Matt Groening : tout sourit au créateur des Simpsons
Article Animation du Jeudi 27 Aout 2009

Matt Groening est l'un rares dessinateurs dont les personnages sont instantanément reconnus dans le monde entier. Grâce au phénoménal succès des Simpsons, la série qui a battu le record de longévité de la télé US, Groening est devenu un homme riche, un peu moins angoissé, mais toujours aussi sarcastique…

Par Pascal Pinteau

Des débuts difficiles

Le créateur des Simpsons est né le 15 février 1954 à Portland, en Oregon (USA). Mr Groening père, dessinateur de BD lui-même, a eu la bonne intuition d'encourager son fiston à dessiner dès le plus jeune âge. Le petit Matt a donc noirci les marges de ses cahiers de sa main gauche pendant toute l'école primaire. A l'adolescence, son humour acide et sa vocation de cancre déconcertent la plupart de ses camarades de classe. Ses dessins illustrent un temps le journal de l'école, mais son attitude rebelle dérange. Quelques années plus tard, Matt Groening songe même à fonder un nouveau parti politique avec ses copains hippies ! Il rencontre ensuite la dessinatrice Linda Barry à l'Evergreen State College de Washington. Elle l'encourage à mener une carrière dans la bande dessinée et lui conseille de s'essayer aux "strips" : ces mini-histoires en quelques cases publiées dans les quotidiens.

A la conquête d’Hollywood

Remonté à bloc, Matt Groening obtient son diplôme en 1977 et met le cap sur la côté ouest, direction Los Angeles. Il rêve de devenir un écrivain célèbre, mais au lieu d'écrire des articles prestigieux pour de grands magazines, il devient le chauffeur et le "biographe" d'un réalisateur de 88 ans un tantinet gâteux. Pendant que Groening est au volant, le vieillard lui raconte sa vie en n’omettant aucun détail ! Groening ne tarde pas à détester Los Angeles et son job barbant comme la pluie. Il invente une BD comique pour raconter ses déboires à ses amis de Washington. Cette série de "Strips" est intitulée Life in Hell (la vie en enfer). Le héros de la BD est Binky, un étrange lapin aux fausses dents. Les aventures du personnage sont d'abord publiées de manière confidentielle, mais elles plaisent au milieu underground de L.A.. En 1980, le Los Angeles Reader prend le risque de publier les strips de Groening. Mais les lecteurs supportent mal le caractère grincheux de Binky. Groening décide de transformer le lapin en victime…et sa popularité atteint rapidement des sommets ! Le succès de Life in Hell se propage dans le monde : au milieu des années 80, la BD est publiée par plus de 250 journaux. Les aventures de Binky sont compilées dans le livre Hell.

Première expérience à la Télévision

En 1985, le producteur de télévision James L. Brooks propose à Matt Groening de travailler sur un projet de gags animés pour l'émission de sketches comiques de la comédienne Tracey Ullman. Matt accepte la proposition, mais il préfère ne pas "griller" Blinky, son personnage vedette. Qu’arriverait-il si l’émission était un flop ? Le lapin risquerait de ne pas s’en relever... Il s'inspire de sa famille pour esquisser (en un quart d'heure !) les membres de la tribu Simpson. L'action se passera à Springfield (la ville où il a réellement vécu !). Les anciens Simpsons face à ceux que nous connaissons*Groening ne se donne pas trop de mal pour baptiser ses personnages : ses fils s'appellent Homer et Abraham, sa mère s'appelle Marge et ses soeurs s'appellent Lisa et Maggie ! Le prénom Bart, lui, est un anagramme du mot "brat", qui signifie "sale gamin" en argot américain. A l'époque, les Simpsons n'ont pas leur aspect actuel : ils sont déjà jaunes, mais bien plus laids ! Les premiers court-métrages d'une minute des Simpsons apparaissent dans le Tracey Ullman show en 1987. Leur impact est tel que James L. Brooks propose une série animée à la chaîne Fox.

Un succès foudroyant

Fox est conscient du potentiel de ces personnages. Elle donne le feu vert à Brooks. La production de la série commence. Le design des personnages est lissé, amélioré. Les personnages deviennent plus plaisants, et sont clairement définis sous toutes les coutures grâce à des « model sheets », selon les techniques classiques de l’animation. La chaîne Fox met la première série d'épisodes de 22 minutes à l'antenne en 1990. Dès les premières diffusions, le public plébiscite ce regard sans pitié porté sur les travers de l'Amérique. La caricature est cruelle, mais juste…et surtout irrésistiblement drôle ! Le succès des Simpsons permettra à Matt Groening de fonder la maison d'édition Bongo Comic Group en 1993, et de publier les mésaventures de la famille Simpson dans Simpsons Comics. Les personnages secondaires auront eux aussi droit à leur propre revue : Itchy et Scratchy Comics, Bartman, Radioactive Man et Krusty Comics ! En 1998, après 11 ans de triomphe Simpsonien, Matt Groening a envie de changement. Il crée Futurama pour parodier l'Amérique contemporaine par le biais de la Science-Fiction. La série est appréciée, mais elle ne connaît pas le même succès que les indétrônables Simpsons. Elle s’arrêtera au bout de cinq saisons... avant de revenir sous la forme de 4 téléfilms en DVD (puis une suite de la série à la télévision). Matt Groening, nullement découragé, développe d'autres projets pour la télévision. Il a même effleuré l'idée de consacrer une série en prises de vues réelles au personnage du clown Krusty ! A défaut de faire aboutir ce nouveau délire télé, Matt Groening a fait aboutir un projet de longue date, le premier film des Simpson, qui a connu une belle carrière en 2007. Ce succès sera prolongé par une suite, dont la date de sortie n'est pas encore annoncée. Désormais, Matt Groening vit paisiblement à Los Angeles, comme ses fils Homer et Abe, issus de son mariage avec Deborah Caplan, dont il est divorcé depuis 1999. Enthousiasmé par l'excellent accueil réservé aux télélfilms de Futurama sortis en DVD et la résurrection de la série, Groening est aujourd'hui plus actif que jamais. La cité des anges est devenu son petit coin de paradis créatif !

Interview de Matt Groening, créateur des Simpsons et de Futurama

Les Simpsons est devenue la série la plus longue de toute l'histoire de la télé américaine. A quoi attribuez-vous les raisons de ce succès mondial ?

Comme beaucoup de gens, j'ai perdu une grande partie de ma jeunesse à regarder la télé : il fallait bien que je trouve un moyen de rattraper tout ce temps perdu ! (rires) J'ai pensé que si je pouvais refléter mes idées sur la vie aux USA dans un dessin animé, ca pourrait avoir du succès. J'ai eu la chance d'être arrivé au bon moment. Les plaisanteries des Simpsons fonctionnent à plusieurs niveaux de lecture : il y a les gags visuels que tout le monde aime, les allusions parodiques qui plaisent aux intellos et aux adultes, et les plaisanteries pipi-caca qui font hurler de rire mes enfants. Créer un dessin animé comme celui-là vous donne l'impression d'être un dieu : vous créez tout un univers et vous poussez des tas de personnages à faire des choses horribles, juste par caprice ! (rires)

Quand avez-vous pris conscience que les Simpsons étaient devenus un phénomène de société ?

Le jour où j'ai vu un Bart Simpson gonflable de 20 mètres de haut défiler pendant la parade de Thanksgiving, dans les rues de New York. C'était délirant… Pour blaguer, on m'a demandé à quel moment on présenterait la version "Holiday on ice" des Simpsons. Je me suis contenté de rire, mais dès l'année suivante, la plaisanterie était devenue vraie : on pouvait voir des patineurs avec des costumes d'Homer et de Bart évoluer sur la glace ! C'était très étrange et pas très drôle ! (rires)

Avez-vous eu du mal à préserver la qualité de la série ?

Une série d'animation demande une vigilance constante , du début jusqu'à la fin de chaque épisode. J'ai beaucoup appris depuis 1987. Notre équipe est tellement rôdée qu'elle évite de nombreuses erreurs, mais le processus est toujours aussi fatigant. Nous avons exploré tant de situations et parodié tant d'institutions américaines que nous avons de plus en plus de mal à trouver des histoires originales. Mais nous mettons toujours un point d'honneur à ne pas copier les autres séries d'animation et à ne pas nous auto-parodier. La série doit rester fraîche et originale. C'est la raison pour laquelle nous employons les meilleurs auteurs disponibles. Il y en a toujours une vingtaine qui travaillent en permanence pour nous et qui nous aident à améliorer chaque script.

Comment définiriez-vous l'humour des Simpsons ?

C'est difficile à dire... Je crois que nous faisons tout pour préserver l'intégrité des personnages. Avec l'animation, tout est possible : les personnages peuvent franchir le bord d'une falaise et continuer à marcher dans le vide, mais nous ne faisons pas ce genre de choses. Il faut que les situations soient basées sur la réalité. Nous nous référons toujours à cette idée pendant le développement des scripts.

Quels sont les personnages des Simpsons que vous préférez ?

J'aime beaucoup Apu et Milhouse et le commissaire Wiggum. Apu est tellement satisfait par son travail. Un des gags à répétition des Simpsons, c'est que chaque personnage au travail prend un grand plaisir à escroquer son prochain. Dans ce registre, l'un de mes personnages préférés est le propriétaire du magasin de bandes dessinées de collection, il est génial.

Quel est le personnage des Simpsons auquel vous ressemblez le plus?

Probablement Homer… J'adore les donuts!

Quels sont vos héros dans la vraie vie ?

Quand j'étais adolescent, j'étais fan de Frank Zappa, qui était influencé par toutes les cultures musicales. Il a créé un lien entre le rock "Doo-wap" des années 50 et la musique classique moderne d'Igor Stravinsky. Comme j'aime autant Stravinsky que le Rock & roll des fifties, je suis comblé en écoutant Zappa. C'est lui qui m'a poussé à devenir critique de Rock, à une époque. J'avais aussi beaucoup d'admiration pour Walt Disney, pour Barnum et pour Hugh Hefner, le créateur de "Playboy". J'ai eu des ennuis au collège parce qu'un prof m'avait surpris en train de lire une biographie de Hugh Hefner. J'avais été fasciné d'apprendre que le manoir Playboy de Chicago fonctionnait 24h sur 24, ce qui permettait à Hefner de rester debout aussi longtemps qu'il le voulait ! J'aimais Barnum à cause de son "Musée de l'étrange" et de ses phénomènes de foire. Et bien sûr, j'étais fan du parc Disneyland créé par Walt Disney.

Qu'est-ce qui vous a donné l'idée de Futurama ?

Mon goût de la Science-Fiction. J'ai grandi en lisant des tonnes de magazines et de livres de SF. J'ai dévoré de tout, de Isaac Asimov à Philip K. Dick. Il y a quelques années, j'ai pris le temps de relire ces livres, et malgré l'affection que j'ai toujours pour eux, je me suis rendu compte que certains d'entre eux étaient datés : la plupart de ces livres se déroulent en 1994 ! J'ai trouvé amusant de parodier cette vision un peu dépassée du futur.

Surfez-vous sur le web ?

Juste un peu. Environ une demi-heure chaque soir avec mon ordinateur portable, quand je regarde la télé, affalé sur mon lit !

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