Grand dossier Watchmen : Entretien avec Billy Crudup (Jon Osterman / Le Dr Manhattan)
Article Cinéma du Jeudi 24 Septembre 2009

A l'occasion de la sortie de Watchmen en DVD et Blu-Ray, nous vous proposons une série d'entretiens avec les comédiens du film...

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Aux USA, « Watchmen » est perçu comme un récit iconoclaste , puisqu’il présente des superhéros déchus, ou en proie au doute…Mais le Docteur Manhattan, que vous incarnez pose un problème supplémentaire vis à vis du public américain, puisqu’il apparaît nu dans la plupart des scènes…

Oui, en Amérique, nous sommes des puritains pathologiques ! C’est une des raisons pour lesquelles Watchmen doit être classé « R » dans ce pays, même s’il y a aussi des scènes de violence assez graphiques dans le film. Montrer le pénis d’un personnage devient tout de suite un sujet de conversation ici, alors qu’en Europe, ce n’est pas ce qu’on retiendrait d’un film ! Heureusement, celui du Dr Manhattan est bleu, ce qui est inhabituel, à moins que l’on ait un problème de santé ! (Rires) Je sais que les gens qui sont des fans de la BD originale tenaient beaucoup à ce que le Dr Manhattan apparaisse nu dans le film. Je crois qu’ils apprécient tous les aspects subversifs de la BD, et la nudité en fait partie. On n’a pas l’habitude de voir un superhéros nu. C’est choquant dans le contexte de la culture américaine, et il était donc essentiel qu’il apparaisse ainsi à plusieurs moments de l’histoire.

Vous ne choisissez pas d’apparaître dans des « blockbusters » habituellement, mais plutôt dans des films indépendants. Vous aviez notamment décliné la proposition de participer au casting du rôle principal de « Titanic »…Qu’est-ce qui vous a donné envie de rejoindre l’équipe de cette grosse production ?

Eh bien tout d’abord, le fait qu’ils soient venus me chercher et m’aient proposé de jouer dans le film. On ne me propose pas ce genre de rôle très souvent, parce que je n’ai pas interprété beaucoup de personnages dynamiques et bagarreurs, pas beaucoup d’hommes d’action, si vous voulez. Et comme mon train de vie ne m’oblige pas à courir après les superproductions, je m’en accommodais très bien jusqu’à présent. J’ai toujours préféré choisir les rôles qui piquaient ma curiosité, et qui me permettaient de m’épanouir et de me développer en tant qu’acteur, quitte à prendre des risques et à jouer dans des films qui ne rencontraient pas leur public. Quand vous dépensez beaucoup d’argent sur un film, l’une des choses que vous ne voulez absolument pas faire, c’est prendre des risques. C’est la raison pour laquelle je ne suis habituellement pas très attiré par les personnages des films à très gros budgets, mais Watchmen est l’une des rares exceptions dans ce domaine.

Patrick nous a parlé du tournage pendant lequel vous portiez le costume avec les leds blues destinées à projeter une lueur sur vos partenaires…

Ah oui, c’est vrai que c’était assez déconcertant, et un peu gênant, en partie parce que les autres acteurs ne pouvaient s’empêcher de se moquer de moi ! Je n’ai pas tardé à me rendre compte qu’ils me trouvaient aussi ridicule que je l’avais pensé moi-même, en me voyant pour la première fois dans un miroir, portant ce costume hérissé d’ampoules ! Il nous a fallu à tous une bonne semaine pour nous accoutumer à ce fichu costume. La différence entre les autres acteurs qui jouent les Watchmen et moi, c’est qu’ils portent de vrais costumes de superhéros qui les mettent en valeur, et dans lesquels ils se sentent sûrs d’eux. Il suffit qu’ils endossent leurs costumes, et ils deviennent des justiciers dans leurs têtes ! Ils bombent le torse et prennent des poses héroïques ! En ce qui me concerne, il fallait souvent que je me tienne debout sur une boîte pour sembler mesurer plus de 2 mètres, afin que mes partenaires regardent mes yeux à la bonne hauteur. Je devais porter une sorte de pyjama trop large avec des centaines de leds lumineuses bleues qui projetaient une lueur sur mes partenaires. J’avais aussi des centaines de points collés sur mon visage, qui étaient filmés par une petite caméra quand je jouais, afin de pouvoir reproduire mes expressions sur le personnage 3D du Dr Manhattan…Bref, je n’étais pas vraiment à mon avantage ! J’avais même une apparence assez grotesque alors que j’étais sensé être un personnage surhumain, capable de manipuler la matière à sa guise ! J’avais un peu de mal à entrer dans la peau de cet être surpuissant dans un tel contexte, et il m’a fallu un petit moment afin de me construire une image mentale forte de celui que j’incarnais, pour trouver enfin mes marques dans ce rôle.

Vous auriez pu faire remarquer à vos collègues acteurs qui se moquaient de vous que le Dr Manhattan est le seul personnage du film qui possède des superpouvoirs…

Oh, j’ai bien essayé de jouer de cet argument, mais ça ne les empêchait pas de me lancer des plaisanteries à tout bout de champs ! C’était naturel, vu mon allure…(rires) Je ne peux pas les en blâmer !

Votre personnage possède de tels pouvoirs qu’il est pratiquement un dieu…Avez-vous utilisé cette notion dans votre interprétation ?

Pas vraiment. Le Dr Manhattan est si particulier qu’il n’existait pas vraiment de référence dont je puisse me servir en dehors de la BD elle-même. Se mettre à la place de quelqu’un qui posséde de tels pouvoirs est un pur exercice d’imagination. Ce que vous pouvez faire, c’est extrapoler à partir de moments de votre vraie vie où vous vous sentez en pleine possession de vos moyens, totalement capable d’accomplir quelque chose et de le réussir parfaitement. Pour moi, c’est la clé du personnage. Il sait qu’il est capable de faire des choses sidérantes. Nous vivons tous des moments furtifs de ce genre, quel que soit le contexte dans lequel cela se produit. Cela peut être en tant que parent, dans l’exercice de votre profession, à l’école, pendant une compétition de sport, ou au cours d’une expression artistique.

Pourriez-vous évoquer un des moments de votre vie dont vous vous êtes servi ?

Quand on est comédien, on peut ressentir ce genre de chose au théâtre, pendant et après une performance où vous avez ressenti un certain « état de grâce », presque comme si vous vous trouviez à l’extérieur de votre corps et que vous vous regardiez jouer…Le rôle s’empare de vous, et vous vous sentez inspiré par ce moment particulier. Vous ressentez alors une incroyable plénitude. Mais comme je le disais, cette satisfaction est furtive et ne pouvait pas s’appliquer telle quelle à l’interprétation du Dr Manhattan, car au moment où nous le découvrons dans le film, mon personnage est habitué depuis longtemps à ses pouvoirs. Cela fait longtemps qu’il n’est plus étonné par ce qu’il peut faire. Seul reste le sentiment de responsabilité vis à vis de ses proches, et de solitude qui en découle, car il n’a pratiquement plus de points communs avec les humains. Son esprit est souvent accaparé par ces pouvoirs, car le Dr Manhattan a une perception du temps et des évènements qui est radicalement différente de la nôtre. Il est presque plus intéressé par la manière dont les particules interagissent que par les interactions avec les gens.

Etes-vous préoccupé par les réactions des fans de la BD, par la manière dont ils vont accueillir votre interprétation de ce personnage culte ?

Vous savez, quoi que vous fassiez pendant le tournage d’un tel film en tant qu’acteur, vous avez relativement peu de contrôle sur le résultat final, et donc sur ce que les fans vont voir au cinéma et juger. Tout ce que vous pouvez espérer, c’est que Zack ait bien fait son boulot, tout comme les scénaristes. Je me sens vraiment comme un instrument mis à leur disposition. S’ils se sont mis eux-mêmes au service du matériel original, de la BD culte qu’est Watchmen, alors je pense que les gens qui sont des fans de cette œuvre seront satisfaits. En ce qui me concerne, j’ai lu certains livres dont je n’irai jamais voir les adaptations cinématographiques, parce qu’en tant que lecteur, je me suis approprié ces histoires. J’ai utilisé mon imagination pour visualiser les personnages de ces romans, et ce que j’en garde sera donc toujours bien plus fort pour moi que ce que quelqu’un d’autre pourra en tirer sur le grand écran. Disons que je n’ai pas envie de céder le pouvoir de créer des images à partir de mes livres favoris à quelqu’un d’autre qui viendrait m’imposer sa propre vision. Cependant, je pense que si certaines personnes n’ont pas cette attitude envers un livre, ou envers un roman graphique comme Watchmen, elles peuvent aussi trouver du plaisir à le voir adapter de manière très dynamique au cinéma. Bien sûr, un film ne pourra jamais être le reflet de l’intégralité du récit d’un livre, et c’est le cas aussi de Watchmen, car le roman graphique est trop dense pour être adapté tel quel. Mais dans certains cas, les qualités visionnaires d’un écrivain et celles d’un réalisateur se complètent très bien, et on aboutit alors à un film qui est une autre présentation d’une œuvre, tout en étant lui-même une œuvre à part entière.

Avez-vous déjà été en contact avec les fans ?

Oui, pendant le Comicon de San Diego. Les fans étaient incroyables. Très positifs. Tous les gens qui sont venus nous voir pour nous faire signer des posters étaient pleins de gratitude. Ravis que Watchmen ait été tourné, et visiblement très impressionnés par la bande-annonce et par le style visuel de Zack…

Qu’est-ce qu’ils vous ont dit ?

Qu’ils étaient très impatients de voir le film. De voir comment les images du roman graphique qu’ils connaissent si bien vont prendre vie sur le grand écran. Pour nous, c’est évidemment très impressionnant de savoir qu’ils sont extrêmement exigeants dans le domaine de la qualité des images, et attentifs à ce que les moments-clés de l’histoire soient bien préservés dans le film. Mais ce sentiment d’attente et d’impatience était très positif. On sentait une bienveillance et une satisfaction très agréables.

Comment vivez-vous l’agitation médiatique autour de vous depuis que l’on sait que vous incarnez le Dr Manhattan ?

Je m’en accommode très bien. D’autant plus que je mène une vie simple qui n’offre aucun intérêt pour les paparazzis. Je n’aime pas non plus faire des confidences sur ma vie privée, car je pars du principe que si l’on sait trop de choses sur moi, j’aurai beaucoup plus de mal à vous convaincre que je peux être un autre personnage ! (rires)

Quelles sont les scènes du film dans lesquelles vous avez eu le plus de plaisir à jouer ce personnage hors du commun ?

J’aime beaucoup le moment où il est complètement perdu et confus, parce qu’il est incapable de satisfaire Laurie lorsqu’il se multiplie en trois quand ils sont ensemble au lit ! (rires) Quand elle sursaute en découvrant cela et qu’elle lui dit « Ce n’est pas ce que je voulais ! », il est tellement déconcerté que c’en est drôle.

Vous avez tourné «Big Fish » avec Tim Burton, qui comme Zack Snyder, aime les univers fantastiques. Voyez-vous des similitudes entre ces deux réalisateurs ?

Oui. Ils possèdent tous les deux le don de recréer en images, de façon saisissante, les images qui surgissent dans leur imagination, même si elles sont totalement extravagantes. Il n’y a pas beaucoup de personnes qui peuvent parvenir à ce résultat, avec le niveau de perfection que Tim et Zack atteignent dans chacun de leurs films.

La séquence dans laquelle le Dr Manhattan se rend sur Mars pour méditer et revoit différents moments de sa vie, notamment l’accident qui a fait de lui un surhomme, est prodigieuse. Comment a-t’elle été tournée ?

Très simplement, sur un plateau entouré d’un fond vert, sur le sol duquel on avait dispersé de la terre rougeâtre. C’était assez étrange comme environnement. Ensuite, l’image a été complétée en post-production, et le corps de mon personnage ajouté en 3D.

Quelle a été votre réaction quand vous avez reçu le script du film ? Aviez-vous déjà entendu parler de « Watchmen » auparavant ? Aviez-vous lu le roman graphique ?

Non, jamais. J’ai juste lu trois pages du script, puis comme je trouvais le contexte de l’histoire vraiment très intéressant, j’ai téléphoné à mon frère cadet, qui est un grand fan de BD, et je lui ai demandé « Hé, qu’est-ce que tu sais de Watchmen ? ». Il m’a répondu « Tu te fiches de moi ? », je lui ai dit « Non, non, je voulais juste savoir si c’était bien ou pas. », et il a continué en disant « Ne me dis pas que tu vas jouer dans le film !! » (rires). Rien qu’au ton de sa voix, j’avais compris que Watchmen était une excellente BD, vénérée par tous les fans ! Quand je lui ai dit que j’allais jouer le Dr Manhattan, il était tellement excité qu’il m’a raccroché au nez pour pouvoir le dire le plus vite possible à tous ses copains ! (rires)

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