Exclusif : entretien avec Scott Farrar, superviseur des effets visuels de Transformers 2 La revanche
Article Cinéma du Lundi 27 Juillet 2009

Vétéran des effets visuels, Scott Farrar débute au cinéma à la fin des années 70, en tant que cameraman indépendant, travaillant d’abord chez Robert Abel & Associates, puis dans l’équipe réunie par Douglas Trumbull pour réaliser les effets de Star Trek, le film de Robert Wise. Il est engagé par Industrial Light & Magic en 1981 en tant que cadreur sur Star Trek 2, la colère de Khan, de Nicholas Meyer, et devient superviseur des effets visuels de Qui veut la peau de Roger Rabbit ? de Robert Zemeckis en 1987. En 1985, il reçoit l’Oscar des meilleurs effets visuels pour son travail sur Cocoon de Ron Howard. Parmi les films dont il a supervisé les effets visuels, on pourra citer, pêle-mêle, Minority Report, A.I. Intelligence Artificielle et Amistad de Steven Spielberg, Space Cowboys de et avec Clint Eastwood, Deep Impact de Mimi Leder, de la séquence de fin de Men In Black de Barry Sonnenfeld, Daylight de Rob Cohen, Congo de Frank Marshall, Star Trek VI, Terre Inconnue de Nicholas Meyer, Retour vers le Futur II et III de Robert Zemeckis et Cocoon, le retour, de Daniel Petrie. Aujourd’hui, après avoir conçu les trucages de Transformers, Scott Farrar a réussi à se surpasser en signant des effets encore plus spectaculaires dans ce second volet que nous vous recommandons d’aller voir !

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment avez-vous préparé l’incroyable séquence de Transformers 2 qui se déroule à côté et sur les pyramides ?

Aujourd’hui, les fondations de la plupart des plans d’effets visuels se construisent à partir d’un bon relevé des mouvements de camera et de la topologie de décors réels. Je vais expliquer ce que cela signifie : dès que nous voulons créer un objet ou un personnage en images de synthèse qui doit donner l’impression d’être posé sur le sol, ou qui doit être animé alors qu’il escalade un bâtiment, nous devons mesurer très précisément tous les volumes des éléments réels que nous filmons, afin de les situer dans un espace en trois dimensions. Si on n’est pas assez minutieux, ou si nos mesures sont légèrement erronées, le pied du personnage 3D va « glisser » ou sembler « flotter » sur le sol. On n’aura pas le sentiment d’un contact matériel entre les deux éléments de l’image. Toutes ces procédures de mesures sont donc très spécifiques et doivent être mise en œuvre avec la plus grande rigueur. C’est un travail de haute précision et de haute technologie.

Cela signifie t’il que vos collègues ont dû relever les mesures exactes de nombreuses parties des pyramides ?

Oui, car il y a plusieurs scènes où nous avons dû gérer des interactions entre les robots et ce décor réel. Il y a par exemple une scène où l’on voit un petit personnage qui monte les marches de l’accès aux couloirs de la pyramide, ce qui est relativement simple à faire. Dans ce cas-là, ce sont des marches assez hautes, que l’on mesure. Elles sont en bon état et plates, ce qui nous facilite la tâche. Mais le travail devient complètement différent quand nous devons relever les dimensions des pierres extérieures de la pyramide. Elles ont des formes irrégulières, et sont toutes de tailles variables, parce qu’elles ont été usées par le vent, la pluie et les millénaires. Pour réussir à enregistrer précisément les mesures de ces volumes complexes, nous les photographions sous différents angles, nous étudions les différences de perspectives grâce à un logiciel dédié, et calculons ainsi le volume et la taille de chaque élément. Nous partons d’images 2D, nous combinons plusieurs axes de prises de vues, et nous obtenons une transposition en 3D. C’est ce qui nous permet de voir que telle pierre est plus haute et telle autre plus basse. Ce sont des techniques assez bluffantes, qui produisent des résultats impressionnants et très fiables. Grâce à elles, on peut vraiment « ancrer » des personnages 3D comme les Transformers dans une image réelle et donner un aspect réaliste au trucage final. Quand le plan est terminé, on a vraiment l’impression que les robots étaient bel et bien là, devant la caméra.

Si vous avez pris toutes ces mesures sur la pyramide, c’est parce que plusieurs énormes personnages l’escaladent…

C’est exact. Nous avons pris toutes ces mesures pour cette scène-là. J’ajoute que nous prenons aussi des mesures encore plus précises pour certains plans, à partir du point de vue de la caméra, car nous aurons à recréer certaines parties du décor. Nous devons alors nous assurer que nous serons en mesure de reconstituer l’ensemble du décor si c’est nécessaire. Nous prenons beaucoup de photographies en haute résolution pour être en mesure de plaquer de vraies textures et de vraies couleurs sur nos futures modélisations. Il est tout à fait possible que nous ayons à reconstituer l’ensemble de la pyramide.

Jusqu’à quel degré de fidélité allez-vous, dans la reproduction ?

Il peut arriver que nous trichions un peu, par exemple que nous changions légèrement la forme de certains blocs. Il faut que nous soyons prêts à toute éventualité ultérieure, parce que pendant le tournage, nous n’avions qu’un descriptif provisoire, assez vague, des effets souhaités pour cette scène. Nous savions qu’il fallait prévoir des plans en plongée, des vues d’hélicoptère, de vues en contre-plongée, mais nous ne savions pas dans quel ordre ils allaient être placés au sein du montage de cette séquence. Et nous ne voulons pas commencer à produire des plans pour Michael Bay si nous ne sommes pas absolument sûrs et certains des plans que l’on attend de nous. Cela peut paraître étonnant de dire ça, mais c’est nécessaire, parce que si vous commencez à travailler sur un plan qui ne sera pas utilisé en fin de compte, non seulement on fait perdre du temps à tout le monde, mais en plus, cela coûte inutilement beaucoup d’argent.

Pouvez-vous nous rappeler à quoi sert la barre de métal prolongée par une sphère chromée d’un côté, et grise de l’autre, que vous placez devant la caméra avant le tournage de chaque plan ?

C’est une technique qui a été développée par ILM, et qui a été reprise depuis par tous les autres studios d’effets visuels dans le monde. On présente cet objet devant la caméra pour que l’on puisse filmer les reflets de toutes les sources d’éclairages sur la partie chromée de la boule. Non seulement on peut déduire l’emplacement de chaque éclairage grâce à la position de chaque reflet sur le chrome, mais on peut aussi relever son intensité. En extérieurs, on relève aussi la position du soleil, la position des ombres. Le côté gris de la sphère sert à établir la charte des couleurs. On ne peut faire cela avec précision que si l’on présente à l’éclairage un volume gris à 18%. Pour résumer, cette sphère nous permet de reconstituer virtuellement les sources d’éclairages et les couleurs des prises de vues réelles, afin de les utiliser sur les personnages et les portions de décors que nous générons plus tard en images de synthèse. La qualité et le réalisme de l’éclairage est absolument essentiel quand on veut créer un plan d’effet visuel convaincant. Il faut que les couleurs et le contraste des éléments ajoutés soient exactement identiques.

Les personnages des Transformers sont gigantesques. Qu’utilisez-vous pour montrer aux comédiens à quelle hauteur les yeux des robots sont sensés se trouver ?

Ah, nous utilisions une méthode extrêmement sophistiquée, là encore…Nous employons un manche téléscopique de balai-éponge pour nettoyer les vitres ! (rires) Je crois qu’il n’y a rien de tel que le système D pour préparer le tournage d’un effet visuel de haute technologie ! Voilà comment nous nous y prenons…Quand un acteur est sensé être confronté à un robot, il le regarde généralement dans les yeux. Pour guider le regard du comédien, nous avons deux options : soit utiliser un agrandissement photo de la tête, placé sur un support, mais ce genre d’équipement est assez lourd, et donc difficile à hisser à la bonne hauteur, soit nous nous contentons de déplier le manche téléscopique en disant à l’acteur de regarder le bout du manche. Shia Labeouf est devenu un expert dans l’art de faire croire qu’il voit un robot géant juste devant lui ! C’est essentiel pour nous que les acteurs réussissent à « vendre » la scène, autrement le public n’y croira pas, même si le résultat est techniquement parfait. Notre manche à balai téléscopique est donc à la fois l’accessoire le moins coûteux et le plus important du tournage des prises de vues réelles. Il nous permet de guider les acteurs pour obtenir d’eux les réactions qui correspondent à ce que nous allons ajouter plus tard. Et c’est capital.

Utilisez-vous quand même des agrandissements photo des têtes de certains robots ?

Disons que nous en avons à disposition et que nous essayons de les utiliser de temps en temps. Comme ces découpes sont faites « grandeur nature », elles sont énormes. Quand Michael nous disait « Installez-moi le visage de Megatron », et nous indiquait où il voudrait qu’il soit placé, nous le mettions là où il le souhaitait, puis le vent soufflait, et appuyait sur la découpe qui s’écroulait tout le temps ! Au bout d’un moment, Michael finissait par nous dire « Bon, on va laisser tomber le visage. » Et nous allions chercher notre fameux manche de balai téléscopique, qui fonctionnait parfaitement à chaque fois ! (rires)

Produisez-vous beaucoup de simulations 3D comme de la fumée pour compléter les interactions entre les Transformers et l’environnement réel ?

Oui, énormément. J’ai travaillé sur Qui veut la peau de Roger Rabbit et je me souviens que nous étions terrifiés par la complexité des interactions qu’il fallait créer entre les éléments des prises de vues réelles et les parties en dessin animé auxquelles nous devions donner du volume. A l’époque, nous obtenions cela en créant différents éléments détourés pour représenter la partie éclairée, et l’ombre de chaque personnage dessiné. Il fallait effectuer de nombreuses manipulations à la tireuse optique, sur pellicule, pour obtenir ce rendu que nous avions appelé 2D &1/2 ! Dès que les lumières autour de Roger Rabbit et ses amis toons se déplaçaient, ça devenait un véritable cauchemar logistique pour combiner tous ces éléments en un seul plan composite. Toutes ces « couches » différentes formaient un sacré « sandwich », que nous devions construire en partant du fond de l’image pour arriver jusqu’à l’avant-plan. Malgré tous nos efforts, le résultat n’avait pas l’air réaliste : on n’avait pas vraiment l’impression que les personnages de dessin animés étaient en trois dimensions, mais c’était cependant assez agréable à regarder. Aujourd’hui, quand nous tournons avec Michael Bay, les scènes d’actions regorgent d’explosions, de projections de flammes et de débris, au lieu que ces éléments soient ajoutés plus tard. C’était une approche nouvelle pour moi sur le premier Transformers, mais cela a été une expérience fantastique. Je crois qu’il est difficile d’imaginer à quel point la vraie fumée filmée sur un plateau est quelque chose de complexe à reproduire en 3D. Si vous analysez image par image un nuage de fumée, vous vous rendez compte qu’il est composé d’un très grand nombre de couleurs, que ses volumes produisent des ombres, et que ses nuances varient en fonction de son animation, de ses volutes, et de la manière dont il réagit à la lumière. C’est extraordinairement complexe et subtil alors que cela paraît banal. Ce sont des choses que l’on ne peut pas deviner tant qu’on ne les a pas expérimentées par soi-même. Avoir à gérer de la vraie fumée dans des plans où nous devions ajouter les robots a donc été une formidable occasion d’apprendre et de développer de nouvelles techniques.

Les effets visuels du premier Transformers étaient déjà époustouflants. Comment avez-vous réussi à les surpasser dans ce nouveau volet ?

C’était dur ! Nous avions déjà beaucoup travaillé pour atteindre un réalisme photographique dans le premier. Mais pendant que nous réalisions certains de ces plans, nous étions encore en train d’apprendre des choses. A présent, nous avons perfectionné beaucoup de nos outils, de telle manière que 10 personnes puissent travailler sur le même personnage sans que l’on puisse détecter une différence d’aspect. Auparavant, nous étions constamment obligés de faire des petites retouches pour assurer une parfaite continuité visuelle. Nous avons trouvé le moyen de nous faire gagner du temps et de l’efficacité. Mais pour revenir à votre question, un des moyens utilisés pour surpasser le premier volet, c’est qu’il y a plus de décors, plus de lieux extérieurs spectaculaires. C’est un film qui a plus d’ampleur que le premier. Quand j’étais enfant, Ben Hur était l’un des films les plus impressionnants que j’avais vu au cinéma. L’image en cinémascope, la taille colossale des décors, tout cela était ahurissant. On pourrait dire que Transformers 2, c’est un peu un mélange d’Apocalypse Now et de Ben Hur , avec des robots géants en plus ! Il y a aussi une bonne histoire et des scènes de comédie qui sont très réussies. En ce qui nous concerne, nous devons produire des plans d’effets visuels extrêmement difficiles à réussir, à cause de la taille et du nombre des robots, qui sont tous extrêmement complexes. Le personnage d’Optimus Prime, par exemple, est composé de 10 000 parties différentes. Eh bien, dans Transformers 2, certains personnages possèdent cinq fois plus d’éléments que lui. Et chacune des parties qui les composent doit avoir un aspect correct et doit bouger de manière logique dès que le personnage se déplace…

Pouvez-vous nous donner une petite idée du temps et de l’argent nécessaires pour animer un de ces robots pendant dix secondes ?

C’est intéressant parce que quel que soit le nombre d’apparitions d’un robot dans le film, chacune d’entre elles est traitée différemment et nécessite un travail spécifique. En moyenne, il faut à peu près six mois pour créer un Transformer 3D prêt à être animé. Cela peut paraître surprenant, mais chaque pièce doit être construite séparément. C’est comme si on se rendait dans un atelier pour façonner ces éléments à la main, mais il s’agit là d’un atelier 3D. Les femmes et les hommes qui construisent ces personnages créent les formes de chaque partie des mécanismes et des articulations, en suivant des courbes très précises, car chaque chose doit fonctionner comme dans la réalité. Certains composants des robots sont réalisés en 4 à 16 couches d’informations numériques, de manière à avoir l’aspect du chrome, du verre, du métal brossé, ou de la peinture métallisée. Cela représente une quantité faramineuse d’informations, pour chaque pièce. Construire un tel personnage est une chose, et cela prend de 12 à 16 semaines, mais après, il faut appliquer les textures et la peinture sur chaque élément. Et ensuite, une autre équipe prend le relais : elle connecte toutes les pièces entre elles pour transformer le personnage en marionnette virtuelle, dont chaque mécanisme bouge. Cela aussi, cela peut prendre de 12 à 16 semaines, voir même plus. A l’issue de ce processus, le personnage est prêt à être placé dans les prises de vues réelles et à être animé, mais le travail d’insertion reste à faire, et là aussi c’est une tâche longue et complexe. Il faut travailler dessus jusqu’à ce que tout soit parfait. En ce qui concerne le budget, je n’ai pas le droit de vous citer des chiffres précis, mais pour ce genre de séquences, cela se chiffre en millions de dollars. Tout est basé sur le temps de travail qui a été nécessaire pour réaliser chaque plan.

Est-ce que vos équipes ont dû travailler jour et nuit pour produire ces plans complexes à temps ?

Non, les gens doivent rentrer chez eux et dormir, vous savez ! ILM a des règles très précises en matière de durée du temps de travail. Nous sommes tous tenus de faire des pauses et d’avoir des activités physiques pour rester en bonne santé, et pour compenser le temps que l’on doit passer assis devant un ordinateur. L’équipe qui travaillait sur Transformers 2 était composée de 80 à 100 personnes en moyenne. Mais quand nous en sommes arrivés à la fin de la post-production, elle comptait 300 personnes. Cela comprend les équipes d’animation de personnages, d’éclairage et de rendering, de peinture, de créations des éléments à ajouter dans les composites et les artistes qui finalisent les composites. Et j’ai probablement oublié de citer certaines personnes.

La création du gigantesque Devastator est-elle un défi intéressant à relever ?

Devastator est composé de nombreux engins de chantier. Au moment où nous parlons, j’ai simplement vu un rendering provisoire du personnage, et il a l’air très prometteur. Devastator est très impressionnant, mais il n’en est qu’à ses premières étapes de développement. Comme nous cherchons à obtenir un rendu photo-réaliste , nous avons photographié les vrais engins de chantier à partir desquels il est sensé être assemblé. Je crois que mon équipe a du prendre environ 6000 photographies de voitures, de moteurs et de pièces mécaniques pour composer les robots du premier film. Pour Devastator, nous arrivons a peu près au même nombre de photos, ce qui vous permet d’imaginer à quel point il est plus complexe qu’un Transformer « normal ». Nous avons utilisé tout le savoir que nous avons acquis pour le rendre réaliste, et pour suggérer la masse énorme de cet amalgame de véhicules de chantier.

Est-ce encore plus difficile de montrer des humains à côté d’un robot aussi colossal que Devastator ?

Oui, car il faut que l’on comprenne l’échelle du robot par rapport aux humains. Si vous filmez un robot tout seul sur un fond de ciel bleu, vous n’avez aucun moyen de montrer au public quelle est sa taille. Il faut avoir une référence pour cela : un immeuble, une route, une voiture… A elle seule, la main de Devastator est plus grande qu’un groupe de 20 personnes. A cause de cela, dans la scène où l’on voit John Turturro courir et passer sous Devastator, vous ne voyez qu’une toute petite partie du bas du personnage, et cela produit un effet assez impressionnant.

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