Grand dossier Watchmen : Entretien avec Jeffrey Dean Morgan (Edward Blake / the Comedian)
Article Cinéma du Dimanche 20 Septembre 2009

A l'occasion de la sortie de Watchmen en DVD et Blu-Ray, nous vous proposons une série d'entretiens avec les comédiens du film...

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment définiriez-vous le comédien, votre personnage ?

Edward Blake, même s’il porte un costume de justicier masqué, n’a rien d’un héros. C’est plutôt une sorte de mercenaire qui règle ses comptes de manière expéditive. Il se met au service de qui veut l’employer et agit sans état d’âme. Dans la réalité, la police et l’armée sont sensés être là pour nous protéger et éviter que ce genre d’individus ne puisse agir. Malheureusement, on sait bien que tous les gouvernements ont recours à des agents douteux pour accomplir de basses besognes. Il y a probablement des tas de types qui ressemblent au comédien comme deux gouttes d’eau qui sont en train de préparer des sales coups en ce moment même. Ou qui contactent les services secrets pour leur dire « Eh, vous voulez que je m’occupe de Ben Laden, donnez-moi un costume trois pièces et un lance-flammes, et vous allez voir ce que vous allez voir ! »

Le comédien apparaît toujours avec un cigare à la bouche. Est-ce que ça vous a posé un problème de devoir fumer pendant le tournage ?

Non pas vraiment. Par le passé, il m’est arrivé de fumer un cigare de temps en temps après une partie de golf. Pendant le tournage, il y avait toujours un moment de la journée où l’un de nos producteurs exécutifs, qui fume lui-même le cigare, venait me voir pour me dire « Jeffrey, tu te rends compte que tu as déjà fumé pour 700 dollars de cigares, aujourd’hui ? » (rires) Mais pour être franc, si je ne voyais plus un seul cigare de toute ma vie, je m’en remettrais.

Vous n’avez utilisé que des vrais cigares ?

Oui.

Pourtant, il est théoriquement interdit de fumer sur un plateau de cinéma…

Théoriquement, oui ! Mais pour bien représenter le personnage, il était indispensable que ce soit un vrai cigare, et que l’on puisse voir les volutes de fumée évoluer dans le décor. Je fumais des cigares cubains Cohiba, car le tournage avait lieu au Canada, où ils ne sont pas interdits à la vente, contrairement aux Etats-Unis. Mais je dois ajouter que des faux cigares ont été construits par le département des effets spéciaux. Ils contenaient des piles et une ampoule pour simuler le bout incandescent et les cendres. Ils ont été utilisés par les cascadeurs qui me doublaient, pour éviter qu’ils ne se brûlent en faisant une mauvaise chute.

Vous avez joué des rôles anti-conformistes dans les séries « Weeds », « Supernatural » et « Grey’s Anatomy », et maintenant, vous incarnez un personnage encore plus en dehors des normes dans « Watchmen ». Est-ce un choix délibéré ?

Non, je choisis mes projets en fonction du réalisateur. Au début de ma carrière, mes choix étaient simples : j’étais prêt à travailler avec quiconque voulait bien m’engager ! A présent, je me trouve dans une position nouvelle pour moi, et que j’apprécie beaucoup, qui me permet de pouvoir refuser certains des projets que l’on me propose. Quand j’accepte un film, c’est parce que j’ai confiance en son réalisateur, que j’apprécie les acteurs avec lesquels je vais jouer, et que le script est bon. Je ne pense pas qu’un comédien puisse faire l’impasse sur ce dernier point. On est amené à lire tellement de scripts horriblement mal écrits que l’on est ravi de découvrir des projets passionnants, avec des personnages qui ont de la profondeur, et qui sont confiés à des réalisateurs qui ont déjà prouvé leur talent et la qualité de leur vision. Maintenant que je peux dire non, j’ai l’impression d’être un des types les plus chanceux de ce métier. C’est la première fois que cela m’arrive, alors que j’ai déjà une assez longue carrière derrière moi.

Votre personnage agit assez souvent de façon horrible, mais malgré cela, il reste un des personnages les plus populaires des Watchmen, il est presque sympathique…Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

C’est un des aspects du personnage que j’ai trouvé le plus fascinant, quand j’ai lu le roman graphique. Le lecteur devrait détester le comédien à cause de son comportement et de ses actes, car disons-le, on peut difficilement faire pire ! Et pourtant, quand on arrive à la fin de l’histoire et qu’on referme ce gros volume, on ne peut s’empêcher de le trouver sympathique. C’est quelque chose qui est assez difficile à restituer quand on joue ce rôle dans le film, car il s’agit d’une adaptation en prises de vues réelles, qui a donc un impact différent sur le spectateur de cinéma. La violence dessinée est perçue autrement que l’assassinat d’un personnage sur le grand écran. Au moment où nous parlons, je n’ai pas encore vu le film terminé. Je sais que la plupart des mauvaises actions du comédien sont bien incluses dans ce que nous avons tourné, mais je ne sais pas comment elles seront perçues par le public. Comme le côté le plus sombre d’Edward Blake est largement décrit, j’ai essayé de tirer le meilleur parti des quelques scènes dans lesquelles on peut voir son côté humain. J’espère qu’à la fin du film, les spectateurs se diront « Au fond, ce n’était pas un type complètement mauvais ». C’est cette ambivalence du personnage qui m’a donné envie de jouer ce rôle, et j’ai pris beaucoup de plaisir à le faire.

Etiez-vous un fan de BD, un lecteur de romans graphiques, avant de vous intéresser à ce projet ?

Non. Quand j’étais enfant, j’allais souvent chez ma grand’mère, qui me gardait quand mes parents s’absentaient, et je me souviens avoir lu la collection de BD de mon père, qu’elle avait soigneusement gardée. Il y avait des magazines dans lesquels paraissaient les premières aventures de Superman et Batman, et aussi les BD comiques d’Archie. Quand j’ai été assez grand pour que ma grand’mère n’ait plus besoin de me surveiller quand je restais seul, j’ai cessé de lire des bandes dessinées. Et du coup, la première BD que j’aie lue à l’âge adulte a été Watchmen, que j’ai découverte la veille de ma rencontre avec Zack. Je vous avouer que je l’ai lue quatre fois de suite, dans un état de panique absolue, car je n’arrivais pas à comprendre toutes les subtilités de l’histoire la première fois que je l’ai parcourue. Le récit est extrêmement dense pour quelqu’un qui n’a plus l’habitude de lire des BD ! Depuis, je l’ai relue tant de fois que j’ai arrêté de compter. Et pourtant, à chaque fois que je me replonge dedans, je suis étonné de découvrir une nouvelle strate de l’histoire, une nuance ou un petit détail astucieux qui m’avait échappé jusque là. Watchmen est vraiment une œuvre tout à fait remarquable. Alan Moore est un génie et Dave Gibbons nous a donné aussi une étonnante palette visuelle à partir de laquelle nous avons pu travailler pour faire ce film. Je tire mon chapeau à ces deux créateurs exceptionnels.

Comme ce n’est pas un secret, nous pouvons évoquer la scène d’ouverture du film, où l’on voit le comédien être surpris par un agresseur qui fait irruption dans son appartement, se bat contre lui, et parvient à le projeter dans le vide… Comment cette séquence très spectaculaire a-t’elle été tournée ?

Ah…Elle a été franchement pénible à préparer. Pour vous raconter les choses depuis le début, il faut que je vous dise que j’ai commencé à m’entraîner pour ce combat le lendemain du jour où j’ai signé mon contrat ! Il a fallu que je soulève des haltères de manière intensive à partir de ce moment-là, car je n’étais pas franchement dans une forme olympique. J’ai 40 ans et je n’avais pas vu l’intérieur d’un gymnase depuis très très longtemps ! (rires) Je me suis entraîné à Los Angeles, dans un hangar loué par la production, près de l’aéroport, puis ils m’ont envoyé à Vancouver, où j’ai rencontré tous les cascadeurs et les chorégraphes des combats. J’ai travaillé là-bas pendant deux mois avant le premier jour de tournage. Je ne faisais plus que ça pendant toute la journée. Je ne vivais et je ne respirais plus que pour m’entraîner. Et j’ai vraiment détesté ça ! (rires) Le tournage de la scène en elle-même a été assez agréable. C’était amusant de se servir d’une arme, et d’apprendre toutes les phases du combat dans l’appartement. Il a fallu aussi que je m’entraîne à être suspendu à des câbles, pour filmer la scène de la chute dans le vide. Quand nous la tournions, je tombais de l’équivalent de 7 ou 8 étages en chute libre, et ensuite, on utilisait une sorte de frein pour ralentir le déroulement des câbles. Comme vous pouvez le constater, ça a marché, puisque je suis encore là pour vous en parler !

Etait-ce effrayant ?

Non, c’était génial ! (rires) Je me souviens que pendant les premiers essais, Zack m’observait pendant que je « tombais », et je pouvais le voir aussi, puisque j’étais suspendu en position allongée, le dos dans la direction du sol, exactement comme dans l’image de la bande dessinée originale. On m‘a fait chuter à plusieurs reprises pour répéter, et le seul commentaire de Zack a été « Jeffrey, est-ce que tu pourrais faire ça sans rire, s’il te plaît ? » (rires) C’était vraiment amusant. J’avais l’impression d’être dans une attraction de Disneyland ! Pour plaisanter, j’ai répondu à Zack « C’est un choix d’acteur. Le comédien ne peut que sourire de l’ironie de la situation, pendant cette chute mortelle ! ».

Pourriez-vous expliquer à nos lecteurs qui ne connaissent pas encore les Watchmen pourquoi votre personnage s’appelle le comédien ? (NDLR : en anglais, le mot « Comedian » désigne uniquement les acteurs comiques, alors qu’en français, il s’applique aussi à d’autres registres.)

Parce qu’il est désopilant. (rires) En fait il se choisit ce nom dans les années 20, lorsqu’il devient la jeune recrue d’un groupe de justiciers, à l’âge de 16 ans. Je pense qu’il a choisi cette voie uniquement pour avoir un prétexte « légal » pour casser la figure à des gens, sans être risquer d’être jeté en prison juste après ! C’est vraiment ce qui l’a attiré vers le monde des justiciers en costumes. Le comédien n’est pas non plus quelqu’un qui passe son temps à s’entraîner dans un gymnase. Il fait peut-être quelques pompes le soir chez lui, mais je crois que son physique est surtout le fruit d’années passées à se battre. Si vous assénez un million de coups de poings au cours de votre vie, vous allez avoir un bras droit sacrément musclé ! Et je crois qu’il a eu l’occasion de distribuer quelques millions de coups avec ses deux poings et ses jambes, sa tête, et avec tous les objets qui passaient à sa portée ! Ce type est juste une grosse masse de muscles.

Etes-vous plutôt drôle dans la vie ?

Je suis hilarant. (rires) Non, je suis sarcastique, là…Et ironique ! (rires)

A notre tour d’être ironiques : est-ce que cela vous a un peu intrigué qu’on vous choisisse pour incarner un personnage qui a des valeurs morales pour le moins discutables ? Est-ce ce que Zack Snyder a vu en vous ?

(rires) Qui sait ? Peut-être ? Peut-être que Zack a décelé en moi quelque chose de sarcastique qui lui a plu. Mais il ne m’en a pas parlé. La plupart des personnages que j’ai incarnés auparavant n’étaient pas des types désagréables ni méchants.

Pour quelles raisons le public américain est-il si attaché aux superhéros. On sent presque un besoin d’aimer ces personnages imaginaires…

Je crois que l’on a toujours plaisir à admirer des gens exceptionnels. Personnellement, ma version préférée d’un superhéros de la vie réelle est le président Obama, qui a fait un parcours exceptionnel et dont j’aime beaucoup les discours et le programme. Il représente l’espoir. La nuit où il a été élu, j’ai ressenti une joie profonde, et j’ai eu les larmes aux yeux. C’était un moment merveilleux, un grand moment de l’histoire de ce pays, et du monde. Le lendemain, en me réveillant, je me sentais patriotique comme je ne l’avais plus été depuis longtemps. Les héros surgissent en temps de crise et apportent de l’espoir. Je crois que ce n’est pas un hasard si les premières bandes dessinées de Superman et de Batman sont apparues à la fin des années 30, quand les Etats-Unis souffraient encore des conséquences de la crise économique. Leurs aventures ont eu un impact considérable sur la culture populaire américaine. Ces personnages fondateurs ont été créés ici, dans ce pays, et depuis leur apparition, ont contribué à créer un genre qui est presque exclusivement américain, et qui a énormément évolué au fil des ans. Les récits sont devenus plus complexes, les personnages plus tourmentés. J’ai vu récemment The Dark Knight et j’ai été très impressionné par ce film. On ne peut pas vraiment comparer Watchmen à d’autres films de superhéros, parce que ce n’est pas vraiment un film de superhéros. C’est une fresque dans laquelle on rencontre un groupe de gens qui sont tous plus ou moins déséquilibrés, et qui croient faire le bien. Ils ont chacun de terribles défauts. Ils sont en proie au doute. En fait Watchmen utilise tout ce que nous connaissons et aimons à propos des superhéros et passe tout cela au broyeur ! C’est la partie cachée de l’iceberg. On peut croire que le film va utiliser certains des clichés propres au genre, mais pas du tout : il nous présente des justiciers comme on n’en a jamais vus auparavant. Dans toute leur vérité intime, dont on n’omet pas les détails gênants.

Quand vous avez parlé pour la première fois du comédien avec Zack Snyder, que vous a-t’il dit sur le personnage ?

Zack m’a dit « Ah, le comédien est un type est complètement cinglé ! » Zack s’exprime en peu de mots, vous savez. Mais il vous dit l’essentiel. C’est vraiment quelqu’un qui parle avec des images, un visionnaire. Quand nous nous sommes rencontrés, il m’a surtout montré des illustrations préparatoires, des storyboards , des dessins de costumes, pour me faire visualiser l’univers du film. De toutes manières, tout ce que je devais savoir sur le comédien figurait déjà dans la bande dessinée : le fait qu’il est immoral, que c’est un désastre ambulant… Zack n’a pas eu à me faire de long discours pour me raconter ce que je savais déjà. Bien sûr, pendant le tournage, nous avons eu de nombreuses discussions sur le personnage, et sur la manière d’aborder les scènes. Les moments dont nous avons le plus parlé n’étaient pas les plus sombres, d’ailleurs. Il ne s’agissait pas de la scène de viol, mais des moments où le comédien montre qu’il ressent lui aussi des émotions, qu’il éprouve des regrets, particulièrement vis à vis de sa fille. Son côté psychopathe, je l’ai saisi assez vite. Il suffisait que j’enfile le costume du comédien et je cale un cigare dans ma bouche pour que je me sente tout à fait prêt à agir comme un fou furieux ! Mais c’est l’autre aspect de la personnalité de cet homme qui nous a intrigué le plus, Zack et moi. Ce qu’il a enfoui au plus profond de lui, ce qui le rend humain. Nous étions parfaitement d’accord sur la manière d’interpréter le personnage, et tourner ce film a été une expérience formidable. D’ailleurs, vous avez rencontré les autres acteurs et vous avez pu vous rendre compte que ce sont tous des gens doués et très agréables. Nous avons eu beaucoup de chance, car c’était un tournage assez intensif, et dans ces conditions, c’est important qu’il y ait une bonne ambiance, un esprit de camaraderie qui vous aide à tenir le rythme. Nous nous sommes tous beaucoup amusés, et à aucun moment nous n’avons souffert de manifestations intempestives d’ego ! Tout le monde avait envie de collaborer pour que le film soit le meilleur possible. C’est tellement rare dans le cas d’une grosse production comme celle-ci. C’est généralement pendant le tournage de « gros films » que certains acteurs se comportent de manière…excessive.

Votre personnage a des relations plutôt tendues avec les femmes…

Oui, disons même qu’elles sont exécrables ! Une des premières fois que nous voyons mon personnage, il agresse une femme pour tenter de la violer, puis un peu plus tard, il abat de sang froid une femme qui est enceinte de lui, au Vietnam, donc on peut imaginer qu’il a « de très gros problèmes relationnels »… Mais il y a aussi tout ce qui n’est pas montré. Sa relation avec Sally Jupiter, qui n’est pas que violente. On ne voit pas leur vie amoureuse, et leurs moments d’intimité sereins, où leur fille a été conçue. Car elle n’est pas le fruit de la tentative de viol, comme on le croit à un moment. Carla Cuginio, qui incarne Sally Jupiter, et moi-même, nous sommes convaincus que le comédien et Sally ont vraiment été amoureux l’un de l’autre, mais que Blake est simplement incapable de faire durer cet amour. Blake est une brute, une sorte d’homme des cavernes. Je suis sûr qu’il adorerait frapper sur la tête d’une femme avec une massue, puis la traîner par les cheveux jusqu’à la caverne la plus proche, pour lui faire la cour ! (rires) Il ne sait pas se comporter normalement avec les femmes. Mais ce n’est qu’à la fin du film qu’on se rend compte qu’il était en partie conscient de ses lacunes, et en éprouvait du regret.

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