Exclusif : Entretien avec Stephen Sommers - D’Un cri dans l’océan à G.I. Joe le réveil du Cobra, une carrière placée sous le signe du fantastique
Article Cinéma du Mercredi 09 Septembre 2009

Dans cette ultime partie de notre longue conversation, le réalisateur revient avec nous sur les débuts de sa carrière et sur G.I. Joe, le réveil du Cobra, qui a connu un beau succès au boxoffice. Il évoque aussi ses projets, et la nouvelle version des aventures de Tarzan qu’il prépare…

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Nous aimerions revenir sur vos premiers films fantastiques. A propos du réjouissant Un cri dans l’océan, nous aimerions savoir si vous aviez songé à une suite, car il semble qu’il y ait beaucoup d’autres monstres sur l’île où se réfugient les héros, à la fin de leur aventure…

(Rires) C’est drôle que vous me demandiez cela, parce que je songeais effectivement à une suite…jusqu’à ce que je découvre le premier épisode de la série Lost, qui commence exactement comme ça ! Je me suis dit « Oh non, ça y est, c’est fini ! ». Ce qui est étrange, c’est qu’on me parle souvent de ce film, alors qu’il a été un échec complet au boxoffice. Il était distribué par Disney, et le studio n’a pas su comment le présenter au public. La publicité autour du film a été quasi-inexistante. C’est assez difficile de lancer un film de monstre avec l’estampille Disney…Donc pour toutes ces raisons, je ne crois pas que je réaliserai Un cri dans l’océan 2 ! (rires)

Votre dernier film, Van Helsing, remonte à 2004. Qu’avez-vous fait pendant ces cinq dernières années ? Pourquoi avez-vous décidé de marquer un si long temps de pause ?

J’ai réalisé dans la foulée La Momie, Le retour de la Momie et Van Helsing. Après Van Helsing, j’avais vraiment besoin de me reposer, de prendre le temps de vivre avec ma femme et mes enfants, et de laisser retomber la pression pour chercher de nouvelles idées, écrire, produire d’autres projets. J’avais envie de reprendre le contrôle de ma vie personnelle !

Quand vous songez à Van Helsing, avec le recul, aimeriez-vous changer des choses dans ce film qui n’a pas connu la carrière escomptée ?

Vous savez, une fois que j’ai terminé un film, je n’ai pas pour habitude de le revoir souvent. Il fait partie du passé. Si je modifiais Van Helsing, peut-être passerais-je plus de temps à développer les personnages et un peu moins sur les séquences avec les créatures en images de synthèse.

Pensez-vous que la décision d’utiliser de la 3D pour créer les loups garous et les vampires a eu une influence négative sur l’accueil de Van Helsing par le public ? Et que des effets spéciaux de maquillage auraient été plus efficaces ?

Je ne le pense pas, car je crois que le public n’aime plus les effets de maquillage aujourd’hui. Il n’y croit plus. La seule personne qui arrive à les utiliser de façon astucieuse est Guillermo Del Toro. En dehors de cela, les gens ont tendance à se moquer des maquillages quand ils en voient dans des films…

Permettez-nous de n’être pas du tout d’accord avec vous sur ce point !

Vraiment ? Quels sont les films récents dans lesquels vous avez vu de bons effets de maquillage ?

Il y en a beaucoup : Le Labyrinthe de Pan, Hellboy 2…

Oui, mais ce sont des films de Del Toro !

Certes, mais il y en a d’autres aussi : les vieillissements de L’étrange histoire de Benjamin Button, le visage du joker dans The Dark Knight, Terminator Renaissance…

Je ne l’ai pas encore vu, mais je parie que dans Terminator Renaissance, la plupart des effets sont réalisés en 3D en fin de compte…

Il y a beaucoup d’effets 3D, mais aussi beaucoup d’effets de maquillage et des personnages mécaniques construits en « vrai » et animés devant la caméra. Et cela fonctionne très bien.

Bon. Eh bien, j’irai le voir avec plaisir.

Pensez-vous que vous produirez un autre épisode de la saga de La Momie ?

Je ne le crois pas. Je crois que je vais me concentrer plutôt sur des projets que je vais écrire et réaliser.

Mais pensez-vous qu’il y aura un autre épisode ?

Bien sûr !

A la fin du dernier opus, on laissait entendre que la famille O’Donnell pourrait se rendre en Amérique du Sud « ce pays où il n’y a pas de momies » !

(rires) Oui, je m’en souviens. Je ne sais pas si Universal a l’intention de produire un quatrième épisode, mais personnellement, j’ai l’impression que cette franchise est allée au bout de son développement naturel. Je ne suis pas sûr que ce serait forcément une bonne idée de vouloir la prolonger.

Pourriez-vous évoquer le choix des acteurs qui composent « l’équipe G.I. Joe » dans le film ?

Volontiers. Je n’ai pas pour habitude de choisir d’emblée des grandes vedettes dans mes films. Quand j’ai annoncé que j’avais choisi Sienna Miller pour jouer le rôle de la Baronne, quelqu’un m’a demandé « Mais est-ce que le studio ne vous a pas incité à choisir quelqu’un de plus connu ? ». En réalité, quand je présente un projet à un studio, et que je parle de casting, on me dit toujours : « Prenons des nouveaux talents, des personnalités fraîches que le public prendra plaisir à découvrir ». Bien sûr, ce qu’ils veulent vraiment dire, c’est « Prenons des acteurs qui ne réclament pas des cachets exorbitants! » parce qu’ils savent que le film leur coûtera déjà bien assez cher comme ça ! (rires) Pour revenir su r le choix des acteurs, c’est une décision que j’ai prise avec mon équipe. Je travaille avec les mêmes personnes depuis de longues années, depuis que je suis sorti de l’école de cinéma ! Mes deux monteurs, mon superviseur de scripts, mon réalisateur de seconde équipe sont des amis de longue date, et mes autres collaborateurs me suivent depuis plus de dix ans. La plupart du temps, j’écris le script moi-même, mais cette fois-ci, dieu merci !, je n’ai pas eu à le faire. Plusieurs auteurs sont venus m’aider, parmi lesquels Stuart Beattie. Quand nous avons fini d’écrire le scénario, nous nous sommes réunis pour parler des acteurs qui pourraient tenir ces rôles. Nous procédons toujours ainsi. Je me souviens que Bob Ducsay, qui était mon monteur, et qui est devenu mon producteur associé, avait immédiatement pensé à Brendan Fraser après avoir lu le script de La Momie. Pour ma part, je ne l’avais vu que dans George de la jungle, et j’étais un peu hésitant, mais Bob m’a dit « C’est un très bon acteur, il n’a pas fait que ça. Il est grand, athlétique, mais il a aussi le sens de l’humour dont tu as besoin pour ce film. » Et une fois que Bob m’a convaincu, nous n’avons pas cherché un autre acteur pour ce rôle. C’est aussi Bob qui a suggéré Hugh Jackman pour Van Helsing. C’est lui qui me donne les bonnes idées de casting. En ce qui concerne G.I. Joe, c’est un des auteurs qui a suggéré Sienna Miller pour le rôle de la Baronne. Il l’avait vue dans Factory Girl et l’avait trouvée formidable. En ce qui concerne les autres acteurs, j’ai écouté les suggestions de mes collègues. Je dois avouer qu’ayant une femme et des enfants, et travaillant beaucoup, je ne vais pas très souvent au cinéma. Peut-être cinq ou six fois par an, c’est tout. Je ne suis donc pas le mieux placé pour repérer les nouveaux talents. Et en plus, quand je vais au cinéma, ce sont souvent mes filles de 9 et 14 ans qui choisissent le film que nous allons voir ensemble ! (rires) La cadette est fan de la saga du Seigneur des Anneaux, alors que l’aînée ne supporte pas ces films !

Vous avez travaillé avec Larry Hama, qui a créé les personnages de la BD originale de G.I. Joe que l’on retrouve dans le film. Pourriez-vous nous parler de votre collaboration ?

Larry est formidable. Nous avions intégré un gros plan de lui dans une scène, mais j’ai été obligé de le couper par la suite, hélas ! Larry étant le créateur des personnages, nous avions besoin de son avis. Je crois qu’il est important de respecter l’univers que l’on adapte au cinéma, faute de quoi on provoque la colère des fans. Inversement, il ne faut pas non plus être figé et se contenter de recopier ce que l’on connaît déjà, sinon cela n’intéresse personne, ni les fans de base, ni le grand public qui ne connaît pas cet univers. En ce qui me concerne, je ne connaissais rien à cette version de G.I. Joe. Quand j’étais enfant, je jouais avec le G.I. Joe soldat. J’ai d’abord pensé que le film allait être un film de guerre. Mais quand j’ai parlé du projet à mes collaborateurs plus jeunes, j’ai vu qu’ils étaient tout excités. Ils m’ont dit « Ça n’a rien à voir avec une histoire de soldats ! Dans la série animée G.I. Joe, il y avait des personnages passionnants : le ninja Snake Eyes, la Baronne, Stormshadow, Destro, l’organisation criminelle Cobra, etc.. ». J’ai compris alors que cet univers était assez proche de celui des James Bond avec Sean Connery et Roger Moore, que j’adorais dans mon enfance. En pensant à cela, je me suis dit qu’aujourd’hui, on ne voit plus des James Bond aussi délirants qu’avant. Les films avec Daniel Craig, qui sont très réussis, sont traités avec le même réalisme que la série des Jason Bourne. Ils n’utilisent plus de gadgets, ni de batailles à grande échelle, ni de situations de Science-Fiction. Quand j’étais enfant, les décors conçus par Ken Adams pour les Bond me fascinaient. Ces environnements gigantesques étaient toujours bluffants. En dehors des James Bond, j’adorais aussi 20 000 lieues sous les mers, produit par Walt Disney. Quand vous verrez le troisième acte de G.I. Joe, vous vous rendez compte à quel point Opération Tonnerre et 20 000 lieues sous les mers m’ont inspirés. J’ai saisi l’opportunité de G.I. Joe pour réaliser un grand divertissement à la James Bond, avec des scènes spectaculaires qui se passent dans le monde entier, à Washington, à Paris, à Tokyo, en Egypte, sous la calotte polaire…Chacun des personnages a un « look » très particulier, unique. Scarlet et la Baronne sont très différentes l’une de l’autre. StormShadow, Snake Eyes, Ripcord et Duke ont des uniformes et des équipements variés. Et tous les gadgets et les véhicules dont ils disposent sont étonnants. Je crois que de tous les films que j’ai réalisés, G.I. Joe est celui qui sera le plus riche, visuellement parlant.

Avez-vous imposé une « remise en forme » à vos acteurs ?

Oui. Et c’est probablement Sienna, malgré sa sveltesse, qui avait le plus besoin de faire travailler ses muscles ! C’est souvent le cas des acteurs anglais, tandis que les acteurs américains sont habitués à reprendre le chemin du gymnase pour préparer un film. Quand j’étais en train de tourner Le retour de la Momie à Londres, je me souviens qu’un des coachs de gymnastique anglais me parlait de son projet d’ouvrir un club de remise en forme à Los Angeles, tout en fumant des cigarettes à la chaîne ! Je lui avais dit « Si tu continues comme ça, tu auras du mal à percer à Los Angeles ! ». Sienna est aussi légère qu’un petit oiseau, donc il ne lui a fallu que très peu de temps pour se muscler un peu. D’autres acteurs, notamment les garçons, ont eu plus de travail à faire dans ce domaine. Mais c’était nécessaire, parce que pour jouer dans ce genre de films, il faut avoir une excellente résistance physique. Ce n’est pas un sprint, mais un marathon. Il faut travailler sa capacité d’endurance. Les acteurs qui pensent qu’ils peuvent jouer dans un film d’action tout en sortant le soir et en se couchant tard se trompent lourdement. Les performances que l’on exige d’eux sur le plateau sont intenses, et à la fin d’une longue journée, ils sont épuisés. Imaginez ce que cela donne au bout de 5 à 6 mois de tournage ! Bien entendu, nous ne leur demandons pas de faire toutes leurs cascades eux-mêmes, pour éviter qu’ils ne se blessent, mais il leur faut tout de même être très « physiques ».

Brendan Fraser mourrait d’envie de participer au film, même dans un petit rôle…

Exact ! Quand j’entame le tournage d’un film, j’appelle des amis pour leur proposer de me rendre visite sur le plateau. Je demande aussi aux acteurs qui ont travaillé avec moi par le passé de jouer des petits rôles amusants. Je crois qu’il y a au moins 5 ou 6 acteurs qui ont joué dans les deux épisodes de La Momie que j’ai réalisés, et qui ont bien voulu faire une apparition dans G.I. Joe. Kevin J. O’Connor, qui était Benny dans La Momie et Igor dans Van Helsing, joue le Docteur Mindbender dans ce film. Brendan m’a téléphoné et m’a dit « J’adore G.I. Joe ! ». Il est juste dans la bonne tranche d’âge, et a donc vu les séries animées à la télé, lu les BD et joué avec les figurines quand il était enfant. Il m’a même promis qu’il laverait ma voiture si je lui donnais un rôle dans le film ! (rires) Il est venu tourner pendant une journée et nous avons improvisé une petite scène amusante avec lui.

Quels étaient les défis les plus difficiles à relever pour transposer G.I. Joe au cinéma ?

Parvenir à présenter correctement les nombreux personnages principaux. On a produit 170 épisodes de séries animées et publié 130 BD de G.I. Joe et dans toutes ces aventures, aucun de ces personnages n’est tué ! (rires) Même s’il s’agit d’un univers de dessin animé, de BD et de jouets, il y a eu tant de récits imaginés avec ces personnages que chacun d’entre eux a été incroyablement développé. Les auteurs n’ont cessé d’imaginer des histoires sur le passé des héros et des méchants, créant ainsi une mythologie extrêmement dense au fil des ans. Ils ont imaginé des liens complexes entre tous les protagonistes. Pour résumer, on pourrait dire que dans l’univers de G.I. Joe, tout le monde connaît tout le monde. Dans ce film, nous utilisons des flashbacks pour présenter le passé de nos héros. Au début, le studio était extrêmement réticent : il craignait que le public ne s’ennuie pendant ces scènes-là. Les fiches remplies par le public des projections test nous a prouvé le contraire : les spectateurs ont adoré les flashbacks. Ils ont aimé savoir qui étaient chacun de ces personnages, et cela les a aidé à comprendre les motivations de leurs actions ultérieures. Donc, pour revenir à votre question, c’est la conception et l’exécution de cette présentation des personnages qui a été la partie du film la plus difficile à réaliser pour moi. Le piège des flashbacks aurait été de ne les concevoir que pour satisfaire les afficionados, en oubliant l’immense majorité du public qui ne connaît rien à l’univers de G.I. Joe. Ma responsabilité a été de veiller à ce que le film reste accessible à tout le monde, tout en plaisant aux fans.

Transformers a été à l’origine d’un nouveau phénomène à Hollywood : la transposition de jouets en films. A votre avis, quelle est l’ampleur que va prendre ce phénomène à l’avenir ?

Je pense qu’il faut être prudent. Quand on a annoncé le tournage de Pirates des Caraïbes, on a parlé de toute une vague de films qui seraient adaptés d’attractions, mais pour l’instant, on ne les a pas vu venir ! (En réalité, Stephen Sommers est mal informé, car des adaptations de l’attraction Jungle Cruise et de l’aire deTomorrowland sont bel et bien en cours de développement chez Disney ! NDLR). La trilogie des Pirates des Caraïbes a bien marché parce que ces films étaient très bien faits. Ce n’était pas vraiment le cas du Manoir hanté, avec Eddie Murphy, qui a été un flop. Tout dépend du film. En ce qui concerne les adaptations de jouets, je suis heureux d’avoir réalisé G.I. Joe et non pas Monopoly ou Mon petit poney ! (rires)

Vous savez que Ridley Scott va réaliser une adaptation de Monopoly, n’est-ce pas ?

Oui. Et je lui souhaite sincèrement bonne chance ! (rires) Avec G.I. Joe j’ai eu la chance d’avoir accès à tous ces personnages nés dans les BD et les séries animées, et à une multitude d’histoires. C’était un énorme avantage. Je me demande bien ce que l’on peut faire avec Monopoly, car il n’y a aucun personnage, ni aucune histoire dans le jeu original…

Est-ce que G.I. Joe est conçu comme le premier épisode d’une trilogie ?

Oui. Et j’espère que j’aurai l’occasion d’en réaliser 10 de plus ! Je me suis tellement amusé à concevoir et à tourner ce film que j’ai envie de rester dans cet univers ! Mais voyons déjà comment ce premier épisode va être accueilli par le public.

Aimeriez-vous donc réaliser les deux autres épisodes de la trilogie G.I. Joe ?

Oui. J’ai adoré tourner ce film ! Tout comme j’ai pris énormément de plaisir à faire les deux premiers épisodes de La Momie. Mais après, j’ai voulu passer à autre chose. Dans G.I. Joe, il y a tellement de personnages différents, tellement d’histoires à développer et à raconter, que je n’ai pas le sentiment que je vais me lasser de cet univers.

Vous semblez déjà convaincu que le public va aimer le film…

Oui. Les réactions ont été largement positives à chaque projection test. Evidemment, c’est difficile d’avoir une vision claire de l’accueil qui sera réservé à un film depuis une dizaine d’années, à cause des réactions de ceux que j’appelle « les destructeurs de films » et dont on peut lire les propos sur le web. Ce sont des gens qui détestent les films, et qui saisissent la moindre rumeur, la moindre photo volée du tournage pour trouver une raison de cracher leur venin sur ce que vous avez fait. Quand nous organisons des projections test, le film n’est pas terminé. Il s’agit d’un montage provisoire, les effets visuels ne sont pas finis, certains plans manquent, mais en visionnant l’ensemble, on peut déjà se faire une idée de ce qu’est le film à ce moment-là. Et invariablement, quand une de ces personnes est invitée par hasard à une projection test, elle se précipite ensuite sur son ordinateur pour clamer que les effets visuels sont nuls ! Ce que ces gens ne comprennent pas, c’est que les effets qui sont inclus dans ce montage du film sont seulement des esquisses réalisées aux deux tiers. Ils ont l’air d’être finis, mais ce qui manque, ce sont les derniers effets de rendering et de textures qui vont faire toute la différence, et qui vont donner au plan final un aspect hyperréaliste. En ce qui concerne G.I. Joe, c’est une société anglaise qui a travaillé pendant neuf mois sur les plans de la bataille sous-marine. Pendant neuf mois, les plans ont eu un aspect correct au cours de leur élaboration. Mais ce n’est que le mois dernier, quand les rendus définitifs ont été calculés, que ces plans sont devenus époustouflants. C’est le problème avec les projections test aujourd’hui. Les studios hésitent à en organiser, ou y renoncent complètement, par peur des fuites et des appréciations négatives. Paramount n’a pas voulu tester Star Trek, parce qu’il y a tellement d’effets visuels dans le film que la réaction de ces gens aurait été faussée. Pour nous réalisateurs, c’est bien dommage que les choses évoluent comme cela. Nous avons besoin de montrer nos films au public et de recueillir ses réactions pour ajuster le résultat. Quelquefois, l’arbre cache la forêt. Un regard extérieur, frais, vous permet de prendre conscience de ce qui ne va pas. Personnellement, je suis prêt à avoir recours aux projections test, même si on doit subir ensuite les remarques haineuses de certains critiques amateurs. Ces derniers temps, quand je vais au cinéma, je me dis souvent « Ah, c’est dommage, si le film avait été testé, ils se seraient rendu compte qu’il y a un passage qui ralentit le rythme du film. » ou « Ils auraient dû supprimer cette réplique, qui est stupide » ou « Bon sang, cette fin ne marche absolument pas ». Heureusement, nous avons montré G.I. Joe à plus de 2000 personnes, et elles nous ont dit qu’elles avaient vraiment aimé le film.

Il y a parmi les spectateurs des gens qui se lassent vite des explosions et des effets de destruction, et qui regrettent souvent que les histoires des films d’action ne soient pas plus fouillées. Comment avez-vous créé un équilibre entre la partie « explosive » du film et le développement des personnages et de l’histoire, pour plaire à tous les types de spectateurs ?

J’espère que vous n’avez pas le sentiment qu’il n’y a que des explosions dans G.I. Joe ! Nous vous avons montré des extraits des scènes les plus spectaculaires dans le montage de quelques minutes qui vous a été présenté. Mais je dispose de plus de deux heures pour vous raconter l’histoire de tous ces personnages. On ne peut pas cumuler les scènes d’action pendant deux heures, ce serait insupportable ! Il y a bien sûr de nombreuses scènes entièrement dédiées au développement des personnages, afin que le public les trouve attachants et s’intéresse à eux. Si les spectateurs n’ont pas d’empathie pour les personnages, ils s’ennuieront même si vous leur présentez les scènes d’action les plus incroyables.

Vous parliez tout à l’heure de tous les pays où vous avez tourné. Une superproduction comme G.I. Joe est une énorme machine. Comment arrivez-vous à rester focalisé sur votre vision du film, malgré la multitude de détails logistiques à régler et de décisions à prendre ?

D’abord, nous avons triché un peu. Nous n’avons pas tourné dans tous les pays qui sont montrés dans le film, mais seulement dans certains, dont la France fait partie, puisque nous avons tourné un peu à Paris. A vrai dire, nous avons fini le film, puis nous avons interrompu le tournage pour nous consacrer à la post-production pendant six semaines, et nous avons recommencé à filmer en août 2008 à Paris. C’était plus facile pour nous, car à ce moment-là à Paris, il y a moins de monde que d’habitude, puisqu’une partie des habitants sont en vacances. Il y a moins de voitures dans les rues, et cela facilite énormément les tournages. Cela devient moins coûteux et plus aisé à mettre en place. Pour revenir à la question que vous posiez, oui, diriger un film comme G.I. Joe, c’est agir comme un général qui commande une armée. Il faut savoir où l’on veut aller et prendre les bonnes décisions, tout en essayant d’obtenir ce que l’on a imaginé, en tournant le plus vite possible, et en ne dépensant pas trop d’argent.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur Saïd Taghmaoui, qui joue le rôle de Breaker ?

Je crois que le public va beaucoup l’aimer, car il est très drôle dans le film. Très attachant et sympathique. Saïd n’est pas un G.I. Joe « classique », comme on s’attendrait à en voir. Il est franco-marocain, et les gens ne s’attendent pas à voir un garçon comme lui dans un commando des forces spéciales.

Il a joué beaucoup de rôles de terroristes dans des films américains, récemment…

Oui. A cause de ses origines arabes, on l’a catalogué dans ce genre d’emploi, et je suis heureux qu’il soit enfin un héros. C’est typique de l’esprit de G.I. Joe : quelles que soient les origines, le sexe, ou les caractéristiques physiques des gens, ils se battent ensemble pour défendre les innocents.

Est-ce que le scénario du film est inspiré de certaines histoires de la BD, ou est-ce une histoire entièrement originale ?

L’histoire est une création originale, mais elle est constituée de nombreux éléments puisés dans les BD. Je crois qu’ils ont procédé de la même manière quand ils ont adapté Transformers, ou plus récemment quand J.J. Abrams a conçu Star Trek à partir de la série originale, mais avec une histoire entièrement nouvelle.

Est-ce que Larry Hama, le scénariste de la BD, est intervenu directement sur le script ?

Non. Nous l’avons engagé en tant que consultant, afin qu’il lise le script terminé et nous donne ses impressions. Nous lui avons demandé de nous signaler tout ce qui ne serait pas fidèle à l’esprit des personnages qu’il a imaginés. Le projet de film a été développé pendant 4 ou 5 ans avant que je ne sois impliqué dans le projet, et plusieurs scripts avaient été écrits. Je les ai lus, et c’étaient des histoires d’action plutôt banales. Curieusement, les auteurs n’avaient pas utilisé les fantastiques possibilités visuelles offertes par l’univers de G.I. Joe. Après avoir lu ces scripts, j’ai dit que je n’étais pas intéressé par la réalisation du film. Larry Hama n’était pas satisfait par ces scripts non plus. La différence avec le film que nous avons écrit, en fin de compte, c’est que chacune des séquences qui le composent ne peuvent exister que dans le contexte d’un film sur G.I. Joe. On sait tout de suite dans quel univers on se trouve. Je crois que personne ne pourra dire « Tiens, cette scène ressemble à ce qu’on a vu dans un Die Hard, ou un des Lethal Weapon. » Quand nous avons fini notre script, Larry Hama l’a validé sans hésitation. Il a aussi aimé nos designs et tout particulièrement le nouveau look de Snake Eyes.

De toutes évidences , vous analysez en détail le contenu de vos projets avant de les réaliser. Vous tenez compte des goûts et des réactions du public. Selon vous, pour quelles raisons les films adaptés de bandes dessinées ont-ils tant de succès actuellement ?

Je crois que ce sont des phases qui vont et viennent. Superman, par exemple, était extrêmement populaire dans les années 70. Les deux premiers films de la série ont été d’énormes succès, puis à partir du troisième le phénomène s’est dissipé. Je crois que le retour des films de superhéros est certainement lié à l’époque actuelle et aux angoisses qu’elle génère. Aux USA, nous avons eu un crétin pour président pendant huit années consécutives, et il a réussi à mettre le pays à terre en prenant des décisions toutes plus catastrophiques les unes que les autres. Il a durablement terni l’image des Etats-Unis partout dans le monde, et à réussi à nous fâcher avec des pays amis de longue date. Dans un tel contexte, il est facile de comprendre pourquoi les gens ont envie d’oublier leurs soucis quand ils vont au cinéma. Ils veulent se changer les idées en famille. Bien sûr, quand on produit de mauvaises adaptations de BD, le public n’accroche pas. Je crois que les gens ont un a-priori positif envers les films qui sont adaptés des BD qu’ils ont lu pendant leur enfance, mais en fin de compte, ils vont surtout voir de BONS films, pas les autres. S’ils sont déçus, ils le disent à tous leurs amis dès le lendemain, et le film est mort.

Quelles ont été les séquences les plus difficiles à réaliser ?

Toutes les scènes sous-marines à la fin du film, et la poursuite dans les rues de Paris avec les armures accélératrices. Tous les départements du film ont été mobilisés et ont participé à cette séquence de poursuite. Ils ont utilisé toutes leurs ressources et leur expérience pour résoudre les problèmes posés par chacun des plans, car chaque plan était un casse-tête. De plus, nous avons tourné les différents éléments de cette scène à Los Angeles, Prague et Paris, ce qui compliquait encore un peu les choses. C’était un puzzle géant dont les différentes pièces ont été très difficiles à assembler.

Il y a quelques années, les techniciens d’ILM avait créé ce qu’il appelaient « L’échelle Stephen Sommers de difficulté des effets visuels ». Elle était divisée en quatre niveaux : « Ce qui est nécessaire pour le plan », « Ce que les ordinateurs peuvent générer si on les pousse au maximum », « Oh mon dieu, les ordinateurs vont exploser ! » et finalement « Ce que veut Stephen. » (rires) A quel niveau de l’échelle Stephen Sommers G.I. Joe est-il situé ?

(rires) Assez haut ! (rires) il faut toujours essayer de se surpasser…Cela me rappelle ce qui s’était passé à l’origine pour La Momie. Universal avait passé neuf ans à développer des projets de films autour de ce personnage. Je crois qu’ils avaient fait écrire plus de 20 scripts différents, mais aucun ne leur convenait. Le problème venait du fait que le budget du film était prévu entre 15 et 18 millions de dollars. Tous les scénaristes étaient partis sur un traitement classique de l’histoire. Quand je suis venu présenter mon « pitch » du film aux dirigeants d’Universal, ils ont pâli et m’ont dit « Mais nous avions l’intention de produire un film de 15 à 18 millions de dollars ! ». Et je leur ai répondu « C’est la somme dont je vais avoir besoin, rien que pour les effets visuels ! ». Et je dois dire que le studio a tout de suite compris ma démarche. Ce n’était pas vraiment étonnant que leurs tentatives aient échoué pendant neuf ans : personne n’a envie de voir un film dont la vedette est un type recouvert de bandelettes ! Je crois que cette époque est définitivement révolue, et que le public s’attend à voir bien plus que ça quand il achète un ticket de cinéma. Il faut que les spectateurs en aient pour leur argent, qu’ils soient satisfaits par ce que vous allez leur montrer. Et de ce fait, on va toujours plus loin dans le domaine des effets visuels..

Est-ce que certains des effets visuels de G.I. Joe constituent une avancée notable dans le domaine des effets numériques ?

D’énormes progrès ont été accomplis depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, on peut pratiquement tout faire. Nous utilisons toutes ces avancées techniques car les effets de G.I. Joe sont très variés. Contrairement à Transformers, nous ne nous focalisons pas que sur des robots géants. L’action de notre film se déroule dans le futur proche, mais tout est traité de manière hyperréaliste. Il faut que l’eau ait l’air parfaitement réelle, que tous nos environnements soient convaincants. C’est ce qui est le plus dur. Quand on fait des effets visuels pour la télévision, c’est bien plus facile. Rendre des images réalistes dans un film projeté sur écran géant, c’est beaucoup, beaucoup plus dur.

Parmi vos prochains projets figure Tarzan. A quelle point votre version va t’elle être différente du personnage original inventé par Edgar Rice Burroughs ?

Tarzan ne sera pas forcément mon film suivant, mais en tous cas, le personnage sera très différent. On déjà a vu tant de versions du Tarzan classique que je crois que personne n’a hâte de voir un autre type musclé en pagne. Dans Greystoke, ils avaient utilisé la première moitié du roman original, mais je pense que le public d’aujourd’hui n’a pas envie de voir un héros qui ne parle qu’avec les singes, et qui n’est pas capable de dialoguer normalement avec les autres hommes. J’aime la mythologie de Tarzan, l’idée qu’un homme ait grandi seul et survécu dans la jungle, mais j’ai envie qu’il sache parler anglais ! Je veux qu’il puisse comprendre les singes, mais pas qu’il soit limité à ce seul langage. J’ai vu Greystoke quand j’étais enfant. J’étais impatient de découvrir le film, mais je me suis mortellement ennuyé en le voyant. Quelle déception ! Je crois qu’ils ont commis l’erreur de faire une adaptation trop littérale du livre.

Est-ce que cela signifie que vous allez utiliser les nombreux éléments fantastiques des histoires de Tarzan qui n’ont jamais été portés au cinéma ?

Pas vraiment. Nous avons développé nos propres idées. Mais je dois dire que je n’ai lu que le premier roman de la série.

Dans les autres volumes, Tarzan rencontre les hommes-léopards, découvre la cité d’opale, il y a des dinosaures, des monstres…

L’approche que j’ai de Tarzan est similaire à celle que j’avais avant de m’atteler à La Momie. Tout ce que j’avais vu, c’était le film original avec Boris Karloff, mais aucune des suites tournée par Universal, ou plus tard, par la Hammer. En ce qui concerne les Tarzan, mes deux films préférés sont les deux premiers avec Johnny Weismuller, Tarzan l’homme singe et Tarzan et sa compagne. Ils sont fantastiques !

Oui, et ils le restent aujourd’hui !

Je les ai revus il y a peu de temps, et il y a beaucoup de passages terrifiants, comme la scène avec l’énorme gorille dans la fosse. On se dit souvent aussi « Mon dieu, ils ont vraiment tué des animaux pour filmer ces séquences-là ! » Dans le second, Tarzan et sa compagne, on voit un ou deux lions se faire tuer. C’est horrible, mais ça donne aussi un réalisme saisissant au film. Ce sont ces films qui m’ont donné envie de revisiter ce genre des « films de jungle ».

Que pouvez-vous nous dire de vos autres projets, comme la nouvelle version du Choc des Mondes, Nightmare Academy et Argonauts ?

En ce qui concerne Le Choc des Mondes, Steven Spielberg et moi sommes très contents du dernier script, mais je pense que nous allons attendre un peu, parce que le film de Roland Emmerich 2012 est trop proche de notre sujet. Les deux autres projets sont encore en cours de développement : il est trop tôt pour en parler !

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