des films, c'est devenu moins primordial. Je ne ferai jamais rien qui semble totalement incohérent, mais s'il le faut, je n'hésiterai pas à tricher d'une petite centaine de milliers d'années par rapport à l'histoire si cela me permet d'avoir un bon personnage!

Quels furent les premiers personnages de L'Âge de Glace que vous avez eus à dessiner?

Je me souviens avoir commencé par une sorte de liste de créatures possibles que j'ai conçue pour le réalisateur à partir de mes visites de musées et de mes propres livres sur la question, afin de déterminer quels seraient les habitants potentiels de ce monde. Ce que nous savions à l'époque, c'est qu'il devait y avoir un paresseux, un mamouth et un tigre à dents de sabre. Au delà de cela, rien n'était précisément déterminé. Le script suggérait que tel personnage soit un ours, tel autre un grand mammifère. A partir de là, c'était à moi de trouver un animal préhistorique ayant réellement existé qui corresponde à cette description. J'avais donc une grande liberté, que j'ai toujours aujourd'hui, pour proposer telle ou telle créature aux auteurs et aux réalisateurs. D'une certaine façon, j'ai casté les personnages! La production compte en fait sur moi pour donner corps aux personnages du script. C'est un travail fantastique! Dans ce cadre, en tout cas au début de la production, cela me permet de me focaliser sur un ensemble de créatures cohérent, mais aussi sur les créatures qui seront les plus drôles à l'écran. Et la plupart du temps, je suis heureux de pouvoir dire que les créateurs du film sont d'accord avec mes choix. C'est une merveilleux collaboration! Le tout premier personnage que j'ai terminé et qui a été animé a été Sid. Le voir totalement animé pour la première fois a été l'une des expériences les plus incroyables qu'il m'ait été donné de vivre! C'est certainement pour cela que c'est mon personnage favori –tout à côté de Scrat! C'est un bonheur de regarder Sid. Beaucoup de choses intéressantes me sont venues quand j'ai créé ce personnage. Je suis tombé sur cette silhouette désopilante qui s'est avérée être une forme que les animateurs ne se sont jamais lassés d'animer.

Vous parlez des animateurs. Vous arrive-t-il de collaborer avec eux?

Absolument. En plus de faire des dessins de personnages potentiels, je fais des dessins plus axés sur leur personnalité afin d'aider les animateurs à visualiser comment j'imagine les mouvements, les mimiques et le jeu d'acteur propres à tel personnage. Ce qu'il y a de formidable chez Blue Sky, c'est ce sens de l'équipe, de la collaboration, et les animateurs m'invitent souvent à les rejoindre pour avoir mon opinion ou clarifier l'attitude d'un personnage. Prenez par exemple Buck. C'est un mélange hilarant d'Indiana Jones et de Colonel Kurtz d'Apocalypse Now, le tout dans une forme unique. Parce que c'est une fouine, il est très cylindrique. J'ai réalisé bon nombre de dessins en exploitant cette forme au maximum, en le faisant tourner, sauter ou bondir de façon la plus amusante possible. Tous les animateurs ont été très intéressés par cet aspect de ce personnage, ainsi que par la manière qu'ont son visage et sa machoire de bouger. Pour chaque personnage que je crée –et je pense que c'était quelque chose d'assez unique dans le métier jusqu'à récemment encore-, je réalise des études à partir d'un modèle de base. Je dessine par dessus ce modèle et je traite tous les phonèmes et les poses extrèmes de la bouche et de la machoire pour montrer aux animateurs comment j'imagine que ce personnage bouge et parle. Tout le monde trouve ce processus très utile, et je pense qu'il se justifie pleinement du point de vue du character designer. Après tout, qui connaît mieux le personnage que celui qui l'a créé?



En parlant des nouveaux personnages, comment êtes vous passé de Scrat à Scrattina?

En France, vous l'avez appelée Scrattina, et je pense que c'est une solution bien meilleure que Scratte, qui a été retenu pour la version originale. A un moment, j'avais intitulé un de mes dessins "Scratte", juste pour le fun, pour féminiser le nom de Scrat. Je n'ai même jamais essayé de le prononcer à haute voix parce que cela ne donne rien de très joli. Mais les gens du marketing de la Fox sont tombés dessus et tout ce que je sais, c'est qu'un beau jour, j'ai vu dans la bande-annonce qu'ils l'avaient appelée Scratte. A mon grand regret!
Ceci dit, pour répondre à votre question, il faut savoir que Scrat ne devait pas faire du tout partie des personnages principaux du film. Il devait simplement apparaître dans une scène, au début du premier Âge de Glace. Je pense qu'ils pensaient le mettre aussi à la toute fin, mais c'est bien tout. Or, cette scène d'ouverture a été la première a être totalement finalisée, et c'est à ce moment que le studio a eu besoin d'un extrait pour sa première bande-annonce. Ils ont donc utilisé cette scène typique d'une comédie classique du muet, et le public a répondu de façon totalement inattendue. Ils ont adoré Scrat, et très vite, nous nous sommes rendu compte qu'il fallait trouver un moyen de l'intégrer dans le reste du film. Par conséquent, ce ne fut pas du tout délibéré, mais c'est ainsi que Scrat est devenu certainement le personnage le plus populaire de la franchise. Deux films et deux courts métrages ont ensuite permis de lui donner plus de vécu et de développer sa relation avec le gland! C'est d'ailleurs incroyable de voir tout ce qui a pu être fait sur ce thème! Les auteurs semblent intarissables avec lui, et trouvent toujours quelque nouvelle mésaventure à lui faire vivre! Ceci dit, je pense qu'ils ont eu une très bonne idée en lui trouvant une petite amie. Ce n'est pas une idée qui est tombée du ciel. Elle se justifie par le thème principal du film qui est la famille et plus précisément la question de fonder –ou non- une famille. Par exemple, Diego se retrouve seul tandis que Manny et Ellie attendent leur premier enfant et Sid va changer de vie, lui aussi. Diego réalise soudain que le groupe qu'il formait avec Manny et Sid ne fonctionne plus. C'est ainsi que Sid va se trouver sa propre famille en découvrant ces œufs de tyranosaures qu'il croit abandonnés. C'est pendant ce temps que Scrat rencontre Scrattina. C'est une excellente idée quand on y réfléchit: qu'y a-t-il d'autre sur la terre qui pourrait attirer l'attention de Scrat –autre que son gland, bien entendu!? Une fille, évidemment. Mais cela crée un dilemme dans son esprit: préfère-t-il son gland ou Scrattina? Et elle, est-ce qu'elle l'aime pour lui ou pour son gland? C'est une situation vraiment amusante et cette relation très particulière donne lieu à toutes sortes de scènes très drôles dans la grande tradition de l'animation. Ce fut très amusant de créer Scrattina. Je savais qu'elle devait être d'une certaine façon l'antithèse de Scrat. Elle devait être intelligente, belle, et un peu plus évoluée que lui. Par exemple, elle peut voler. C'est un écureuil volant. C'est un avantage certain qu'elle a sur Scrat. Elle est aussi plus évoluée sur le plan émotionnel, comme les femmes le sont –ou pensent qu'elles le sont!- par rapport aux hommes.

Les dinosaures sont la nouveauté du film, mais pas une nouveauté en animation. Comment les avez-vous abordés?

C'était comme marcher sur un fil car il est impossible d'oublier toutes les réalisations magnifiques qui ont été faites sur ce thème, à commencer par le travail de Willis O'Brien pour le premier King Kong, jusqu'à Jurassic Park. J'ai vu tous les films de dinosaures qui existent. Adolescent, j'étais un grand amateur de ce genre de films. Par conséquent, tout cela est gravé en moi. Cela ne veut pas dire pour autant que je suis un expert en paléontologie, et je pense que cela semblera évident à toute personne qui s'y connaît un peu en la matière en voyant le film. Mais, tout comme pour les mammifères, j'ai fait de mon mieux pour respecter la vérité scientifique, sans pour autant y être enchaîné. Si j'avais besoin de changer certaines proportions pour obtenir un effet soit dramatique soit comique, je n'ai pas hésité, parce qu'au final, l'intérêt du film, c'est qu'il soit agréable à regarder et non qu'il soit historiquement parfait. Je devais donc forger ma propre vision des dinosaures et intégrer le fait que personne ne peut vraiment attester de leur couleur et de leur allure quand ils avaient de la peau sur leurs os. Tout ce qu'on sait, c'est à quoi ressemblent ces os, et cela autorise une certaine liberté d'interprétation. Cela n'en reste pas moins très intimidant et je suis sûr que j'aurai quelques remarques de William Stout, mon collègue illustrateur expert en dinosaures (character designer de Dinosaures) quand je le verrai!
En bref, il y avait deux aspects à concilier. D'une part, le fait que certains dinosaures font partie de la culture populaire –et nous n'avons pas hésiter à faire appel à certaines espèces que l'on voit dans les classiques du cinéma- et d'autre part l'introduction de dinosaures moins connus. Et tous devaient avoir un style qui témoigne du fait qu'il appartiennent au même univers que Sid, Manny et Diego. Je pense que la clef, c'est une fois encore le fait que je soie en charge de tous les personnages depuis le début. C'est toujours la même main qui les a créés. Un autre défi a été de les rendre à la fois terrifiants et sympathiques, en particulier Maman Dinosaure. Ce fut un vrai challenge en tant que character designer. Elle devait faire peur comme un T-Rex de Jurassic Park quand on la voit pour la première fois, mais ensuite on découvre que c'est une mère aimante. Elle doit jouer toute une palette d'émotions à travers l'animation, d'autant plus qu'elle ne parle pas, à l'instar des autres dinosaures.



Rétrospectivement, voyez-vous ce troisième opus plus comme un nouveau défi ou comme une réunion de famille?

Les deux. Personne chez Blue Sky n'est complaisant par rapport à nos productions. Tout le monde donne le meilleur de lui-même, et j'aime à penser que moi aussi. Dans le même temps, j'ai travaillé avec les mêmes artistes, ceux que j'avais connus sur le premier film. Ce qui fait que, d'une certaine façon, ce fut aussi une réunion de famille, et nous nous sommes beaucoup amusés. Et même encore plus que d'habitude parce que, maintenant, nous nous connaissons bien, nos façons de travailler et nos sens de l'humour. D'un autre côté, ce fut également une réunion de famille dans le sens où ce sont des retrouvailles avec ces personnages que nous aimons tant. Je les adore et je suis toujours heureux de retourner dans leur univers. Je peux vraiment dire que je suis fier de ce film. C'est le plus beau des trois. Visuellement, il est beaucoup plus riche, plus profond, plus ambitieux et il est vraiment très drôle. J'avoue avoir ri à gorge déployée plus d'une fois, ce qui m'arrive assez rarement. Et puis, il y a des dinosaures. Avec eux, ça ne peut être que génial!

Quels sont vos projets ?

Je viens juste de terminer un livre écrit par mon épouse Randall, The Duchess of Whimsy, qui sortira cet automne chez Penguin/Philomel aux Etats-Unis. En octobre, j’aurai mes œuvres exposées à la galerie Arludik à Paris, à l’occasion de la sortie de mon prochain livre, A Sketchy Past, The Art of Peter de Sève qui sera publié conjointement par Akileos et Arludik. Il sera préfacé par Chris Wedge.

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